FAÎTES UN VŒU !
Chronique du manga : LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES
Auteurs : Suzuki Sanami
Genre : Fantastique
Éditeur VO : Kadokawa Shoten
Éditeur VF : Komikku Editions
Aujourd’hui nous allons parler d’un manga fort sympathique : LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES de Suzuki Sanami. Il s’agit d’une série en 6 tomes publiée chez Komikku Editions.
Avant toute chose, clarifions 2 points : Primo, non, il ne s’agit pas d’une adaptation du conte de « la petite marchande d’allumettes. » Et deuxio, ne vous laissez pas avoir par la couverture toute mignonne avec la petite fille au look un peu cartoon. Elles sont très chouettes ces couvertures, avec une imitation de décoration de boite d’allumettes, mais ça peut laisser penser à un manga pour les petits. Or c’est un manga certes parfois drôle, mais parfois aussi cruel et profond.
Le concept du manga consiste en de courtes histoires avec divers protagonistes mettant toujours en scène cette petite fille qui, on s’en doute, n’est pas une fille ordinaire. Elle se présente comme une vendeuse d’allumettes du nom de Rin. On comprend très vite que c’est une sorte d’esprit ou de déesse qui joue avec les humains. Elle propose des allumettes qui permettent de réaliser tout fantasme ou « chimère ». Le prix ? Un an de votre vie pour une boîte.
En gros toutes les histoires vont tourner autour des défauts humains et ce qu’ils cachent au fond d’eux. Comment un type gentil peut devenir une ordure en une journée à peine, comment quelqu’un qui obtient tout ce qu’il veut ne sera jamais satisfait, pourquoi nos désirs profonds ne sont pas faits pour se réaliser, etc.
Le schéma classique du personnage qui veut tout contrôler
En gros toutes les histoires vont tourner autour des défauts humains et ce qu’ils cachent au fond d’eux. Comment un type gentil peut devenir une ordure en une journée à peine, comment quelqu’un qui obtient tout ce qu’il veut ne sera jamais satisfait, pourquoi nos désirs profonds ne sont pas faits pour se réaliser, etc.
Il y a bien sûr le concept des souhaits mal formulés qui dégénèrent, et une petite subtilité gênante : tant que la flamme de l’allumette est allumée, toute pensée fugace peut provoquer un souhait foireux. Je pense par exemple au 4ème tome lorsqu’un personnage commence à souhaiter qu’une fille l’aime et qu’il se fait bousculer et perd toutes ses allumettes. Sur le coup de la colère, son souhait se transforme en « que ce type qui vient de me bousculer crève ! » Oups !
Comme on a tous eu des pensées meurtrières qui restent du domaine du fantasme, il faut bien se méfier de ce pouvoir de les réaliser.
Les histoires parlent donc beaucoup de l’importance de se rendre compte de ce qu’on a déjà, de la fonction motivante des fantasmes pour avancer dans la vie (et qui perdent donc toute valeur s’ils nous tombent tout cuit dans le bec), etc. On pourrait craindre d’avoir vite fait le tour du concept, mais il y a aussi des histoires qui ne parlent pas de souhaits ratés ou de personnages qui les regrettent. Je pense notamment à l’histoire d’une étudiante en art qui n’utilise les allumettes que pour connaître les pensées des gens qui l’entourent, pour savoir ce qu’ils pensent d’elle et de son talent. Elle ne s’en sert pas pour devenir meilleure, ça ne l’intéresse pas. Elle ne veut pas tricher. Et la chute de l’histoire n’a rien à voir avec un souhait raté ou avec le fait qu’elle en ait abusé. C’est juste une étude de personnage, de ses obsessions, et une leçon d’humilité.
Je veux réussir sans travailler : commentaire à charge contre les feignants, ou contre le monde du travail oppressant au Japon ? (Ou les deux ?)
Il y a aussi l’histoire de la fille timide qui n’ose jamais contredire quelqu’un, qui refoule sa frustration et qui va utiliser les allumettes pour faire parler les autres à sa place et dire ses 4 vérités à tout le monde au risque d’aller bien trop loin. Il y a également des histoires d’amour avec notamment un vieil homme qui utilise les allumettes pour revivre son premier rendez-vous avec la femme de sa vie qui est mourante, et qui s’enferme dans ce fantasme pour ne pas voir la réalité en face.
L’auteur a plein d’idées de situations comme ça qui permettent finalement une étude de la nature humaine et des défauts de la société. Certaines histoires sont drôles, d’autres tristes, d’autres plus glauques. Elles ne sont pas toutes du même niveau, mais contribuent à enrichir le concept du manga.
