TROU DE VERS
Chronique de la série : MANHOLE
Date de sortie : 2006
Auteur : Tetsuya Tsutsui
Genre : Thriller , Drame, Horreur
Éditeur : Ki-oon
Cet article portera sur MANHOLE, le premier manga en 3 tomes de Tetsuya Tsutsui (sorti après ses 2 one-shot DUDS HUNT et RESET, et avant PROPHECY, POISON CITY et NOISE.)

Expériences clandestines et body horror
L’histoire commence par nous montrer un homme nu ensanglanté déambuler hagard dans une allée marchande de la ville de Sasahara, sous les yeux médusés des commerçants. Avant de d’écrouler, il va cracher du sang sur un passant, puis mourir. Une enquête de police s’ouvre, et on découvre que cet homme est mort terrassé par un virus aussi mystérieux que meurtrier : une forme de filariose inconnue et mortelle. C’est peut-être le début d’une contamination de grande envergure qui risque de décimer la population nippone. Mais cette épidémie est-elle d’origine naturelle ? Des expériences étranges semblent avoir été menées dans les égouts de la ville.
MANHOLE est pour l’instant le premier et l’unique manga de son auteur que l’on pourrait qualifier d’horrifique. En effet cette histoire de contamination (qu’il vaut mieux ne pas avoir lue durant la pandémie de COVID 19…) revêt un caractère assez répugnant. En effet les victimes ont des vers qui se développent dans leur sang (semblables aux vers loa loa de la maladie appelée Loase, une infection d’origine africaine par un nématode filaire), et tout contact avec du sang transmet le parasite qui se loge ensuite dans l’œil et cause des dommages irréversibles au cerveau. Un parasite qui inhibe les fonctions cognitives et cérébrales, rendant les infectés complètement stupides ou incapables de chercher de l’aide.

Extraction de vers
L’inspecteur Mizoguchi et la jeune inspectrice Inoue font équipe pour découvrir comment Yoshito Horikawa, l’homme découvert en premier, a pu finir ainsi. Ils vont découvrir que c’était un délinquant qui maltraitait ses parents âgés qui, par dépit, l’ont conduit à l’adresse d’un soi-disant centre de rééducation que personne ne connaît. Tout ceci sent le kidnapping organisé. Les victimes vont s’accumuler, tout d’abord en la personne du jeune homme sur lequel Yoshito a vomi avant de mourir, ainsi que sa petite-amie avec qui il a couché après avoir été contaminé (la pauvre va d’ailleurs devenir un véritable nid de parasites boursouflé…)
L’enquête va mener nos inspecteurs au fond d’une bouche d’égouts où ils vont découvrir des informations sur un photographe, Masaaki Mizuno, ainsi qu’un journal de voyage au Botswana. Ce soi-disant « photographe » semblait s’intéresser d’un peu trop près aux propriétés pseudo-médicales de la filariose et ses effets sur le cerveau, notamment l’altération de l’hypothalamus, le centre des désirs.

Un lieu d’expérimentation insalubre à souhait
A partir de ce moment là, il n’y a plus de doute. Cette contamination est d’origine humaine, perpétrée par un fou s’imaginant pouvoir faire évoluer la science et écarter les individus jugés inutiles à la société grâce à une nouvelle forme de lobotomie moins incapacitante (du moins en théorie.) Reste à savoir s’il avait prévu la contamination, ou si l’expérience lui a échappé. De plus, il semble avoir été un peu trop facile d’identifier l’identité du présumé coupable.
Le manga nous propose de suivre l’histoire sous deux angles. Il y a tout d’abord évidemment l’enquête bien écrite et intéressante, avec de nombreux rebondissements et révélations, mais ce n’est pas le plus urgent au départ. Ce qui achève de rendre la lecture haletante, c’est cette menace de catastrophe biologique qui plane tout le long avec cette épidémie qui menace de tuer tous les porteurs de parasites.

Une menace biologique qui instaure une atmosphère menaçante constante
Au départ la police ne prend pas la chose trop au sérieux puisque c’est la saison hivernale et que ce sont surtout les moustiques qui transportent les maladies du sang, mais bien vite diverses circonstances imprévues vont faire déraper complètement la situation et nécessiter l’intervention des agents de la santé publique en combinaisons Hazmat. De plus, les comportements altérés des civils infectés sont totalement flippants. Soit ils sont incapables de se rendre compte de ce qu’ils font (on pensera à une femme qui se découpe les doigts en coupant des légumes) soit ils sont prostrés et ne cherchent aucune aide. Les images choquantes sont assez fréquentes et c’est certainement le manga de Tetsuya Tsutsui le plus glauque. A ne pas mettre entre toutes les mains.

Des images parfois choquantes à ne pas montrer aux phobiques des insectes ou du body horror en général
L’identité du cerveau criminel est également un élément intéressant puisqu’on comprend que derrière son plan tordu, il y a une logique crédible : celle de « purifier » sans tuer les individus dangereux inadaptés. Une logique qui trouve ses origines dans un ras le bol de l’inefficacité de la justice et ses mesures prises contre les criminels. Aussi irresponsables que soient ses méthodes (risquer de répandre une maladie inconnue mortelle…), tout acte trouve une explication dans des défauts de société contre lesquels les gens se sentent impuissants. Bien entendu cette fois l’auteur nous raconte une véritable affaire criminelle et les motivations de l’antagoniste ne sont pas justifiables, contrairement à d’autres de ses mangas dans lesquels les frontières morales sont plus floues (PROPHECY, NOISE). Cela n’empêche pas l’auteur de donner au méchant une raison pour justifier ses actes.

Un cerveau criminel motivé par une rancœur terrible
Testuya Tsutsui réussit également toujours à dresser des portraits de personnages intéressants ou plaisants à suivre. L’alchimie entre le flic vétéran Mizoguchi et la jeune recrue Inoue fonctionne très bien. Le premier a de la bouteille et reste assez impassible alors que la seconde est plus émotionnelle et maladroite par son inexpérience à gérer certaines situations. Les deux sont cependant de bons flics avec leurs forces et faiblesses. L’enquête les poussera d’ailleurs dans leurs retranchements, surtout Inoue qui aura du mal à se conformer aux procédures face à l’injustice de certaines situations.

Un duo d’enquêteurs qui apporte un peu de légèreté
En conclusion c’est un très bon manga, un des premiers de son auteur et certainement le plus ambitieux à l’époque puisqu’il n’avait écrit que de courts récits avant (RESET et DUDS HUNT). Après avoir lu toute son œuvre, on peut constater que MANHOLE est toujours assez unique en son genre puisqu’il est le seul à verser à ce point dans l’horreur et le spectaculaire. Ses autres mangas traitent davantage de problèmes de société, de morale floue, de nature humaine. Ces sujets sont déjà présents dans MANHOLE, mais ils restent plus discrets et sont au service d’une vraie enquête criminelle et d’un scénario plus « catastrophe » avec sa menace biologique. Du très bon cru, mais pas forcément pour tous publics.