PIONEERS OF THE WEST COAST
– Rock Americana, les origines : 2° partie –
– GENE CLARK, GRAM PARSONS, RICHIE FURAY –
THE BYRDS, BUFFALO SPRINGFIELD, THE FLYING BURRITO BROTHERS & POCO :
Le COUNTRY ROCK
AMERICANA : Une anthologie historique concoctée depuis les hauteurs de Laurel Canyon…
Sujet de l’article : Playlist Rock Americana, les origines – 2° partie : Les inventeurs maudits du country-rock
Genre : Musique, Rock, Americana, Country rock, Country folk, Folk rock
Type de dossier : Playlist sur un genre musical
Contenu : Playlist d’une vingtaine de chansons.
Artistes : Gene Clark, Gram Parson, Richie Furay et leurs diverses formations (The Byrds, The Flying Burrito bros, Poco)
1ère partie : Crosby, Stills, Nash & Young
2ème partie – Vous êtes ici : Les inventeurs maudits du country-rock (Gene Clark, Gram Parsons, Richie Furay, Poco, The Byrds, Flying Burrito Bros)
3ème partie : Les grandes pointures, ailleurs en Amérique /1
4ème partie : Le country-folk et les autres autres pionniers de la côte ouest
5ème partie : Les grandes pointures, ailleurs en Amérique /2
6ème partie : La prolifération
7ème partie : Les contemporains /1
8ème partie : Les contemporains /2
AVERTISSEMENT : Ces articles ne sont pas à lire d’une traite. Ce sont des dossiers qui contiennent parfois plus de vingt chansons. Ils sont conçus pour servir de sujets de découverte, et compiler des best-of de chansons triées sur le volet. L’idéal est d’y revenir, et de découvrir l’ensemble en prenant son temps.
Nous avons déjà fait l’historique du genre Americana, en introduction, dans la 1° partie de l’article. Une 1° partie entièrement consacrée à quatre gars de la côte ouest : David Crosby, Stephen Stills, Graham Nash et Neil Young. Soit le supergroupe CSN&Y, ainsi que les diverses formations avec lesquels il ont œuvré (The Byrds, Buffalo Springfield, Manassas, etc.).
Pour cette seconde partie, on va de nouveau se cantonner à la Californie et au West-Coast sound. Car c’est là que tout a commencé. Effectivement, à côté des gars de CSN&Y, il y en avait d’autres qui, du Troubadour sur le Sunset Boulevard aux villas truffées de hippies du quartier de Laurel Canyon, participaient à l’invention du genre Americana. Mais il y a surtout trois gars en particulier, les trois inventeurs maudits du Country-rock que furent Gene Clark, Gram Parsons et Richie Furay. Nous allons donc égrainer leurs œuvres, ainsi que leur participation à leurs groupes respectifs, ce qui nous permettra de revenir sur le parcours des Byrds et de Buffalo Springfield, vivier intarissable du genre.
Plusieurs autres parties, complémentaires, se concentreront sur d’autres artistes emblématiques, ailleurs en Amérique. Puis les dernières parties seront entièrement consacrées aux artistes contemporains.
La playlist qui va suivre vous propose une exploration par album, en sélectionnant à chaque fois un ou deux titres.
Gene Clark
Véritable Van Gogh de l’histoire du rock, artiste maudit, Gene Clark a tout d’abord fondé les Byrds dont il était la principale force créatrice. Mais sa présence au sein du groupe était éclipsée par la personnalité de Roger McGuinn et celle de David Crosby. Il s’échappe en solo dès 1967, mais la malédiction continue, car il va égrainer la fin des années 60 et la première partie des années 70 en enregistrant une série de chefs d’œuvres (GENE CLARK WITH THE GOSDIN BROTHERS (1967), THE FANTASTIC EXPEDITION OF DILLARD & CLARK (1968), THROUGH THE MORNING, THROUGH THE NIGHT (1969), WHIGHT LIGHT (1971), ROADMASTER (1972) et NO OTHER (1974)), totalement boudés par le public. Au milieu de cette salve épique, deux albums antinomiques se distinguent tout particulièrement : WHIGHT LIGHT, dépouillé, spontané, et NO OTHER, surproduit, baroque, grandiloquent. Deux accidents sublimes que l’histoire du rock ne retiendra qu’une fois la mort de leur auteur, décédé tristement à 46 ans d’une crise cardiaque après une vie d’échecs, d’excès en tout genre et de désespoir.
