Le giallo – 3ème partie
Chroniques des films italiens faisant partie du genre « giallo »
Date de sortie des films : 1972 à 1982.
Genre : Thriller, horreur, policier.
1ère partie : Contexte de la naissance du giallo + 6 films de 1964 à 1971
2ème partie : 6 autres films de 1971 et 1972
3ème partie – Vous êtes ici : 6 autres films de 1972 à 1982 et conclusion
Niveaux d’appréciation :
– À goûter – À déguster – À savourer
Dans la seconde partie de ce dossier, nous avions majoritairement vu les films sortis durant l’année 1972, la plus prolifique du giallo. Nous n’en avons d’ailleurs pas encore terminé puisqu’il reste 2 bons gialli à chroniquer datant de cette année. Ensuite nous nous rapprocheront du déclin du genre dans la seconde moitié des années 70. Mais au milieu de films racoleurs jouant un peu trop sur l’érotisme et aux intrigues maladroites, Dario Argento et Lucio Fulci nous livreront encore de grands représentants du genre.
TOUTES LES COULEURS DU VICE (1972) de Sergio Martino
Le pitch : C’est l’histoire de Jane Harrison (la ravissante Edwige Fenech qui tournera plusieurs gialli avant de se cantonner à la comédie sexy), jeune femme traumatisée qui a récemment subi une fausse couche suite à un accident de voiture. Son compagnon Richard (George Hilton) ne semble pas croire à la psychanalyse et la pousse à se gaver d’antidépresseurs. Jane passe son temps à cauchemarder et se sent persécutée et poursuivie par un homme inquiétant aux yeux bleus perçants. Pour ne rien arranger, elle va rencontrer Mary, une voisine aux mœurs étranges qui va la convier à participer à des sortes d’orgies sataniques malsaines. Ou du moins c’est ce qu’on croit. Jane perd pied et ne sait plus si elle a rêvé tout cela ou si elle s’est réellement donnée à des hommes et femmes peinturlurés et déguisés. Son état empire. Et l’homme la poursuit toujours. La frontière entre le rêve et la réalité est de plus en plus floue.
Encore un titre mal traduit. C’est dommage car je trouve souvent les titres originaux des gialli poétiques ou mystérieux. Et là, le dernier mot vient tout gâcher pour faire dans le racolage suite au précédent film du réalisateur L’ETRANGE VICE DE MADAME WARDH. Le titre italien TUTTI I COLORI DEL BUIO signifie TOUTES LES COULEURS DE L’OBSCURITÉ. C’est pas plus classe, ça ?
En lisant le synopsis, on pourra penser à ROSEMARY’S BABY de Polanski. Mais seulement pour l’idée des rêves et des orgies sataniques. Pour le reste, il ne s’agit pas d’un film fantastique. Seulement d’un jeu de pistes et de faux semblants où se mêle cauchemar et réalité pour mieux dérouter le spectateur et nous faire comprendre la détresse d’une jeune femme victime d’une drôle de machination. C’est sur la forme que le film étonne le plus. Déjà le film débute par une séquence de rêve où se chevauche un accident de voiture, une femme enceinte, une vision de femme morte sur un lit, le tout dans un style psychédélique utilisant un effet de négatif ou des décors plongés dans l’obscurité avec du mobilier blanc. L’intérêt du film est de se perdre dans les rêveries de Jane et essayer de démêler le vrai du faux. D’ailleurs le final n’explique pas tout. Et je me suis surpris à revenir en arrière vérifier si c’était possible car le film omet volontairement certains repères temporels et spatiaux. La secte semble réelle, mais lorsque Jane ne retrouve pas sa voisine dont l’appartement est à présent occupé par une vieille dame, on se demande si elle n’a pas tout imaginé.
Se faire poursuivre par Ivan Rassimov jusque dans ses rêves, il y a de quoi flipper…
Cela contribue à nous faire penser que Jane est folle. L’ambiance irréelle et malsaine constitue la force du film. Une ambiance où se côtoient les codes habituels du giallo (les meurtres graphiques et ritualisés, le fétichisme, l’érotisme) et des éléments frôlant le fantastique (les disparitions inexpliquées, les attaques de l’homme aux yeux bleus, les rituels sataniques…) Il y a même un poil de gothique avec la demeure inquiétante où se déroule les messes noires des rêves de Jane (mais sont-ce vraiment des rêves ?)
