
* COULROPHOBIE *
LES ADAPTATIONS DE STEPHEN KING :
“ÇA” (1990)
Chronique du téléfilm : “ÇA” – IL EST REVENU (IT)
Date de sortie : 1990
Durée : 187 minutes
Réalisation : Tommy Lee Wallace
Genre : Fantastique, Horreur
Comme dans tous les autres articles dédiés aux adaptations de l’œuvre de Stephen King, les thèmes récurents de l’auteur seront écrits en caractères gras.
Voir l’article introductif sur les principaux thèmes de Stephen King

Le pitch : À Derry, dans le Maine, une petite fille est retrouvée sauvagement assassinée.
Mike Hanlon, le bibliothécaire du patelin, se rend sur les lieux du crime et découvre une ancienne photo de Georgie, un petit garçon tué de la même manière trente ans plus tôt. Mike s’en souvient très bien car c’était le petit frère de son meilleur ami, Bill. Il comprend alors que “Ça”, un démon qui vit dans les égouts en prenant la forme d’un clown nommé Grippe-Sou pour attirer les enfants, est de retour à Derry après trente ans d’absence…
De retour chez lui, Mike contacte immédiatement Bill et ses autres amis d’enfance, tous partis pour d’autres horizons, avec qui ils formaient la bande des “sept paumés”. Il leur rappelle la promesse qu’ils avaient fait jadis : Si “Ça” devait un jour revenir, alors ils devraient de nouveau se réunir pour reprendre le combat qu’ils avaient mené contre lui bien des années plus tôt…

La dure vie des sept paumés !
Adaptation du roman fleuve de Stephen King, “ÇA” est un téléfilm (voire une mini-série) réalisé en 1990 par Tommy Lee Wallace. Diffusé à l’origine en deux parties, il ne suit pas une continuité chronologique linéaire qui commencerait à l’enfance pour finir à l’age adulte, mais épouse plus ou moins la construction complexe du livre. Il débute ainsi avec les adultes, faisant ensuite des bons dans le passé, sous forme de longs flashbacks.
Soyons honnêtes : “ÇA” a beaucoup vieilli. “ÇA” ne fait plus vraiment peur et trahit son âge, vieillissement prématuré accentué par sa forme télévisuelle. Mais pour autant, si l’on a aimé un tant soit peu le film à l’époque, on se laisse volontiers reprendre par la main tout au long de ces trois heures qui s’écoulent sans ennui et sans temps mort, car le script est superbe, joliment découpé et dialogué. Une gageure pour qui a pu approcher la complexité tentaculaire du roman originel !
Les effets spéciaux ont beau être obsolètes (aïe aïe aïe ! l’araignée géante dans le combat final…), le soin apporté aux décors dans la partie “souvenirs” (dans les années 50) et la mise en image des apparitions surréalistes du clown maléfique demeurent très réussis. En tout cas honorables pour une production TV de l’époque.
Tel un vieux film fantastique rendu kitsch par le poids des ans, “ÇA” est sans doute réservé à un public de nostalgiques l’ayant découvert au moment de sa diffusion. Mais en lui-même, il s’agit d’un téléfilm d’une très belle tenue, écrit et réalisé avec sincérité, qui adapte assez librement le roman originel, tout en parvenant à préserver les grandes lignes du récit de Stephen King.
“ÇA” fait d’ailleurs partie de ces films sur l’adolescence (les “Kid-movies“) qui auront marqué toute une génération de jeunes spectateurs au cours des années 80, avec E.T. L’EXTRATERRESTRE, STAND BY ME (un autre Stephen King !), LES GOONIES et autres EXPLORERS, à travers lesquels les adolescents se reconnaissaient et avec lesquels ils tissaient les liens qui font les œuvres cultes.