Moult fans (dont votre serviteur) placent ces deux albums parmi les masterpieces de l’histoire du rock, réhabilitant peu à peu la place qui leur revient.
1 : The Byrds
Les Byrds se forment en 1964 mais Gene Clark quitte le groupe dès 1966. Un coup dur pour la formation, tant notre homme en était l’âme du point de vue des compositions originales. Raison pour laquelle le groupe se cantonnera longtemps aux reprises, notamment en piochant chez Bob Dylan (c’est avec Mr TAMBOURINE MAN qu’ils avaient gagné leur premier tube).
EIGHT MILES HIGH est encore aujourd’hui considérée comme la plus grande chanson du groupe. Attribuée à Clark, McGuinn & Crosby, qui s’en sont disputé la paternité, elle est avant tout l’œuvre de Clark. Celui-ci quitte le groupe au moment de la sortie du single, et plus jamais le groupe ne sortira de tube connaissant un tel succès, ce qui en dit long, justement, sur la contribution de notre homme.
Je place ici le titre uniquement par soucis de repère historique, car personnellement, je n’aime pas du tout cette période psychédélique.
2 : THE FANTASTIC EXPEDITION OF DILLARD & CLARK (1968)
Songwriter exceptionnel, dans le très haut du panier, Gene Clark est avant tout l’un des précurseurs du style country-rock. Il partage ainsi, avec Gram Parsons, la paternité de ce genre qui va, ironiquement, s’envoler sans eux…
De ce point de vue, il est intéressant de s’arrêter sur la période où notre homme fait équipe avec Doug Dillard (du groupe the Dillards, formé avec son frère), surdoué du banjo rodé au répertoire bluegrass, qui avait fait sensation dans l’atmospère bouillonnante du Troubadour dès son arrivée à Los Angeles en 1967. Tous deux (Dillard & Clark) issus du Missouri, ils étaient faits pour s’entendre, notamment à travers leur passion respective pour cette country qui avait bercé leur prime jeunesse (ainsi que pour l’alcool et le LSD…). Il est intéressant de noter, également, qu’à cette même époque, Dillard fréquentait assidument les Byrds, au moment-même où Gram Parsons y apportait sa brève contribution (Dillard et Parsons partagèrent même une chambre lors d’une tournée en Europe !). C’est bien de ce noyau-là (dans lequel s’incrustèrent d’ailleurs les Rolling Stones) qu’émergea alors le country-rock, qui allait submerger les USA pendant toute une décennie.
C’est chez Dillard (qui partageait sa maison avec Linda Ronstadt mais aussi avec Bernie Leadon, futur membre des Eagles qui allait les accompagner) que le premier album de Dillard & Clark pris forme. Il ne rencontra aucun succès sur le moment. Ni le public, ni les producteurs, ni même leurs pairs n’étaient prêts à le recevoir. Ce n’est que bien plus tard qu’il fut réévalué et considéré comme l’un des points de départ du courant country rock (au même moment que les chansons de Gram Parsons, donc), et accessoirement comme l’un de ses chefs d’oeuvre définitifs.
Voyez comme c’est tellement injuste, comme le dirait Calimero : La ballade TRAIN LEAVES HERE THIS MORNIN, magnifique (on la retrouvera, ré-orchestrée, dans les bonus de NO OTHER), sera reprise quatre ans plus tard par les Eagles (et Bernie Leadon, donc) et participera de leur succès, devenant nettement plus célèbre que la version originale…
3 : WHITE LIGHT (1971)
En 1968-69, il était trop tôt pour faire de la country, encore considérée par un public jeune comme de la musique de vieux. Certes, les Byrds avait eu du succès avec leur SWEETHEART OF THE RODEO concocté par Gram Parsons. Mais parce que c’était un album des Byrds, que tout le monde allait acheter les yeux fermés. Alors, Gene Clark finit par se séparer de Doug Dillard (de toute manière, ensemble ils étaient trop défoncés pour assurer une cacahuète sur scène…) et abandonne les banjos pour renouer avec une folk song immaculée.
