LA GESTE DES CHEVALIERS DRAGONS
Chronique de la série : LA GESTE DES CHEVALIERS DRAGONS
Date de publication : de 1998 à 2024.
Auteurs : Ange (scénario), collectif (dessin).
Genre : heroic-fantasy, dark-fantasy.
Éditeur : Soleil.
Une série plus sombre qu’elle n’y paraît
Aujourd’hui nous allons parler d’une saga d’heroic-fantasy franco-belge : LA GESTE DES CHEVALIERS DRAGONS, du couple d’auteurs Anne et Gérard Guéro (alias Ange) publiée chez Soleil.
Le premier tome est paru en 1998, et il aura fallu attendre 5 ans pour voir arriver un tome 2 en 2003. Par la suite, plus d’un tome par an est sorti pour en arriver à 32 tomes en 2024. Soit un rythme de parution assez élevé pour une BD franco-belge.
Pour cette raison, si les scénaristes restent les mêmes, les dessinateurs et coloristes se relaient sur la série. Et pour cette même raison, il ne faut pas chercher une homogénéité visuelle parfaite. La série serait à présent terminée, ou en pause pour un temps indéterminé. Ce n’est ni une bonne chose ni une mauvaise chose, parce que nous verrons que la chronologie de la série est particulière.
LE PITCH : Pour faire simple, des dragons envahissent le monde. Leur présence seule répand un mal appelé le Veill qui rend fou tout être vivant trop proche du dragon avant de le transformer en monstre et/ou provoquer sa mort. Les dragons sont également capables de ressentir la présence de tout être vivant proche d’eux. Les seuls humains immunisés contre les pouvoirs des dragons sont les femmes vierges. Par conséquent, un ordre de chevaliers composé uniquement de femmes vierges a été fondé.
Du dragon en veux-tu, en voilà !
Dans la bouche de certains, ce concept se transforme en « des vierges à poil qui tapent des dragons », ce qui laisse présager d’un produit racoleur un peu couillon. Mais c’est un peu comme si on résumait Conan avec « un barbare en pagne qui tape du sorcier. » Et à la question « quelle est la logique scientifique expliquant l’immunité des vierges ? » je répondrais qu’on est dans de l’heroic-fantasy. Les vierges sacrifiées aux dragons, le sang des vierges convoité par les méchants, tout ça, ce n’est pas nouveau, les vierges ont toujours eu un rôle symbolique particulier (réminiscence du christianisme ?) A-t-on besoin d’expliquer ça par un concept scientifique ? Dans une série de Science-fiction ça me dérangerait, mais là…on s’en fout ! Pourquoi seule une femme est-elle capable de tuer le chef des Nazgul aussi dans LE SEIGNEUR DES ANNEAUX, hein ?
Bref…après avoir lu 28 albums de cette série, je peux vous dire que c’est loin d’être une série débile et racoleuse. C’est même une série hyper chiadée. Certains tomes, il est vrai, ne se privent pas de nous montrer une héroïne peu vêtue sans que ça semble utile à son combat. Mais je rappellerai que LA QUÊTE DE L’OISEAU DU TEMPS que tout le monde considère comme une excellente BD d’heroic-fantasy dispose d’une héroïne aux gros seins et d’un humour en dessous de la ceinture…qui n’empêche pas la BD de prendre un virage crépusculaire et déprimant à souhait ! C’est comme ça, ça fait partie de l’imagerie classique de l’heroic-fantasy (ou des super-héros), les hommes musculeux et les femmes plantureuses. Mais dans le cas présent, il n’y a pas une once d’humour relatif à ça. Cet aspect ne vient aucunement entacher le ton de la BD ni le scénario.
Le premier tome nous montre aussi cette guerrière peu vêtue se faire déchiqueter sans pitié par le dragon.Non, ce n’est pas un SPOILER. Ou du moins c’est quelque chose que vous découvrirez très vite. LA GESTE est scénaristiquement une série ambitieuse très noire et adulte dont les personnages sont sacrifiables (et donc changent à chaque tome ou presque) et le monde dans lequel ils évoluent injuste et cruel. Il faut lire plusieurs tomes pour se rendre compte qu’il s’agit en fait de chroniques de vies difficiles qui abordent des sujets sérieux. Les femmes guerrières doivent renoncer à l’amour et au sexe, leur vie est dédiée à l’affrontement des dragons (dont elles ne reviennent que rarement en vie.) Certains hommes les haïssent pour ce qu’elles sont car ils ne supportent pas l’idée que des femmes aient du pouvoir, et si elles ont le malheur de se faire violer…elles peuvent perdre leur statut puisqu’elles seront forcément rejetées de l’ordre. En gros on est plus face à un GAME OF THRONES qu’un LANFEUST. Et les femmes sont davantage dépeintes comme des personnages courageux et tragiques que de simples objets sexuels.
