
TARZAN LE BARBARE
Chronique de la série TARZAN Marvel Comics
Date de publication : 1977-1979 pour le contenu des trois tomes
Auteurs : Roy Thomas (scénario) John Buscema (dessin) + divers autres auteurs et artistes.
Genre : Aventures. Fantastique.
Éditeur VF : Soleil

Chez Marvel, donc…
Cet article portera sur la série TARZAN au moment où elle fut temporairement récupérée et publiée par l’éditeur Marvel Comics.
La particularité de cette énième mouture, après celles très célèbres (entre autres), d’Harold Foster (comic-strips de 1929 à 1937), de Burne Hogarth (comic-strips de 1937 à 1950), de Russ Manning (chez Gold Key Comics de 1968 à 1979) et de Joe Kubert (chez DC Comics de 1972 à 1976), est qu’elle est en majeure partie dessinée par John Buscema, l’artiste qui avait alors popularisé l’image de Conan dans le 9ème Art.
Plus précisément, “Big John” y dessine les épisodes #1 à 18, tandis que son frère Sal Buscema réalise les épisodes #19 à 29. Le scénario est d’abord écrit par Roy Thomas, qui reconstitue ainsi le duo légendaire des séries CONAN LE BARBARE et SAVAGE SWORD OF CONAN de cette même décennie. Puis il passe la main à David Kraft, qui est enfin remplacé par Bill Mantlo.
Soit 29 épisodes et trois annuals publiés initialement de juin 1977 à octobre 1979.
En VF, les 24 premiers épisodes ont été publiés chez Soleil Edition en trois tomes.

Tarzan selon Big John
John Buscema le disait souvent : Sa vocation pour le dessin était née de son admiration pour le PRINCE VALIANT d’Harold Foster et le TARZAN de Burne Hogarth.
Celui que l’on surnommera “Big John” travaillait chez Marvel depuis 1966 et avait commencé par dessiner à peu-près toutes les séries super-héroïques de son éditeur, en se faisant notamment remarquer pour sa prestation impressionnante sur la série du SILVER SURFER écrite par Stan Lee. Bien que la majorité des lecteurs adoraient ses dessins (ses AVENGERS demeurent probablement les préférés des fans de la franchise), l’artiste n’aimait pas vraiment son travail à ce moment-là (il n’aimait pas les super-héros, en fait…). Il sentait qu’il était fait pour mettre en image d’autres univers. L’opportunité se présenta lorsque le scénariste Roy Thomas réussit à convaincre Stan Lee et Martin Goodman (alors PDG de Marvel Comics) de publier une série sur le personnage de CONAN de Robert E. Howard.
Après le départ de B.W Smith, Buscema s’installa sur la première série CONAN (CONAN THE BARBARIAN), puis sur la seconde (SAVAGE SWORD OF CONAN), où il s’épanouit enfin totalement en popularisant l’image du barbare avec autant de force que Frank Frazetta l’avait fait avant lui dans le domaine de l’illustration.
Autant dire qu’en 1977, alors qu’on lui propose de reprendre la série TARZAN avec son compère Roy Thomas, “Big John” est au sommet de sa gloire et de son art.
Lorsque l’on regarde attentivement son travail sur CONAN, et notamment sur THE SAVAGE SWORD OF CONAN quand il est encré par Alfredo Alcala, c’est principalement son style brut et dynamique, son art du mouvement et du corps qui marque les esprits. Et l’on peut ainsi trouver naturel que les idoles de jeunesse du dessinateur aient été deux des plus grands illustrateurs du TARZAN d’Edgar Rice Burroughs.
Il était ainsi fort logique, voire évident et organique, que John Buscema allait travailler un jour ou l’autre sur un comic book mettant en vedette le Seigneur de la jungle. Ce qui arriva donc en 1977.

