
* LES MONSTRES DE L’HAMMER :
DR JEKYLL & MR HYDE, DOUBLE PERSONNALITÉ ET AUTRES POTIONS *
Chronique des films du studio Hammer : L’HOMME QUI TROMPAIT LA MORT, LES DEUX VISAGES DU Dr JEKYLL, Dr JEKYLL & SISTER HYDE et LA FILLE DE JACK L’ÉVENTREUR
Date de sortie de films : de 1959 à 1971.
Genre : Fantastique, horreur, gothique.
Nos dossiers sur les films de la Hammer :
1ère partie : Les films FRANKENSTEIN
2ème partie : Les films de Vampires 1
3ème partie : Les films de Vampires 2
4ème partie : Les films de Momie
5ème partie : Les films de Loup-garou et autres monstres de la pleine-lune
6ème partie – Vous êtes ici : Dr Jekyll & Mr Hyde, double personnalité et autres potions
7ème partie : Le Fantôme de L’Opéra, les Zombies et ceux qui ne veulent pas mourir
8ème partie : Sorcellerie et satanistes
9ème partie : Thrillers psychologiques
10ème partie : Le Yéti et la trilogie Quatermass

Le Logo qui tue…
Cette 4ème partie portera sur huit films d’horreur produits par le studio Hammer entre 1959 et 1966, qui n’entrent pas dans la catégorie de la série des DRACULA & autres vampires et des FRANKENSTEIN. La liste n’est pas exhaustive et quelques films manqueront à l’appel, mais les principaux classiques ne seront pas oubliés.
Sur les X films qui composent cette troisième catégorie, on trouvera notamment les autres figures du grand bestiaire du fantastique classique, tel qu’il avait été popularisé par le studio Universal dans les années 30 et 40, comme la Momie, le Loup-garou ou encore le Fantôme de l’Opéra, auxquelles s’ajouteront également Dr Jekyll & Mr Hyde ainsi que les zombies et même… la Gorgone !
SOMMAIRE :
- 1) L’HOMME QUI TROMPAIT LA MORT – 1959
- 2) LES DEUX VISAGES DU Dr JEKYLL – 1959
- 3) Dr JEKYLL & SISTER HYDE – 1960
- 4) LA FILLE DE JACK L’ÉVENTREUR – 1961
Niveaux d’appréciation :
– À goûter
– À déguster
– À savourer


Amour, quand tu nous tiens…
1) L’HOMME QUI TROMPAIT LA MORT – 
ou L’HOMME QUI FAISAIT DES MIRACLES
(THE MAN WHO COULD CHEAT DEATH) – 1959
Le pitch : Fin XIXème siècle, à Paris. Le Dr Bonnet est médecin et sculpteur. Bien qu’il paraisse trentenaire, il a en vérité 104 ans et conserve une jeunesse éternelle grâce à une opération qu’il doit subir tous les dix ans. En attendant la nouvelle greffe, que doit lui appliquer Ludwig, son ami d’enfance (qui est âgé de 89 ans), Bonnet doit boire un élixir toutes les six heures. Mais lorsque Ludwig arrive enfin, avec trois semaines de retard, c’est avec un bras rendu invalide à la suite d’une crise cardiaque, ce qui rend son intervention impossible. Ludwig, qui comprend par ailleurs que son ami a assassiné le modèle de sa dernière sculpture (une jeune femme amoureuse de lui, à laquelle il a arraché la glande parathyroïde nécessaire à sa greffe), refuse de participer une nouvelle fois à cette quête d’immortalité malsaine…
Lorsque l’on découvre le film pour la première fois, il semble être une sorte de mélange entre Dr JEKYLL & Mr HYDE et LE PORTRAIT DE DORIAN GRAY. En réalité, il s’agit de l’adaptation d’une pièce de théâtre de Barré Lyndon, que l’on connait également pour son travail de scénariste au cinéma (SOUS LE PLUS GRAND CHAPITEAU DU MONDE de Cecil B. DeMille, par exemple).
On retrouve ici une bonne partie de la team des premiers films de la Hammer, avec Terence Fisher à la mise en scène, Jimmy Sangster au scénario, Jack Asher à la photographie et Michael Carreras à la production, ainsi que Christopher Lee dans un rôle plutôt positif de docteur accroché à ses valeurs et à son code moral (après qu’il ait incarné successivement le monstre de Frankenstein et Dracula !). Le rôle principal, initialement destiné à Peter Cushing, est finalement confié à Anton Diffring, un acteur allemand (dont la beauté glaçante était mieux destinée au personnage) que l’on retrouvera l’année suivante dans un rôle similaire pour un autre film d’horreur : le bien nommé CIRQUE DES HORREURS, de Sidney Hayers.

