
* MUPPETS FANTASY *
Chronique du film : DARK CRYSTAL
Date de sortie : 1982
Durée : 88 minutes
Réalisation : Jim Henson & Frank Oz
Genre : Fantasy

Le pitch : Dans un autre monde et un autre temps, un gigantesque cristal accumule la lumière des trois soleils et peut ainsi générer une force de vie dont s’abreuvent les êtres qui vivent à son contact.
Un château est bâti autour de ce cristal et une race évoluée veille sur son pouvoir. Mais un jour, le cristal est en partie brisé à l’occasion de la “grande conjonction” (la réunion des trois soleils), qui a lieu tous les milles ans. Les êtres qui veillaient sur lui sont alors éclatés en deux races opposées : Les Mystiques, bons et sages, et les Skeksès, méchants et avides de pouvoir.
Mille ans plus tard, une nouvelle “grande conjonction” se prépare. Une prophétie annonce qu’un Gelfling, sorte de petit elfe élevé par les Mystiques, anéantira le règne des Skeksès, qui ne sont à présent plus que dix, de même que les Mystiques.
Bien malgré lui, Jen, le dernier Gelfling sensé être encore en vie, part alors en quête de l’éclat du cristal, qui doit absolument être remis en place, afin de restituer l’ordre des choses dans un monde à présent dominé par le chaos…
La bande annonce.
DARK CRYSTAL est un film d’heroic fantasy réalisé en 1982 par Jim Henson & Frank Oz.
Il s’agissait à l’époque d’un projet très original car tous les personnages du récit sont interprétés par… des marionnettes !
Jim Henson était d’ailleurs le créateur du MUPPET SHOW et de SESAME STREET (entre autres), et ce film constitue l’aboutissement de son œuvre.
Frank Oz était lui-même le collaborateur de Jim Henson sur toutes ces créations, mais il avait aussi, un an plus tôt, créé, animé et interprété le personnage de Maitre Yoda dans le film STAR WARS ÉPISODE 5 : L’EMPIRE CONTRE ATTAQUE !
Le concepteur visuel du film demeure néanmoins Brian Froud, un illustrateur anglais spécialisé dans les univers de la fantasy et des contes celtiques…

Les magnifiques dessins préliminaires de Brian Froud.
Superbe fable sur le pouvoir, DARK CRYSTAL s’est imposé avec le temps comme l’un des plus beaux films d’heroic fantasy de l’histoire du cinéma.
Si vous vous souvenez bien, le genre était alors à la mode puisque, en seulement quelques années, l’industrie hollywoodienne nous avait offert une première version du SEIGNEUR DES ANNEAUX (un dessin animé réalisé en 1978 par Ralph Bakshi), ainsi que le film EXCALIBUR en 1981. La mode se poursuivra l’année suivante avec CONAN LE BARBARE et s’achèvera plus ou moins en 1985 avec le LEGEND de Ridley Scott, en passant par des productions moins flamboyantes telles LE DRAGON DU LAC DE FEU (Matthew Robbins, 1981), KRULL (Peter Yates, 1983), ou encore LADYHAWKE, LA FEMME DE LA NUIT (Richard Donner, 1985).
Néanmoins, étant donné que la conception de notre “film de marionnettes” s’est étendue sur cinq ans (ce qui ramène le début de sa mise en chantier en 1977), on peut considérer qu’il est l’un des premiers de son genre.
Pour autant, le film de Jim Henson & Frank Oz se démarque de la concurrence dans le fond comme dans la forme.
Entièrement conçu à partir de marionnettes et de décors artificiels, le spectacle imaginé au départ par Jim Henson offre une imagerie qui peut réellement prétendre à du jamais vu, illustrant parfaitement le principe de la “fantasy”, où le monde dans lequel se déroule le récit n’est pas comme le notre. Ainsi, quasiment aucun être vivant, qu’il soit animal ou végétal, ne trouve un référent dans notre réalité connue. Mis à part les Gelfling qui ressemblent à des elfes, toutes les créatures du film sont uniques en leur genre. Infiniment complexes et élaborées, animées par toute une batterie de câbles et une armée d’animateurs, les marionnettes du film sont restées les plus sophistiquées jamais conçues à ce jour.

