
* UNE TERRE, UNE ÉPÉE, UN ROI ! *
Chronique du film : EXCALIBUR
Date de sortie : 1981
Durée : 140 minutes
Réalisation : JOHN BOORMAN
Genre : Fantasy

Une affiche comme en n’en fait plus…
Cet article portera sur le film EXCALIBUR, réalisé en 1981 par John Boorman. Pour ceux qui ne le savent pas encore, EXCALIBUR conte l’histoire du Roi Arthur et des Chevaliers de la table ronde, d’après le livre de Thomas Malory intitulé LA MORT DU ROI ARTHUR…
Pour entamer la lecture de l’article dans les meilleures conditions, vous pouvez aussi écouter la BO du film en même temps…
Revoir le film aujourd’hui est une expérience stupéfiante, tant il a extrêmement bien vieilli sur tous les points, et tant il s’impose en classique absolu de l’histoire du 7° art, tel le monument séminal du genre Heroic Fantasy dans le domaine du cinéma.
Film culte s’il en est, EXCALIBUR est devenu avec le temps l’œuvre de chevet de tellement de cinéphiles qu’il est aujourd’hui complètement inutile et hors de propos de revenir sur son sujet ou même encore d’en raconter laborieusement le script…
Rappelons néanmoins un ou deux éléments afin de bien saisir la toile de fond sur laquelle s’articule tout le concept du film selon John Boorman et le scénariste Rospo Pallenberg : Dans la nécromancie telle que la conçoit Merlin l’enchanteur, la terre et le Dragon (personnification de la magie) ne font qu’un. Ainsi, lorsqu’Arthur surprend Lancelot et Guenièvre enlacés dans la forêt et qu’il plante furieusement Excalibur dans la terre, il pourfend le Dragon et tue ainsi littéralement la magie qui porte le monde. La terre commence alors à dépérir et Arthur avec elle (parce que “une terre, une épée, un roi”, cela signifie que tout est lié par la magie), jusqu’à ce que lui soit apporté le Graal. Symbole christique par excellence, le Graal redonne soudainement la vie à Arthur, et donc à la terre, qui renait ainsi en même temps que son souverain. Débarrassé de la nécromancie et prêt à épouser une ère nouvelle, le monde remplace alors la magie par la chrétienté…

Une histoire d’épée qui n’est pas qu’un coup dans l’eau...
Il faut accepter d’entrée de jeu que le script rédigé par Boorman et Pallenberg d’après le livre de Thomas Malory tient davantage de la fable que du récit d’histoire, et qu’ainsi il est complètement inutile d’y rechercher toute vérité historique. Le film est une interprétation personnelle, l’œuvre d’un auteur cinéaste au faîte de son art. Un essai. Une illustration.
Il est très intéressant de savoir, également, que le réalisateur rêvait de porter la légende arthurienne au cinéma depuis son enfance, et qu’il a longtemps été question qu’il réalise une adaptation du SEIGNEUR DES ANNEAUX. Ce dernier projet étant tombé à l’eau après des années de développement (lancé en 1969 par les Beatles (!) sous la bannière United Artists, il sera repris un temps par Boorman et finalement finalisé par Ralph Bakshi sous la forme d’un long métrage d’animation en 1978), Boorman revint ainsi à EXCALIBUR après avoir longuement flirté avec plusieurs aspects de l’Heroic Fantasy moderne, non sans se plonger au passage dans les œuvres de Wagner dédiées à la geste arthurienne…
Le résultat final s’impose à la fois comme un condensé de toutes ces influences mais, surtout, comme une épure extrême. En effet, après avoir tenté d’imposer une version du roman de Tolkien de trois heures trente et une première version d’EXCALIBUR de plus de quatre heures, après avoir essuyé le refus des producteurs dans tous les cas, après avoir été dans l’obligation de revoir toutes ses ambitions à la baisse, le réalisateur de DÉLIVRANCE était capable d’opérer une série de choix artistiques remarquables, renonçant à tous les artifices et à toutes les digressions diverses afin de ne conserver que l’essentiel, pour une somme dérisoire (à peine 12 millions de dollars !)…

