
* FOR THE LOVE OF GOD *
Chronique de la série : MIRACLEMAN, par Alan Moore – tome 3
Date de publication originelle : 1987
Auteurs : Alan Moore (scénario), John Totleben (dessin).
Genre : Science-fiction, Super-héros.
Éditeur VF : Panini
Éditeur VO : Marvel Comics

On the top of the world…
Cet article porte sur le troisième tome de la série MIRACLEMAN par Alan Moore.
Ce dernier recueil dédié au run d’Alan Moore regroupe les épisodes #11 à 16, publiés initialement en 1987 et mis en image par John Totleben (le dessinateur du SWAMP THING du même Alan Moore), après que plusieurs dessinateurs différents se soient succédés sur le titre. En fin d’ouvrage, avant les divers bonus (dessins et couvertures alternatives), on trouve deux courts récits plus récents effectués par Joe Quesada, Peter Milligan et Mike Allred.
En VF, l’intégralité des épisodes de MIRACLEMAN par Alan Moore a été publiée en trois tomes chez Panini.
Sur C.A.P, nous allons consacrer un article sur chaque tome de la série, dont les trois premiers par Alan Moore. Vous trouverez l’article sur le premier tome ICI et l’article sur le deuxième ICI.

Miracleman : Désormais un Dieu de l’Olympe…
Le pitch : Dans le futur, le monde a changé. Miracleman, aidé par ses amis extraterrestres, l’a complètement refaçonné. Et il vit désormais dans sa tour, incroyable palais aux multiples facettes merveilleuses et surhumaines, tel un dieu de l’Olympe au-dessus des mortels.
Notre dieu-héros nous narre alors les cinq dernières années de son existence, l’abandon de son ancienne identité humaine, sa rencontre avec Miraclewoman, avec les aliens, ainsi que sa décision de remodeler un monde meilleur.
Mais tout héros possède sa Némésis. Et ainsi celle de Miracleman va revenir, depuis Londres où l’ancien sidekick va commettre le massacre le plus répugnant de mémoire de lecteur. L’affrontement final sera donc à la mesure de ce qu’est devenu le héros : Un combat de titans, à l’échelle des dieux…
Ce troisième tome de la série MIRACLEMAN marque la fin du run d’Alan Moore qui, comme chacun le sait, insista afin que son nom soit retiré des crédits, pour causes de procès avec l’éditeur Marvel Comics (vous ne trouverez donc pas son nom dans le bouquin ni sur la couverture).

Sur le toit du monde…
Le premier tome avait, en son temps, révolutionné le monde du comic book de super-héros en initiant le Dark âge, version sombre et adulte inédite quant au thème des justiciers dotés de superpouvoirs, en costume flashy. Il était question de déconstruire le mythe, afin de le moderniser et de le projeter dans un monde plus dur, davantage adulte, réaliste et philosophique. Le second avait entériné le concept en revenant sur les origines des personnages, développant encore le background et les éléments fédérateurs d’un univers super-héroïque en pleine mutation. Moore pénétrait alors une sphère interdite jusqu’alors, en déplaçant les constituants du mythe dans une atmosphère proprement glauque et malsaine, traversée par une série de thèmes encore jamais abordés auparavant (violence extrême et sanglante, nudité crue de la chair laide, basculement du héros dans la folie et la perte de ses repères). Puis, au terme de ces deux arcs narratifs, le scénariste avait réalisé WATCHMEN, chef d’œuvre définitif portant très haut la dimension politique et métaphorique de son médium, à travers lequel le super-héros le vecteur d’un discours et d’une réflexion sur le monde réel.
En 1987, il livrait son troisième et dernier acte de la série MIRACLEMAN, un arc narratif se déroulant désormais dans le futur (quoique proche) de l’univers consacré.

Au Panthéon, carrément !
Il est aujourd’hui admis que les super-héros américains, tels qu’ils furent créées depuis la fin des années 30, ont été, via les deux éditeurs historiques du médium (DC Comics et ensuite Marvel Comics), le terreau d’une véritable création mythologique moderne, héritière des anciennes mythologies antiques. Une série de mythes réinventant notre monde en le peuplant de créatures fantastiques, aux pouvoirs quasi-divins. Une réalité historique alternative fantasmée, où les héros s’élèvent tels des divinités appelées à remodeler ce monde en quête perpétuelle de repères.
Pour son dernier arc narratif, Alan Moore décide manifestement de prendre cette notion de mythologie au pied de la lettre et oriente son récit vers une interprétation conceptuelle stricto-sensu, dans laquelle le personnage de Miracleman et ses compagnons (dont plusieurs extraterrestres à la civilisation avancée) œuvrent à remodeler la Terre tels les dieux d’une Olympe moderne (dans une version majestueuse, cette fois issue de la volonté également surhumaine des auteurs du comic-book !).
Dès lors, le sous-texte devient passionnant puisqu’il développe une série de questionnements sur le pouvoir (existe-t-il une juste valeur de l’exercice du pouvoir si ce dernier est omnipotent ?). Mais les éléments de réponse sont également édifiants puisque, autant les personnages que leur auteur imposent au monde leur propre vision, souvent humaniste, mais également discutable (Alan Moore n’hésitant pas à trancher dans le vif en choisissant ses propres voies, légalisant l’usage des drogues et libérant l’odieux Charles Manson en lui accordant son statut de gourou !).