Mais pas de panique, on est bien dans un giallo avec ses scènes sanglantes, son érotisme et son coupable de chair et de sang. Edwige Fenech n’est pas seulement une femme magnifique, elle est aussi convaincante dans le rôle de cette pauvre femme perdue qui croit devenir folle, à moitié consciente de ce qui lui arrive.
Bref, c’est un film étrange mais original dont la mise en scène est parfaitement raccord avec le thème de la confusion mentale. La musique signée Bruno Nicolai est envoutante, comme souvent avec ce compositeur qui était ami avec Ennio Morricone jusque dans le travail (ils ont même co-écrit ensemble des musiques.) C’est pourquoi on peut discerner des similitudes dans leur style.
LA DAME ROUGE TUA SEPT FOIS (1972) d’Emilio Miraglia
Le pitch : Kathy, Evelyne et Franziska Wildenbrück sont trois sœurs. Dans leur enfance, leur grand-père leur a raconté la légende familiale de la dame rouge et de la dame noire. Autrefois, une fille de la famille (la dame noire) aurait tué sa sœur (la dame rouge) de sept coups de poignard. Mais cette dernière serait alors revenue d’outre-tombe pour commettre sept meurtres, en terminant par la dame noire qui lui a donné la mort. On raconte que ce funeste destin se répète tous les 100 ans chez des filles de la famille. 14 ans plus tard, le grand-père meurt d’une crise cardiaque. Franziska, qui s’occupait de lui au château familial, rappelle alors sa sœur Kathy, devenue photographe de mode, pour l’enterrement. La 3ème sœur, Evelyne, reste introuvable. Peu de temps après, des meurtres sont commis dans le milieu professionnel de Kathy. Et celle-ci reçoit des menaces. Evelyne serait de retour et aurait commencé à tuer, drapée d’un manteau rouge. Il y a juste un petit problème : on apprend qu’Evelyne est morte depuis des mois. Alors qui commet ces meurtres en son nom ? Et pourquoi ?
Emilio Miraglia n’est pas très connu. Il n’a signé que deux films sous son vrai nom, celui-ci et L’APPEL DE LA CHAIR (moins réussi.)
L’originalité de ce film est qu’il lorgne fortement vers le conte gothique. Semblant s’inspirer du cinéma de Dario Argento avec ses idées de trauma infantile et ses personnages ambigus issus de la bourgeoisie, le film trouve pourtant sa propre voix avec ses décors baroques de la grande demeure familiale, la crypte lugubre du final ou les multiples apparitions fantomatiques de la dame rouge (lors de séquences oniriques, elle se superpose telle un spectre sur l’image de Kathy, ou se précipite encore vers la caméra armée d’un couteau.)
Le réalisateur s’amuse à brouiller les pistes et à flirter avec le fantastique. Mais seulement flirter, car nous sommes dans un giallo. Il peut arriver que les personnages aient des dons de voyance ou une perception troublée de la réalité (rêves, traumas) mais l’intrigue a toujours un coupable de chair et de sang et non un fantôme. C’est donc ainsi que nous découvrirons toute la vérité à la fin, et que l’explication des meurtres et de la machination orchestrée prendra racine dans un vieux secret de famille gardé sous silence par le grand-père.
Un giallo aux allures de conte gothique
Le film a son lot de scènes particulièrement gores, avec des meurtres impressionnants, notamment celui de l’épouse malade de l’amant de Kathy qui finit embrochée sur une grille de portail. L’érotisme n’est pas en reste non plus, même si on ne tombe pas encore dans la gratuité racoleuse qui sévira à la fin des années 70.
Les divers personnages qui gravitent autour de la pauvre Kathy (charmante Barbara Bouchet assez convaincante dans son rôle de victime, que l’on retrouvera chez Fulci dans LA LONGUE NUIT DE L’EXORCISME l’année suivante) deviennent tous suspects tant ils semblent cupides et opportunistes (Bah…ça se passe dans le milieu de la mode, que voulez-vous ?) Le milieu de la mode revient assez fréquemment dans le giallo d’ailleurs. Mais il faut avouer que ce monde d’apparats fabuleux et de beauté ostentatoire colle assez bien avec l’esthétisation du giallo qui sublime quelque chose de malsain dans le fond.