Le résultat va être somptueux. Comme dit plus haut, l’album sans titre qui deviendra WHITE LIGHT est le plus dépouillé de son auteur. Une merveille de bout en bout où pleuvent les chansons inoubliables et imparables. À se demander comment il a pu passer inaperçu au moment de sa sortie. Une malédiction ? Quoi d’autre ?
Nous allons commencer par écouter FOR A SPANISH GUITAR. Une chanson que Bob Dylan lui-même considérait comme l’une des plus belles et qu’il avouait regretter de ne pas l’avoir écrite…
Impossible de ne pas vous proposer aussi une autre chanson de cet album incontournable (THE VIRGIN ? WHERE MY LOVE LIES ASLEEP ?). Ce sera WITH TOMORROW. Notez bien l’introduction du morceau, qui annonce, quatre ans avant, celle du WISH YOU WERE HERE de Pink Floyd !
4 : NO OTHER (1971)
En 1973, le producteur David Geffen, grand manitou de l’industrie du disque sur la côte ouest, tente de réunir les cinq Byrds originel (on en reparle plus bas). Leur album (le dernier de ce grand groupe fondateur), est un échec critique mais il permet à tout le monde de se rappeler que Gene Clark, le seul à y apporter des chansons intéressantes, est toujours là. Geffen lui donne ainsi carte blanche pour un nouvel album solo et notre artiste en profite illico pour mettre le paquet et réaliser l’album de ses rêves. Il revient avec une note de 100 000 dollars de dépense pour la production de l’enregistrement ! Geffen, fou de rage, refuse de prendre en main la destinée de l’album et ce sera, de nouveau, un échec cuisant. La poisse.
L’album en lui-même est juste l’un des plus grands disques de tous les temps. Visionnaire, profond, mystique, abolissant les frontières en mêlant le rock, la folk, la country, la soul, le gospel et les orchestrations torrides. On ne va pas pouvoir énumérer tous les musiciens impliqués mais il y a la crème. Indispensable à toute discothèque qui se respecte.
L’introduction somptueuse de SILVER RAVEN suivie de ses chœurs célestes ; STRENGHT OF STRINGS et son ambitieuse ampleur mélodique bourrée d’arrangements soul magnifiques, transcendée par une interprétation à fleur de peau ; FROM A SILVER PHIAL langoureux et lacrimal sur les couplets, mais altier et farouche dans le refrain imparable ; MISUNDERSTANDING et ses huit minutes hypnotiques, sublimées par les harmonies majestueuses, où piano et pedal steel gilmourienne dialoguent avec un naturel désarmant, beau à pleurer ; LADY OF THE NORTH et sa complainte mélancolique où l’on ose marrier la guitare wah-wah, les synthés et le violon bluegrass. Lesquelles choisir ?
Songez que NO OTHER a été, à l’époque, démoli par une critique qui lui reprochait d’être surproduit alors que l’album n’a pas pris une ride ! Il semblerait que l’on puisse affirmer, à postériori, qu’il était en avance sur son temps…
Premier sur notre liste des créateurs maudits du style country rock, ceux qui vont rester dans l’ombre quand d’autres vont briller à leur place, Gene Clark est sans doute le plus grand. Qu’a-t-il dû penser en voyant des groupes comme America ou les Eagles reprendre la formule et devenir riches et célèbre en alignant les disques d’or ? Nous en reparlerons.
Gram Parsons
Gram Parsons est une légende.
Artiste maudit n’ayant jamais connu lui non plus le succès de son vivant, ni lors de son passage éclair chez les Byrds, ni avec son groupe les Flying Burrito Brothers (avec Chris Hillman et Michael Clarke des Byrds, et Bernie Leadon des Eagles), ni en solo, il est aujourd’hui unanimement célébré pour son héritage en tant que père spirituel du country rock. Légendaire pour la pureté de ses textes et de son interprétation à fleur de peau, pour son duo vocal exquis avec Emmylou Harris (qui a inspiré Dylan comme on le verra bientôt), pour avoir fait mieux à lui-tout seul que le club des 27 en décédant à 26 ans, succombant comme tant d’autres à cette vague d’opiacés qui commence à faire un carnage dans le monde du rock. Et enfin pour son amitié avec Keith Richards, qu’il emmena contempler les grandeurs du Joshua Tree en goûtant au peyotl, le guitariste des Stones souhaitant plus que tout embrasser cette mythologie de l’ouest et de son wild-time pour nourrir sa musique.
