Partie 1 : Le chanbara historico-dramatique
Chroniques de films de samouraïs
Date de sortie des films : 1954 à 2004.
Genre : Historique, Drame.
1ère partie : vous êtes ici : Le chanbara historico-dramatique
2ème partie : Le chanbara de divertissement
Niveaux d’appréciation :– À goûter
– À déguster
– À savourer
Nouveau dossier sur le cinéma asiatique aujourd’hui. Plus précisément sur les chanbara. Quésaco ? Les films de sabre japonais, de samouraïs quoi. C’est un sous-genre du jidai-geki, un terme désignant les œuvres à caractère historique, notamment médiéval. Dans ce genre-là, il y a bien sûr des cinéastes classiques incontournables. C’est pourquoi nous allons commencer par nous intéresser au cinéma d’Akira Kurosawa à travers 2 films. Puis nous verrons d’autres films de réalisateurs divers.
LE PROGRAMME
- LES 7 SAMOURAÏS
- LE CHATEAU DE L’ARAIGNÉE
- HARAKIRI
- GOYOKIN
- HITOKIRI, LE CHÂTIMENT
- Les films de samouraïs de Yoji Yamada
- Conclusion
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Chroniques d’une époque
Akira Kurosawa, vous avez certainement déjà entendu son nom. Même les gens qui n’aiment pas les vieux films le connaissent. Il a commencé à réaliser des films dans les années 1940, et s’est fait remarquer dans le monde durant les années 1950. Kurosawa est un réalisateur considéré comme l’un des grands fondateurs du cinéma japonais qui a également inspiré beaucoup de cinéastes occidentaux (dont George Lucas, Steven Spielberg, Martin Scorcese, etc.)
Exceptionnellement, plutôt que de vous parler des tous les types de films de sabre dans l’ordre chronologique, je vais plutôt vous proposer une première partie focalisée sur le cinéma réaliste et/ou historique avec des histoires dramatiques intéressantes mais dont l’intérêt ne réside pas spécialement dans les affrontements de samouraïs. Et en seconde partie, nous reviendrons dans le temps pour parler de films plus surréalistes et axés sur le divertissement, avec ZATOÏCHI ou BABY CART : des films dans lesquels on peut voir des geysers de sang et des samouraïs couper des mouches en 4 avec leur sabre.
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Dans un deuxième temps, nous découvrirons les « Lucky Luke » du chanbara, qui tranchent plus vite que leur ombre
Commençons donc par Akira Kurosawa. Le plus difficile a été de choisir de quels films parler. Techniquement si vous êtes intéressés par le cinéma japonais, Kurosawa est incontournable et la plupart de ses films est recommandable. RASHOMON par exemple, sans doute le premier film qui propose de raconter plusieurs fois la même histoire selon le point de vue de chaque acteur d’un évènement, ou plutôt de leur déposition devant un tribunal (avec ce que ça implique de mensonges pour couvrir leurs arrières.) Il y a aussi LE GARDE DU CORPS (YOJIMBO), l’histoire d’un samouraï qui joue double jeu dans une ville déchirée par une guerre de clans. Etrangement, et même si tout le monde ne sera pas d’accord, je ne recommanderai pas KAGEMUSHA qui est quand même selon moi un poil soporifique, malgré sa splendeur visuelle et ses couleurs éclatantes. Mieux vaut préférer RAN parmi ses derniers films en couleurs (bien qu’il soit assez « figé » aussi, très théâtral).
Finalement j’ai choisi de vous parler du film considéré comme son chef d’œuvre : LES SEPT SAMOURAIS. Ainsi que de sa version de MacBeth de Shakespeare adapté dans le Japon féodal : LE CHATEAU DE L’ARAIGNÉE.