Ça va mal finir c’te histoire, moi je vous l’dit…
Alors qu’ils avaient très librement adapté FRANKENSTEIN et DRACULA (voire LE CHIEN DES BASKERVILLE) auparavant, Terence Fisher et Jimmy Sangster semblent ici s’évertuer à transposer le plus fidèlement possible la pièce de Barré Lyndon. Ce parti-pris s’oriente sur un film très statique, extrêmement bavard et carrément avare en séquences d’action et en scène d’extérieur. C’est le talon d’Achille d’un film par ailleurs maitrisé de bout en bout sur le terrain de la mise en scène, de l’écriture et de l’interprétation. Disons qu’il vaut mieux être au parfum avant de s’y risquer : Regarder L’HOMME QUI TROMPAIT LA MORT, c’est se heurter à une forme de cinéma théâtrale qui peut frôler parfois l’inertie.
Avec la chose en tête, on peut alors apprécier cette œuvre tournée à une époque où le studio Hammer avait trouvé un merveilleux équilibre, sans concession, où pouvaient miraculeusement cohabiter les pires tragédies et les récits les plus glauques, avec le charme des productions romanesques, emballées dans un écrin de toute beauté, à travers lequel on pouvait nous conter les pires histoires d’horreur sous le vernis de la séduction et les belles couleurs flamboyantes du technicolor…


La beauté du diable !
3) LES DEUX VISAGES DU DOCTEUR JEKYLL – 
(THE TWO FACES OF Dr JEKYLL) – 1960
Terence Fisher réalise LES DEUX VISAGES DU DOCTEUR JEKYLL en 1960. Le double rôle principal (celui du Dr Jekyll et de Mr Hyde) est interprété par Paul Massie, acteur peu connu, assez impressionnant dans sa prestation. Il est accompagné par Dawn Adams et Christopher Lee qui, une fois n’est pas coutume, incarne un homme normal, et qui trouve par ailleurs l’un de ses meilleurs rôles.
Le tournant de la fin des années 50 et du début des années 60 est un véritable âge d’or pour la Hammer, qui livre alors ses meilleurs films d’horreur gothique. Comme souvent avec Terence Fisher, le film ne se contente pas d’illustrer en couleur l’un des mythes fondateur du fantastique (car il s’agit là de l’une des principales illustrations du roman de Robert Stevenson après les classiques adaptions de 1931 et 1941), mais propose au contraire une approche originale et inattendue. Ainsi, comme le fera Jerry Lewis trois ans plus tard avec DR JERRY & MR LOVE, Fisher propose ici d’inverser le processus en faisant du Dr Jekyll un homme plus ou moins diminué, qui va se transformer en un jeune dandy à la beauté aussi parfaite que la froideur de son âme…

Le triangle amoureux, version malsaine…
Le film explore la psyché de son personnage en le forçant à assumer les conséquences de ses actes. Aussi beau que brillant, Edouard Hyde est également doté d’un esprit froid et calculateur qui ne s’embarrasse d’aucune considération éthique et qui ne pense qu’à jouir de sa condition, sans se soucier des répercutions occasionnées par ses pérégrinations nocturnes. Dès lors, c’est à un bras de fer psychologique et intérieur que vont se livrer les deux personnalités du Dr Jekyll, chacune essayant en vain d’imposer sa domination à l’autre, espérant prendre définitivement le contrôle…
Alors qu’il découvre que son épouse, délaissée par son abnégation dans le travail et ses recherches scientifiques, le trompe avec son meilleur ami, Henry Jekyll ne va penser qu’à la reconquérir. Éconduit aussi bien sous sa forme de Dr Jekyll que sous celle de Mr Hyde, le pauvre homme va se retrouver devant une impasse qui le conduira à violer sa propre femme sous l’emprise de son double maléfique ! Dans le rôle du meilleur ami jouant également un double-rôle, Christopher Lee compose un dandy presque aussi cynique que Mr Hyde, capable toutefois de contenir ses pulsions. Il sera néanmoins le vecteur de la chute de son ami (et par extension de la sienne), puisqu’il incarnera le modèle à dépasser, qui mènera ainsi Edouard Hyde à commettre le viol et le meurtre comme autant de passerelles vers l’objet de ses désirs…
Comme toujours avec les films de la Hammer, cette approche du film d’horreur est avant tout le prétexte d’écorcher la pudibonderie de l’Angleterre victorienne en dissimulant, sous les atours du fantastique, l’attrait des gens soi-disant vertueux et civilisés pour l’interdit libertinage… D’une noirceur condamnant toute possibilité de rédemption, n’épargnant aucun personnage, LES DEUX VISAGES DU DOCTEUR JEKYLL s’impose au final comme un idéal de film d’horreur classique, dont l’aspect horrifique est avant tout psychologique, pour une plongée dans le mythe du dédoublement de la personnalité mené avec un savoir faire et une profondeur exemplaire.


