
HOMME ET LOUP, JOUR ET NUIT présente :
– PEUR BLEUE –
Chronique du film PEUR BLEUE
Rubrique HOMME ET LOUP, JOUR ET NUIT
Date de sortie du film : 1985
Durée : 95 minutes
Genre : Fantastique, horreur.
Comme dans tous les autres articles dédiés aux adaptations de l’œuvre de Stephen King, les thèmes récurents de l’auteur seront écrits en caractères gras.
Voir l’article introductif sur les principaux thèmes de Stephen King

Le pitch : Dans la petite ville de Tarker’s Mill (dans l’état du Maine), des meurtres abominables sont perpétrés à chaque cycle de la pleine lune. Marty, un jeune garçon handicapé, soupçonne que ces meurtres sont en réalité causés par un véritable loup-garou. Ses déductions vont peu à peu le mettre sur la piste de l’homme qui, la nuit venue, se transforme en loup…
Un temps que les moins de vingt ans…
PEUR BLEUE (STEPHEN KING’S SILVER BULLET en VO) est un film réalisé par Daniel Attias et produit par le nabab Dino De Laurentiis. Le scénario est rédigé par Stephen King lui-même d’après sa propre nouvelle L’ANNÉE DU LOUP-GAROU (CYCLE OF THE WEREWOLF), qu’il avait écrit en 1983.
De toutes les adaptations cinématographiques de Stephen King, voila sans doute celle qui souffre de la pire des réputations. Et c’est à cause de cette réputation catastrophique que beaucoup d’entre nous n’ont encore jamais regardé ce film, ce qui fut mon cas pendant longtemps…
Franchement, cette adaptation ne mérite pas une si mauvaise presse, tant il s’agit d’une petite série B horrifique tout à fait sympathique ! Dans le plus pur esprit des productions d’entertainment de l’époque (le milieu des années 80), le film est un divertissement connoté qui se fond complètement dans le moule des adaptations du King.
Alors ? Pourquoi diantre souffre-t-il autant la critique ? Et si nous analysions tout ça ?

Un casting bien dans son époque.
Avec le recul de toutes ces années, PEUR BLEUE (titre français assez incongru que le film partage avec plusieurs autres séries B sans aucun rapport !) permet d’emblée aux nostalgiques de retrouver le charme et l’atmosphère envoûtante qui enrobaient tous les films d’épouvante et autres kid movies qui, dans cette même période des années 80, mettaient en scène de jeunes adolescents (STAND BY ME, ÇA, EXPLORERS, LES GOONIES, GÉNÉRATION PERDUE, GREMLINS, LES GRIFFES DE LA NUIT, etc.).
Bien évidemment, toute la dimension effrayante s’est estompée avec le temps et les apparitions du monstre ne font aujourd’hui plus peur à personne, car la “peur” au cinéma ne fait jamais de vieux os et la portée des expressions horrifiques ne résiste pas au temps qui passe. En revanche, l’ambiance du film est plutôt chouette, le casting est très réussi, la caractérisation des personnages est particulièrement soignée (et meilleure que dans la plupart des films actuels) et, si l’intrigue en elle-même est complètement basique, voire sans intérêt, l’écriture du scénario et le développement des personnages offrent à eux-seul toute la tenue du film, qui se laisse regarder avec un réel plaisir, si tant-est qu’on réussit à le regarder avec la nostalgie qui va avec…