Le gars avait pourtant tout pour lui : Belle gueule et sourire ravageur. Un héritage familial destroy mais confortable. Et du talent à revendre…
1 : International Submarine Band : SAFE AT HOME
Rêvant de réunir tous les genres musicaux ayant bercé son enfance (la country, le rock et le rythm’n blues) en une seule entité, qu’il nomme la Cosmic American Music, Gram se rend très vite à Los Angeles pour tenter sa chance et fonde un premier groupe : L’International Submarine Band.
En cette année 1967 qui voit la british invasion faire des Beatles le graal du rock nouveau, le concept est alors le suivant : Et si la pop des Byrds, eux-mêmes ersatz américain des Fab 4, rencontrait la vieille country de Nashville, qu’est ce que ça donnerait, comme son ? Il n’empêche que le résultat est tout simplement le premier véritable album Country-rock de l’histoire !
Le mélange entre la country et les Beatles ? Gram Parsons l’a fait !
2 : The Byrds – SWEETHEART OF THE RODEO
1968 : Rapidement repéré par les Byrds, Gram est engagé pour ce qui sera leur sixième album.
Il va alors se passer quelque chose d’inattendu : Enthousiaste, inspiré et brillant, Gram va rapidement s’imposer, plier la ligne directrice du nouvel album des Byrds selon sa vision, jouer plusieurs instruments et même interpréter lui-même toutes ces chansons qu’il offre au groupe ! L’album, intitulé SWEETHEART OF THE RODEO, enregistré à Nashville pour parachever l’ambiance, opère un changement radical au sein de la discographie des Byrds. Et même Roger McGuinn, d’ordinaire leader intraitable, se laisse submerger par le tsunami Parsons !
Hélas, si Gram a oublié son International Submarine Band aussi vite qu’un pet sur une toile cirée, la production s’aperçoit que le jeune prodige est encore lié contractuellement à l’enregistrement de l’album SAFE AT HOME. Il est donc éconduit, et toutes ses chansons sont réenregistrées avec la voix de Roger McGuinn à la place de la sienne !
Qu’à cela ne tienne, le bonhomme a fait un si gros effet que Chris Hillman, membre fondateur des Byrds et dernier résistant auprès de McGuinn (Gene Clark, David Crosby et Michael Clarke sont déjà partis depuis un moment), décide de quitter le groupe et de rejoindre Parsons pour la création d’un tout nouveau groupe ! Ce sera les Flying Burrito Brothers, bientôt rejoints par Michael Clarke et Bernie Leadon ! Quant à SWEETHEART OF THE RODEO, l’album connaitra un succès relatif, mais comme c’était un disque des Byrds, il fut suffisamment écouté pour ouvrir la voix au country rock, le genre s’installant enfin dans l’esprit des (jeunes) américains.
Évidemment, puisque les chansons de SWEETHEART OF THE RODEO enregistrées avec la voix de Gram Parsons ont été exhumées à l’occasion de la réédition de l’album en coffret Legacy, nous allons en écouter une.
3 : The Flying Burrito Brothers – THE GILDED PALACE OF SIN
Personnellement, c’est à partir de là que je deviens fan : Le premier album des Flying Burrito Brothers, THE GILDED PALACE OF SIN, sort en 1969. Bien qu’il soit d’une fraicheur irréprochable, il ne connait strictement aucun succès et ce n’est pas la prestation du groupe au tristement célèbre festival d’Altamont, désastreux, qui aura aidé à fonder sa notoriété.
Écoutons HOT BURRITO # 1, superbe chanson qui met si bien en valeur l’interprétation déchirante de notre jeune prodige, désormais libre de s’épanouir dans sa cosmic american music.