Quelques apparitions cloonesques…
En quelques 1120 pages (1500 selon les éditions !), Stephen King avait constellé son roman d’éléments historiques et autobiographiques. Tous les passages où il décrit l’histoire de la ville de Derry (cité fictive dans laquelle se déroulent les événements) et de la région environnante, font ainsi écho à toutes ces petites villes du Maine où l’auteur est né et où il a vécu toute sa vie, dans une version qui évoque la face cachée de l’Amérique depuis sa colonisation. Pour ce qui est de la partie autobiographique, il est parfaitement évident que l’écrivain a dissimulé un paquet de ses propres souvenirs d’enfance à travers les déboires, les rires et les multiples aventures de ses héros de papier.
À l’arrivée, Stephen King nous a offert un roman épique, énorme, lequel s’impose probablement comme son récit le plus intime (comme souvent, le personnage principal est un écrivain, spécialiste des récits d’horreur !) et une parabole absolument géniale sur le passage entre l’enfance et l’âge adulte. Car derrière cette malédiction qui s’abat tous les trente ans (plus précisément 27 ans, mais ça peut varier…) sur cette petite ville du Maine, se cache en réalité la métaphore la plus incisive sur la difficulté de grandir, principalement lorsque l’on est différent. C’est ainsi que les “Sept Paumés” (ou les “sept ratés” dans la version papier), sept enfants de onze ans réunis par leurs différences, leurs faiblesses et leur appartenance respective à une minorité sociale (le gros, le binoclard, le bègue, le noir, la rebelle, l’asthmatique et le juif), vont s’allier afin de vaincre “Ça”, une entité maléfique qui s’en prend aux plus faibles lorsqu’ils sont esseulés et fragiles.
À maintes reprises, il est montré que les habitants de Derry se détournent du mal lorsqu’ils le voient, même sous sa forme la plus anodine. C’est ainsi que tout le monde préfère ignorer les vies absolument sinistres de nos sept petits héros et laisser le mal s’immiscer là où on ne fait que l’apercevoir…
À noter, pour bien comprendre le fond de l’histoire, que “Ça” s’en prend aux plus faibles en revêtant à chaque fois l’apparence de leurs pires cauchemars. Il s’abreuve ainsi de leurs peurs profondes et intimes, qu’il draine comme une source nourricière : Un authentique creuset de perversités !

Soudés hier comme aujourd’hui.
“Ça” incarne donc aussi bien la peur de grandir, notamment dans un monde cruel qui écrase les êtres un tant soit peu différents, que la cécité d’une société qui s’est détournée des valeurs humaines élémentaires (comme l’entraide ou la protection du plus faible) en se réfugiant dans l’ignorance, par pure lâcheté. Le “clown maléfique” n’est en somme que la matérialisation d’un mal domestique, tapi en chacun des habitants, qui se nourrit à la sève des maux les plus anodins, afin de grandir et de gagner en puissance…
Par ricochet, “Ça” incarne aussi cette fameuse face sombre de l’Amérique, nation construite sur des valeurs constamment bafouées, mais dans le déni, puisque le résultat de ces transgressions est toujours dissimulé, pour finir enterré dans l’oubli, comme s’il n’avait jamais existé, au fin-fond de la mémoire d’un pays toujours prompt à réécrire son histoire, sous une vérité inventée afin de préserver le vernis fantasmé du rêve américain…
C’est en retrouvant ces valeurs élémentaires d’entraide et de solidarité que nos jeunes héros vont réussir à vaincre “Ça” une première fois, forts de leur nombre et de leurs liens indéfectibles (l’union fait la force). Mais sans doute encore trop faibles puisque non accomplis, pas encore guéris de leurs faiblesses, de leurs blessures et de leurs névroses, ils devront revenir trente ans plus tard, adultes, réaliser le combat final et achever leur parcours.
Là encore, il y aurait beaucoup à dire sur ces quadragénaires, modèles en apparence (ils pratiquent tous un métier prestigieux), mais tous brisés en réalité, meurtris par leur adolescence effroyable, au point qu’ils aient préféré l’oublier, tout en étant incapables de se consacrer à leurs propres enfants (*), qu’ils n’ont jamais eu (au fond, on ne peut pas avoir d’enfant si l’on n’a jamais grandi)… Il faudra donc qu’ils retournent à la source de leurs maux pour affronter “Ça” de nouveau, afin d’accomplir leur victoire sur le démon et sur leur vie… Mais au final, y parviendront-ils tous ?
(*) : Dans le roman, il est fortement suggéré que la réussite sociale des “Sept Ratés”, ainsi que le fait qu’ils n’aient pas eu d’enfants et qu’ils aient oublié leurs souvenirs d’enfance, ont été quelque part générés par “Ça”. Ainsi, le démon (qui, dans le roman encore, est une entité venue de l’espace il y a des milliers d’années) tenterait de se protéger de leur possible retour puisque, si leur réussite sociale est parfaite et qu’ils ont en grande partie oublié leur passé, pourquoi risqueraient-ils de tout gâcher en venant l’affronter de nouveau ? Quant au fait qu’ils n’aient pas eu d’enfants, c’est encore un moyen pour “Ça” de se protéger d’une éventuelle descendance, multiple, qui pourrait éventuellement s’en prendre à lui…
Malgré ses défauts d’œuvre vieillissante au look suranné, “ÇA” le téléfilm réussit le tour de force de préserver l’esprit et la portée philosophique du roman de Stephen King, au contenu à priori inadaptable.
Le film prend heureusement le parti de grandement simplifier la trame tentaculaire du roman (que le King a lui-même mis quatre ans à écrire), évacuant en priorité ses passages les plus abstraits (notamment la très longue et très pénible partie dans laquelle Bill, puis Ritchie, voyagent dans le corps astral avec cette espèce de tortue céleste et on ne sait plus trop quoi d’autre…), ses scènes sexuelles malaisantes qu’une transposition en image aurait rendues pires encore (d’autant que, dans le livre, ça se passe parfois dans la totale obscurité !) et, enfin, les multiples détails craspecs (à la fois de l’ordre du gore et du crade vomitif) qui auraient fait pencher le résultat dans l’ordre du Grand-Guignol, où l’auraient tout simplement rendu insoutenable (on remarquera l’absence, dans le film, aussi bien dans le domaine du sexe que de celui de l’horreur, du personnage de Patrick Hockstetter, l’un des pires gamins malsains de toute l’histoire de la littérature)…
Certes, moult fans du livre (dont votre serviteur) regretteront le polissage de tous les passages choquants, qui ont été repris dans le film en les édulcorant au maximum (et l’on rappelera que la plupart des moments les plus insoutenables ou malaisants ont été soigneusement occultés…). Mais encore une fois, il s’agit de remettre les choses dans leur contexte et de bien prendre conscience qu’il s’agissait-là d’un produit télévisuel soumis à une censure drastique, raison pour laquelle on est plus proche, au final, d’un GOONIES que d’un film de Lucio Fulci…

