La fin d’une ère et l’ouverture à l’Occident
Chroniques de films de sabre chinois connus sous l’appellation « wu xia pian »
Date de sortie des films : 1994 à 2005.
Genre : Action, fantasy, mystère.
1ère partie : la Shaw Brothers (4 films)
2ème partie : Le renouveau des années 80
3ème partie : La fin d’une ère et l’ouverture à l’Occident
Un article écrit à 4 mains avec la participation exceptionnelle d’un invité de marque :
Eddy Vanleffe
Niveaux d’appréciation :– À goûter
– À déguster
– À savourer
Nous revoici pour la suite directe de notre dossier sur le wu-xia-pian. Nous avons vu dans la partie précédente que les années 80 ont vu émerger des réformes dans le style des films de sabre hongkongais. Plus nerveux, plus fous et plus virevoltants encore que lors du règne de la Shaw Brothers. Plus mythologiques aussi. Alors que le genre cherche encore à se renouveler dans la seconde moitié des années 90 où c’est plutôt le polar réaliste qui attire le public chinois et vachement moins la fantasy, un nouveau chamboulement va redistribuer les cartes lorsque le genre va s’ouvrir à l’occident avec le séisme provoqué par TIGRE ET DRAGON, premier film du genre oscarisé (qu’on s’intéresse ou non aux prix décernés par une pseudo élite intellectuelle, cela s’accompagne indéniablement d’une meilleure distribution à l’international).
Reprenons à présent les chroniques de nos films.
PROGRAMME

FRERES D’ARMES (1994) de Daniel Lee (chronique d’Eddy Vanleffe) 
Au début des années 1990, c’est le polar qui a le vent en poupe. Daniel Lee est un jeune réalisateur sur son premier projet et il sait qu’il doit se faire remarquer. Pour autant, il n’admire aucunement ces nouvelles modes, fidèle qu’il est à un certain classicisme du cinéma. Il voudrait faire un wu-xia pian. Pourtant Tsui Hark lui-même essuie échec sur échec dans toutes ses tentatives pour ressusciter le genre. Qu’à cela ne tienne, Daniel Lee va écrire le film qu’il veut avec l’emballage polar typique du renouveau de la péninsule. Il va donc accoucher d’un film hybride qui ne peut qu’interpeller. Pourquoi parler de film, qui ne fait certainement pas partie des plus célèbres ? Clairement pour son atypisme et qu’à un moment, parler d’une bobine qui n’a même pas sa page wikipédia, ça devient du challenge.
Cela commence avec une scène générique qui propose une sorte de bande annonce accélérée du film donnant immédiatement une impression de violence, d’urgence et de chaos. Le spectateur ne peut être que désarçonné quand commence finalement l’histoire.
Fu-kuo (David Chiang) maitre de l’école de l’épée, se voit régulièrement défié par d’ambitieux rivaux et un beau jour un ancien disciple renégat Chingkuo (Norman Chu) parvient à le vaincre par ruse. Pour récompense il exige que Fu-kuo lui donne son fils en gage, le petit Wang Ning (Wu Hsing Kuo) qu’il va élever dans le but totalement tordu de faire tuer le père par le fils. Bien des années plus tard, le duel orchestré par Chingkuo va pouvoir enfin se réaliser pour le plus grand plaisir de ce dernier. Bien évidemment, les conséquences de ce combat shakespearien vont s’avérer encore plus violentes et dramatiques. Et cela pour une simple et bonne raison: l’amour. L’amour de Fu-kuo pour son épouse. La jalousie de son disciple pour n’avoir su être aimé de cette femme. L’amour de Ning pour la propre fille de Chingkuo (Charlie Young) et la jalousie de son meilleur ami fidèle également à l’enseignement de leur fourbe mentor, et enfin finalement cet amour paternel que l’infâme Chingkuo leur prodigue malgré tout.
Daniel Lee va se servir de ce maelstrom d’émotions pour réaliser un film de sabre totalement hors-norme, non pas conçu pour magnifier des guerriers athlétiques mais bien pour les plonger dans un chaos parfaitement retranscrit à l’écran avec ces combats rushés, aux mouvements de caméra totalement anarchiques. En opposition, le métrage offre de très jolis moments de calme presque contemplatifs où la jeune génération de bretteurs marchent dans une forêt automnale et où l’ancien Fu-kuo se promène parmi les tombes, perdu dans ses souvenirs heureux.
L’omniprésence de la neige qui enfouit les secrets en même temps qu’elle purifie, offre une marque visuelle assez unique. A la fois une pesanteur emplie de grâce, et une couche morbide comme un linceul.