Rin est un personnage assez savoureux également. Elle peut sembler cruelle mais elle a aussi de bons côtés, et on devine que sa froideur vient surtout de sa condition de déesse qui évolue sur un plan tout autre que celui des humains. Elle les voit probablement comme des insectes. Et sans s’amuser à les écraser, elle n’en est pas non plus chamboulée si l’un d’eux meurt. Elle donne cela dit toujours une sorte de conseil à la personne à qui elle vend ses allumettes, mais d’une manière énigmatique. Peu comprennent qu’au final elle les met en garde ou leur donne un indice sur leurs erreurs. On ignore quel est son but, à part de tester les humains, mais l’intérêt du manga ne réside pas là.
J’ai atteint mon rêve…et maintenant quoi ?
Il y a d’autres personnages qui arrivent au fil des histoires, comme Kurage, un jeune homme changé en bestiole bizarre qui travaille pour Rin. Il y a aussi un journaliste travaillant pour une revue sur le surnaturel. Mais ce sont surtout les « collègues » de Rin qui font progressivement leur apparition et soulèvent d’autres sujets. Il y a Chimu, une autre déesse (plus souriante mais potentiellement plus cruelle que Rin) vendeuse de bougies qui se charge d’exaucer le « plus profond désir ». La différence ? Eh bien on ne décide pas de son plus profond désir. Parfois on l’ignore même, il est au plus profond de notre inconscient. Et le voir se réaliser peut-être un sacré choc. Et il y a One, un jeune garçon maître du « festival de l’oubli » (qui est assez marrant puisqu’il a une mémoire pourrie) qui propose aux gens de supprimer de durs souvenirs au moyen d’une lanterne magique.
Il y a toute une réflexion sur les désirs et les fantasmes, sur le type de vœu qui peut permettre de trouver un sens à sa vie ou ce qui peut la condamner au désastre, sur le fait que notre nature profonde ne change pas mais qu’on a une myriade de fantasmes et de chimères.
Ah…non, mauvaise idée de menacer une déesse
Si on a droit évidemment à cette leçon de morale attestant qu’on ne peut atteindre l’épanouissement et la satisfaction que par nos propres actions, le manga ne nous matraque pas le concept du self-made man non plus. Tous les gens ne sont pas égaux face au destin, et certains viennent de milieux défavorisés et n’ont pas les mêmes options que d’autres. Mais obtenir directement notre plus profond désir est-il la solution ? Il semble plutôt au travers des histoires que la démarche la plus efficace soit d’utiliser les allumettes pour se donner un coup de pouce, effacer une injustice puis poursuivre sa route par ses propres moyens. Mais tous les clients de Rin ne sont pas si raisonnables.
Le style graphique est très dynamique et imaginatif. Les personnages humains ont un look un peu cartoony mais c’est surtout les angles de vue avec plongées et contre-plongées qui courbent les personnages et contribuent à cette atmosphère fantaisiste. Quant aux manifestations des pouvoirs des allumettes, elles peuvent revêtir des apparences folles, en lien avec ce qu’imagine le personnage qui craque l’allumette. Le trait de l’auteur donne un dynamisme incroyable à tout ce qui est « manifestation magique ». Rin a également un look particulier : elle est toute mignonne avec une grosse tête et de grands yeux, mais elle respire autant la joie de vivre que Mercredi Addams. Elle a une allure à la fois inoffensive et taciturne, ce qui la rend amusante…mais aussi inquiétante.
Un exemple d’idée visuelle : la télépathie se manifeste par une créature qui va chercher les pensées dans le crâne des personnages.
Si les histoires sont plaisantes, avec souvent une petite morale ou une chute glauque, c’est clairement la partie visuelle qui m’a convaincu. C’est un peu délicat à expliquer mais l’exemple des pensées ci-dessus est très parlant. Plutôt que de simplement dessiner le personnage en train de s’exprimer « oh ! J’ai lu ses pensées : elle pense telle chose ! », nous avons une créature issue de l’imaginaire de la personne qui vient extraire des pensées sous forme d’objet du crâne des autres, afin de rendre le pouvoir plus ludique. Et non seulement c’est parfaitement en phase avec le thème de la BD (l’imagination, les fantasmes) mais en plus on y gagne en symbolisme visuel (l’idée de retourner la pensée « de surface » pour voir ce qui se cache dessous.) Cela m’a rappelé LOCKE & KEY (le comics de Joe Hill et Gabriel Rodriguez), notamment lorsque les personnages utilisent la clé de tête et voient les pensées sous forme d’objets dans le crâne des gens.
Certains regretteront peut-être l’absence d’un fil rouge. Certes c’est une série de courtes histoires qu’on lit comme des petits contes, et il n’y a guère de continuité entre elles, si ce n’est quelques personnages récurrents. Pour ma part j’aime bien les petits récits de ce genre. Tout comme les courts récits d’horreur.
C’est donc une chouette série que je recommande pour son identité visuelle et pour les adeptes d’histoires ludiques sur les travers de la nature humaine.
Et vous, quels sont vos souhaits ?