La nouvelle illustrée.
Stephen King avait tout d’abord écrit sa nouvelle sans prétention. Il s’agissait d’un petit conte (à la manière classique d’un conte de Perrault, horrifique mais familial), mais le récit en question était illustré et l’on comprend aisément la motivation du projet lorsque l’on voit le nom extrêmement prestigieux de l’artiste et que l’on recolle les morceaux : Le bouquin, publié en grand format afin de mettre en valeur les dessins, est illustré par le grand Bernie Wrightson, que les fans de comics connaissent pour être le co-créateur de la Créalture du Marais (SWAMP THING chez l’éditeur DC Comics, le même que pour Batman et Superman) et accessoirement un des plus grands dessinateurs de comics de son temps, spécialiste des récits d’horreur. Ce n’est bien sûr pas anodin pour qui connait le penchant précoce du King pour les illustrés et les récits d’horreur qu’il dévorait dans son enfance, notamment ceux des EC Comics (qui donneront un jour une série TV intitulée LES CONTES DE LA CRYPTE et auxquels il rendra lui-même hommage avec le film CREEPSHOW ou avec la série TALES FROM THE DARKSIDE).
Il parait évident que L’ANNÉE DU LOUP-GAROU, dont le pitch est tellement simple qu’il pourrait tenir sur le dos d’un timbre-poste (de janvier à décembre, un loup-garou tue une victime à chaque pleine-lune), a été conçu par Stephen King dans le seul but de collaborer avec l’une de ses idoles.
Bien évidemment, le grand Bernie est ici comme un poisson dans l’eau puisqu’il œuvre à la fois dans son domaine de prédilection (l’imagerie des monstres gothiques) et qu’il est un habitué des illustrations littéraires (il a notamment livré une magistrale série de dessins en noir et blanc pour une magnifique édition du FRANKENSTEIN de Mary Shelley).
L’ANNÉE DU LOUP-GAROU est donc une assez courte nouvelle d’environ 120 pages, dont chacun des douze chapitres (intitulés respectivement JANVIER, FÉVRIER, MARS, etc.) s’ouvre par une double-page recouverte d’un dessin en noir et blanc évoquant le mois en question (une illustration d’un paysage sous la neige pour le mois de janvier, par exemple), suivi d’une à quatre pages de texte, d’une illustration en couleur et d’une ou deux autres pages de texte s’achevant par un petit dessin en noir et blanc. Quasiment la moitié de la pagination est donc consacée aux illustrations.

Petit florilège.
Pour la rédaction de son scénario, Stephen King a considérablement modifié la structure de son récit afin qu’il épouse mieux la narration cinématographique. Il abandonne ainsi le concept du découpage en chapitres selon le cycle de la pleine lune pour suivre le quotidien de Marty (Corey Haim), le héros de son histoire, un jeune adolescent paraplégique cloué sur son fauteuil roulant. Un fauteuil que son oncle Red (Gary Busey) a tranformé en bolide nommé “Silver Bullet”, profétisant ainsi le sort réservé au loup-garou !
Comme à son habitude et comme nous l’avons déjà relevé plus haut, le King excelle à développer des personnages attachants et à leur conférer de l’épaisseur. Il ne déçoit pas ici, en contournant systématiquement les archétypes héroïques habituels (ses trois héros sont un jeune garçon handicapé, une adolescente boudeuse et un oncle alcoolique qui passe complètement à côté de sa vie et qui ne se sent exister qu’en compagnie des enfants). Idem pour le vilain de l’histoire, lequel surprend lorsqu’on découvre son identité.
Tous ces protagonistes, y compris les personnages secondaires, sont tous bien dessinés et campés par des acteurs formidables, Coray Haim, Gary Busey et Everett McGill en tête.

Ils sont pas mignons, tous ?
Nous retrouvons également bien des thèmes et autres éléments propres à l’univers de Stephen King, à commencer par Le charme vénéneux de la région du Maine et de la Nouvelle-Angleterre, les fameux suburbs (les banlieues des classes moyennes) que les auteurs américains ont su rendre si propices aux mystères… Le King a ainsi pris l’habitude de créer de petites villes fictives, tout en restant dans sa région natale, celle où il a passé toute sa vie, qu’il connait si bien et où il développe la plupart de ses récits.
Mais le plus intéressant demeure cette propension à développer les mêmes thèmes fondateurs et ici encore, c’est un véritable festival. On y retrouve d’emblée le monde de l’enfance et son corolaire : La séparation entre le monde des adultes et celui des enfants (où comme souvent, la plupart des adultes restent sourds aux appels de détresse et aux avis des plus jeunes – une occasion de citer par ailleurs LA MALÉDICTION DU LOUP-GAROU (THE BOY WHO CRIED WEREWOLF), réalisé par Nathan Juran en 1973). Le problème des addictions, dont commençait à souffrir l’écrivain au même moment est également approché à travers le personnage alcoolique de l’oncle Red, loser pathétique qui ne ne peut briller qu’à travers le regard des enfants mais dont l’admiration inconditionnelle saura lui donner la force de se montrer héroïque au moment opportun.
Les dissonances au sein de la cellule familiale sont bien évidemment développées à travers le rapport conflictuel entre l’oncle Red et la mère de Marty, faisant écho à celui de Marty et de sa sœur Jane. Mais c’est encore le thème relatif à la critique sociale par le biais de la vie dans les petites villes qui se taille la part du lion avec les deux axes que représentent Le mal qui s’immisce dans le quotidien d’une bourgade (ici incarné par le loup-garou qui en devient l’allégorie) et sa conséquence directe : La fragilité de l’équilibre social américain, que l’écrivain se plait à dénoncer dès qu’il en à l’occasion, mettant en lumière les aspects négatifs de la nature humaine en général, exacerbés face à la moindre perturbation surnaturelle (la réaction de vindicte aveugle de la populace, qui rappelle celle du FRANKENSTEIN de James Whale, met ici bien en valeur cette fragilité. Elle mènera immédiatement à la catastrophe !). Soit l’un des traits de génie de l’auteur, qui serpente le sous-texte de chacun de ses récits.

