QUAND ON ARRIVE EN VILLE…
– LES ADAPTATIONS DE STEPHEN KING :
SALEM’S LOT (2004) –
Voir l’article introductif sur les principaux thèmes de Stephen King
Chronique du film : SALEM’S LOT
Date de sortie : 2004
Durée : 181 minutes
Réalisateur : Mikael Salomon
Genre : Fantastique, Horreur
Pour se mettre dans l’ambiance : la superbe BO du film par Christopher Gordon, Patrick Cassidy & Lisa Gerrard.
Le pitch : L’écrivain Ben Mears est de retour à Jerusalem’s Lot, sa ville natale, dans le Maine. Il compte écrire un roman autour de la maison des Marsden, un vieux manoir abandonné, isolé sur la colline qui surplombe la ville. Mais il apprend que la maison vient d’être vendue par un promoteur à deux étrangers : Richard Straker & Kurt Barlow, des antiquaires.
Lorsqu’il était enfant, Ben était entré dans la maison alors qu’elle était encore habitée par ses propriétaires. Et il avait assisté, par un incroyable concours de circonstances, à la mort de ces derniers. Comme pour exorciser ses vieux démons, Ben entreprend l’écriture de son roman afin de tirer un trait définitif avec ces douloureux souvenirs.
Peu à peu, tandis que le mystérieux Kurt Barlow n’a pas encore fait son apparition, certains enfants de Jerusalem’s Lot commencent à disparaitre dans des conditions étranges. Le mal serait-il de retour à Marsden House ?

Retour aux sources du mal, pour l’écrivain Ben Mears (Rob Lowe)
Cette seconde version est excellente, quasiment en tout point. Dans la mesure évidemment où les puristes ne doivent pas non plus espérer une transposition littérale du roman…
Le casting haut de gamme additionne la présence de Rob Lowe (Ben Mears), Donald Sutherland (Richard Straker), Rutger Hauer (Kurt Barlow) et James Cromwell (le père Donald Callahan). La réalisation est ambitieuse et bénéficie des moyens à la hauteur de l’entreprise.
La musique est particulièrement somptueuse, gothique et lugubre à souhait. Composée par Patrick Cassidy et Christopher Gordon, avec la présence de Lisa Gerrard (du groupe Dead Can Dance) pour les vocalises, elle mérite à elle seule le détour (le CD est une grande réussite dans le genre). L’atmosphère lugubre du score sied d’ailleurs parfaitement à la noirceur et à la mélancolie du roman de Stephen King, à cette ambiance unique qu’exhale l’état du Maine et cette partie du nord de l’Amérique, perpétuellement baignée de pluies et de brumes.
Le film en lui-même est à la fois très classique entant qu’histoire de vampires, et totalement envoûtant (c’est quand même une histoire de Stephen King !). Dominé par la voix-off de Rob Lowe qui retranscrit littéralement le texte de l’écrivain, il se déroule sans temps mort et résiste bien au poids des ans, puisque je la regarde toujours aussi volontiers à peu-près une fois tous les deux ans, généralement lors des fêtes d’Halloween…
Bien évidemment, son format télévisuel possède ses limites et ce n’est pas un film d’auteur. Inutile, donc, de chercher à le comparer à du Stanley Kubrick. Il ne s’agit que d’un divertissement, gentiment horrifique, mais racé et superbement mélancolique.
Comme de coutume avec les œuvres de l’écrivain, les personnages sont très habités (c’est à ce jour la version la plus roborative quant à l’écriture et le développement des protagonistes du roman) et les lieux suintent une aura mystérieuse à l’atmosphère unique en son genre. Atmosphère parfaitement rendue par le film de Mikael Salomon.

N’invitez jamais un vampire à entrer chez vous !
Dans la perspective de l’œuvre de Stephen King et des thèmes dont nous parlions dans l’article introductif sur les principaux thèmes de Stephen King, il est aujourd’hui impressionnant de relever, à travers cette simple histoire de vampires, l’épaisseur et la richesse du sous-texte. Et de constater à quel point certains des thèmes récurrents de l’auteur viennent former sa structure littéraire.
Parmi tous ces thèmes qui reviennent en boucle dans les lignes du maître du fantastique, trois sont particulièrement à l’œuvre dans les lignes de SALEM’S LOT et remarquablement retranscrite dans ette seconde version télévisée :
– le thème du passage douloureux de l’enfance à l’âge adulte (à l’œuvre dans ÇA ou STAND BY ME, par exemple) est pleinement incarné par le personnage du jeune Mark Petrie, le seul à survivre à l’épidémie. De même que les souvenirs de Ben Mears le ramènent à sa douloureuse expérience en la matière, symbolisée par son entrée dans la maison des Marsden, comme un rite de passage traumatisant entre les deux âges. À noter que cette deuxième adaptation est la seule qui mette en scène les souvenirs de Ben, lorsqu’il a été témoin de la mort du vieil Hubert Mardsen dans la maison du même nom.
– Le thème de l’écrivain en quête de rédemption est également très représenté. Comme ce sera aussi le cas à maintes reprises (LA PART DES TÉNÈBRES, DÉSOLATION ou SAC D’OS), King met en scène le personnage d’un écrivain qui cesse d’écrire, sortant ainsi du confort de l’imaginaire afin de lutter contre le mal de façon concrète. Une manière pour l’auteur lui-même de signifier, entre les lignes, ses regrets et ses angoisses de ne pas vivre pleinement le réel durant toutes ces longues heures passées à écrire…