4 : The Flying Burrito Brothers : HOT BURRITO
Les Flying Burrito Bros enregistrent donc une première version de WILD HORSES en 1970, un an avant que la chanson, signée Jagger & Richards, n’apparaissent sur l’album des Stones (STICKY FINGERS). Si l’amitié entre Parsons et Richards est notoire, elle est également fulgurante et se termine plutôt mal. Car Gram est un jeune gars particulièrement destroy, qui a l’alcool mauvais et qui se défonce avec tout ce qui passe. Il sera donc viré des sessions déjà fortement houleuses de l’album EXILES ON MAIN STREET auxquelles il assiste en 1971 (sur la Côte d’azur). Mais en 1969, tout va encore assez bien et on le laisse donc enregistrer la chanson, dont il livre une interprétation pour le moins superbe. Maintenant, lorsque l’on sait à quel point son influence a été importante pour Keith Richards, on peut s’interroger sur sa participation réelle à l’existence de ce titre : Le fait qu’il ait pu l’enregistrer aussi facilement tendrait à signifier qu’il a pu participer à sa création. Rien ne le prouve. Mais on peut facilement le déduire, sachant que Parsons et Richard auraient composé ensemble, de manière plus ou moins informelle, quelques morceaux lors de leur virée au Joshua Tree…
5 : Gram Parsons – GP + GRIEVOUS ANGEL
Le comportement de Gram Parsons se dégrade rapidement après l’enregistrement de THE GILDED PALACE OF SIN. De plus en plus défoncé, il devient ingérable, bâcle sa participation au deuxième album, avant d’être viré de son propre groupe à l’issue de ce second enregistrement. Les Flying Burrito Bros continuent sans lui quelques années.
De son côté, alors qu’il est au plus bas, Gram se reprend in-extremis et réalise un dernier baroud d’honneur en enregistrant consécutivement deux albums solos : GP en 1973, et GRIEVOUS ANGEL qui sort en 1974, quatre mois après sa mort.
Évidemment, ces deux disques ne connaissent guère le succès mais ils sont très réussis et profitent de la participation de nombreux invités pretigieux (dont Bernie Leadon et Linda Rondstadt, mais aussi des musiciens d’Elvis Presley comme Glen Hardin, Ric Grech de Traffic ou encore le grand Al Perkins à la pedal steel). Et c’est là qu’une certaine Emylou Harris commence réellement son ascension, son duo magique avec Gram sur plusieurs titres des deux albums (notamment $1000 WEDDING) étant depuis entré dans la légende.
Avec ou sans les Flying Burrito Bros, les Byrds ou Emylou Harris, Parsons laissera pour la postérité un country-rock qui, à l’époque, déconcertait le public en n’étant jamais complètement de la country, et jamais complètement du rock. Ces deux clans irréconciliables (si l’on s’en tient aux clichés, on a d’un côté les ploucs amateurs d’armes à feu, et de l’autre les sales hippies fumeurs de joints. C’est un peu de cet œil qu’ils se jaugeaient mutuellement…) ne comprendront pas, sur le moment, l’intention de les réconcilier.
Richie Furay
Dans son bouquin HOTEL CALIFORNIA, Barney Hoskyns assure que le country-rock californien est réellement né (dans le sens où il est soudain devenu hype, au moins pour toute la profession), un soir de novembre 1968, à l’occasion du premier concert de Poco au club Troubadour de Los Angeles.
Le groupe Poco avait été formé à partir de deux anciens membres du Buffalo Springfield : Le chanteur/guitariste Richie Furay, qui reprenait alors le leadership comme au début de Buffalo Springfield, et le guitariste/bassiste Jim Messina, auxquels s’étaient associés George Grantham (le batteur de Neil Young), le (steel) guitariste Rusty Young et le chanteur/guitariste Randy Meisner, un autre futur membre fondateur des Eagles. Car ce soir là, alors que tout le gratin était présent (de Ricky Nelson à Linda Ronstadt), Poco avait électrisé la foule avec un concert dantesque, démontrant avec aplomb combien la country pouvait se marier avec le rock.
Mais qui aujourd’hui se souvient de Richie Furay ?