Un film de sabre quasi anachronique
Le réalisateur va aussi choisir une époque originale pour son film. Le début du XXe siècle. Les rares critiques que j’ai pu lire parlent des années 1920, mais la rivalité entre école de l’épée et celle du sabre, les uniformes scolaires nippons, la présence de geishas et d’antiques side-cars me ferait plutôt penser à la Mandchourie de la fin des années 1930 pendant l’invasion japonaise. Par cet habile tour de passe-passe, le réalisateur réconcilie les imperméables du SYNDICAT DU CRIME et les sabres désormais anachroniques des films de la Shaw Brothers. FRERES D’ARMES est d’ailleurs une relecture subtile de LA RAGE DU TIGRE (et donc la présence de David Chiang fait totalement sens), reprenant le canevas entre combat déloyal du début, longue quête du héros avec son passage à vide, et le long châtiment final, réitérant une fois de plus les codes graphique où le héros tout de blanc vêtu, se fraye un chemin parmi les ombres noires jusqu’à l’issue.
Coup d’essai, coup de maitre, Daniel Lee se fait remarquer tout de suite avec ce film par un Tsui Hark qui va vouloir contrôler le jeune prodige qui après quelques années préférera garder son indépendance. Bizarrement une fois la vague de folie de cinéma HK calmée, le film et son réalisateur retomberont dans un oubli surprenant. L’occasion pour moi donc de déterrer ce film à l’identité unique.

THE BLADE (1995) de Tsui Hark 
Le pitch : Ding On (Chiu Man-Cheuk), jeune forgeron, cherche à venger son père tué par un bandit du nom de Fei Lung. Mais son manque d’expérience va le conduire à perdre un bras lors d’une bataille. Il va passer du statut de jeune homme séduisant envié par ses camarades à celui d’un handicapé ridiculisé, mais finira par trouver la force de développer une nouvelle technique de combat tirant profit de son handicap pour devenir une machine à tuer et se remettre en quête de l’assassin de son père.
L’intrigue est une simple histoire de vengeance mais dont l’intérêt repose sur ce changement d’état du héros, sa déconstruction et sa reconstruction. On est loin du héros qui se coupe lui-même le bras dans LA RAGE DU TIGRE qui était certes un acte d’auto-flagellation mais qui sous-entendait que le personnage restait maître de son destin en décidant lui-même de devenir un invalide. Dans THE BLADE, le héros est trainé plus bas que terre de manière extrêmement brutale.
THE BLADE est une réinterprétation du mythe du sabreur manchot. Et c’est un peu le MAD MAX des wu-xia pian. Comme pour contrebalancer ses films de fantasy complètement fous que sont ZU ou GREEN SNAKE, Tsui Hark choisit de réaliser un film plus réaliste, sans magie, beaucoup plus brutal dans lequel les guerriers ne peuvent pas voltiger comme d’habitude. Certes, ça ne les empêchera pas de tournoyer sur eux-mêmes dans des combats survoltés, mais ces derniers seront beaucoup moins aériens et bien plus sanglants et barbares (les combattants iront jusqu’à se mordre à la gorge s’il le faut). On ne peut pas reprocher à Tsui Hark de stagner, il essaie toujours de se renouveler.
Il choisit aussi de raconter le film du point de vue d’un observateur témoin des drames qui vont s’abattre sur les autres personnages principaux. Il choisit le point de vue de la fille du contremaitre de la forge, qui n’a pas sa place dans ce monde d’homme et qui n’a rien d’autre à faire pour exister que s’amuser à se faire désirer par les ouvriers, à les pousser à se battre pour elle. Elle est naïve, ne comprend pas le monde extérieur et va déclencher quelques évènements fâcheux. Sa naïveté sera plus tard confrontée au personnage de la prostituée bien plus au fait de la position des femmes dans ce monde brutal.