Léon, la Malédiction…
4) Dr JEKYLL & SISTER HYDE – 1971 – 
Dr JEKYLL & SISTER HYDE est réalisé par Roy Ward Baker. Comme son titre l’indique, il s’agit d’une relecture originale du célèbre roman de Robert Louis Stevenson…
Dans cette nouvelle version du mythe, le Dr Jekyll (interprété par Ralph Bates, que l’on avait déjà vu en baron Frankenstein dans HORROR OF FRANKENSTEIN l’année précédente) se transforme, non pas en un horrible psychopathe, mais en une très belle jeune femme psychopathe !
Le scénario pousse d’ailleurs le concept plus loin encore en faisant de cette “Sister Hyde” le fameux Jack l’Éventreur et utilise même les services des odieux “Burke & Hare”, les fameux déterreurs de cadavres qui défrayèrent la chronique (bien que ce fut en réalité 50 ans avant les meurtres de Whitechapel), et dont l’histoire nous a maintes fois été contée au cinéma, notamment dans l’excellent L’IMPASSE AUX VIOLENCES, réalisé en 1959 par John Gilling, avec Peter Cushing et Donald Pleasence dans les rôles principaux.
Bref, un véritable crossover de thèmes horrifiques, qui culminent dans un film qui représente quasiment à lui-seul le chant du Cygne de la Hammer !
Le pauvre Léon aura du sang sur les mains…
Ce début des années 70, s’il annonce le déclin de la firme britannique qui s’enlise sous les suites de la série des Dracula avec Christopher Lee, marque néanmoins une volonté prononcée de la part du studio de mettre l’accélérateur sur la dimension érotique qui ne demandait qu’à fleurir au-dessus de tous ces thèmes fantastiques.
Mais Dr JEKYLL & SISTER HYDE n’aurait pu être qu’un produit formaté de plus s’il n’avait pas bénéficié de la réunion de quelques talents authentiques. Ainsi, s’il s’agit du chef d’œuvre de Roy Ward Baker (excellent petit maitre du cinéma fantastique qui aura offert à la Hammer l’un de ses meilleurs DRACULA avec LES CICATRICES DE DRACULA, ainsi que l’un de ses plus beaux films de vampires avec le somptueux VAMPIRE LOVERS, sans doute la meilleure adaptation du roman CARMILLA de Joseph Sheridan LeFanu), le film est également écrit par Brian Clemens, le créateur de la série CHAPEAU-MELON ET BOTTES DE CUIR. Enfin, il est également porté par l’interprétation habitée de Ralph Bates, qui trouve ici le plus beau rôle de sa carrière-éclair, ainsi que par celle de Martine Beswick, une autre actrice au parcours laconique, capable d’exhaler un charisme rare, incandescent, sans quasiment prononcer un mot !

Le réalisateur confondrait-il les genres ?
Passionnant et dérageant de bout en bout, le film est aussi réussi dans la mise en scène que dans le script. Ce dernier est d’une richesse sans pareille et l’on ne compte plus les thèmes qui jalonnent cette idée au départ saugrenue quant au fait que Jeckyll se transforme en femme. C’est ainsi que la guerre des sexes se joue ici dans le même corps, les deux versants de la personnalité du docteur luttant pour la suprématie de la chair et de l’esprit ! Et tout le sous-texte de se déverser à l’envie, avec l’homosexualité refoulée, la transsexualité et l’émancipation féminine en tête de liste. C’est d’ailleurs ce dernier thème qui justifie le glissement de l’univers du roman de Stevenson vers les événements de Whitechapel, puisque Sister Hyde, totalement émancipée des principes timorés de son alter-égo masculin, n’hésitera pas à assassiner une tripotée de jeunes femmes afin de leur dérober leurs organes génitaux. Une opération doublement symbolique puisque, si elle permet au Docteur de trouver là les hormones féminins nécessaires à sa potion magique (ou comment lui imposer sa dépendance au beau sexe), elle accélère l’évolution de Sister Hyde par sa volonté de prendre le dessus dans la lutte des sexes en s’appropriant, au sens propre, l’essence de la féminité !