Et je suis obligé de mentionner la musique. Le compositeur Bruno Nicolai (qui avait déjà officié sur LA QUEUE DU SCORPION et le précédent film dont je parlais) nous livre cette fois un des thèmes lancinants les plus mémorables du giallo. Ce mélange de comptine fredonnée avec du clavecin et de l’orgue avec un léger rythme rock est simplement hypnotisant.
LES FRISSONS DE L’ANGOISSE (1975) de Dario Argento
L’introduction du film est plurielle : Une étrange scène de famille au son d’une comptine se conclue par un meurtre sous les yeux d’un enfant. Lors d’un colloque sur la parapsychologie, une médium ressent soudain la présence d’un assassin dans la salle. Peu après, le musicien Marc Daly, pianiste américain installé à Turin, aperçoit depuis la rue la parapsychologue ensanglantée, agonisant à sa fenêtre. Marc tente de sauver la jeune femme, mais il arrive trop tard. Déclaré témoin oculaire par la police, il décide de mener sa propre enquête, en gardant en tête un souvenir tenace : La vision d’un tableau sur les lieux du meurtre, qui aurait disparu…
Cette sensation de scènes superposées annonce la couleur : Celle d’un film à la structure complexe, entremêlant les ressorts de l’intrigue (le fameux « détail » dont le héros ne parvient pas à se souvenir clairement), les scènes oniriques (la caméra zigzague entre de minuscules jouets posés sur une table avant d’échouer sur l’arme du meurtre) et les mystérieuses images surgies du passé…
Le début du film rappelle furieusement celui de L’OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL, au point de sembler en être une sorte d’écho (tout comme il reprend les éléments du film BLOW UP de Michelangelo Antonioni, jusqu’à confier le rôle du héros au même acteur principal !), voire un remake, une version améliorée. Mais la suite va venir contredire cette sensation.
Souvent considéré comme le sommet du genre Giallo, LES FRISSONS DE L’ANGOISSE s’impose principalement, avec le recul, comme une déconstruction de tous ses codes. Il constituera d’ailleurs une sorte de chant du cygne, le genre périclitant à partir de là, comme si le film de Dario Argento avait mené ses déclinaisons à leur point de rupture.
Depuis L’OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL, le réalisateur italien s’est toujours évertué à s’imposer une contrainte différente pour chacun de ses films (comme le faisait Hitchcock). Le début de ce quatrième giallo avec son enquête qui rappelle le premier film est donc un McGuffin, puisque le script va, petit à petit, démonter l’un après l’autre tous les éléments mis en place dans les films précédents afin de briser les repères du spectateur, lequel ne sait plus à quel saint se vouer en s’apercevant que l’enquête échappe à son héros alors que le meutrier, d’une cruauté et d’une efficacité quasiment surnaturelle, a sans cesse une longueur d’avance. Ce dernier, si l’on voulait créer une image, pourrait ainsi être la baguette que tient le chef d’orchestre (Argento, bien sûr), tandis qu’il nous joue son opéra en nous menant, sinon à la baguette, à tout le moins par le bout du nez !
Cherchez la réf, elle est partout !
LES FRISSONS DE L’ANGOISSE se plait à citer moult sources et références : Antonioni pour le thriller italien, Visconti et Fellini pour l’âge d’or du cinéma transalpin (à travers l’actrice Clara Calamai pour le premier, et le scénariste Bernardino Zapponi pour le second), Hitchcock, bien sûr, avec l’affiche qui cite clairement celle de VERTIGO, mais aussi Fritz Lang, puisque c’est Argento qui est filmé avec les gants de l’assassin, comme le réalisateur allemand l’avait fait dans M LE MAUDIT. S’ensuivent maints récits d’horreurs de diverses époques (ce fameux pantin qu’on a souvent vu, notamment dans LA QUATRIÈME DIMENSION). Il convoque enfin la peinture avec Edward Hopper, dont il fait construire une réplique du bar de son tableau le plus célèbre : NIGHTHAWKS.