Un monde d’hommes ultra barbare où le dépassement de soi sera la clé pour survivre
Pour ce film, Tsui Hark a voulu faire quelque chose qui s’éloigne des codes trop formatés du film d’action qu’il a lui-même établis par le passé. Pas forcément dans les combats qui restent chorégraphiés, mais plutôt au niveau du placement de la caméra. Il a préféré essayer de suivre les acteurs qui bougeaient parfois hors champ lors d’une cascade pour qu’elle reste réaliste plutôt que les restreindre à un endroit précis où ils devaient tomber. L’action est moins découpée, elle suit davantage les acteurs en réagissant à l’action. Certaines scènes ont aussi été filmées dans des conditions difficiles (sous la pluie, dans la boue) qui empêchaient les combats d’être vraiment précis. Tsui Hark a été caméraman de documentaire auparavant et cherchait à capturer la même authenticité en réagissant à l’action. Ce n’est donc pas, contrairement aux films des décennies précédentes, un film à l’action millimétrée. Il fait plus brouillon. Mais la mise en scène chaotique est en accord avec le ton plus violent et barbare du film.
Pas de panique, le caméraman ne s’y reprend pas à 3 fois pour faire la mise au point ou ce genre de truc. Il y a certainement eu plusieurs prises, contrairement à un documentaire qui ne le permettrait pas. Néanmoins, on sent cette urgence dans l’action et les mouvements de caméra, la volonté de représenter davantage un combat réel avec des plans séquences impressionnants, mais aussi plus brouillons. À noter que les combats se faisaient sans câbles ni trucages, et que des acteurs se sont réellement mis K.O.

Vitesse, brutalité, confusion
Pour les dialogues, Tsui Hark a également laissé le champ libre à l’improvisation des acteurs avec des indications sur ce qu’ils avaient à dire mais sans que les répliques soient écrites avec un vocabulaire précis. D’ailleurs certains acteurs ne connaissaient pas l’histoire du film. Bien que le résultat recherché soit la spontanéité, cela s’est également accompagné d’un certain retard dans le tournage (bah ouais, tout écrire précisément à l’avance ça sert aussi à gagner du temps). Ce qui n’a pas aidé non plus, ce sont les autres problèmes qui ont frappé la production : le chorégraphe a dû s’absenter pour raisons familiales, il y a eu des tensions, des catastrophes naturelles (orages, typhons, canicules), des soucis avec les producteurs, etc.
C’est un film qui revient de loin, qui s’est fait dans la douleur et ça se voit à l’image. Ironiquement, tout cela colle avec l’intention première du film, ce côté brut, et c’est sans doute tout ça à la fois qui a mis une grosse claque au public en 1995. Mais le film a divisé. Certains ont adoré, d’autres ont trouvé ça trop brouillon. Honnêtement aujourd’hui, même si évidemment on peut ne pas adhérer à la proposition de Tsui Hark, le film s’impose comme un représentant unique du genre qui n’a pas son pareil. Sans doute le plus violent et épuisant wu-xia-pian. Un monument du film de sabre. La VF est par contre absolument à éviter, elle fait complètement amateure.