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LES SEPT SAMOURAIS (1954) d’Akira Kurosawa 
Le pitch : Nous sommes durant l’ère Sengoku (environ entre 1467 et 1600), littéralement « l’époque des provinces en guerre » avant le règne des trois unificateurs du Japon : Oda Nobunaga (un seigneur qui n’est cependant jamais devenu shogun mais qui a conquis des territoires avant sa mort en 1582) ,Toyotomi Ideyoshi (shogun en 1582) puis Tokugawa Ieyasu (shogun en 1603) qui instaurera l’ère Edo et dont les descendants règneront jusqu’en 1867. Durant l’ère Sengoku, les guerres entre clans plongent le pays dans le chaos et des bandits sillonnent la campagne pour piller des villages.
C’est ainsi que débute le film, alors que des bandits rebroussent chemin devant un village lorsqu’ils se souviennent l’avoir déjà pillé trop récemment et décident d’attendre la prochaine récolte. En panique, les villageois décident d’agir pour prévenir un nouveau pillage qui causerait leur mort. Sur les conseils de l’ancien de leur village, ils décident de chercher des samouraïs pour les défendre. L’ennui, c’est que les samouraïs sont fiers et ne travaillent pas en échange d’un peu de riz. Il va donc falloir qu’ils trouvent des guerriers altruistes qui accepteront de les aider. Après avoir fait face à plusieurs refus de samouraïs fiers, ils rencontrent Kanbei, un vieux sage qui accepte de les aider. La première heure du film nous raconte ensuite le recrutement des six autres guerriers : Katsushiro qui veut devenir l’élève de Kanbei, Gorobei le bon vivant, Heihachi qui se recycle comme bucheron, Shichiroji l’ancien bras droit de Kanbei, Kyuzo le mystérieux maitre d’armes…et enfin un septième homme qui prétend s’appeler Kikuchiyo et qui n’est de tout évidence pas un vrai samouraï, mais qui semble le plus motivé pour rejoindre le groupe et défendre le village.
Le second acte du film se focalise d’ailleurs sur cet étrange personnage qu’est Kikuchiyo (en plus de l’organisation de la défense du village.) Fanfaron, un peu fou et drôle, tantôt agaçant, tantôt futé, il est l’électron libre auquel le spectateur s’identifie. Incarné par le grand Toshiro Mifune qui tourna 16 films avec Kurosawa, Kikuchiyo n’est en réalité qu’un paysan qui se rêve guerrier, un imposteur au grand cœur qui sert de pont entre les paysans et les samouraïs qui ignorent tout de la vie de ces derniers. La performance de Mifune est mémorable, notamment lors de son monologue furieux dans lequel il accuse les paysans de mentir, de pleurnicher, d’avoir assassiné des blessés de guerre pour récupérer des armes…pour mieux demander ensuite qui en a fait de telles brutes à part les samouraïs qui ont pillé, violé leurs femmes, brulé leurs maisons pendant les guerres. Le code d’honneur de nos héros et leurs grands principes se heurtent alors à la dure réalité. Le dernier acte est évidemment l’attaque des bandits, la stratégie mise à l’œuvre, la solidarité nécessaire pour remporter une bataille, l’horreur de la guerre. Et de nos sept samouraïs, il n’en restera que trois.
Kurosawa est un excellent metteur en scène pour son époque. La composition de ses plans est un modèle. Beaucoup de mouvement (si ce n’est pas la caméra qui bouge, il se passe toujours quelque chose à l’image : intempéries, mouvements de foules), avec des décors très bien mis en valeur et qui laissent voir beaucoup de profondeur. Ce film en particulier a bénéficié d’un grand soin d’authenticité de la part du réalisateur et du scénariste. Kurosawa et ses collaborateurs ont d’ailleurs rencontré beaucoup de difficultés pour le réaliser à une époque où l’occupant américain ne voyait pas d’un bon œil les films sur des samouraïs qu’ils associaient aux kamikazes.
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Recruter, se préparer, et tenir l’assaut. 3 actes bien définis.