Au final, le film est l’ultime exercice baroque, une sorte d’œuvre d’art totale, mêlant cinéma, peinture, opéra et poésie (macabre, évidemment), dans le but de sublimer ses propres constituants.
Cet opéra morbide dessine au final un ensemble de thèmes et une esthétique baignée de couleurs saturées (et de rouge, comme le titre l’indique) qui, malgré toutes ses influences et une patine kitsch s’étant installée avec le temps, porte néanmoins la marque de son auteur. C’est d’ailleurs la première fois qu’il s’adjoint les services du groupe Goblin à la bande-son. Si cette dernière, qui cite à son tour le thème de L’EXORCISTE, est devenu un classique du cinéma d’horreur, elle achève de compléter le tableau d’un cinéaste alors au sommet de son art.
La fabuleuse Villa Scott, personnage à part entière du film !
Il nous faut encore citer la scène centrale du film, celle qui se déroule dans la vieille maison abandonnée (magnifique villa de style Art nouveau des bords de Turin qui suscite aujourd’hui un véritable pélerinage de la part des fans) dans laquelle se cache la clé du mystère. Ici encore, le réalisateur déstabilise son spectateur en lui réservant certaines des clés qu’il continue de cacher à son héros et inversement, personnage et spectateur s’enfonçant à tour de rôle dans les ténèbres de l’enquête. Argento s’y révèle un pur cinéaste de l’espace, parvenant à sublimer l’architecture et la botanique, probablement deux domaines qui le passionnent, au point que l’on puisse parfois penser que le film entier ait pu être un prétexte, au départ, afin de filmer cette incroyable propriété !
Lorsque j’étais enfant, il y avait tout un tas de maisons abandonnées comme celle-ci dans l’entourage de mon quartier, et l’on s’y faufilait avec les copains pour y piocher quelques sensations fortes… C’est dire comme ce passage m’a fait un très gros effet en me permettant de revivre ces souvenirs comme si j’y étais, ce qui n’est pas la moindre des qualités pour un cinéaste…
Citons pour finir la présence de l’actrice Macha Méril (égérie de la Nouvelle vague, encore une influence probable revendiquée par Argento), qui interprète la médium, ainsi que celle de Daria Nicolodi. Cette dernière, qui rencontre ici le cinéaste, deviendra son épouse et sa collaboratrice (et la mère de l’actrice Asia Argento) sur ses films suivants…
L’EMMURÉE VIVANTE (1977) de Lucio Fulci
Le pitch : Virginia est sujette à des visions. Lorsqu’elle était enfant, elle a vu sa mère se suicider alors qu’elle n’était pas sur les lieux du drame. 18 ans plus tard, alors qu’elle s’engage en voiture dans des tunnels à l’obscurité oppressante, elle est sujette à de nouvelles hallucinations lui montrant une vieille femme se faire agresser et emmurer vivante. Est-ce déjà arrivé, ou est-ce prémonitoire ? Toujours est-il qu’elle finit par reconnaître le lieu du crime dans la maison de campagne de son mari. Elle casse alors le mur qu’elle a vu en rêve et découvre un squelette. Une enquête vieille de plusieurs années va alors être rouverte lorsque le squelette est identifié comme celui d’une femme de 25 ans portée disparue. Hélas, ce n’est pas la femme que Virginia a vue. Son mari, qui était à l’étranger à la date estimée du crime, est tout de même mis en prison lorsqu’on découvre qu’il avait une liaison avec cette jeune femme. Mais qui est le véritable tueur ? Et pourquoi la vieille femme que Virginia a vu mourir semble encore vivante ? Il semblerait que sa vision ne se soit en réalité pas encore produite. Et qu’en ayant elle-même cassé ce mur, elle a mis en marche une succession d’évènements qui pourrait bien la mettre en danger, telle Cassandre condamnée à voir un avenir dans lequel elle a elle-même un rôle à jouer.
Excellente surprise que ce film ! On le sait, Lucio Fulci est doué pour les ambiances. Il est même plus doué pour les ambiances que pour le scénario. Mais ce film est tout bonnement excellent, tant au niveau de son ambiance que de son histoire. Réduire Fulci à ses films de zombies est une terrible erreur tant ses thrillers sont intéressants.