Encore un qui veut nous réhabiliter Charles Manson…
À propos de Mythologie, le présent recueil ne trompe personne puisque chaque chapitre est introduit par un titre consacré (Olympus, Aphrodite, Hermes, Pantheon, Nemesis et… de nouveau Olympus !). Mais Alan Moore est alors en pleine expérimentation et la lecture de l’ensemble souffre de son ambition. Le scénariste impose au lecteur une narration ans doute trop littéraire, aux textes envahissants, la voix off du personnage principal noyant la plupart du temps les planches de commentaires baroques d’un effet parfois maniéré à l’extrême. Et l’on hésite sans cesse entre une admiration sincère pour ces tournures philosophiques novatrices et un sentiment de lourdeur, comme si l’on assistait aux délires d’un écrivain sous acide, égaré dans son extase et porté par une écriture surréaliste.
Le scénariste expérimente d’ailleurs ici une série de thèmes que l’on retrouvera, sans doute de façon plus accomplie (mais pas moins verbeuse), dans certaines de ses œuvres futures tournant autour de la magie, du pouvoir de l’imagination et de la littérature, série de thèmes qui trouveront leur aboutissement avec par exemple PROVIDENCE (une relecture de l’œuvre d’H.P. Lovecraft), et surtout avec la série PROMETHEA, certainement son œuvre la plus ambitieuse sur le sujet des mythologies super-héroïques…

Avant que le monde ne soit parfait, il va y avoir de la casse…
Ce troisième tome de la série sous l’égide d’Alan Moore demeure néanmoins une extraordinaire expérience de lecture, complètement dévolue à la maturation de son médium super-héroïque, le propulsant à des années lumières plus loin qu’il ne l’était à peine quelques années en arrière. Les scènes de parlotte sont d’ailleurs contrebalancées par des séquences cathartiques d’une intensité incroyable, dont le point culminant réside en la réapparition du pire ennemi de Miracleman : Johnny Bates (Kid Miracleman). Le combat qui oppose le héros à sa Némésis sonne alors comme un choc, une impressionnante descente aux enfers, encore inégalée aujourd’hui. Ou la démonstration d’un auteur incomparable, capable de clouer le lecteur sur son fauteuil, à l’heure où les comics étaient encore, majoritairement, destinés aux enfants !
On rajoutera également tout un tas de références à la culture sous toutes ses formes, avec la participation au récit (quoique hors-champs) de plusieurs artistes contemporains de l’époque en question, distillée avec un humour caustique (Andy Warhol, revenu d’entre les morts au terme de la politique divine des super-héros qui leur octroie le pouvoir de tout faire, demandant à être cloné en masse !).

Ainsi, certains lecteurs d’aujourd’hui (car la série MIRACLEMAN est restée longuement inédite pour cause de procès incessants) pourront ne pas apprécier le parti-pris du créateur de WATCHMEN, lui reprochant son verbiage (il est vrai parfois envahissant) et ses expérimentations baroques. Les autres apprécieront l’ambition et la profondeur du propos, dont mon commentaire, hélas, ne retranscrit qu’une portion congrue !
John Totleben (dessin et encrage) réalise un travail formidable sur certaines planches, tandis qu’il semble en bâcler certaines. En effet, il peut parfois donner l’impression d’une certaine hésitation entre une illustration naïve, propre à l’univers des super-héros de l’époque, et une approche adulte et expérimentale. Dans l’ensemble, sa prestation est superbe à l’époque où il faisait feu de tout bois en encrant, dans le même temps, la série SWAMP THING du même Alan Moore, dont il illustrait également les couvertures…
En guise de bonus, l’éditeur Marvel offre deux courts récits à ce recueil. Le premier est réalisé par Joe Quesada (dessins magnifiques) d’après un script rédigé par Grant Morrison en 1986 (et qui montre Johnny Bates de retour sur terre après l’explosion nucléaire décrite dans le premier tome). Le second est écrit par Peter Milligan et dessiné par Mike Allred, qui s’amusent à parodier la série telle qu’elle fut écrite par Mick Anglo dans les années 50. Deux bonus anecdotiques, s’il en est…

Du haut de sa tour, Miracleman voit tout…
Nous nous donnons rendez-vous pour la suite de la série, sous la houlette d’un autre grand scénariste du monde des comics : Neil Gaiman.
See you soon !!!