Mais si le film est surtout à charge contre les bandits et présente des samouraïs globalement bons, Kurosawa critique tout de même le système féodal en condamnant les samouraïs arrogants et dangereux, et montre qu’au service de seigneurs corrompus durant la période Sengoku, beaucoup d’entre eux ont commis des atrocités. Nos héros ne sont d’ailleurs que des ronins, des samouraïs sans maitre dont le clan n’existe plus ou qui ont quitté leur fonction pour suivre leur propre chemin. S’ils sont valeureux et honnêtes, c’est aussi peut-être parce qu’ils sont hors-caste. Le samouraï est un personnage très ambivalent qui peut tout aussi bien être cruel ou héroïque, ce qui en fait une source inépuisable d’histoires de fiction.
Le film est long, on ne va pas se mentir. Plus de 3h. C’est une durée considérable, surtout pour un spectateur d’aujourd’hui habitué aux films modernes dans lesquels il se passe 3000 trucs en même temps. Le cinéma japonais, surtout à l’époque, prenait son temps. Les films étaient pensés comme des pièces de théâtre, qu’on ne va pas voir pour l’action épileptique et les effets spéciaux ébouriffants, mais pour des acteurs, des dialogues, de l’émotion, ainsi que de beaux paysages réels (absents du théâtre). Mais toujours est-il que c’est un grand film que je qualifierai de social, sur la guerre, sur les inégalités, sur la dure réalité face à des principes abstraits. Un film qu’il faut voir une fois dans sa vie.
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LE CHATEAU DE L’ARAIGNEE (1957) d’Akira Kurosawa
Le pitch : après une bataille (toujours durant la guerre des provinces de l’ère Sengoku), les généraux Washizu et Miki doivent retourner voir leur seigneur au château de l’araignée. Pour cela ils traversent la forêt du même nom et rencontrent un étrange esprit qui leur prédit leur avenir. Selon lui, Washizu deviendra seigneur du château de l’araignée et le fils de Miki sera lui aussi amené à prendre le contrôle de ce château. Comme il s’agit d’une transposition de la pièce MACBETH de Shakespeare, à la manière de Lady MacBeth, la femme de Washizu va tout faire pour forcer le destin afin que la prophétie se réalise au bénéfice de son mari. Washizu va donc assassiner son seigneur pour s’emparer du pouvoir, puis Miki pour que son fils ne lui dérobe pas le pouvoir. Mais la culpabilité et la paranoïa va le précipiter lui et sa femme dans la folie.
En plus d’être l’adaptation d’une pièce de théâtre transposée dans le Japon féodal, Akira Kurosawa emprunte beaucoup au théâtre Nô pour ce film. Pour ceux qui ne savent pas ce que c’est, le théâtre Nô est une forme traditionnelle de théâtre qui utilise beaucoup de costumes et de maquillages spécifiques, ainsi que l’utilisation de masques et d’une musique particulière qui vient renforcer la surprise, les coups de théâtre de l’histoire. La gestuelle des acteurs est stylisée et exagérée, tout comme le jeu d’acteur grimaçant. Si vous avez déjà eu l’impression dans certains vieux films que les japonais surjouent, c’est en partie culturel, un héritage de leur théâtre. Dans ce film, si le début ressemble à un film « normal », tous les passages montrant la descente aux enfers de nos personnages paranoïaques et de plus en plus fous utilisent des codes beaucoup plus stylisés et exagérés (les acteurs ne portent pas non plus de masques mais ont des expressions outrées). Atmosphère oppressante, jeux d’ombre et de lumière, apparitions fantomatiques, maquillages et expressions exagérées (comme dans le cinéma muet) sont les composantes d’un métrage qui se rapproche pas mal d’un film d’horreur.