TIGRE ET DRAGON (2000) d’Ang Lee (chronique d’Eddy Vanleffe) 
1997, c’est la rétrocession de Hong-kong à la Chine. Parallèlement, le cinéma hongkongais commence à faire parler de lui, avec des ambassadeurs américains aussi prestigieux que Quentin Tarentino, Sam Raimi, Jean-Claude Van Damme ou John Carpenter. La crainte de la dictature chinoise fait peur également à certains réalisateurs locaux qui tentent leur « rêve américain ». C’est le moment idéal au contraire pour le pays de pouvoir rassurer la planète et également frapper un grand coup avec une super production classieuse digne des plus grandes récompenses mondiales. C’est en tout cas le pari d’Ang Lee qui rassemble un casting imparable avec l’infiniment gracieuse Michelle Yeoh, et le débordant de charisme Chow-Yun-Fat. À leur coté, la jeune étoile montante Zhang Ziyi possède le regard fiévreux nécessaire pour tenir tête à ces deux monstres sacrés tandis que la vénérable Cheng Pei Pei, s’offre une sorte de chant du cygne tout en parrainant la jeune actrice. Ainsi crèvent l’écran trois générations d’artistes martiales féminines en un seul film.
Le pitch : Li Mu Bai (Chow-Yun-Fat) est un chevalier qui, las des combats, a longtemps cherché la paix dans le monastère de Wu-Tang. Mais ne parvenant pas à trouver la sérénité, il revient rendre visite à son amie combattante Shu Lien (Michelle Yeoh) à qui il confie son sabre « Destinée » afin de bien exprimer son renoncement aux armes. Chemin faisant et alors qu’ils sont les hôtes du gouverneur en l’occasion des noces de sa fille Jiao Long (Zhang Ziyi), l’épée se fait dérober par des voleurs particulièrement agiles. Rapidement les soupçons se portent sur Jade La hyène (Cheng Pei-Pei) dont on finit par soupçonner qu’elle se cache chez le gouverneur. Là se pose alors un problème diplomatique, car l’homme de pouvoir ne saurait être en relation avec des criminels recherchés. Shu Lien pourtant parvient à percer le voile de l’identité du voleur en affirmant que Jade la hyène s’est sans doute trouvée un disciple et un complice. Le voile de l’innocence se déchire tandis que la voleuse s’enfuit avec le sabre. S’en suivra alors une poursuite pour retrouver la lame sacrée « Destinée », dernière mission que s’assigne Li Mu Bai avant d’enfin s’avouer ce qui l’empêche de trouver la paix où qu’il soit, à savoir son amour refoulé pour Shu Lien.
Bon c’est bien simple, c’est un film d’exposition à l’occident, jusqu’à présent profane de ce genre de cinéma. Il y a tout ! La course poursuite nocturne, les scènes de furtivité, le combat de l’auberge à une contre un nombre indéfini, le duel dans les bambous, etc. Le duel entre les deux femmes à la fin est d’ailleurs un grand moment d’anthologie, Michelle Yeoh employant à peu près toutes les armes traditionnelles les unes après les autres. On y trouvera aussi deux grands axes narratifs chers aux confucéens: la piété maître/disciple et la quête intérieure. Le tout chorégraphié d’une manière hallucinante de puissance et de virtuosité par le patron du genre : Yuen Woo Ping (MATRIX, KILL BILL, etc…)

Cheng Pei-Pei, Zhang Ziyi, Michelle Yeoh, Chow Yun Fat : la rencontre de monstres sacrés du cinéma chinois
Le réalisateur ne perd pas de vue ses ambitions internationales et va mettre les petits plats dans les grands et réussir le mélange parfait. Il le dit lui-même, il veut accoucher de RAISONS ET SENTIMENTS, mais avec des sabres. Si la quasi intégralité de son équipe est chinoise, il va quand même confier la rédaction de son film à un américain, mais surtout son montage (signé Tim Squyres, qui connait très bien la façon de faire d’Ang Lee, puisqu’ils ont déjà travaillé ensemble sur ses précédents films). Ainsi le sens du grandiose viendra magnifier chaque décor naturel avec une efficacité redoutable venant donner une clarté à un genre particulièrement codifié. La musique de Tan Dun sera traitée également de manière à amplifier les sentiments des protagonistes à chaque plan. Ainsi la romance, tout en gardant la pudeur asiatique, va en revêtir les trémolos occidentaux, le tout dans l’harmonie. Ang Lee accouche d’un film à la portée mondiale d’ailleurs récompensé plus tard de quatre oscars et d’une pelletée d’autres récompenses. Une consécration pour ce cinéma enfin mis à l’honneur. Cela pavera la voie à d’autres films par la suite comme HERO, LE SECRET DES POIGNARDS VOLANTS et LA CITÉ INTERDITE tous de Zhang Yimou, avant que la curiosité retombe et que le genre se refasse discret. Gageons pourtant que sa vision a donné envie à de nombreuses personnes de s’intéresser à ce style isolé, et en cela sa mission fut accomplie.