1 : Buffalo Springfield
Richie Furay avait fondé le Buffalo Springfield en 1965 avec Stephen Stills, Neil Young, Dewey Martin et Bruce Palmer (remplacé plus tard par Jim Messina). Nous avons évoqué ce groupe fondateur de l’Americana dans la première partie de l’article, groupe dont Furay était au départ le chanteur principal, mais qui avait fini par être un peu éclipsé par les personnalités nettement plus belliqueuses et frondeuses de Neil Young et surtout du teigneux Stephen Stills. En moins de trois ans, le groupe était rapidement devenu un supergroupe, avec tout ce que cela comporte de complications internes…
Le troisième album du Buffalo Sprinfield, LAST TIME AROUND, est donc finalisé en 1968 dans des conditions assez houleuses et le groupe se disloque avant la fin des enregistrements (où certains ne jouent même plus ensemble). Pour autant, leur trois albums demeurent des classiques et même des chefs d’œuvre, et l’on peut mesurer aujourd’hui que Furay y développait déjà ses goûts pour la country (réécouter par exemple A CHILD’S CLAIM TO FAME), ce qui fait de lui l’un des précurseurs du genre country-rock, à égalité avec les deux précédents.
Pour commencer, écoutons DO I HAVE TO COME RIGHT OUT AND SAY IT issu du premier album BUFFALO SPRINGFIELD. Un titre que j’adore (le refrain est irrésistible), au temps où Furay était encore le frontman de Buffalo Springfield par principe contractuel…
Richie Furay est encore considéré comme leader sur le chant pour le second (et peut-être meilleur) album du groupe : BUFFALO SPRINGFIELD AGAIN.
Cette fois, il écrit plusieurs chansons et commence à livrer ses classiques. SAD MEMORY est une chanson qui le définit très bien. Une superbe ballade, mélancolique et lumineuse. Très country.
Sur LAST TIME AROUND, à quelques exceptions près, chaque musicien compose et interprète ses propres chansons, l’égo des uns essayant de s’imposer aux dépends de celui des autres. C’est dommage mais, en même temps, ça permet de voir le potentiel de chaque prétendant !
Nous avons tout d’abord l’intro de l’album avec une chanson écrite par Neil Young, encore miraculeusement (et magnifiquement) interprétée par Richie Furay, la seule de ce troisième disque jouée par les cinq membres originaux : ON THE WAY HOME !
Nous avons ensuite l’irrésistible MERRY-GO-ROUND, écrite et interprétée par Furay, imparable. Non mais quel groupe ! Non mais quel groupe incroyable !!!
2 : Poco
Dès la dissolution de Buffalo Springfield (le dernier titre enregistré pour le groupe, KIND WOMAN, étant l’un de ses favoris au point qu’il le reprendra toute sa vie), Furay rebondit aussi vite que ses anciens acolytes Stephen Stills & Neil Young en fondant le groupe Poco. À la différence que celui-ci ne connaitra pas le succès avant… le départ de Richie Furay !
Avant de quitter Poco, notre homme enregistre avec eux cinq albums studios magnifiques (ainsi qu’un live historique).
Si le premier album de Poco (enregistré en 1969) donne le “la”, il sonne encore un peu trop 60’s pour se démarquer et s’imposer comme un mètre-étalon du country-rock. Mais il contient déjà de belles choses. FIRST LOVE est une jolie balade dans le style country cowboy recherché (voir l’acoutrement des membres du groupe sur l’illustration de la pochette de l’album).
Alors que le premier album n’est pas encore sorti, Randy Meisner qui ne s’entend pas avec Furay, part fonder les Eagles. Il est remplacé par le guitariste Timothy B. Schmit qui, c’est rigolo, le remplacera plus tard au sein des Eagles…
Le groupe impose vraiment son style avec le deuxième album (qui possède pourtant une pochette parmi les plus laides de l’histoire du rock), simplement nommé POCO en 1970, qui confirme la continuité de Buffalo Springfield, sur un registre tout de même un poil plus roots. La galette contient notamment l’impressionnant NOBODY’S FOOL / EL TONTO DE NADIE, REGRESA, un titre-fleuve sous la forme d’un long jam trippant de près de vingt minutes. Notons qu’au même moment, un certain ALLMAN BROTHERS BAND reprend la formule à la lettre !
À l’issue de ce second opus, Jim Messina prend le large et il est remplacé par Paul Cotton, qui deviendra rapidement le principal compositeur du groupe.
