
* EGA KRAD ! *
Chronique de la série : MIRACLEMAN, par Alan Moore – tome 1
Date de publication originelle : de 1982 à 1983 (jusqu’à 1989 si l’on prend en compte les bonus)
Auteurs : Alan Moore (scénario) Alan Davis (dessin).
Genre : Science-fiction, Super-héros.
Éditeur VF : Panini
Delcourt avait précédemment publié une première partie, sans suite.
Éditeur VO : Marvel Comics

Miracleman par Joe Qesada.
Cet article porte sur le premier tome de la série MIRACLEMAN par Alan Moore, réalisé entre 1982 et 1983 pour l’essentiel.
Il couvre les épisodes MIRACLEMAN #1 à 4, plus divers bonus.
En VF, l’intégralité des épisodes de MIRACLEMAN par Alan Moore a été publiée en trois tomes chez Panini.
Sur C.A.P, nous allons consacrer un article sur chaque tome de la série, dont les trois premiers par Alan Moore.

L’ancienne édition VF de chez Delcourt.
“La vache ! Comme c’est génial !” Ce n’est pas tous les jours que je me dis ça en refermant un bouquin. Et encore moins s’il s’agit d’un comic book de super-héros en slip.
Bien évidemment, c’est ce que je me suis dit après avoir lu WATCHMEN, le pavé révolutionnaire jeté dans la marre de l’industrie des comics et créé par le scénariste qui nous intéresse ici, et dont on devrait taire le nom puisqu’il ne veut plus être associé à la série MIRACLEMAN sous peine de procès au derrière (et c’est la raison pour laquelle vous ne verrez pas son nom sur l’album, dans sa réédition)…
MIRACLEMAN est pourtant la première œuvre de ce grand scénariste (le plus grand au monde, dit-on) dans le domaine super-héroïque. Et ce fut, en 1982, la première véritable tentative de transformer ce médium afin de le destiner aux adultes.
En cette même année, le scénariste et dessinateur Jim Starlin avait déjà tenté une percée dans le domaine des grands, en mettant en scène LA MORT DE CAPTAIN MARVEL, où le héros devait combattre le cancer. Mais rien de réellement comparable avec cette révolution thématique absolue générée par la reprise du titre MIRACLEMAN…

Dans les années 50, il y avait la Miracleman Family :
Miracleman, Young Miracleman & Kid Miracleman !
Nous parlons de “reprise” car le personnage existait en réalité depuis 1954. Né de l’industrie des comics britanniques, il était directement inspiré du CAPTAIN MARVEL de Fawcett Publications, plus tard racheté par DC Comics, qui devait crier le mot magique “Shazam !” afin de se transformer en un super-héros aussi puissant que Superman ! Miracleman s’appelait d’ailleurs au départ “Marvelman”, avant que l’éditeur Eclipse Comics (éditeur américain ayant repris la série après l’arrêt du magazine Warrior) ne l’oblige à quitter ce plagiaire patronyme semblant sortir d’une autre célèbre maison d’édition… Et il criait déjà son propre mot magique : “Kimota” (“Atomik” à l’envers)…
Ironie du sort, le Captain Marvel version DC Comics ne s’appelle désormais plus Captain Marvel (il s’appelle tout simplement Shazam), celui de Marvel Comics est mort, et Miracleman, aujourd’hui devenu propriété intellectuelle de Marvel Comics, s’appelle toujours “Miracleman”…

La version initiale de Mick Anglo – Une oldie infantile d’une niaiserie abyssale, proprement illisible de nos jours !
Dans le même type d’imbroglio, il y a également le procès interminable qui nous a privés de lire cette série depuis des lustres. Fâché à mort avec l’industrie du comic book américain, le créateur de V POUR VENDETTA s’était opposé à cette réédition. Finalement, il perdit son procès mais exigea que son nom soit retiré de l’œuvre, et que les droits d’auteur soient intégralement reversés au dessinateur…
J’ai pourtant eu la chance de lire l’édition française publiée furtivement par l’éditeur Delcourt au début des années 90 (et rapidement devenue aussi introuvable que le Graal). Et comme de bien entendu, à l’époque, c’est un indiscutable “La vache ! Comme c’est génial !” qui était sorti de mon esprit en refermant la chose…

Non, non, ce n’est plus du comics de super-héros pour les petits…
“Déconstruction et reconstruction du mythe”. Voilà la manière dont on a coutume de qualifier la technique narrative d’Alan Moore lorsqu’il écrit sur une histoire de super-héros.
À ce titre, l’exemple de MIRACLEMAN illustre cette maxime de manière impressionnante : dans sa phase de déconstruction, le scénariste va commencer par présenter son personnage avec toutes ses naïvetés et ses archétypes. Il va montrer du doigt à quel point rien de tout cela ne fonctionne, en relever toutes les incohérences, toutes les naïvetés, tous les anachronismes. À la fin de cette première phase, le lecteur assiste à une démythification totale du héros.
Et puis dans sa phase de reconstruction, Alan Moore va déverser une avalanche d’idées toutes plus géniales les unes que les autres afin de justifier toutes ces incohérences en les transposant dans un tout nouveau contexte, un nouveau système de pensée, une autre époque et un nouveau point de vue.