Des images mythiques, tournées à l’ancienne (pas de fonds verts, pas d’IA)…
La confluence de tous ces univers confondus de la littérature, de la musique et du cinéma se met au service d’un film renonçant par ailleurs à tout effet spécial ostentatoire, optant au contraire pour une certaine forme de naturalisme (si tant est que le médiéval celtique puisse paraître naturaliste). Le manque de moyens inhérent à son époque (rappelons que nous sommes au début des années 80) est alors compensé par un parti-pris onirique qui trouve toute sa substance dans une alchimie aussi simple qu’efficace : La rencontre hypnotique de la brume (bien pratique pour masquer le manque de féérie), du ralenti et de la musique classique martiale (l’envoûtant O FORTUNA tiré de la cantate CARMINA BURANA de Carl Orff et la MARCHE FUNÈBRE DE SIEGFRIED de Wagner, en contrepoint de la bande-son magistrale de Trevor Jones). Enfin, le magnifique décor naturel de l’Irlande et ses contrastes incroyables achèvent de donner corps à la légende, sans artifice supplémentaire autre qu’un simple filtre de couleur vert.
Après toutes ces années de recul, force est de constater que ce sont bien ces choix artistiques épurés et cette savante économie de moyens qui jouent en faveur du film et de son aspect universel à l’épreuve du temps. Aujourd’hui, aucune faute de goût ne vient ternir la puissance onirique du spectacle et aucune scène ne prête à rire, quand la plupart des films fantastiques de la même époque accusent une patine kitsch de mauvais aloi.

En vert et contre tous…
À plusieurs reprises, on serait quand même tentés de repérer ici et là quelques marques du temps, surtout si l’on compare EXCALIBUR à certains films d’Heroic Fantasy plus récents. Je pense bien évidemment au SEIGNEUR DES ANNEAUX réalisé par Peter Jackson au début des années 2000, dont les batailles gigantesques ont porté un coup au film de Boorman, dans lequel seuls quelques chevaliers (une dizaine tout au plus) se jettent dans la bataille en guise d’armée. Cette comparaison forcée doit néanmoins s’arrêter là, l’exubérance titanesque du film de Jackson étant complètement opposée à l’épure naturaliste d’EXCALIBUR, pourtant célébré comme une référence par tous les cinéastes s’étant adonnés, par la suite, à l’univers de la fantasy et de la geste chevaleresque…
Il faut également rappeler que la première copie d’EXCALIBUR devait durer le double (environ 4h30 !) et que toutes les coupes imposées obligent le film à fonctionner à coup d’ellipses brutales. Quelques scènes d’exposition en plus et davantage de temps alloué aux personnages auraient certainement apporté un surplus de richesse au résultat final. Malgré l’existence de tout un tas de rushes, John Boorman a toujours refusé l’éventualité de remonter une version longue, affirmant qu’il avait livré un director’s cut malgré toutes ces coupures.
À l’arrivée, le film de John Boorman demeure un chef d’œuvre à l’épreuve du temps précisément parce que ses choix artistiques, son écriture et sa mise en scène visionnaire en font un modèle du genre, où la magie devient presque une philosophie onirique au lieu d’une débauche d’effets spéciaux.

Florilège avec Mordred, Morgane, Merlin, et une bataille de 10 personnes !
Il y aurait évidemment encore beaucoup à développer sur tout un tas d’éléments constitutifs de cette éclatante réussite (notons qu’aucun des acteurs n’était véritablement connu à l’époque, certains seconds rôles, comme Liam Neeson, Patrick Stewart ou Gabriel Byrne étant devenus des stars par la suite), sur la splendide mise en place des moments phares de la légende arthurienne tels les tableaux d’un opéra, sur la profonde symbolique de l’épée (cruciforme, il va sans dire…), sur la beauté tragique du triangle amoureux Arthur/Guenièvre/Lancelot, sur l’illustration originale du mythe de Merlin l’enchanteur, et surtout sur la philosophie véhiculée par la quête du Graal, qui chasse la magie de l’ancien monde et les mythes païens afin de les remplacer par le christianisme et, ainsi, marque l’évolution de l’homme vers une nouvelle ère… Soit toute la richesse d’une œuvre définitivement fondatrice, fruit du labeur d’un auteur complet, passé maitre dans l’art de la Fantasy sans aucune démonstration féérique ostentatoire…
Après LE SEIGNEUR DES ANNEAUX de Ralph Bakshi, EXCALIBUR ouvrait la voie d’une période de l’histoire du cinéma riche en films de fantasy. Suivront LE DRAGON DU LAC DE FEU (1981), DARK CRYSTAL, L’ÉPÉE SAUVAGE, DAR L’INVINCIBLE et CONAN LE BARBARE (1982), KRULL et TYGRA, LA GLACE ET LE FEU (1983), NAUSICAÄ DE LA VALLÉE DU VENT, LADYHAWKE : LA FEMME DE LA NUIT, L’ÉPÉE DU VAILLANT et CONAN LE DESTRUCTEUR (1984), TARAM ET LE CHAUDRON MAGIQUE, KALIDOR et LEGEND (1985) et finalement WILLOW (1988), sans oublier une armada de “sous-Conan italiens”, soit autant de navets qui auront pullulé entre 1982 avec ATOR de Joe D’amato et 1987 avec LES BARBARIANS de Ruggero Deodato…
La bande-annonce vintage !
THAT’S ALL, FOLKS !!!