Ces êtres étranges ne sont pas de chez nous…
De son côté, Brian Froud avait pris soin d’imaginer des êtres fantastiques et s’amusait à combiner les différents animaux et autres créatures mythologiques, les Skeksès apparaissant par exemple comme un parfait mélange de rapace, de reptile et de dragon !
Les scènes d’anthologie sont d’ailleurs réservées au volet de l’émerveillement que suscitent toutes ces créations animées. Ainsi, chaque lieu traversé par le héros (bientôt rejoint par une héroïne !) est l’occasion de dévoiler une imagination sans limite où le règne animal se confond avec le règne végétal, certaines créatures appartenant aussi bien à l’un qu’à l’autre ! La scène du marécage est peut-être la plus phénoménale, où des myriades de petites créatures pullulent dans chaque coin, où les fleurs s’animent, s’envolent, où un énorme rocher s’avère être une plante carnivore, et où la moindre aspérité réagit par le son et le mouvement !
Hormis une poignée de plans larges dans lesquels des acteurs évoluent déguisés, chaque apparition d’une créature, qu’elle soit de premier plan ou de simple passage, ne nous montre jamais autre chose qu’une marionnette. Des marionnettes animées comme un jeu d’acteur, les animateurs en question interprétant d’ailleurs la voix de leurs personnages en post-production ! Ainsi, des Skeksès aux Mystiques, des Gelflings aux Garthims, des Echassiers du vent aux Podlings, en passant par la sorcière Aughra ou le chien Fizzgig, c’est une galerie de personnages totalement inédits qui évolue sous nos yeux !

Les skeksès ! Un caractère bien trempé et beaucoup de méchanceté !
Ajoutez à cela le score dense de Trevor Jones (qui avait conçu la BO d’EXCALIBUR l’année précédente !), quelques magnifiques peintures sur verre montrant de splendides étendues sauvages et le spectacle est total.
Pour l’essentiel, DARK CRYSTAL, c’est une atmosphère aussi bizarre que fascinante, mêlée d’un étrange malaise dans la mesure où aucun être ne nous ressemble, un peu comme si nous étions soudain propulsés dans un cauchemar où l’on ne reconnaitrait plus du tout notre monde et ses repères.
C’est donc une totale expérience cinématographique, libérée de toute contrainte dogmatique, une rare tentative d’aborder la fantasy dans son illustration la plus pure, où tout est question d’inconnu et d’imaginaire…

Les magnifiques peintures sur verre de DARK CRYSTAL ! Sur le haut-plateau : La marche des Mystiques !
Dans le fond, le script s’avère également bien plus profond et riche qu’il n’y parait au premier abord.
Ainsi, si le résumé placé en début d’article laisse imaginer une fable manichéenne à la trame simpliste, le postulat est évacué lors d’un final époustouflant où, de manière inattendue, les cartes sont redistribuées de façon à ce que ce manichéisme de surface soit soudain supplanté par une parabole, gorgée d’émotion, sur l’humanité et la soif de pouvoir. Comme si, depuis l’aube des temps civilisés, la séparation entre le bien et le mal était apparue, au sein de l’humanité, dans une course à la civilisation intrinsèquement liée à celle du pouvoir !
Dès lors, il n’est plus question de méchants ou de gentils, mais d’une nature humaine complexe, comportant éternellement les germes de ces deux notions antagoniques au cœur d’une même matrice : l’âme de chaque être évolué !
Dans DARK CRYSTAL, le chaos est survenu dès lors que la communauté évoluée veillant sur le Cristal a décidé d’accéder à l’autonomie, au libre-arbitre, au savoir, et au pouvoir. En définitive, à la civilisation…
De là est née la distinction entre le bien et le mal. Mais toute l’astuce du scénario développé par David Odell (d’après une histoire originale de Jim Henson lui-même) réside dans l’idée que les Mystiques et les Skeksès sont en définitive une seule et même communauté et, par extension, une seule et unique créature évoluée…

Un sacré bestiaire.
Mais le film ne serait pas parfait pour autant si Henson, Oz et leurs collaborateurs avaient oublié que les paraboles philosophiques ne sont jamais mieux véhiculées que par la comédie humaine. Et c’est ainsi que DARK CRYSTAL est un film plein d’humour, évidemment transcendé par l’interprétation des marionnettes qui, tels nos primates bien aimés, singent nos expressions avec une sorte de maladresse qui les rend drôles par essence !
À ce titre, la joyeuse séquence du “banquet des Skeksès”, dans laquelle les despotiques créatures jouissent de leur position dominante avec une méchanceté matoise perpétuellement sujette à délectation, est un hallucinant morceau de bravoure à l’énergie communicative, qui appelle avec génie toute la méchanceté qui dort en nous, finissant presque par nous la faire aimer ! Et l’on aurait presque envie de se joindre à la fête, tant il semble plaisant de s’empiffrer en écrasant diverses petites bébêtes, comme des enfants dissipés réunis dans une cantine en toute liberté ! Nous nous souvenons ainsi à quel point notre enfance était teintée de cette méchanceté, élément naturel de notre espèce prétendument évoluée, que nous ne cessons d’exorciser en pénétrant dans la phase adulte ! C’est ce dernier volet, celui de la comédie humaine, qui nous hisse finalement le film de Jim Henson & Frank Oz dans la sphère des joyaux du 7° art. Et même s’il a désormais vieilli, le spectacle demeure délicieux pour qui la notion de “film ancien” n’est pas systématiquement synonyme de vieillerie obsolète…