Un boulot difficile
LA GESTE est en réalité très fataliste. La série peut rappeler le manga CLAYMORE. Autant dire que passé un tome ou deux, vous n’aurez plus trop l’esprit à reluquer les filles. Vous aurez plutôt de la peine pour elles (à moins d’être un gros mort de faim obsédé.)
Et ce n’est pas tout. Dans LA GESTE, il y a pas mal d’albums sans dragons. La série ne se repose pas toujours sur l’action. Il y a beaucoup de politique, de conflits diplomatiques, d’histoires humaines. Certains tomes vont se concentrer sur une chasse au dragon mais d’autres sur un choix de vie d’une guerrière et l’opposition de ses sentiments face à son devoir, ou sur les rapports de force entre les différents pouvoirs en place, sur des batailles entre royaumes, etc.
Après, je vous mentirai si je disais que tout est du même niveau. Mais sur les 28 albums que j’ai lus, je dirai malgré tout qu’il n’y en a aucun que je qualifierai de vraiment mauvais.
Je précise aussi, pour ceux que le nombre de tomes rebuterait, qu’on est dans le même fonctionnement que les nouvelles de CONAN LE BARBARE de Robert Howard (ou par extenstion, ses adaptations en comics.) Les tomes sont pour la plupart indépendants, ne se suivent pas et ne sont pas racontés dans l’ordre chronologique. C’est pourquoi la fin de la série au tome 32 ne marque pas nécessairement une fin définitive et ne constitue d’ailleurs même pas une conclusion (le tome 27 pourrait en être une cela dit.) Par conséquent, rien ne vous oblige à lire les 32 tomes (moi-même je ne suis pas allé plus loin que le 28 pour l’instant.)
Une fois n’est pas coutume, je ne vous ferai pas de critique album par album. C’est assez compliqué pour une série de ce genre. Je vais plutôt vous parler des thèmes en mentionnant dans quels albums ils sont abordés.
DEVOIR ET SACRIFICE
La chasse au dragon est un élément de fond qui revient régulièrement, mais la BD s’occupe davantage de dépeindre un monde dans lequel les humains doivent s’adapter à la présence des dragons. Cela n’empêche pas les affrontements de disposer d’une bonne atmosphère et d’un bon suspense, et aussi d’être indispensables pour montrer le danger que représentent les dragons. Mais ces albums ne se contentent pas de raconter un combat mais mettent nos héroïnes face à leur devoir de sacrifice de soi au service du bien commun. Cela pourrait ressembler à du fanatisme, mais nous ne sommes pas en présence d’une série qui introduit maladroitement des moeurs et problématiques des temps modernes (et réalistes.) Dans un contexte où des créatures mystiques aux pouvoirs ravageurs détruisent des villes sans bouger rien qu’avec leur influence néfaste, personne ne va faire une manif sur les droits des chevaliers.
Une des plus grandes représentantes de cette mentalité de respect des règles est le chevalier Oris, rencontrée âgée dans le tome 2 AKANAH, mais présente jeune lors du tome 4 BRISKEN et des intrigues de cour de Messara du tome 9 AVEUGLES. Ce devoir de sacrifice est aussi particulièrement présent chez les sœurs de la vengeance. Ce sont des sorcières qui ont le pouvoir de lancer un sort détruisant toute vie (elles comprises) sur des km en déchainant « le feu blanc ». Elles sont en quelque sorte le dernier recourt face à un dragon lorsque les chevaliers ont échoué, que le Veill a trop progressé alentour et que le dragon est devenu tellement puissant qu’il n’est plus envisageable de perdre du temps. On les voit à l’œuvre en introduction du tome 3 LE PAYS DE NON-VIE et elles sont mentionnées à plusieurs reprises. Leur intervention est un coup dur cela dit, puisqu’au-delà de tuer les sœurs durant le processus, il peut y avoir de nombreuses victimes collatérales et la terre devient aride et morte sur la zone touchée par le sort (détruisant les terres cultivables et mettant à mal l’économie.)