Sortent alors les albums FROM THE INSIDE en 1971, et A GOOD FEELIN’ TO KNOW en 1972. Ce dernier contient un titre superbe, à cheval entre les diverses inspirations du groupe, avec notamment une belle couleur gospel : SWEET LOVIN’. À ce stade, la formation du groupe semble parfaitement stable.
En 1973, Poco enregistre CRAZY EYES. C’est objectivement un très bel album, qui contient notamment une reprise de… Gram Parsons (une chanson que nous avons écoutée plus haut : BRASS BUTTONS !), ainsi qu’une autre de J.J. Cale : MAGNOLIA.
Notons également la participation de Chris Hillman (ancien membre fondateur des Byrds), qui vient ici jouer de la mandoline et qui s’entend particulièrement bien avec Furay. Nous avons également le soutien de Joe Lala, un habitué des gars de CSN&Y, et celle de Bob Ezrin, le futur producteur des grands chefs d’œuvre de la décennie (citons pour l’essentiel sa participation aux albums de Lou Reed, Alice Cooper et Pink Floyd).
C’est ici que Richie Furay crée sa grande œuvre, en écrivant la pièce-maitresse éponyme de l’abum : le magnifique et quasi-progressif CRAZY EYES.
Pourtant, tout aussi beau que soit ce cinquième opus, les ventes des albums de Poco ne décollent toujours pas, et le pauvre Richie commence à désespérer de sa malédiction…
3 : The Souther Hillman Furay Band
C’est là que le producteur David Geffen va se la jouer pas cool : Voyant que le pauvre Furay attend désespérément un succès qui ne vient pas, il va le prendre à part, jouer sur la corde sensible, profiter de sa position de faiblesse et lui suggérer de quitter Poco ! Punaise, le pauvre Richie a vu tous ses anciens collègues devenir des superstars sans lui. Même Jim Messina, qui vient de se mettre en duo avec Kenny Loggins, est en tête des charts !
En vérité, Geffen a une idée en tête, d’autant qu’il vient de lancer les Eagles, qui commencent à cartonner : Refaire le coup du supergroupe qui avait tant rapporté de fric du temps de Crosby, Stills, Nash & Young. Il imagine alors le truc : réunir Richie Furay, Chris Hillman, ancien fondateur des Byrds dont le nouveau projet (Manassas, avec Stephen Stills) est en train de prendre l’eau, et John-David Souther, considéré comme le cinquième Eagle puisque c’est lui qui leur écrit leurs tubes (ainsi que ceux de Linda Rondstadt, alors sa compagne). Seulement voilà : On ne fabrique pas un supergroupe comme ça ! Et ce qui avait marché brièvement avec CSN&Y, qui s’était constitué naturellement sur de véritables affinités, ne va pas fonctionner du tout de manière artificielle !
Geffen avait pourtant vu les choses en grand, en rameutant trois autres anciens membres de Manassas (Joe Lala, Paul Harris et Al Perkins), ainsi qu’un autre relicat des Byrds et du Flying Burrito Bros (comme Chris Hillman) : Jim Clarke. Richie Furay était quant à lui très motivé, mais Souther, exécrable solitaire, allait faire le nécessaire pour saboter le projet assez rapidement…
Comme c’était évident, avec le recul : The Souther Hillman Furay Band n’est pas du tout une réussite, et le groupe se sépare après seulement deux albums : THE SOUTHER-HILLMAN-FURAY BAND (1974) et TROUBLE IN PARADISE (1975).
Bon, ces deux albums ne sont pas mauvais non plus. Mais rien de vraiment mémorable, quoi…
Las, Furay tente de fonder un nouveau groupe, le Richie Furay Band. Puis, comme il s’est converti au christianisme radical, accepte finalement la fatalité et se fait pasteur au début des années 80, se produisant modestement en solo et rejoignant Poco à l’occasion de certains concerts. Ainsi s’achève le parcours du troisième artiste maudit du country rock…
Poco – The Byrds
Avant d’achever ce second article sur l’Americana, il faut boucler la boucle en revenant sur le parcours de Poco, et surtout sur celui des Byrds, qui est tout de même LE groupe fondateur du genre.