L’enquête de L’EMMUREE VIVANTE peut sembler confuse au départ, Virginia se reposant sur des éléments de sa vision en essayant d’innocenter son mari auprès de la police sans avoir de preuves. Les indices qu’elle va trouver vont toutefois contribuer à tisser lentement la toile que compose sa vision, donnant l’impression au spectateur qu’elle va elle-même causer la perte de la femme de son rêve, et renforçant l’idée inquiétante d’un destin inévitable.
Le film a quelques similitudes avec LE VENIN DE LA PEUR avec son héroïne sujette à des visions, mais ici le film devient beaucoup plus policier.
Une femme à la recherche des images de son rêve, à la frontière de la paranoïa
Fulci joue sur la perception et les souvenirs, les tours que peuvent jouer la mémoire, comme l’ont fait un peu d’autres réalisateurs avant lui mais cette fois l’idée est poussée à l’extrême. Le film est oppressant. Le lieu du crime qui n’existe que dans la tête de Virginia va pourtant prendre forme et donner l’impression au spectateur que plus elle approche de la vérité, plus le danger est grand. Le tueur de l’époque est alerté par la réouverture de l’enquête et se rapproche.
La mise en scène est soignée, avec ces plans filmés au travers d’une fissure du mur de briques, les zooms sur les yeux de Virginia ou sur les objets de sa vision qu’elle reconnait, ces moments de pause calmes avant une soudaine réalisation effrayante, etc. On pourrait craindre que ce soit des effets de style gratuits et que la fin soit décevante, mais le final est au contraire astucieux et conclue très bien ce film qui nous fait partager l’angoisse de son héroïne.
C’est un film très réussi encore rehaussé par l’inquiétante musique de Fabio Frizi (dont le thème a été repris par Tarantino dans KILL BILL.)
IL GATTO DAGLI OCCHI DI GIADA (1977) de Antonio Bido
Le pitch : Mara, une artiste de cabaret se rend un soir dans une pharmacie. Mais une personne cachée derrière la porte l’empêche de rentrer, prétextant que c’est fermé. Mara l’ignore encore mais elle vient de parler à un assassin, celui du pharmacien Biagio Dezzan. Devenue témoin involontaire d’un meurtre (bien qu’elle n’ait finalement rien vu), elle va s’apercevoir que quelqu’un la traque. Mis au courant de la situation, son ami Lukas, ingénieur du son, va se transformer en détective privé pour mener sa propre enquête, parallèlement à celle d’une police étrangement absente (un poncif du giallo.) Peu de temps après, le cadavre d’une femme est retrouvé le visage horriblement brûlé. Elle s’appelait Esmeralda Messori. Au cours de ses investigations, Lukas se rend compte qu’un point commun relie les deux victimes : elles furent voici quinze ans jurés lors d’un procès où un certain Pasquale Ferrante fut condamné pour meurtre. Pasquale, récemment échappé, serait-il l’assassin ? Ou serait-ce trop simple ?
Ce giallo connu aussi sous les titres WATCH ME WHEN I KILL ou THE CAT’S VICTIM qui n’a pas de titre français ni de VF car jamais sorti chez nous à ma connaissance (sauf dans un blu-ray récent qui utilise le titre italien) nous propose quelque chose d’un peu différent. Sorti tardivement en 1977 alors que le giallo était sur le déclin (voire mort), ce film essaie de renouer avec les débuts du genre. Contrairement aux gialli du pauvre de la fin des années 70 qui ressemblaient de plus en plus à des films érotiques mal fichus, cette fois-ci ce ne sont pas des jeunes femmes les victimes mais des gens des deux sexes, et pas franchement jeunes.
Antonio Bido, fan du cinéma de Argento, s’inspire des premiers gialli à succès pour nous présenter une intrigue solide qui ne repose pas cette fois-ci sur un trauma d’enfance ou une déviance sexuelle poussant le tueur à frapper, mais sur une raison bien plus tragique que je me garderai de révéler. En tous cas, la motivation du tueur est parmi les plus crédibles de tous les gialli.