Le banquet des Skeksès : La méchanceté jouissive à l’état pur !
Jim Henson, Frank Oz, Brian Froud. DARK CRYSTAL est donc le fruit d’une collaboration fructueuse entre plusieurs artistes brillants. Pourtant, l’un d’eux manque encore à l’appel : Il s’agit de Gary Kurtz, le producteur.
En 1977, Mr Kurtz avait produit un modeste film de science-fiction (en réalité, un space-opéra mâtiné de fantasy) dont personne ne voulait entendre parler : STAR WARS. En 1980, ce même producteur avait chapeauté la suite, intitulée L’EMPIRE CONTRE ATTAQUE. Hélas, George Lucas, créateur de la saga des étoiles, ne voulut plus de lui à l’issue de ce second film…
Tout le monde sait que Lucas, harassé par le tournage du premier STAR WARS, avait passé la main à Irvin Kershner pour la réalisation de la suite. Le tournage s’étant essentiellement déroulé à Londres sous la houlette de Kurtz et Kershner, le film avait alors pas mal échappé à Lucas, qui détesta cordialement le résultat et se disputa ainsi avec son producteur… Peu importait alors au père George que L’EMPIRE CONTRE ATTAQUE (co-écrit par Laurence Kasdan et Leigh Brackett) soit le meilleur film de la saga. Il n’était pas comme il le voulait et fit ainsi le nécessaire afin que le troisième volet, LE RETOUR DU JEDI, soit plus conforme à ses aspirations.

À gauche : l’une des créatures les plus poétiques de notre film : Les échassiers du vent !
C’est à ce moment que Gary Kurtz se consacra au projet DARK CRYSTAL.
Lorsque l’on sait tout cela, on songe alors à quel point les productions de Gary Kurtz comportent des similitudes. Ayant revu le film de Henson & Oz à l’occasion de cet article, je suis d’ailleurs resté sur le fondement en constatant le nombre de points communs, voire de scènes reprises, quasiment plan par plan, d’après les deux premiers STAR WARS ! Certains plans de DARK CRYSTAL seront même repompés à l’occasion du RETOUR DU JEDI (pourtant sans Kurtz), comme celui où le méchant Skeksès tombe dans le puits du Crystal, décalqué avec la chute de l’Empereur Palpatine !
Ce constat nous permet de revoir la personnalité artistique de Gary Kurtz à la hausse. Et d’imaginer que la suite de la saga STAR WARS aurait été bien différente (et sûrement meilleure) s’il était resté à bord du projet. J’ai d’ailleurs lu un entretien avec le bonhomme où il précisait que le script de RETOUR DU JEDI, selon ce qu’il avait prévu au départ, devait être différent : Han Solo devait mourir à la fin. Luke et Leïa n’étaient pas sensés être frère et sœur (j’ai toujours trouvé cette idée tirée par les cheveux). Et le film devait se terminer au moment où Luke, après la mort de Vador, partait à la recherche de “l’autre” dont parlait Yoda, et qui devait se révéler, s’il y avait eu une suite, une sœur jumelle encore inconnue (et donc pas Leïa)…
Qu’est-ce à dire ? La réussite des deux premiers STAR WARS serait-elle liée à la personnalité du producteur Gary Kurtz ? On peut en tout cas imaginer qu’il n’y fut pas étranger ! Et, comme pour corroborer cette hypothèse, notons que DARK CRYSTAL, l’œuvre la plus aboutie de la carrière de Jim Henson et chef d’œuvre aujourd’hui passé à la postérité, peut être facilement comparée à LABYRINTH, l’autre film de fantasy réalisé par Henson, assez médiocre, et produit par… George Lucas !