Comment qu’il a eu ses pouvoirs, notre héros ?
Par exemple, si dans la version des années 50 Miracleman a obtenu ses pouvoirs grâce à des magiciens extraterrestres venus sur terre afin de le choisir comme champion de l’humanité (!), ses origines se voient complètement réinterprétées dans cette relecture mature : Les gentils extraterrestres étaient une invention implantée dans son esprit par une conspiration gouvernementale !
Et c’est de cette manière que l’auteur de WATCHMEN va sans cesse redéfinir sa phase de reconstruction… À l’arrivée, MIRACLEMAN n’est plus du tout une série super-héroïque au sens classique. Le manichéisme et les naïvetés inhérentes au genre se sont évaporés, laissant la place à une fable désenchantée sur la course à l’armement, sur les dangers d’une science utilisée sans conscience et sur la peur du danger nucléaire.

Le retour !
L’ambiance devient réaliste, sourde et parfois malsaine. Nous avons été transportés dans un autre univers narratif. À partir de là, les comics de super-héros ne seront plus jamais les mêmes, et tout un groupe d’auteurs, quasiment tous venus de Grande-Bretagne, va utiliser ce médium jadis enfantin pour raconter des histoires destinées aux adultes, mâtinées d’une toile de fond politique, philosophique ou, quoiqu’il en soit, réflexive.
Je terminerais d’ailleurs, à ce sujet, par relever que le scénario de MIRACLEMAN par Alan Moore regorge encore de thèmes sous-jacents, passionnants à décrypter (au hasard : les affres de la nature humaine, les notions de confiance et de pouvoir, la schizophrénie et les allusions à la philosophie de Nietzsche via son livre AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA…), le tout découpé avec une classe narrative incomparable.
L’ensemble a certes un peu vieilli, demeure peut-être un peu bavard (le seul vrai défaut du scénariste), mais démontre un sens de la mise en scène quasi-cinématographique, dominé par des soliloques inspirés (qui remplacent peu à peu les bulles de pensées au fil des pages, jusqu’à les faire disparaître !), qui fait encore autorité aujourd’hui. Bref, une œuvre dense, destinée à être relue indéfiniment…

L’ancienne version… et la nouvelle !
Cette édition proposée par Panini Comics (qui reprend le modèle américain) ajoute, en plus de son grand format “deluxe”, un grand nombre de bonus à la précédente (celle des éditions Delcourt). Parmi les plus belles idées, nous pouvons profiter d’un épisode datant de 1956, réalisé par le créateur de la série MIRACLEMAN : Mick Anglo.
L’épisode en lui-même est d’une tonalité infantile extrême et frôle le débile. Mais, placé en introduction, il permet de rentrer de manière idéale dans le récit concocté ensuite par Moore, et d’en mesurer toute la profondeur. À l’époque de sa première édition, la série MIRACLEMAN était publiée dans le magazine britannique Warrior. Et Alan Moore avait inséré, entre deux épisodes, de petites histoires annexes venant étoffer son univers de science-fiction.
Cette édition nous fait profiter de ces raretés, de petites histoires courtes qui mettent en scène les Warpsmith, des extraterrestres aux pouvoirs incroyables. L’espace d’une vingtaine de planches, on assiste alors au débordement d’imagination d’un auteur qu’aucun concept science-fictionnel et métaphysique n’arrête (attention aux dialogues d’un autre monde) ! Cela peut paraître un peu indigeste à lire pour la première fois, mais c’est paradoxalement savoureux au final !
Le recueil se termine par divers bonus telles les couvertures originales et alternatives, les crayonnés initiaux de Garry Leach et des exemples de la toute nouvelle mise en couleur exécutée par ce dernier.

Une autre comparaison en ce qui concerne la nouvelle mise en couleur. L’occasion d’admirer les superbes découpages du créateur de WATCHMEN !
En effet, la colorisation a été refaite et modernisée. Comme d’habitude, cela ne plaira pas aux puristes extrémistes. Mais les autres, et bien… on adore ! Sachant que la mise en couleur initiale était laide et industrielle, que le récit présent s’impose comme une œuvre hors du temps, je pense qu’il faut se féliciter de ce petit coup de jeune…
Ce premier volume annonce une collection de quatre tomes, dont les trois prochains ne comporteront que du matériel inédit, y compris la suite de la série sous la plume du scénariste Neil Gaiman. En bref : Que du bonheur. Allez, hop, on y retourne : “Kimota !”

La naissance d’une œuvre adulte !
See you soon !!!