1 : Poco
Nous nous contenterons ici d’un résumé succint : Après le départ de Richie Furay, Poco continue son bonhomme de chemin sous la houlette de Rusty Young (dernier membre fondateur encore présent) et de Paul Cotton, tous-deux principaux compositeurs des disques suivants, en livrant un album par an jusqu’au milieu des années 80 (ensuite le groupe fera surtout des come-back en public). Alignant des chansons de plus en plus aseptisées, c’est en 1978 que Poco décolle enfin, grâce à un album et surtout à un tube retentissant (extrêmement mielleux) écrit par Young : CRAZY LOVE. À partir de là, le groupe se fond dans le moule du Soft-rock californien alors en vogue et va enchaîner les succès. Sans Richie Furay, donc, qui ne rejoindra la formation à géométrie variable qu’à l’occasion de quelques albums et/ou tournées tardives.
Poco sans Richie…
2 : The Byrds :
Comme nous l’avions vu dans le premier article, c’est en 1964, avec le premier album des Byrds, qu’était né ce Folk-rock typiquement américain qui formera l’ADN de l’Americana.
La formation originelle comprenait Roger McGuinn, Gene Clark, David Crosby, Chris Hillman et Michael Clarke. Dès 1969, McGuinn, leader régalien, était le seul membre fondateur encore présent, alors qu’on avait vu passer Gram Parsons. Mais à partir de là, une nouvelle formation allait s’imposer, avec le guitariste prodige Clarence White, les excellents Skip Battin à la basse (qui succède à l’intérimaire John York à partir de 1970) et Gene Parsons à la batterie (ce dernier n’ayant rien à voir, ni avec Gene Clark, ni avec Gram Parsons !). Sous cette forme, le groupe allait enregistrer cinq albums : DR BYRDS & MR HYDE et BALLAD OF EASY RIDER (1969), (UNTITLED) (1970), BYRDMANIAX et FARTHER ALONG (1971).
Ces cinq albums possèdent une couleur musicale très particulière, extrêmement différente de celle, psychédélique, qui précédait SWEETHEART OF THE RODEO, et nettement plus ancrée dans le Country-rock désormais en marche. Clarence White, en particulier, s’y révèle l’architecte de ce nouveau son, qui fait autant écho au Southern-rock abrasif qui démarre plus au sud, qu’au rock de San Francisco dominé par les fougueux bûcherons de Creedence Clearwater Revival (dont nous parlerons dans le prochain article).
Parce que leur chanson THE BALLAD OF EASY RIDER fait partie de la bande-son du film culte de Dennis Hopper (EASY RIDER, donc…), l’album éponyme en profite à fond… Mais ma chanson préférée de toute la disciographie des Byrds est cette énième reprise d’une chanson de Dylan : la magnifique IT’S ALL OVER NOW, BABY BLUE, portée très haut par le groupe et ses harmonies magiques.
Mais c’est là que le public commence aussi à se lasser. Les ventes sont souvent décevantes, et David Geffen, encore lui, revient pour fomenter un mauvais coup : Il prend McGuinn à part, joue sur la corde sensible, et profite d’un moment de faiblesse pour le persuader de dissoudre le groupe et de le reformer avec les quatre autres membres originaux, eux-mêmes au creux de la vague ! Mais, encore une fois, l’artificialité de la chose est une impasse, l’album simplement intitulé BYRDS (1973) déçoit tout le monde et s’impose comme un échec. Dans le même temps, le grand Clarence White meurt dans un accident de voiture. C’est la fin définitive des Byrds…
À la fin des 70’s, le trio McGuinn Clark & Hillman tentera sa chance, mais cela ne durera pas bien longtemps.
De ces cinq album de l’ère Clarence White, on retiendra principalement le double (UNTITLED), composé d’un disque live et et d’un autre enregistré en studio.
La partie live, particulièrement spontanée, offre notamment une version longue (sur toute une face de 33 tours) du classique EIGHT MILES HIGH, où White & McGuinn s’adonnent à un épique duel de guitare comme le faisaient au même moment Stephen Stills & Neil Young.
La partie studio propose quelques bonnes chansons. Depuis la réédition augmentée de bonus, LOVER ON THE BAYOU, l’une de mes préférées, est présente dans les deux versions (en live et en studio).
Notre deuxième article sur l’histoire de l’Americana s’achève ici.
Je vous donne rendez-vous pour la troisième partie !
See you, soon !