Conan vs Tarzan : Une filiation naturelle (mais on change quand même de slip).
Il y eut cependant deux écueils.
Le premier tient au fait qu’à cette époque, “Big John” travaille comme un forcené sur les deux séries CONAN. Ajouter à ce rythme de travail une nouvelle série ne peut lui permettre de s’appliquer soigneusement. C’est donc en toute connaissance de cause qu’il accepte de relever le défi, sachant qu’il doit dessiner TARZAN dans des conditions trop impérieuses pour pouvoir entrer dans les détails.
Le second est que la tâche est tout de même intimidante si l’on songe que certains de ses prédécesseurs sur la franchise étaient ses idoles, et que le dernier en date, Joe Kubert, avait marqué les esprits presqu’autant que lui-même sur le personnage de Conan.
Intelligemment, Buscema décide alors de transcender ces contraintes en conférant à ses dessins une urgence et une force brute, en travaillant vite et en privilégiant la dynamique du mouvement, pour un résultat plus épuré que ses CONAN, plus dynamique encore, comme si l’action était menée à cent à l’heure.
J’ai lu à maintes reprises que certains lecteurs avaient jugé le résultat décevant, comme si l’artiste avait été trop intimidé par le défi et qu’il avait livré un résultat en demi-teinte. Et bien votre serviteur pense exactement l’inverse ! Le parti-pris choisi par John Buscema sur son Tarzan est au contraire très intéressant pour les raisons évoquées plus haut, mais il contraste évidemment avec son travail sur CONAN puisqu’il ne se base pas sur la même approche. Ce sentiment de déception partagé par moult lecteurs a sans douté été accentué par le fait que “Big John” donne au Seigneur de la Jungle une allure qui rappelle beaucoup sa propre version de Conan le Barbare. Et ainsi, beaucoup ont espéré le même résultat sans chercher à saisir l’approche différente que le maitre leur proposait.

Épure et mouvement.
Comme tous les admirateurs de John Buscema le savent, la qualité de ses planches tient énormément au travail de ses collaborateurs préposés à l’encrage, lesquels peaufinent les dessins et leur apportent leur allure définitive. Afin de conférer un maximum de dynamique à sa prestation sur la série TARZAN, “Big John” commence par s’encrer lui-même. Le résultat, comme vous pouvez le voir sur l’image ci-dessus, offre au récit une énergie qui semble jaillir des planches en emportant le lecteur au cœur de l’action.
Tout l’ensemble de son run sur cette série témoigne de l’apport fluctuant des encreurs quant à la qualité du résultat final. On l’a vu : lorsque l’artiste s’encre lui-même, l’effet produit est fruste mais très intéressant (un peu à la manière de Joe Kubert, finalement). Hélas, le surbookage auquel Buscema est alors confronté ne lui permet pas de continuer à ce rythme et, au bout de seulement deux épisodes, il est encré par Tony Dezuniga, un des collaborateurs habituels. Le résultat est très bon, assez consensuel pour ceux qui aiment habituellement les planches des séries CONAN. Mais dès l’épisode #7, c’est Rudy Mesina qui passe à l’encrage et son travail semble desservir le dessin de Buscema, car tout parait soudainement figé.

Les aléas de l’encrage…
Rudy Mesina reste jusqu’à l’épisode #13, bien qu’entretemps le grand Alfredo Alcala vienne encrer les épisodes #9 et 10. L’artiste ne surcharge pas les planches comme il le faisait parfois (avec bonheur) sur SAVAGE SWORD OF CONAN, mais s’autorise tout de même quelques hachures expressionnistes dont il a le secret sur une poignée de vignettes. Impossible de nier, à ce moment là, que le TARZAN de Buscema & Alcala ressemble furieusement à leur CONAN !

Quand Big John va à l’essentiel !
Mesina est carrément remplacé à l’épisode #14 par Klaus Janson en personne. Il faut quelques pages à ce dernier pour s’échauffer mais, très vite, il réalise une superbe prestation en offrant à Buscema certaines des plus belles planches de la série. Ce duo gagnant reste en place jusqu’au départ de “Big John” à l’épisode #18. À partir de là, Klaus Janson reprend du service pour un épisode, mais c’est Sal Buscema qui s’installe au dessin, secondé presque à chaque fois par un encreur différent (respectivement Bob Hall, Rudy Nebres, Jim Mooney, Pablo Marcos, Ricardo Villamonte et P. Craig Russel). La prestation du cadet Buscema est honorable, quoiqu’évidemment un cran en-dessous de son ainé. On y retrouve les gimmicks habituels du dessinateur, avec des bouches grandes ouvertes en forme de trapèze et des personnages qui finissent par tous se ressembler un peu. Dans l’ensemble, bien qu’il ne possède pas l’art du mouvement de John, Sal livre une série de planches assez réussies.