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Mauvais présage, trahisons, hallucinations, folie
Il ne faut pas s’attendre à de grandes batailles, même s’il y a quelques poursuites et de nombreuses morts. Mais cette fois le film fait 1h40 seulement. Majoritairement tourné en intérieur, on pourrait craindre le côté théâtral trop prononcé ou le film trop bavard. Mais non. Les longues tirades font place à des choix d’images, des silences, une atmosphère. Kurosawa ne fait pas que filmer du théâtre. Il se sert juste de certains codes du Nô pour renforcer certains évènements de l’histoire. Les scènes dans le brouillard, celles de la forêt avec l’esprit, les intérieurs sombres, tout contribue à une mise en scène efficace particulièrement inquiétante. Que vous soyez familier ou non avec l’œuvre originale de Shakespeare, cette interprétation de Kurosawa mérite amplement le détour. Kurosawa glisse aussi dans son adaptation un peu de folklore japonais avec cet esprit (ce yokaï) qui remplace les trois sorcières de la pièce de Shakespeare.
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HARA KIRI (1962) de Masaki Kobayashi 
HARA-KIRI est initialement un roman de l’écrivain Yasuhiko Takiguchi, mais il a été adapté au cinéma par Shinobu Hashimoto, le même scénariste que RASHOMON et LES SEPT SAMOURAIS de Kurosawa. A la réalisation, Masaki Kobayashi (réalisateur de la trilogie LA CONDITION DE L’HOMME.) Ce film a eu droit à un remake signé Takashi Miike en 2012, mais ne l’ayant pas vu, je n’en parlerai pas. J’ignore même si c’est un remake feignant identique à l’original, ou une réadaptation plus libre du roman. Comme vous le savez, hara-kiri était le nom du suicide pour l’honneur que les samouraïs devaient pratiquer après avoir commis une faute grave ou, raison plus discutable, si leur maître s’était déshonoré ou avait péri. Son nom plus courant est le seppuku.
Le pitch : Japon, 1600 et des poussières, ère Edo. Le général Ieyasu Tokugawa a terminé d’unifier le pays et en prend la tête en instaurant la dernière dynastie des shoguns : les Tokugawa. Les guerres constantes de la période Sengoku sont du passé. Le pays est en paix. Le film met en scène un rônin Hanshiro Sugumo, joué par le grand Tatsuya Nakadai, (un acteur de la trempe de Mifune selon moi) qui se rend chez le clan Ii pour demander à ce qu’on l’aide à se faire hara-kiri (en général, il y a un rituel solennel, des habits blancs, et il faut un exécuteur pour mettre fin aux souffrances du samouraï qui s’ouvre le ventre). L’intendant du clan, Saito, va lui raconter l’histoire d’un autre rônin, Chijiwa, qui est venu frapper à leur porte en prétendant vouloir mourir. Il s’avère que certains rônins miséreux dont le clan a été dissous usent de ce subterfuge pour inspirer l’admiration et se faire accepter dans un clan, ou tout du moins recevoir des aumônes. Bien évidemment, les chefs du clan Ii trouve cela inadmissible et honteux. Pour eux, il s’agit d’une perversion du code d’honneur des samouraïs. C’est pourquoi ils essaient de percer à jour les menteurs pour les humilier et les forcer à se tuer réellement. C’est ainsi qu’ils ont obligé Chijiwa à s’ouvrir le ventre (et avec un sabre en bois qui plus est, pour le punir d’avoir vendu son propre sabre). Hanshiro Sugumo est-il l’un de ces samouraïs qui prétendent vouloir mourir ? Que cherche-t-il vraiment ? Au travers de flash-backs, nous allons découvrir son histoire, et la raison de sa visite au clan Ii.
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Est-ce honteux de chercher à survivre en refusant le sacrifice ?