Le dernier recours de l’ordre : les sœurs de la vengeance
Aussi sévère que cette vie puisse paraître, souvent ces femmes l’ont choisie. Et certaines se plient avec abnégation aux règles pour suivre leur devoir (tome 4), telles des samouraïs avec leur code du bushido. Mais certaines remettent en question les règles, les trouvent cruelles, changent d’avis avec le temps, ou font tout simplement des rencontres qui vont mettre à mal leurs convictions. Il est tout à fait compréhensible de ressentir de l’empathie pour une guerrière qui tombe amoureuse où cède à ses tentations (Ellys dans le tome 1, Nouri dans le tome 16), ou qui brise les règles pour des convictions personnelles. Le tome 2 nous donne un aperçu de ces conflits internes avec Akanah, une apprentie chevalier qui va douter de ses choix et désapprouver son amie Eleanor qui se résigne à la mort pour son devoir, tout en montrant que la vie de femme « normale » peut aussi avoir ses mauvais côtés dans ce monde avec des mariages arrangés et des histoires d’argent qui laissent peu de place à la liberté également.
La BD ne joue pas la carte de la facilité en approuvant ou condamnant les codes des chevaliers dragons. Aussi dur et contre-nature que leur code puisse paraitre, on est dans un monde où la vie est dure en général. On nous montre parfois, en parallèle, des vies misérables de civils pour qui le respect et la crainte qu’inspirent les chevaliers dragons deviennent un rêve à atteindre (la petite fille maltraitée dans le tome 3…qui deviendra la Eleanor du tome 2, convaincue par sa cause et son choix qui lui ont permis de changer de vie.)
SEXUALITÉ ET INSTINCT MATERNEL
Il est évident qu’en devant rester vierges, les chevaliers dragons vivent un déchirement, obligées de choisir entre leur rôle de chevalier ou une vie de femme, avec ce que ça implique de relations amoureuses ou charnelles. Si certaines s’en passent bien, beaucoup sont évidemment tentées.
Dans le tome 4, on apprend même que des femmes qui ont suivi l’enseignement de l’ordre l’ont finalement quitté pour devenir « des mères exceptionnelles pour leurs enfants ». De même, le chevalier Lore (tome 13 SALMYRE), choisit d’avoir un enfant. Quant à Jo (tome 5 LES JARDINS DU PALAIS), elle préfère se marier et monter un commerce plutôt que suivre sa voie de chevalier. En général elles ne sont pas punies pour avoir perdu leur virginité, mais elles sont exclues de l’ordre et perdent leur statut qui leur vaut une situation à l’abri du besoin (sauf certaines qui peuvent devenir des Ombres, des espionnes et manipulatrices au service de l’ordre.)
Il y a aussi des chevaliers qui, sans enfreindre leur devoir, ressentent un manque. C’est le cas de Mara dans le tome 3, qui semble regretter de ne pouvoir avoir d’enfant. C’est pourquoi on la voit recueillir la jeune Eleanor à la fin de l’album, comme une adoption.
L’adoption chez les chevaliers dragon : on ramasse les pauvres gamines vierges qui ont survécu au Veill après avoir perdu toute leur famille.
D’autres femmes se retrouvent à la merci d’hommes et vont être violées (Saraï dans le tome 15, Snejana menacée d’être violée dans le tome 5), ce qui signifie la perte de bien plus que leur dignité ou virginité, et vire en tragédie. L’histoire de Saraï devient celle d’une vengeance terrible.
Si les chevaliers ne sont en général pas sévèrement punis pour tout ce qui concerne leurs pulsions sexuelles ou instincts maternels, les règles ne s’arrêtent pas là. Les chevaliers dragons sont également censés renoncer à tout engagement politique et se concentrer uniquement sur les dragons.
LA POLITIQUE
Et c’est là qu’un problème plus grave se pose. Car comme le dit le chevalier Oris dans le tome 2 « tout acte public, quel qu’il soit, est politique. »
Que ce soit volontairement ou involontairement, l’ordre des chevaliers dragon a un poids politique et une influence qui ne peuvent le laisser neutre dans la balance du pouvoir. Par exemple, on comprend dans le tome 4 qu’avant la création de l’ordre, il y a 3000 ans, la ville de Messara n’était qu’une petite ville et son seigneur un petit seigneur. Mais avec le temps, ce dernier est devenu roi, puis empereur, grâce à l’influence de l’ordre et son avantage militaire. Tout a débuté avec une allégeance et des services rendus à une ville, et donc un parti pris politique. Même sans le vouloir, l’ordre s’attire des admirateurs et des détracteurs, ce qui lui donne inévitablement un poids politique. L’empereur actuel de Messara trahit même l’ordre dans le tome 4, par paranoïa, craignant un coup d’état de leur part. Il les envoie au casse-pipe à la passe de Brisken face à une horde de monstres contaminés par le Veill pour les ridiculiser et les affaiblir. Et le tome 9 poursuit ces histoires de complots entre le pouvoir en place et l’ordre des chevaliers.