On a pu reprocher à Antonio Bido de trop insérer des séquences « à la Argento » dans ses films, mais selon moi c’est davantage visible dans son sympathique mais imparfait second film TERREUR SUR LA LAGUNE (SOLAMENTE NERO) qui multiplie les références de manière peu subtile. Ce premier film par contre utilise les codes du giallo de façon maligne et efficace et nous tient en haleine jusqu’au bout concernant les motivations du tueur et ce qui peut lier les victimes entre elles.
Un héros qui use de ses talents d’ingénieur du son pour enquêter, comme le fera plus tard le protagoniste de BLOW OUT de Brian de Palma
Le film est découpé en deux parties distinctes. La première se déroule à Rome et reste assez classique, et la seconde à Padoue. C’est la seconde partie la plus réussie, la plus prenante et mystérieuse. Celle qui met un peu mal à l’aise avec ses rues curieusement désertes et ses personnages étranges.
Ce qui pourra décevoir (à tort) c’est que Antonio Bido ne s’intéresse pas vraiment à deux aspects spectaculaires du giallo : l’érotisme et le gore. Le film reste violent avec une femme qui finit la tête dans un four ou un homme étranglé dans sa baignoire, mais le réalisateur ne cherche pas à styliser les meurtres et le sang ne coule pas beaucoup. Cependant, le scénario captivant compense l’abandon d’une partie des codes du genre. Et en 1977, après moult gialli coquins, c’était un choix judicieux. La mise en scène reste indéniablement celle d’un giallo avec ses plans en vue subjective, son suspense, ses scènes nocturnes inquiétantes et son mystère qui nous emmène dans le passé afin d’en trouver la clé.
Le titre, un peu comme L’OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL, fait référence à un élément quasi anecdotique présent sur une photographie. Mais c’est une marotte du giallo d’imaginer des titres mystérieux à partir d’un élément anodin. En résumé, un film prenant et bien écrit qui renoue avec les débuts du genre.
TÉNÈBRES (1982) de Dario Argento
Le pitch : Peter Neal, célèbre écrivain de romans policiers américain, arrive à Rome afin de promouvoir son dernier livre : TÉNÈBRES. Au même moment, une jeune femme est sauvagement assassinée, des pages de TÉNÈBRES enfoncées dans la gorge, tandis que Peter reçoit une lettre du tueur, qui se dit inspiré par ses romans. Ce n’est, évidemment, que le premier meurtre d’une longue série qui commence…
Le maître Argento réalise TÉNÈBRES à la suite du dyptique des sorcières SUSPIRIA (1977) et INFERNO (1980). Après une période ouvertement tournée vers le fantastique, il s’agit donc d’un retour au thriller pour ce qui constitue sa cinquième incursion dans le giallo, sept ans après LES FRISSONS DE L’ANGOISSE.
Bénéficiant à nouveau d’un casting internationnal solide (Anthony Franciosa et John Saxon pour les USA, Giulliano Gemma pour l’Italie), Argento réalise ici la somme de ses films précédents avec beaucoup de maîtrise, tout en levant le curseur du début à la fin sur les effets choc. Ainsi, les meurtres sont encore plus sanglants et les belles femmes encore plus dénudées. Quant à l’intrigue, plus complexe que jamais, elle réserve un dénouement sur l’identité du tueur plus surprenant encore. Ou quand on est passé maître dans l’art de manipuler le spectateur, avec son consentement bien entendu.
Toujours un peu plus loin dans la violence et l’érotisme…
Argento accentue également le volet naturaliste de son approche. Contrairement à SUSPIRIA et INFERNO, où les décors étaient baroques, irréels et fantomatiques, il utilise ici des décors naturels, filmés la plupart du temps en plein jour et souvent en extérieur, privilégiant les murs blancs et les espaces citadins naturels dont l’apect minéral et parfois métallique rehausse le contraste avec les effusions de sang.