Le film propose de pointer du doigt ce code de l’honneur poussé à l’extrême, et l’hypocrisie de certains clans qui brandissaient ce code par fierté sans en respecter une ligne. Il nous montre comment le code du bushido (qui contenait aussi des principes dignes et méritoires) est détourné par les riches clans pour garantir leur ascension sociale et déshonorer les pauvres. Il nous montre comment une tradition appliquée hors de tout contexte peut être d’une grande cruauté. Comment les samouraïs sont endoctrinés et poussés au suicide. Comment la politique du shogun de dissolution des clans a généré une grande misère chez les samouraïs qui n’ont plus personne vers qui se tourner en période de paix. C’est une critique massive de la tradition et de ses détournements à des fins politiques que nous propose le film, en même temps qu’une vision des samouraïs particulièrement sombre.
Atmosphère tendue de western spaghetti avec un sound design aux petits oignons alternant entre musique oppressante et bruits de nature
Le film est lent et contemplatif. La mise en scène de Kobayashi ne plaira pas à tout le monde. Plutôt avare en effets de style, le film sait tout de même mettre l’emphase sur certains évènements comme lorsque Hanshiro va combattre un membre du clan Ii et qu’on passe plus de temps à regarder les adversaires se préparer au combat et à écouter la musique intense que sur le combat en lui-même, rapidement expédié, à la manière d’un western spaghetti. Le film est prenant grâce à sa structure narrative à base de flash-backs qui nous dévoile peu à peu les intentions des personnages et les liens qui les unissent. La musique de Tōru Takemitsu est également très réussie et met l’emphase sur les moments les plus intenses. Personnellement je regrette d’ailleurs que Kobayashi ait décidé par la suite de ne quasiment plus utiliser de musique dans ses films (dès son film suivant KWAIDAN).
Il y a peu d’affrontements encore une fois (je vous avais prévenus) mais un final sanglant inoubliable dans lequel Hanshiro démontre l’hypocrisie et la lâcheté du clan Ii. Le seul vrai samouraï au sens chevaleresque du film est finalement un rônin miséreux.
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GOYOKIN (1969) de Hideo Gosha 
Le pitch : GOYOKIN (l’or du shogun) se passe autour de 1830, sous le shogunat des Tokugawa. Il raconte comment un clan de samouraïs, pour payer l’impôt au shogun alors qu’ils ont eu de mauvaises récoltes, s’est emparé de ses navires pour lui dérober son or et fait accuser du forfait un petit village côtier. Ils ont ensuite exterminé tout le village afin de couvrir leurs traces et prétexter une vengeance au nom du shogun. Tout ceci nous est raconté en flash-back. Le début du film nous montre une femme revenir dans un village ravagé et rempli de cadavres. Quelques années plus tard, nous suivons Magobei, un rônin errant (Tatsuya Nakadai à nouveau) qui a quitté ce clan, rongé par la culpabilité d’avoir participé à tout ça. Il va apprendre que son ancien clan prévoit de recommencer son stratagème cette année-là pour les mêmes raisons. Il va faire son possible pour les en empêcher. Durant sa quête, il rencontrera des alliés, comme Samon, un samouraï roublard, ainsi qu’Oriha, la jeune femme qui a survécu au massacre de l’époque.
Hideo Gosha est certainement le réalisateur « classique » que je préfère, malgré la grande popularité de Kurosawa. C’est un des réalisateurs classiques les plus contestataires. Il est plus sombre que Kurosawa, il se montre très critique envers son propre pays et notamment la caste des samouraïs.
GOYOKIN est plutôt une histoire de quête de rédemption, même si en réalité Magobei se ment à lui-même en disant qu’il pourra reprendre sa vie après avoir apaisé sa conscience en empêchant un nouveau massacre. En réalité il est déjà mort à l’intérieur depuis qu’il a dégainé son sabre pour le profit, et la fin du film ne sera pas plus ensoleillée pour lui. Il doit faire face à ses anciens compagnons, et son ancien chef qui s’avère être son beau-frère. Et malgré son succès final, il n’en retirera aucune satisfaction et s’éloignera des festivités, sa femme à moitié détruite mentalement le suivant de loin dans la neige.