Intrigues de cour et confessions sur l’oreiller
Le tome 6 PAR-DELÀ LES MONTAGNES qui se situe aux débuts de l’existence de l’ordre raconte également comment une politique interne a changé et l’ordre a cessé de massacrer les peuples corrompus par le Veill une fois le dragon abattu. Car en effet, les effets du Veill varient, et parfois des victimes qui ont commencé à subir des malformations physiques n’ont cependant pas succombé à une folie meurtrière et sont restés pacifiques. Pour éviter des erreurs de jugement, suite à la trahison du chevalier N’aria qui tente de protéger un peuple pacifique des montagnes, l’ordre établira…la présomption d’innocence. Cet album aborde également en filigrane la tolérance envers des êtres différents (laids, primitifs) mais non-agressifs.
La politique interne de l’ordre est aussi abordée dans le tome 11 TOUTES LES MILLE ET UNE LUNES, lorsque toutes les matriarches se rassemblent en conseil et doivent réélire une ancienne, chef suprême de leur ordre.
Ensuite, il y a le cas de chevaliers dragons qui sont témoins, dans certains royaumes qu’ils viennent libérer du dragon, de coutumes et lois locales écœurantes, comme l’esclavagisme, la vente de mineurs dans des maisons de passe (tome 7 REVOIR LE SOLEIL.) Elles sont censées ne pas s’en mêler, mais ce n’est pas toujours facile.
Malgré cette loi de non-ingérence politique, l’ordre soutient assez régulièrement l’empire. C’est le cas dans le tome 13 lorsque l’ordre dirige des troupes impériales contre Salmyre suite à un coup d’état organisé par le chevalier Alène (devenue reine de Salmyre) pour renverser le tyran local allié de l’empire. Une telle action de la part d’un chevalier est considérée comme une haute trahison. C’est un excellent album qui nous montre toute les contradictions de la politique et les tragédies qui en découlent.
De belles villes
Mais parfois les intérêts de l’ordre et de l’empire entrent en conflit, comme dans le tome 15 L’ENNEMI lorsqu’un allié de l’empire commet le crime de capturer et violer un chevalier dragon (Saraï.) Malgré l’interdiction de la nouvelle impératrice, Saraï sera vengée par ses sœurs.
On peut aussi citer le tome 16 LA DEESSE qui nous propose une guerre des sexes, avec de la manipulation politique et religieuse pour améliorer le statut des femmes. Comme dans le tome 15, on voit l’ordre des chevaliers manipuler ou frapper quand nécessaire pour permettre à ses chevaliers d’inspirer la peur ou le respect, afin d’être protégées de certains hommes (ce sont certes des guerrières habiles, les seules à avoir une vraie chance contre les dragons, mais elles ne peuvent pas forcément tenir tête à de nombreux hommes.)
Tout devient plus compliqué et la série prend un tournant lors de la guerre des Sardes qui voit se fonder le nouvel empire d’Orient, ainsi qu’un nouvel ordre des chevaliers dragons renégat, l’ordre d’Arsalam, dirigé par le chevalier Amarelle et qui désapprouve les méthodes de l’ordre originel (tomes 17 et 18 LA GUERRE DES SARDES.) Une guerre entre les deux entités politiques s’engage alors (en partie contée dans le tome 25 LA GUERRE DES OMBRES.) A partir de là, la politique devient inévitable pour les ordres ennemis et s’immisce au milieu de la vraie priorité : tuer les dragons. C’est le thème du tome 26 NOUS NE NOUS REVERRONS JAMAIS qui nous conte l’alliance difficile de deux ennemies contre un dragon.
Du point de vue purement esthétique, on est dans un univers avec des engins volants comme des bateaux dirigeables, des villes bâties dans des endroits singuliers (forêts, lacs) et une multitude de créatures variées (dont l’existence est liée au Veill : lorsque le dragon meurt, les effets de Veill ne sont pas réversibles pour autant. Les créatures transformées restent ainsi, ce qui donne lieu à des croisements entre des créatures corrompues et des espèces animales classiques.) Les dragons ont également des apparences diverses et variées, allant du classique dragon rouge ailé au gros lézard rampant plein de pointes plus proche du dinosaure.