Sal Buscema rêvait manifestement de dessiner Conan comme son grand-frère, même lorsqu’il s’agissait de dessiner Tarzan…
Et quid de la qualité des histoires, alors ?
L’ensemble de cette série peut être divisée grosso-modo en deux longs récits distincts, le premier étant entrecoupé de petits one-shot en forme de flashbacks (inspirés du recueil de nouvelles TARZAN DANS LA JUNGLE publié en 1917) revenant sur la jeunesse de Tarzan lorsqu’il vivait encore avec les singes et qu’il devait affronter tout un tas d’épreuves afin d’assurer sa survie (un peu à la manière dont Joe Kubert avait découpé la première partie de sa prestation sur le personnage).
Le premier de ces deux grandes sagas est donc TARZAN ET LES JOYAUX D’OPAR, une très longue aventure, parsemée de moments épiques, de trahisons et de rebondissements, librement mais assez fidèlement adaptée du roman éponyme d’Edgar Rice Burroughs paru en 1916 (cinquième roman de l’écrivain dans sa série de TARZAN). Il s’agit là d’une très bonne bande-dessinée d’aventure vintage, exotique et enlevée, très premier-degré mais rondement menée. On y retrouve le volet fantastique de l’œuvre de Burroughs où, comme l‘avait fait H. Ridder Hagarth avant lui, l’Afrique renferme des cités oubliées peuplées de tribus inconnues et gorgées de trésors fabuleux. Au cinéma, il faudra attendre la série de films avec Lex Barker (qui suivait celle de Johnny Weissmuller) pour plonger, certes avec un côté un peu cheap, dans ce volet ouvertement fantastique des aventures du Seigneur de la Jungle.
Cette saga avait été auparavant adaptée par Gaylord DuBois et Russ Manning chez Gold Keys Comics en 1967. Autant dire qu’il s’agit d’une aventure assez rarement adaptée en BD, du moins dans les séries les plus connues.
Le scénariste Roy Thomas s’y applique autant que sur SAVAGE SWORD OF CONAN et réalise une excellente prestation. Une fois de plus je m’élève contre ses détracteurs qui méprisent son travail en prétendant qu’il s’est contenté de plaquer des passages de romans et de nouvelles sur les dessins de ses collaborateurs, alors qu’il réalise sur ces séries un travail immensément supérieur à ce qu’il a écrit pour le genre super-héroïque (du mainstream basique réservé à un lectorat vraiment très jeune), en faisant preuve d’un très beau sens de l’équilibre dans l’exercice hautement complexe de l’adaptation.
Le résultat est élégant et, au-delà des naïvetés inhérentes à ce genre de lecture, ces épisodes peuvent sans soucis être encore lus aujourd’hui par un adulte.

Tarzan affronte la redoutable Reine d’Opar (mais en vérité elle l’aime) !
Encrage de Tony Dezuniga.
Le second récit va s’étendre sans coupure sur dix épisodes et sera l’œuvre du scénariste David Kraft, remplacé à partir de l’épisode #21 par Bill Mantlo, qui aura donc la charge de terminer la série en compagnie de Sal Buscema. Cette seconde et très longue aventure, intitulée BLOOD MONEY AND HUMAN BONDAGE, s’inspire très librement de TARZAN AU CŒUR DE LA TERRE, douzième roman d’Edgar R. Burroughs publié en 1930, qui faisait office de crossover entre ses séries TARZAN et PELLUCIDAR, cette dernière narrant l’histoire d’un royaume oublié au centre de la Terre, où vivent toutes sortes de peuplades et de créatures antédiluviennes.
On quitte de manière abrupte les derniers épisodes de Roy Thomas qui revenaient dans la jeunesse de Tarzan façon naturalisme pour plonger vertigineusement dans la fantasy la plus bariolée ! David Kraft imagine une sorte de suite au roman TARZAN AU CŒUR DE LA TERRE et truffe son récit de références aux auteurs contemporains de Burroughs en opposant par exemple Tarzan à un antagoniste nommé Abdul Al Azred l’Arabe Fou, reprenant ni plus ni moins le nom imaginé par H.P. Lovecraft pour l’écriture de son Necronomicon ! Dès que notre “homme-singe” trouve une ouverture magique pour le Royaume de Pellucidar, les péripéties fantastiques ne vont plus s’arrêter et les personnages vont affronter des hommes primitifs, des animaux dangereux, des hommes-lézards, des dinosaures sur terre, dans l’air et dans l’eau, des pirates, une arme de science-fiction capable de détruire le monde, des cités construites dans un métal inconnu, etc.