L’art de Brian Froud, ou la preuve qu’il est bien le concepteur visuel de la saga !
Puisque nous sommes sur C.A.P et que nous nous intéressons à toutes les formes d’art populaire, nous terminerons cet article par la novélisation du film sous forme de bande-dessinée. Effectivement, même pas un an après le tournage de DARK CRYSTAL, l’éditeur Marvel, toujours friand des adaptations sous forme de comic-book, publiait un « graphic novel », une bande dessinée de 48 pages réalisée par le scénariste David Anthony Kraft et le dessinateur Bret Blevins, bien aidé par l’encrage de Vince Coletta et surtout la superbe mise en couleur de Rick Bryant & Richard Howell.
Dans la forme, cette adaptation est plutôt littérale et n’apporte pas grand chose à ceux qui ont vu le film. Toutefois, la narration séquentielle permettant un flot conséquent d’explications écrites (entre les phylactères, les bulles de pensée et les cartouches de texte, il y a de quoi faire !), le lecteur peut profiter d’un certains nombres d’informations qui n’apparaissent pas dans le long métrage, tels les noms de chaque Skeksès, ou encore d’autres points de précisions relatifs à la quête du Cristal et des divers lieux visités par les héros.
Pour le reste, la mise en scène est véritablement bâclée et se repose entièrement sur toutes ces indications écrites, sans dérouler autre chose qu’une série de vignettes consensuelles au découpage paresseux et linéaire.
Au niveau du dessin, Brett Blevins assure le minimum syndical, tandis que l’encrage de Vince Coletta vient offrir au résultat final un peu de relief. Mais c’est surtout la mise en couleur qui vient apporter l’essentiel de la qualité picturale, pour un résultat, d’un point de vue chromatique, largement supérieur à la production des comics mainstream de l’époque, où la colorisation se faisait encore sur la simple base de quelques aplats de couleurs vives réalisés de manière industrielle. Pour le coup, le duo Rick Bryant & Richard Howell nous offre quelques aquarelles soignées, et assure quasiment le spectacle à lui tout-seul…

Une adaptation consensuelle, moins étrange que le film !
Mais l’aspect le moins réussi de cette adaptation est à rechercher ailleurs : Tandis que le spectacle visuel du film de Jim Henson & Frank Oz suscitait l’émerveillement par la différence, l’aspect de ce monde d’heroic fantasy de marionnettes ne connaissant aucun équivalent esthétique, le graphic novel de Marvel illustre le tout dans la manière « celtique », avec forêts et landes humides semblant provenir de l’Irlande, de l’Écosse ou du Pays de Galles. On est bien loin de ce spectacle inédit dans lequel chaque créature, qu’elle soit végétale ou animale (et même souvent les deux en même temps), tenait du jamais vu auparavant !
En bref, voilà ce que l’on appelle une adaptation purement opportuniste, sans âme et sans véritable point de vue artistique. Et lorsque l’on sait à quel point le film en question ne plait pas forcément aux enfants (paradoxalement), quelque part un peu « dérangés » par l’étrangeté inquiétante de ce monde inédit peuplé de créatures inconnues, on perçoit, encore une fois, tout l’aspect consensuel d’une telle adaptation…
On peut cependant noter qu’à l’époque, ce type d’adaptation était commandé avant la fin du tournage et les auteurs devaient se contenter d’un simple synopsis et de quelques croquis, raison pour laquelle ils bénéficiaient d’éléments n’apparaissant pas ouvertement dans le film, tout en étant privé du résultat définitif et ne pouvant ainsi se faire une idée précise du résultat final…
Je propose tout de même une petite note affective pour le côté nostalgique, car lorsque j’étais enfant, cette publication LUG me charmait, moi aussi, avant d’avoir vu le film…

Collection Top BD : La nostalgie des années LUG !
THAT’S ALL, FOLKS !!!

Merci pour ce tour d’horizon ! Je crois que ce film a succombé au terrible fléau dit du « vutropjeunepourapprécier » dont j’ai beaucoup souffert dans mon enfance. Va falloir un jour ou l’autre que je retente l’aventure !
Une question me taraude : as-tu regardé la suite au format série produite par Netflix ? (bien que je craigne, vue la réputation du studio, que l’analyse de l’adaptation Marvel ne s’applique parfaitement !)
Moi-même je n’avais pas accroché enfant. Trop bizarre ! Je me demande si Jim Henson voulait que ce soit un film pour enfant. Si c’est le cas, il s’est gouré !
J’ai commencé à regarder la série après être tombé sur un commentaire dithyrambique. Mais j’ai eu du mal et j’ai décroché au 2° épisode. J’ai trouvé ça long et bavard mais j’étais très fatigué et je pense que je vais réessayer un de ces quatre. Ce n’est d’ailleurs pas une suite mais un préquel. Ce postulat ne m’a guère passionné. Mais il faut quand même que je retente…
Les images de la série sont magnifiques et immersives, par contre (inversement au côté aseptisé de l’adaptation Marvel).