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Des personnages torturés
De la même manière que Kobayashi avec son HARAKIRI, Gosha évacue les samouraïs héroïques et chevaleresques. Tout comme les westerns spaghetti qui sont des versions désenchantées du western américain mettant en scène des cowboys corrompus et égoïstes, le cinéma de Gosha met en scène des ordures ou des gens brisés. Mais très humains. Kurosawa avait déjà introduit une dimension sociale mais Gosha va plus loin dans la noirceur. Les personnages sont complexes et intéressants. On comprend même (sans cautionner) le dilemme du chef de clan qui n’a pas assez de richesses à donner au shogun à cause de mauvaises récoltes. On sympathise avec les victimes du village et avec le personnage torturé qu’est Magobei.
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Des cadrages efficaces et des décors bien mis en valeur
Sur la forme, le film est magnifique, que ce soit la photographie de Kozo Okazaki qui sublime des paysages enneigés, les scènes nocturnes ou les divers combats dans des lieux variés superbement filmés. La musique de Masaru Sato (qui a officié également sur LE CHATEAU DE L’ARAIGNEE, LA FORTERESSE CACHEE, YOJIMBO, HITOKIRI, etc.) achève de donner une identité au film proche de celle d’un western spaghetti tant elle peut évoquer les musiques d’Ennio Morricone.
En voulant faire un film qui détourne le chanbara de ses codes chevaleresques, Hideo Gosha crée pourtant un des plus beaux représentants du genre. Pour moi, on n’est pas loin du chef d’œuvre.
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HITOKIRI, LE CHÂTIMENT (1969) d’Hideo Gosha 
Le pitch : Le film se déroule durant la période du bakumatsu (qui signifie « la fin du gouvernement shogunal », période de 1853 à 1868 durant laquelle le Japon a mis fin à sa politique isolationniste avant l’ère Meiji.) C’est après que le commodore américain Matthew Perry a conduit ses navires dans le port de Tokyo en 1853, cherchant à rétablir des échanges entre le Japon et le monde occidental, que le shogunat et sa politique isolationniste à commencé à faiblir. Durant cette période, quatre assassins historiques réputés invincibles affaiblissaient le shogunat en ciblant des personnalités importantes. Leur existence est une des raisons qui a poussé la milice du Shinsengumi à se former (des conservateurs sous les ordres du shogun – on en parle dans mon article sur KENSHIN LE VAGABOND). Le personnage que l’on suit dans le film est un de ces quatre assassins historiques redoutables : Izō Okada (joué par Shintaro Katsu), aux ordres du chef du clan Tosa, l’impérialiste Takechi Hanpeita (Tatsuya Nakadai). Ce dernier, habile politicien, se sert de la ferveur naïve de Okada bien décidé à faire ses preuves pour grimper l’échelle sociale, pour le transformer en assassin brutal. La réputation du rônin n’est plus à faire, mais ses meurtres sanguinaires et son attitude imprudente le rendent bientôt encombrant pour le clan. De son côté Izo doute de plus en plus du bien fondé de ses actions.
Ne vous fiez pas à la chanson du trailer, c’est un peu hors sujet…
Le film nous présente un Izō Okada benêt qui va s’avérer très doué avec un sabre mais issu du milieu paysan et assez peu familier du code du samouraï. Il est remarquablement interprété à l’écran par Shintaro Katsu, un acteur dont on reparlera puisqu’il est le principal interprète du personnage de Zatoïchi. C’est une brute avec peu de dignité qui accomplit les missions qu’on lui assigne tandis que son maitre le traite comme un chien. Mais Izo s’en moque dès lors qu’il est payé. Il espère en retirer une situation sociale meilleure. Ce n’est au fond pas un mauvais bougre, il est même fidèle jusqu’au bout à la prostituée qu’il entretient et ne rêve que d’une vie meilleure. Mais il n’est ni malin ni diplomate. N’obéissant que partiellement aux ordres, hurlant son nom lors des massacres, il compromet son clan. Cette période de troubles politiques, c’est trop compliqué pour lui. On le suit en sympathisant parfois avec ses ambitions simples (pour lui, tuer les cibles qu’on lui assigne sert son pays, et l’argent qu’il gagne lui permettra d’effacer la dette de la prostituée qu’il fréquente) mais en déplorant ses choix impétueux stupides et son caractère colérique qui ne l’aide pas.