HERO (2002) de Zhang Yimou 
Malgré le caractère romancé et exagéré des wu-xia pian, certains choisissent un cadre historique. C’est le cas ici avec cette histoire se déroulant entre 230 et 221 avant JC, à l’époque de l’unification de la Chine par le roi de Qin, Zheng Ying, qui deviendra le premier empereur de Chine sous le nom de « Premier auguste souverain » (Shi Huangdi 始皇帝), en référence aux dieux et rois légendaires connus sous l’appellation des « trois Augustes et cinq Empereurs ».
Le film se déroule alors que la guerre fait rage. Chacun des royaumes qui composent le territoire chinois combat les autres pour le pouvoir, tandis que le peuple endure les ravages de la guerre. Le roi de Qin étant le plus dangereux, les autres royaumes lui envoient des assassins pour mettre un terme à la guerre. Trois exécuteurs en particulier font peur au roi : Lame Brisée (Tony Leung), Flocon de Neige (Maggie Cheung) et Ciel Etoilé (Donnie Yen.) Le roi promet puissance et fortune à qui les éliminera, mais personne n’y parvient pendant des années. Tout comme les trois guerriers échoueront à éliminer le roi. Mais voilà que soudain, Sans Nom (Jet Li), un mystérieux combattant se présente au palais avec les armes des trois assassins prétendument abattus. Le roi est impatient de connaître le récit de ses exploits. Il est de notoriété publique que Lame Brisée et Flocon de Neige étaient amants. Alors qu’il est dit que rien ne pouvait les séparer, Sans Nom prétend avoir attisé la jalousie entre eux par l’intermédiaire d’une apprentie (Zhang Ziyi) amoureuse de Lame Brisée et avoir remporté la victoire en les déstabilisant. Mais qui est vraiment Sans nom ? Raconte-t-il la vérité ? A-t-il réellement pu vaincre les trois plus grands guerriers du pays ?
Le scénario du film est simple mais l’intérêt réside ailleurs. Ce sont les différentes versions de l’histoire racontées, ainsi que leur esthétique à chacune qui font toute la saveur du film. En effet, le réalisateur choisit le schéma narratif d’un genre de films inauguré par RASHOMON d’Akira Kurosawa : celui des multiples versions d’une même histoire racontée par différents protagonistes, qui ont chacun leur intérêt à mentir. Dans ce film nous assisterons à la version qui est parvenue aux oreilles du roi, la version de Sans Nom, une partie de l’histoire que le roi lui-même connait (pour avoir combattu une fois Lame Brisée), ainsi que la vérité. Ces différentes versions donnent lieu à des flash-back, à chaque fois teintés d’une couleur dominante (le rouge, le bleu, le vert) Il ne s’agit pas de banals filtres de couleurs. Ce sont les costumes, les décors, les saisons (l’automne pour le rouge) qui sont tous de couleur différente à chaque nouveau récit. Le résultat est un film aux couleurs chatoyantes et aux tableaux somptueux qui sont un ravissement pour les yeux. Et les scènes de combat sont chorégraphiées de main de maître et semblables à des danses gracieuses comme celles de TIGRE ET DRAGON.

Une couleur par version de l’histoire
La fin est également surprenante. Il y a un mystère qui plane tout le long du film sur le choix étrange de Lame Brisée, qui aurait eu l’occasion de tuer le roi de Qin mais y aurait renoncé. Et ce choix trouve une explication au terme du film dans un revirement tragique et inhabituel qui contribue à rendre le film plus profond qu’il n’en a l’air. Peut être aussi plus controversé puisque le film suggère que le roi de Qin pourrait être un bon roi, ce que l’histoire n’approuve pas forcément. Mais c’est compliqué de s’aventurer sur ce terrain. Aucun dirigeant n’était un Saint à l’époque des conquêtes il y a 2000 ans, et le film se met du point de vue des protagonistes qui ne font que laisser le bénéfice du doute à un roi qui, même s’il fut connu comme très autoritaire, a néanmoins unifié la Chine, standardisé l’écriture, la langue, la monnaie, les poids et mesures, etc. Sa dynastie ne lui a survécu que quatorze ans certes, mais il fait partie de l’histoire de la Chine. En gros HERO ne choisit pas la transgression historique d’un GLADIATOR en faisant mourir un empereur mais en respecte le déroulement tout en romançant son récit.
Comme je l’ai dit, ce film surfe sur le succès de TIGRE ET DRAGON, mais ce n’est pas un mal en soi. La magnifique BO est également signée Tan Dun. Au casting, on retrouve des acteurs également en vogue en Occident comme Donnie Yen, Jet Li et Zhang Ziyi (révélée par TIGRE ET DRAGON). Mais on retrouve aussi Maggie Cheung (exceptionnelle en femme tiraillée entre son amour et ses convictions), moins connue chez nous mais grande star à Hong Kong, tout comme Tony Leung Chiu-Wai (qui joue souvent dans les films de Wong Kar Wai.)