C’est de l’horreur, quand même !
Le film est loin d’être un chef d’œuvre mais il souffre surtout de la comparaison avec ses illustres prédécesseurs. En effet, la première moitié des années 80 voit l’histoire du cinéma fantastique s’offrir la plupart de ses chef d’œuvre dans le genre “loup-garou”. La seule année 1981 a vu la sortie de trois films majeurs, respectivement WOLFEN, HURLEMENTS et LE LOUP-GAROU DE LONDRES. Un an avant la sortie de PEUR BLEUE, c’est aussi celle du superbe LA COMPAGNIE DES LOUPS. En toute objectivité, PEUR BLEUE ne peut guère rivaliser avec ces mètres étalons, lesquels brillent tantôt par l’originalité de leur script (WOLFEN, LA COMPAGNIE DES LOUPS), tantôt par le talent de leur prestigieux réalisateur (Joe Dante, John Landis, Neil Jordan), voire même par leur bande-son (James Horner, Pino Donaggio, Elmer Bernstein). Niveau réalisation, PEUR BLEUE souffre clairement du manque d’audace de Daniel Attias, d’habitude assistant réalisateur pour les plus grands (Coppola et Spielberg, entre autres), qui se tournera ensuite vers le petit écran (on le verra sur la plupart des séries les plus populaires de 1986 à 2013 !). Pour son unique long-métrage, Attias reste beaucoup trop sage et il manque clairement au film une ou deux scènes fortes pour le hisser au-dessus de son simple statut de petite série B anecdotique. Du côté de la bande-son, c’est encore pire tant le score de Jay Chattaway, qui alterne musique électronique périmée et thème sirupeux insupportable, est complètement raté.
Enfin, du côté des effets spéciaux, là encore PEUR BLEUE arrive avec un train de retard. S’il bénéficie de la présence du spécialiste en la matière qu’était à l’époque Carlo Rambaldi, grand habitué de l’écurie De Laurentiis, il fait quand même pâle figure en comparaison de ses plus récents ainés. Rambaldi a toujours été très inégal en alternant les réussites (E.T. L’EXTRATERRESTRE qui lui vaudra un oscar, ou encore le premier ALIEN) mais aussi les jolis plantages (le gorille animatronique complètement foireux du KING KONG de 1976). Sur PEUR BLEUE, l’artisan se contente de pomper le travail de Rick Baker (responsable des FX révolutionnaires sur HURLEMENTS et surtout LE LOUP-GAROU DE LONDRES) en nettement moins bien, pour un résultat incotestablement paresseux et décevant (sans être non plus catastrophique).
Attention : Spoiler ! Cette scène de transformation dévoile l’identité du méchant…
Pourtant, nonobstant ces quelques points de comparaison et de faiblesse, PEUR BLEUE ne mérite pas sa mauvaise réputation (dans le genre, je l’ai largement préféré à LA NUIT DÉCHIRÉE, autre adaptation de Stephen King dans un genre similaire, qui bénéficie pourtant d’un meilleur succès d’estime). Car si l’on évite de le comparer aux autres films, que l’on accepte le fait que le King ait choisi l’option de la modestie en concevant un script des plus classiques pour trousser avant-tout un conte horrifique familial (préférant l’hommage aux vieux films de loup-garou des années 60/70 et aux contes pour enfants, plutôt que d’innover dans le genre), il nous reste un divertissement extrêmement sympathique, porté par un casting très attachant et un parfum de kid-movie 80’s au charme incontestable. On avouera que tout ça, et bien ma foi, ce n’est déjà pas mal du tout !

That’s all, folks !!!