Il n’y a plus de limites !
Hélas, la qualité narrative de ces épisodes est à mille lieues de la classe de Roy Thomas et nous retrouvons ici les pires tares des comics de super-héros old-school avec des situations ridicules (Tarzan et son singe volent en deltaplane de manière virtuose, oui, même le singe !), de retournements de situation capilotractés (le récit est dilué à l’infini), de personnages qui hurlent cent cinquante milles fois des menaces grandiloquentes grotesques (Abdul Al Azred répète toutes les trois vignettes qu’il peut tuer celui qui refuse de lui obéir), de références gratuites (l’Arabe Fou n’a finalement rien à voir avec l’univers de Lovecraft), de dialogues ampoulés, de bulles de pensée ridicules utilisées pour palier la maladresse du découpage, de scènes d’action complètement infantiles (le pompon revenant à celle où Tarzan tue à main nue un monstre marin de la taille d’une baleine – un pliosaure pour être exact), chaque personnage rivalisant de veulerie, avec une idéologie poisseuse, jusqu’à Tarzan lui-même, ici écrit d’une manière le rendant extrêmement antipathique, violent, vulgaire et raciste comme des-qu’on-en-fait-plus…

Ah ouais, quand même…
En définitive, cette série Marvel dédiée à Tarzan vaut surtout pour ses quatorze premiers épisodes, lorsqu’elle est réalisée par le duo formé par John Buscema et Roy Thomas. À ce stade, elle ne révolutionne pas l’histoire de la bande-dessinée mais propose une excellente version de TARZAN dans le médium du 9ème art. Ce qui est étonnant, c’est qu’elle ne bénéficie pas d’une réputation à la hauteur de celles réalisées précédemment, mais on a relevé plus haut une piste permettant d’en comprendre la cause.
La collection proposée par l’éditeur Soleil vaut surtout pour son format king-size (34 x 25 cm !) en noir et blanc, qui permet d’admirer les planches de “Big John” dans tous les détails. Hormis le fait que la série n’est pas publiée en entier (il manque les cinq derniers épisodes, mais Soleil a manifestement décidé de consacrer cette collection à John Buscema, tout en terminant quand même son dernier arc narratif achevé par son frère après son départ), il y manque surtout l’Annual #1 dessiné par John Buscema, ce qui est assez incompréhensible, notamment car les épisodes suivants lui font sans-cesse référence ! Quelle frustration ! Quelle impardonnable acte-manqué de la part de l’éditeur VF !
Quoiqu’il en soit, si vous êtes amateurs de TARZAN, de bande-dessinée et d’histoires d’aventures vintage, vous ne devez pas rater cette version de la fin des années 70 réalisée par l’une des meilleures équipes artistique dans le genre consacré.

Heu… alors, en VF, on sera quand-même privé de ça…
That’s all folks !!!
Merci pour cette lecture et l’analyse de cette série ! Je dois avoir tous les Tarzan du tandem Thomas/Buscema en singles VO, je vais profiter d’une semaine de vacance pour les compulser !
Ce jeu de ressemblance entre le Conan de Buscema et Thomas et leur Tarzan m’évoque une histoire de Conan : la rencontre entre Conan et Amra, un sauvage élevé par des animaux (des lions dans son cas). À la lecture de cette chronique, je me demande si ce n’était pas à la fois un crossover officieux et un galop d’essai : l’histoire est publiée dans Conan the Barbarian 61 à 63 en 1976, une année avant leur Tarzan ! Je note également que le comic Ka-Zar des années 70 s’arrête début 77… pour laisser la place à l’original ?
Je n’ai pas lu la série CONAN LE BARBARE au-delà du run de BWS donc je ne connais pas cet épisode avec « Amra ». Mais ce que tu dis de la coïncidence des périodes est effectivement très convaincant. Merci pour ce complément à l’article !
Tu n’as pas lu les épisodes qui suivent ceux de Thomas & Buscema ? Ils sont nuls, mais pris comme un nanar en comics, ça peut éventuellement être rigolo (Cheetah qui maitrise le vol en deltaplane, ou Tarzan qui brise la machoire d’un pliosaure de la taille d’une baleine à mains nues, c’est quelque chose !). Ou édifiant, étant donné tous les passages racistes et ceux où les personnages, Tarzan le premier, méprisent les indigènes et leur culture…
Pour Amra, c’est durant la saga étendue de Conan et Bêlit, peut-être pour justifier a posteriori le surnom d’Amra que reçoit Conan quelques années plus tôt dans les « Savage sword »
Je n’ai pas encore lu les numéros en ma possession : je les avais achetés en même temps que l’intégralité des numéros de John Carter de Marvel, mais le tout est encore dans l’une de mes PAL ^^ Après, Tarzan en comics me fait d’abord penser à Manning et à Kubert (à cause d’un album VF qui fut une de mes premières lectures dans le second cas) bien avant de m’évoquer Thomas/Buscema (j’aurais même des cases de Gotlieb qui me viendraient en tête avant cette incarnation de l’adepte des lianes). Après, j’ai une tolérance au nanardesque assez large : j’ai l’intégralité de Team America, de The Human Fly et d’US 1 !