Mais si le film reste tout de même prenant, c’est qu’il n’oublie pas ce qui fait la force des œuvres de Stephen King, à savoir les personnages et leur mise en contexte. Tout comme dans le roman, nous nous attachons à ces “Sept Ratés” – principalement lorsqu’ils sont enfants – tant ils sont bien écrits, bien développés dans leurs rapports humains et solidement ancrés dans leur réalité sociale.
Pour cet équilibre savamment dosé et ces choix d’adaptations, parfois frustrants pour les lecteurs du roman, mais en même temps parfaitement cohérents, cette première version de 1990 mérite sa place au panthéon des meilleures adaptations de Stephen King, quand bien même il n’est qu’un téléfilm.
La réalisation de Tommy Lee Wallace est certes sans ampleur. C’est un petit artisan du cinéma (gentiment) horrifique qui n’a qu’une poignée de films marquants à son actif (principalement HALLOWEEN III et VAMPIRE VOUS AVEZ DIT VAMPIRE 2). Mais elle est tout à fait honorable dans le sens qu’elle est efficace et très bien rythmée.
Notons enfin l’interprétation brillante de Tim Curry en Grippe-sou le clown, qui demeure après tout ce temps le principal élément qui fait de ce petit film, un film néanmoins culte…

À noter, pour terminer, que la ville de Derry est l’une de ces petites villes fictives (plus exactement un de ces fameux “suburbs“, ces banlieues américaines que les créateurs d’histoires fantastiques modernes ont sû rendre si propices aux mystères) qui sera reprise dans d’autres récits de l’écrivain, comme DREAMCATCHER par exemple, qui déroule par ailleurs la même toile de fond sur la difficulté de grandir. On en reparle dans l’article idoine…
Une nouvelle adaptation de “ÇA”, cinématographique cette fois, sera réalisée en deux parties pour une sortie en salles en 2016 et 2017. Puis une série, réalisée par la même équipe avec le même acteur dans le rôle de Grippe-sous, sera diffusée en 2025. Là aussi, rendez-vous dans les articles consacrés.
THAT’S ALL, FOLKS !!!

Merci pour cette analyse ! J’ai l’impression que ce qui parle plus que tout au lecteur/spectateur de cette histoire, c’est le retour dans le lieu où l’on a grandi, un endroit autrefois tout à la fois terrifiant et magique, celui des premières expériences (d’où la scène… controversée du roman), vu à travers le prisme de l’âge et des désillusions.
Tim Curry, toujours à l’aise sous des tonnes de maquillage pour jouer les grands méchants ! La VF est surprenante : qui se serait attendu à un rôle inquiétant, voir terrifiant, pour Jacques Ciron, dont la voix empruntée et précieuse le destine généralement aux rôles de majordomes (il donne sa voix au Alfred de Batman dans moultes adaptations) ou de types de la haute…