Un « mélodrame » hyper esthétisé et poétique
Les connaisseurs reprochent parfois à ce film d’être un peu trop calibré pour l’occident (les puristes pénibles diront même que Ang Lee et Zhang Yimou sont des faussaires…), sans la folie habituelle des wu-xia pian, avec des personnages plus stoïques et une dramaturgie sereine davantage inspirée par TIGRE ET DRAGON qui a bien fonctionné en Occident. Le film ne verse pas une goutte de sang non plus alors que traditionnellement le genre ne se prive pas d’être violent. Mais il ne faut pas non plus exagérer. Il existait des wu xia-pian moins fous certainement plus proches d’un HERO que d’un ZU déjà du temps de King Hu. Cela s’éloigne surtout de la folie excentrique des années 80, mais pas tant que ça de la Shaw Brothers. Toujours est-il que cela reste un bon film, une production plus universelle sans doute mais réussie. Et il est appréciable d’avoir des wu-xia pian de ce type là. Ce n’est pas comme s’il sortait 20 émules de TIGRE ET DRAGON par mois. Avoir 4 ou 5 films suivant ce schéma plus universel n’est pas une mauvaise chose.

Suite à l’ouverture à l’Occident ce fut un raz de marée dans les bacs à DVD (support récent à l’époque) avec des éditeurs comme HK video, Wild Side et autres collections telle Asian Star et Cinéma de quartier dirigées par Jean-Pierre Dionnet qui sortaient des dizaines de wu-xia-pian de la Shaw Brothers ou des années 80. Un véritable âge d’or du « direct to video » qu’il ne fallait pas rater pour découvrir tout ça (ce fut mon cas il y a 20 ans de ça.)
CONCLUSION
Passé ce point, il est difficile de parler des films qui ont suivi. Pourquoi ? Eh bien parce qu’on entre dans l’ère du numérique. Et si on pourrait encore parler de Tsui Hark qui relance régulièrement le genre avec par exemple la série des DETECTIVE DEE qui a eu droit à des sorties internationales (nous verrons si un article dédié s’y prête), il y a aussi énormément de films de fantasy qui n’arrivent pas chez nous mais inondent pourtant les services de streaming chinois. Dans une industrie du cinéma comme celle de la Chine où les budgets ne sont pas les mêmes qu’aux USA, les CGI ont en effet permis de produire plus simplement des spectacles pyrotechniques et mythologiques délirants. Non pas que ce soit spécialement facile de créer de bons CGI (mais justement, ils ne sont pas souvent très bons…), mais c’est en tous cas moins couteux. Je ne saurais même pas par quoi commencer tellement il existe de bobines médiévales à la sauce wu-xia-pian depuis 10 ans.
Le trailer de DETECTIVE DEE pour la route
Et personnellement je dois bien avouer que ces spectacles sur fond vert me fascinent beaucoup moins, peut être aussi parce que c’est davantage une obligatoire technique liée au budget qu’un choix artistique (et qu’on voit ça partout au cinéma. Faire des effets spéciaux autrement tient de l’aberration à présent). Le genre du wu-xia-pian, initialement, se confondait presque avec celui du film de kung-fu, c’est à dire que malgré les artifices du cinéma pour embellir les combats, il faisait la part belle à des performances humaines, toutes chorégraphiées soient elles. Avoir la sensation de regarder une cinématique de jeu vidéo entièrement en CGI quand on se pose devant un film de sabre, ça n’a pas le même impact.
La rétrocession de Hong Kong à la Chine n’a également rien arrangé. En effet, lorsque celle-ci a été officialisée en 1997, le parti communiste chinois s’était engagé à maintenir le « mode de vie » hongkongais pour une durée de 50 ans suite à la « fuite » de grands réalisateurs vers Hollywood (John Woo, Ringo Lam, Dante Lam, Tsui Hark…), sans doute par crainte de voir fuir avec eux une partie du patrimoine culturel. Certains sont donc revenus au pays et le changement ne s’est pas ressenti tout de suite. Néanmoins, depuis les années 2010 Pékin exerce un contrôle direct de plus en plus fort sur la situation politique de Hong Kong et les libertés artistiques. Il y a donc fort à parier que parmi la multitude de films de fantasy chinois aux allures de jeux-vidéo, beaucoup soient, pour couronner le tout, assez aseptisés pour ne pas offenser le gouvernement.