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Izo, une bête brutale et sanguinaire
Le film le suit de son ascension à sa chute tout en le montrant évoluer : passer de simple pantin manipulé à un homme qui comprend que les codes moraux ont laissé place à d’obscurs jeux de pouvoir qui ne respectent rien. Plus que jamais, le film questionne qui est le véritable monstre entre l’exécuteur et son maître. Izo est une brute, mais c’est un soldat naïvement idéaliste à qui on promet une vie meilleure et qui fait du zèle en pensant bien faire. Gosha critique à nouveau le pouvoir derrière la basse main d’œuvre manipulée, celui qui fait bonne figure sans respecter le moindre code d’honneur qu’il brandit pourtant pour mieux contrôler ses subalternes. À la fin, alors qu’il espérait monter dans l’échelle sociale, Izo va finalement se réjouir de n’être plus personne car il n’aura pas à s’infliger le harakiri imposé à son maître, et il se sentira libéré de savoir qu’il n’occupera pas la même place que lui au ciel. Au moins, il aura la paix dans l’autre monde.
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Izo, aussi un assassin pathétiquement humain aux espoirs brisés
HITOKIRI est un film historique et politique avant d’être un film d’action. Si Gosha nous gratifie tout de même de scènes de combat bien graphiques, elles restent peu nombreuses au regard des 2h20 du long métrage. À ce propos, je dirais que le film est tout de même un peu long. Mais comme nous suivons des personnages historiques, il est possible que certains évènements contés dans le film soient vrais et qu’il y a donc un intérêt historique à certaines scènes que je ne peux juger du haut de ma connaissance toute relative de l’histoire du Japon.
Malgré la durée du film, on peut saluer le fait que l’intrigue soit parfaitement intelligible, même pour quelqu’un qui ne connaitrait pas grand chose à l’histoire. Izo ne comprend rien lui même aux manipulations de son maître et le spectateur adopte son point de vue. Ce qui n’empêche en rien la multiplication de complots et autres coups fourrés, mais au final peu importe leur but politique.
Bien qu’il soit assez sombre et tragique, le film n’est pas dénué d’humour non plus, Izo étant tantôt effrayant par sa brutalité tantôt comique par ses travers de gros idiot bourru amateur de saké et de sexe qui peut parcourir 45km en courant pour ne pas louper une baston.
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Des massacres en plan séquence
Visuellement, le film est splendide, comme souvent avec Gosha. Il exploite toute la largeur de l’image lors de duels ou pour isoler un personnage dans un coin du cadre. Les affrontements, bien que rares, sont mémorables avec d’impressionnants plans séquence. Les scènes nocturnes sont superbement éclairées et certaines séquences de véritables morceaux de bravoure. Un autre grand film de ce cinéaste injustement oublié des écoles de cinéma qui lui préfèrent Kurosawa.
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Les films de samouraïs de Yoji Yamada 
Je ne peux pas vous parler de tous les films de sabres. J’ai choisi de mettre en lumière 5 films assez anciens mais qui font partie des must-see. Force est de constater que le genre du chanbara est moins populaire aujourd’hui et les plus grands représentants du genre ne sont pas jeunes.
