BATMAN – GOTHIC
Chronique du one shot : BATMAN – GOTHIC
Date de publication : 1990
119 pages
Auteurs : Grant Morrison (scénario) & Klaus Janson (dessin)
Genre : Super-héros, polar, thriller
Éditeur : Urban Comics
Longtemps inédit en VF, il fallait aller chercher la VO…
Avant d’être présentée sous forme de graphic-novel, cette histoire était en fait un arc narratif de la série LEGEND OF THE DARK KNIGHT (épisodes #6 à 10), une série publiée à l’époque pour offrir aux lecteurs des récits autonomes et relativement matures, focalisés sur les débuts de la carrière du justicier en costume de chauve-souris, et publiés dans la foulée et dans l’esprit du mythique et séminal YEAR ONE de Frank Miller et David Mazzucchelli.
En VF la chose a été publiée dans la collection GRANT MORRISON PRÉSENTE BATMAN, dans un album à part, intitulé TOME 0 – GOTHIC. Traduction de l’ami Alex Nikolavitch.
Un dessin pas forcément séduisant, mais quand même sacrément chiadé !
Le pitch :À Gotham City, un mystérieux et terrifiant serial killer répondant au pseudonyme de Mr Murmure, s’en prend exclusivement aux caïds de la pègre. Totalement désemparés, les mafieux prennent une décision improbable : Demander l’aide du justicier de la ville, Batman en personne !
Notre enquêteur particulier va alors découvrir que l’existence de Mr Murmure est étroitement liée au passé de Gotham City, et par extension à l’un de ses propres traumatismes, remontant à son enfance…
Première chose à savoir : GOTHIC est l’œuvre, en 1990, du scénariste Grant Morrison, alors encore débutant mais déjà remarqué pour le désormais culte et incontournable BATMAN : ARKHAM ASYLUM, qu’il a imaginé l’année précédente. Une création marquante et profondément originale qui l’a immédiatement propulsé dans le peloton de tête de la scène britannique (lui est écossais), venue aux USA pour dynamiter le comic book super-héroïque en le hissant dans une sphère beaucoup plus adulte et créative que ce que nous pondait alors le tout-venant autochtone, si l’on veut bien évidemment excepter les Frank Miller et autres Steve Gerber, déjà à l’assaut de la palissade du Comics Code Authority, grand pourvoyeur de comics avec des slips par-dessus le pantalon qui ne se voudraient pas infantilisants…
Deuxième précision : GOTHIC prend le chemin inverse du best-seller mettant en scène Batman au cœur de l’asile d’Arkham. Artistiquement, déjà, Morrison décide de ne pas goûter aux mêmes bizarreries. Alors qu’il s’était adjoint les services du graphiste Dave McKean sur le précédent, il utilise ici ceux de Klaus Janson, dessinateur au style beaucoup plus classique, par ailleurs habitué au métier d’encreur (BATMAN : THE DARK KNIGHT RETURNS, comme par hasard…). Là ou Mc Kean expérimentait diverses techniques de peinture, de photographie et de collage, accouchant d’une hallucinante (et splendide) atmosphère baroque, expressionniste et inédite, Janson opte pour un style assez basique, peu esthétique, davantage dans l’esprit du label Vertigo de l’époque (HELLBLAZER, par exemple) que des super-héros en costume moulant flashy et muscles saillants. Cette note d’intention picturale n’est pas innocente, tant et si bien qu’elle colle parfaitement au récit concocté par le scénariste.
Un expressionnisme quasiment monochrome.
J’ai lu, à propos de cette œuvre, des critiques peu élogieuses que je ne partage pas du tout. Il est vrai que les planches de Janson sont fort peu « jolies ». L’encrage est brutal et les formes paraissent comme découpées à la serpe. La mise en couleur, au premier coup d’œil, est également d’une simplicité et d’une austérité glaçante. Les lecteurs n’auraient-ils pas compris que c’est parfaitement voulu ? Car il s’agit-là d’un parti-pris afin de lier le fond à la forme.