Maintenant Zhang Yimou fait des films historiques aux relents un poil propagandistes (contestataires = méchants, agents de l’État = gentils)
Cependant, à ceux qui aiment rappeler que les réalisateurs chinois courbent trop l’échine devant leur gouvernement, rappelons que si on peut se la jouer contestataire en France, c’est parce que notre gouvernement le permet. Mon propos n’est donc pas là pour tacler les réalisateurs qui font ce qu’ils ont à faire pour conserver leur carrière. Mais forcément cela s’accompagne de productions qui perdent en intérêt ou en « vision d’auteur » dès lors qu’elles se déroulent dans un contexte historique ou avec une quelconque portée politique.
Des acteurs et actrices ont aussi été « blacklistés » par le gouvernement chinois, leur nom carrément effacé des moteurs de recherche sous contrôle d’État. Pour des raisons politiques la plupart du temps. C’est le cas de Zhao Wei par exemple, une actrice qui « disparut » de l’Internet chinois le 26 août 2021. Ses films sont devenus inaccessibles et ses comptes sur les réseaux sociaux supprimés. Il y a donc aussi un risque de voir disparaitre des œuvres si elles ne sont pas encore sorties chez nous (et pour les rééditions d’œuvres mises au placard par le gouvernement chinois, on pourra se brosser.) Cela jette tout de même un froid.

Une actrice disparue. Ici dans MULAN (non, pas la version Disney. Je parle d’un vrai film de 2009.) et LES TROIS ROYAUMES.
De même, la distribution des films chinois chez nous est clairement en baisse. C’est sans doute moins facile avec la disparition partielle du support physique (DVD, blu-ray). Que faire des films dont on ne peut pas financer une sortie en salles si même le « direct to video » n’intéresse plus personne et ne rapporte rien ? Le streaming ? Hélas la diffusion sur les plateformes de streaming ne dépend pas d’une personne passionnée ou deux qui pourraient s’improviser éditeur de blu-ray. Il faut convaincre des sociétés internationales énormes comme Netflix de les mettre dans leur catalogue…et de les traduire surtout (donc ils répondront probablement que les gens n’ont qu’à aller voir lesdits films sur les sites de streaming chinois avec sous titres anglais. Y’a pas de sous titres français ? Qui s’en soucie ?) L’apparente facilité d’accès aux films via les services de streaming semble avoir aveuglé le monde entier sur les problèmes inhérents à cette méthode de distribution qui cloisonne beaucoup plus qu’elle ne partage, parce que tout est entre les mains de gros financiers pas du tout passionnés et qui ne prendront pas le risque de sortir des bobines inconnues. Mais là encore, quel public va s’en plaindre ? Souvent le spectateur lambda ne sait même pas qu’il existe d’autres films que les blockbusters qui sortent dans son cinéma ou son Netflix, il mange ce qu’on lui donne et ne cherche pas plus loin. Bref, le mot de la fin du cinéphile aigri : le cinéma de Hong Kong c’était quand même mieux avant !
D’autres films viendront agrémenter le blog sous forme de chroniques dédiées, ce dossier n’étant pas exhaustif mais se voulant plutôt une introduction au genre en présentant les différentes époques qu’a traversé le wu-xia-pian, avec ses tendances diverses et ses films phares.