Une fois encore, le réalisateur s’impose comme un metteur en espace de premier ordre, qui sait filmer les maisons hors-norme (ici la somptueuse villa moderne du journaliste, toute en baies vitrées et jardin arty). Et puis il y a cette séquence, complètement gratuite mais magnifique du meurtre des deux lesbiennes, où la caméra viverevolte autour du bâtiment, épousant les textures froides et impénétrables de l’architecture, avant de pénétrer la chair de ses victimes…
La film n’a semble-t-il pas fait l’unanimité, notamment à cause de son dénouement, particulièrement déconstruit et tarabiscoté. Mais l’exercice de style demeure virtuose et l’idée forte était avant tout de surprendre le spectateur rompu au giallo, en repoussant toujours plus loin les codes et les limites du genre. De toute manière, il est probable que nous tenons-là le dernier bon film de Dario Argento…
Travelling à la grue sous la musique des membres rescapés du groupe Goblin, qui négocient leur virage 80’s.
Ce dossier s’achève ici. Il existe encore bien d’autres gialli, de plus ou moins bonne qualité (le genre ayant eu son lot de navets racoleurs également.) Et parmi eux, on trouve aussi de « faux gialli » lorgnant davantage vers le thriller de manipulation (PHOTOS INTERDITES D’UNE BOURGEOISE, LA VICTIME DESIGNEE), le proto-slasher (TORSO) ou le film d’horreur plus classique (TON VICE EST UNE CHAMBRE CLOSE DONT MOI SEUL AI LA CLE, LA MAISON AUX FENETRES QUI RIENT), et c’est pourquoi ils n’ont pas été chroniqués ici. Si besoin un autre article verra le jour pour couvrir des films italiens issus de genres comme le poliziottesco (le néo-polar), le thriller de manipulation ou le film d’horreur.
Des films intéressants lorgnant parfois plus vers la manipulation (avec meurtre unique ou même aucun) ou l’horreur, rendant leur classification dans le giallo plus arbitraire.
CONCLUSION
Finalement que retenir de ce genre cinématographique ?
– La composante whodunit, le genre littéraire et cinématographique à la Agatha Christie où l’identité du tueur est révélé à la fin après moult indices disséminés le long du récit.
– Le feeling Hitchcock. Aucun réalisateur de giallo n’a jamais caché son admiration pour Alfred Hitchcock et donc beaucoup empruntent des éléments aux films les plus sombres de Hitchcock, tels PSYCHOSE, SUEURS FROIDES ou même FRENZY.
– L’atmosphère horrifique visible à travers une mise en avant des décors inquiétants ou des plans en vue subjective. Le giallo est un genre très visuel abordant des thématiques assez dures : crimes crapuleux, histoires sordides de viol, de détournement de mineures, et mêmes des sujets propres à l’Italie comme la présence (et corruption) très forte de l’Eglise. Autant d’éléments vus comme du racolage et de la provocation à l’époque, mais rapprochant finalement le genre du giallo au plus près de la réalité, aussi sordide soit-elle.
– La période des années 70 (et dans un contexte européen, éloigné des USA.) Si ces films étaient contemporains en leur temps, aujourd’hui ils gagnent une atmosphère « films d’époque authentique » avec des villes comme Venise qui ne ressemblent plus à ça aujourd’hui. De plus, il n’y avait pas de téléphones portables ou traçage ADN, ce qui rend les intrigues policières forcément différentes des films actuels.
– La musique. Ennio Morricone, Bruno Nicolai, Fabio Frizzi et autres compositeurs ont créé des bandes sons très particulières, très éloignées des musiques d’ambiance habituelles de films policiers. Il en résulte des ambiances toujours très étranges et dépaysantes. Surréalistes.
On a constaté également que malgré les codes du genre qui ont été définis majoritairement par Mario Bava, chaque réalisateur les a détournés quelque peu pour ajouter des éléments bien à eux. On retrouve souvent le gore, l’érotisme, le tueur à l’arme blanche, le point de vue des victimes (la police ne sert à rien), mais certains réalisateurs délaissent le baroque coloré de Bava pour des cadrages symboliques (Argento, Fulci), ou jouent avec la réalité en utilisant des visions oniriques cauchemardesques (Martino, Miraglia) tout en lorgnant parfois à nouveau vers le film gothique. Juste retour des choses puisque Riccardo Freda et Mario Bava faisaient du gothique qui commençait à lorgner vers le giallo baroque avant l’heure (avec L’EFFROYABLE SECRET DU DR HICHCOCK en 1962, LES 3 VISAGES DE LA PEUR en 1963.)
Affiche hommage personnelle