Réfléchissons un peu : le scénario de Morrison aurait-il pu coller à un style différent ? Cette histoire de tueur démoniaque et immortel revenu après des années pour décimer la pègre de Gotham City aurait-elle été plus crédible avec les jolis dessins de Jim Lee ou Marc Silvestri (pour citer les stars montantes de l’époque) ?
Il paraît évident, une fois ce constat établi, que Morrison a décidé d’éclairer la figure du Dark Knight d’une manière différente, radicalement opposée à celle qu’il avait choisie sur son récit précédent. Ainsi, aucun super-vilain en costume ne hante les pages de GOTHIC. Batman affronte avant tout des hommes, des gangsters et finit par se mesurer à une force surnaturelle rappelant plus les récits de Lovecraft ou d’Edgar Poe (dont certains extraits de poème sont cités) que les sempiternelles luttes manichéennes propres aux comics de super-héros. Après une création artistique intense, le scénariste revient à quelque chose de beaucoup plus classique.
Batman dans la Chambre des Tortures !
Le résultat est une réussite. GOTHIC déroule une intrigue solide, un polar bien noir mâtiné de surnaturel qui dégage un vénéneux parfum de ténèbres. Le scénario est limpide et linéaire (ce qui ne court pas les ruelles habituellement fréquentées par notre glabre écossais de scénariste), mais admirablement construit autour d’un envoûtant mystère. La toile de fond est également l’occasion de sonder le passé et l’enfance de Batman, autant que l’architecture de Gotham City, dont la cathédrale (gothique bien sûr ! qu’allez-vous imaginer ?) sera le théâtre d’un affrontement final impressionnant mais aussi le moyen, à travers les réminiscences liées au méchant de service (coupable d’un pacte faustien dans la grande tradition du genre), d’une mise en abime assez maline opérée autour du titre choisi. Car le vilain aura été à l’origine de la construction de la grande cathédrale de Gotham city, une architecture qu’il aura ramenée de la vieille Europe, comme si le sombre passé du vieux continent avait finalement contaminé le nouveau…
Clairement un récit qui supporte plusieurs relectures, dont les multiples couches en toile de fond viendront à coup sûr en nourrir la richesse.
Un Batman comme je les aime, solitaire, mystérieux, sombre et expéditif, qui n’a pas besoin de sidekick et encore moins d’une famille chauve-souris pour exister, mais qui fait en revanche de sa ville (Gotham) un personnage à part entière, lequel se pare ici de son costume sombre de circonstance…
D’un point de vue référentiel, j’ai carrément eu l’impression que Morrison lorgnait sur l’ambiance (gothique ! m’enfin…) des films de Roger Corman réalisés dans les années 6O, avec le grand Vincent Price. La plus-part des films de cette « série » furent des adaptations des écrits d’Edgar Alan Poe, comme par exemple LA CHAMBRE DES TORTURES, dont la scène principale (une scène de torture, évidemment…), très iconique et surannée, préfigure celle du présent comicbook. Ce point précis renforce l’ambiance particulière de BATMAN GOTHIC, à la fois rétro et ténébreuse, mâtinée de références en matière d’art gothique (dans la préface de l’album, le romancier F. Paul Wilson, auteur de la célèbre FORTERESSE NOIRE -adaptée au cinéma par Michael Mann-, note même des références explicites à M LE MAUDIT de Fritz Lang (1932) et LES DIABLES de Ken Russel (1971)) …
Pris d’un point de vue conceptuel, GOTHIC est une perle dans la bibliographie batmanienne et figure d’ailleurs en bonne place dans le panthéon des graphic-novels les plus estimables dédiés au personnage du Caped crusader. Deuxième essai réussi pour Grant Morrison, dont l’œuvre est désormais fortement liée à la mythologie de Gotham City (pour le meilleur et pour le pire), et la preuve qu’un comic-book n’est pas juste un défilé d’images jolies, mais avant tout une HISTOIRE, dont le but est d’être racontée de la meilleure manière qui soit…
Entre Edgar A. Poe et H. P. Lovecraft : Le gothique, c’est tout un état
d’esprit !
That’s all folks !!!
Tu me donnes envie de la relire.