Même quand les dragons ne sont présents que sur une page ou deux, ils sont mémorables
J’ai volontairement fait l’impasse sur la description des dessins. C’est là que les images dans l’article ont leur rôle pour vous donner une idée sans que je me penche des heures sur les multiples styles. Sachez juste qu’il y en a des fort plaisants, d’autres plus oubliables. J’aime beaucoup le dessin d’Alberto Varanda, Vax, Brice Cossu et aussi celui de Thierry Démarez qui n’a officié que sur le tome 7. A l’inverse, le dessin de Patrick Boutin-Gagné ou d’Edouard Guiton, même s’il est maitrisé, a une connotation plus enfantine qui ne colle pas très bien avec le ton de la série selon moi.
Je trouve souvent les critiques négatives sur cette BD à côté de la plaque. La série est à appréhender dans sa globalité (ou du moins sur un échantillon de plusieurs tomes, une dizaine par exemple.) Forcément si vous lisez un seul tome centré sur une chasse au dragon, vous pouvez trouver ça creux. Et si vous tombez sur un tome bavard qui parle politique sans avoir lu aucun autre tome centré sur des guerrières et ce qu’elles doivent affronter régulièrement, vous risquez de rester perplexe. Donc même si les tomes sont indépendants, il faut en lire un certain nombre pour appréhender le monde imaginé par les auteurs. Heureusement il y a l’édition « intégrale » contenant 4 tomes chacun pour vous faire une idée à moitié prix.
Même endormi sous les glaces, le dragon représente une menace
De manière générale, les scénarios parviennent toujours à se renouveler et les dialogues bénéficient d’un grand soin, rendant les enjeux toujours captivants. Les questions politiques ou éthiques ne sont jamais abordées à la légère, et on se surprend à comprendre l’intérêt de certaines manipulations, faute de pouvoir réellement les approuver moralement. On se laisse emporter dans un univers complexe qui ne se résume pas aux destinés de quelques héros principaux mais à moult personnages ambigus devant faire des choix cornéliens et en payer le prix (les chevaliers mais aussi les rois, les conseillers, les espions, etc) La série est plus focalisée sur la nature humaine. Les dragons sont en quelque sorte un prétexte, une force de la nature redoutable qui ne peut coexister avec les humains, et qui les met face à des choix à faire pour la sauvegarde de leur espèce. Pour ma part j’ai dévoré 26 albums en 2 semaines (puis j’ai du attendre les sorties des derniers…) Certains albums sont des modèles de rythme et d’enjeux, parfaitement mis en scène et conclus en cinquante pages sans que ça paraisse trop long ou trop court, et on a même le temps d’apprécier des personnages qui ne font que passer.
La série aurait sans doute été meilleure avec une plus grande homogénéité graphique, mais le rythme de parution n’aurait pas été le même. Et nous sommes dans le cas d’une série qui tire sa force de sa quantité d’histoires et de portraits de personnages. Et cette affirmation vient de quelqu’un qui préfère les séries courtes. Mais là on est dans un cas où les ambitions des auteurs ne permettaient pas un développement dans une série courte. C’est long, mais c’est fait de la meilleure façon possible (selon moi) : des histoires qui se complémentent les unes les autres davantage qu’elles se suivent. Ce qui fait que lorsque vous estimez avoir un bon aperçu de l’univers, il vous est possible de vous arrêter sans être pris en otage par une interminable intrigue unique. La seule histoire incontournable si vous poursuivez la série au-delà du tome 16, c’est le dyptique des tomes 17 et 18 avec la fondation de l’empire d’Orient et de l’ordre des chevaliers dragons dissident. Pas mal de tomes ensuite font des références à ce bouleversement majeur.
A noter que le tome 27 pourrait sonner comme une fin. C’est le tome le plus avancé dans la chronologie (en tous cas sur les 28 que j’ai lus). Une érudite trouve un moyen de prédire l’apparition des dragons. Mais au final, pour préserver leur pouvoir et leur statut indispensable, l’ordre décide de faire disparaitre ses travaux et de la faire tuer. Cela montre à quel point le problème principal n’est plus les dragons mais la politique humaine.
Ce n’est pas si souvent qu’une BD d’heroic fantasy propose un univers inédit (comprendre : non-basé sur des romans d’autres auteurs) aussi réfléchi et éloigné des schémas narratifs classiques à la Tolkien. Ce que propose Ange avec cette série est très intéressant, faute d’être parfait.
La guerre des Sardes et la fondation du nouvel empire d’Orient, un tournant dans la série.