SALEM’S LOT, ou l’un des thèmes favoris de Stephen King : la maison maudite !
– Enfin, et davantage encore que les autres thèmes précités, celui de la Ville consumée par le mal et de la Maison maudite comme point névralgique de ce mal, traverse SALEM’S LOT comme une fulgurance. Là encore, on retrouve cette thématique dans bien d’autres œuvres de l’écrivain, qu’il s’agisse de ses romans ou de ses scénarios directement écrits pour le cinéma ou la télévision (LE BAZAAR DE L’ÉPOUVANTE ou LES TOMMYKNOCKERS pour la ville, SHINNING ou ROSE RED pour la maison).
Dans SALEM’S LOT, la maison Marsden, véritable personnage à part entière, est devenue maudite depuis que ses habitants ont tissé avec elle des liens malsains (ils y sacrifiaient des enfants). Elle sera le centre d’une déflagration, une réaction en chaine qui contaminera la ville entière, répandant le mal comme une épidémie. Voilà donc que les habitants de Jerusalem’s Lot, jadis éprouvés par les abominations perpétrées à Marsden house, abominations qu’ils préférèrent ignorer plutôt que d’affronter le mal, doivent désormais assumer les retombées de la malédiction qu’ils refusèrent de lever par le passé. Soit une manière symbolique, une parabole pour exprimer les maux de nos sociétés, notamment lorsque les valeurs humaines élémentaires (entraide et protection du plus faible) sont abandonnées par la communauté, qui préfère se réfugier dans la cécité et l’ignorance, dans la lâcheté la plus totale…C’est dire toute la richesse du script de Stephen King, qui s’élève bien au delà d’une simple histoire de vampires pour embrasser le terrain de la fable, voire du mythe, alors que l’écrivain n’en était, en 1975, qu’à son second roman à peine…
Sur ce point particulier de la transposition des thèmes de l’auteur, cette deuxième version est la plus convaincante car elle prend soin de les développer en profondeur. Rien que pour cela, elle vaut une fois de plus le détour.

Retour en enfer pour Ben Mears…
En revanche, si elle demeure la plus fidèle dans le fond, cette seconde mini-série a essuyé de très mauvaises critiques sur la forme (que je ne partage pas), et notamment sur le volet horrifique. Si le roman de Stephen King a autant marqué son époque, ce n’est pas pour rien : Il est absolument terrfiant. De ces livres qui vous pétrifient et vous hantent bien après sa lecture par ces visions glaçantes qui font que vous allez y réfléchir à deux fois avant d’éteindre la lumière ou d’aller ouvrir votre fenêtre une fois la nuit tombée…
Sur ce point, ce téléfim réalisé par Mikael Salomon ne rivalise évidemment pas avec cet élément de terreur viscéral. À la place des scènes horrifiques attendues, il opte effectivement pour des solutions plus ou moins édulcorées avec des apparitions vampiriques que les amateurs de films d’horreur ont trouvé pour le moins ridicules. Notamment celles qui mettent en scène un Kurt Barlow (le seigneur des vampires venu en ville pour plonger cette dernière dans les ténèbres) interprété de manière étonnamment grotesque et prosaïque par un Rutger Hauer qui nous avait jusqu’ici habitué à des rôles bien plus marquants en matière de méchant (on citera entre autres BLADE RUNNER et surtout, du côté flippant, l’épouvantable auto-stoppeur du cultissime HITCHER de 1986 !). Ce dernier point est tout à fait ironique lorsque l’on songe à une autre adaptation, celle d’ENTRETIEN AVEC UN VAMPIRE : Ann Rice, l’autrice du roman éponyme, rêvait que son vampire Lestat soit à l’époque interprété par Rutger Hauer. Elle refusa au départ l’idée que le rôle soit confié à Tom Cruise, arguant que l’acteur néerlandais était l’incarnation idéale pour jouer le seigneur des ténèbres. Elle revint ensuite largement sur sa décision…
Mais ne soyons pas trop sévères et sachons remettre les choses dans leur contexte : Pour l’époque, eu égard à son médium qui ne bénéficiait pas, contrairement à aujourd’hui d’un budget énorme, cette seconde adaptation d’un des meilleurs (et des plus emblématiques) romans de Stephen King est franchement honorable. Bénéficiant d’un script très soigné et d’un casting de premier ordre (malgré le foirage de Rutger Hauer), elle mérite, d’autant plus depuis la sortie du film de 2024, d’être enfin réévaluée à la hausse.
Encore un peu de bande-son, parce que c’est trop bon.
See you soon !!!
Pas encore vu (suis un peu allergique à Rob…) mais puisque tu en dis du bien, je tenterai.
Par contre, dans le roman, ben Mears (enfant) n’assiste pas à la mort de Hubie Marsten, mais à une apparition fantomatique de son cadavre (pendu, donc.), des années après que les faits se soient déroulés.
Il est très sympatoche, ton site : je m’en va visiter.
Merci de passer, Bruno !
Tu as sûrement raison pour les souvenirs de Ben Mears : J’ai tellement regardé les adaptations que, dans ma mémoire, elles prennent le dessus sur les romans. J’ai toujours SALEM à la maison. Je me dis souvent qu’il faudrait que je le relise…
Le blog est encore tout neuf (4 mois). On le remplit petit à petit avec Matt, pour l’instant en reprenant certains de nos articles jadis publiés chez Bruce Lit (articles refaits, souvent réécrits et totalement remis en forme). Quand on aura ramené tous nos articles préférés qui n’ont pas forcément leur place ailleurs, on en écrira des nouveaux.
J’admire votre productivité : vous êtes partout !!