Néanmoins, parmi les rares films plus récents datant des années 2000, certains valent le détour comme LE SAMOURAI DU CREPUSCULE (2002) ou LA SERVANTE ET LE SAMOURAI (2004), tous deux de Yoji Yamada, qui se penchent sur le déclin des samouraïs à l’aube de l’ère Meiji. Des films lents, avec quasiment aucun combat mais qui racontent la fin d’une époque, et de quelle manière le Japon ne s’est pas seulement débarrassé des défauts de sa société isolationniste, mais a également jeté le bébé avec l’eau du bain en s’occidentalisant, rejetant les notions d’honneur des samouraïs pour de nouvelles réformes parfois jugées déshonorantes.
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Des films qui traitent du changement du Japon s’ouvrant à l’Occident en laissant les samouraïs sur le carreau
Ce sont des films intéressants et plutôt mélancoliques. Ils se ressemblent beaucoup cela dit, étant tous les deux adaptés de romans du même auteur, Shuhei Fujisawa. Dans les deux films, le personnage principal se retrouve obligé de suivre les nouvelles directives de son clan imposées par un haut fonctionnaire et se débarrasser d’un samouraï renégat (carrément un ancien ami dans LA SERVANTE ET LE SAMOURAÏ) qui refuse de se plier aux nouvelles réformes du Japon moderne et est soupçonné de rébellion.
Je crois que ma préférence va à LA SERVANTE ET LE SAMOURAÏ (dont le titre français laisse un peu trop penser qu’il s’agit juste d’une romance. Le titre VO est THE HIDDEN BLADE) pour sa description du changement d’époque qui entre dans les détails (on voit les pauvres samouraïs dépassés aux allures de ploucs devoir s’entrainer à utiliser des fusils) et qui ajoute à cette intrigue une histoire d’amour entre une domestique et un samouraï, issus de différentes classes sociales.
THE HIDDEN BLADE (LA SERVANTE ET LE SAMOURAÏ)
Cependant, on préférera LE SAMOURAÏ DU CRÉPUSCULE si on cherche un récit plus intimiste s’intéressant plus en profondeur à la condition du samouraï puisqu’il se penche surtout sur le cas de deux personnages obligés de s’affronter et moins sur la transformation globale du mode de vie du Japon (même si les différends desdits personnages sont liés à cela aussi, mais c’est plus suggéré que vraiment expliqué).
CONCLUSION
Le hasard a voulu qu’au fil des métrages présentés chronologiquement dans cet article, nous avancions également dans la chronologie de l’histoire du Japon, allant de la période Sengoku à l’unification lors du shogunat de l’ère Edo, puis du shogunat Tokugawa à son déclin à l’aube de l’ère Meiji (la période dépeinte dans les films de Yoji Yamada). Ces films mis bout à bout proposent donc également une rétrospective intéressante de l’évolution du samouraï dans l’histoire. De chevalier aux ordres d’un clan (plus ou moins vertueux selon leur seigneur) à rônin miséreux et/ou bandit en période de paix, véritable assassin lors de la guerre civile pour rétablir l’empereur, puis finalement simple vestige d’un passé obsolète.
Mais peut être que ce n’est pas ça qui vous intéresse. Peut-être voulez-vous voir des bastons épiques et délirantes à base de bretteurs surhumains qui découpent des mouches en vol. Eh bien pas de panique, on se retrouve bientôt pour la deuxième partie dans laquelle nous remonterons un peu dans le temps pour nous pencher sur des films plus stylisés, moins réalistes, plus orientés divertissement, avec les sagas ZATOICHI et BABY CART.
La musique de Masaru Sato
D’autres films du même genre que je recommande :
- YOJIMBO / LE GARDE DU CORPS (1961) d’Akira Kurosawa
- SANJURO (1962) d’Akira Kurosawa
- TROIS SAMOURAÏS HORS LA LOI (1964) d’Hideo Gosha
- LE SABRE DE LA BÊTE (1965) d’Hideo Gosha
- LE SABRE DU MAL (1966) de Kihachi Okamoto
- CHASSEURS DES TÉNÈBRES (1979) d’Hideo Gosha