Quand Jeckyll commence à apprivoiser (et à jouir de) sa féminité…
Roy Ward Baker, quant à lui, fait montre de son habituel savoir-faire en additionnant un nombre époustouflant de plans proprement géniaux, notamment lorsqu’il se concentre sur les jeux de miroirs, qui fonctionnent autant dans le symbole qu’ils permettent d’illustrer toute une série d’affrontements psychologiques au sein d’un même personnage, ici bien évidemment dédoublé.
Un très grand film. Le second, au sein de la Hammer, dédié au mythe de Mr Hyde. Ces deux fleurons du cinéma horrifique demeurent d’ailleurs, avec le génial DOCTEUR JERRY & MISTER LOVE de Jerry Lewis, les plus belles relectures du mythe dans l’optique d’offrir aux spectateurs, non pas une adaptation fidèle de l’œuvre de Stevenson, mais au contraire une extrapolation moderne et intelligente effectuée sur le même sujet.


Comme un air de famille…
4) LA FILLE DE JACK L’ÉVENTREUR – 
(HANDS OF THE RIPPER) – 1971
LA FILLE DE JACK L’ÉVENTREUR est réalisé par Peter Sasdy. Ce dernier film de notre sélection fait également partie de la dernière série de film gothiques de la Hammer, où l’on revisite les mythes consacrés tout en mettant en avant l’image érotique de la femme fatale.
Le pitch : Au soir de son dernier meurtre, Jack l’Éventreur se réfugie chez lui pour échapper à la police de Whitechapel. Il y retrouve son épouse et leur petite fille Anna, âgée de quatre ans. Voyant le sang qui ruisselle sur les mains de son mari, sa femme comprend qu’il est l’éventreur et se met à hurler. Ce dernier assassine ainsi son épouse sous les yeux de leur enfant, avant de dévoiler ses yeux de fou…
Des années plus tard, Anna est abusée par une vieille arnaqueuse qui s’adonne à de fausses séances de spiritisme afin de profiter des richesses de la bourgeoisie. Ayant jeté Anna en pâture à un aristocrate sans scrupule, elle réveille alors l’ancien traumatisme de la jeune femme, qui s’empresse de l’éventrer comme l’aurait fait son père !
Le Dr Pritchard, qui vient d’assister à la séance de spiritisme, est témoins du meurtre. Plutôt que de tout avouer à la police, il choisit d’amener Anna avec lui et d’en faire sa protégée. Adepte des théories d’un certain Sigmund Freud, Pritchard voit ainsi l’occasion d’approfondir ses recherches sur la psychologie des assassins…
En revoyant la chose aujourd’hui, on s’étonne de la noirceur de son propos et de la glaçante austérité de sa mise en forme. Du début à la fin, le film de Peter Sasdy (qui nous avait livré l’un des plus faibles segments de la série des DRACULA avec le tordant UNE MESSE POUR DRACULA et qui réalisera COMTESSE DRACULA dans la foulée) s’enfonce dans une descente aux enfers glauque et malsaine, renforcée par une image naturaliste aux antipodes du fameux technicolor flamboyant jadis mis en avant dans les productions Hammer.
Irrémédiablement damnée, la jeune Anna (interprétée par une Angharad Rees qui exhale une innocence extraordinaire lorsqu’elle n’est pas possédée par son ascendance maléfique) nous emmène dans les tréfonds de la mort, en même temps qu’elle annonce la chute de son protecteur, dont l’attirance charnelle à destination de la jeune femme devient également de plus en plus malsaine au fil du récit.

Anna : Une innocente qui est coupable…
Si le poids de l’âge de fait ressentir lors de quelques scènes surjouées (notamment lors des déambulations dans les rues sombres de Whitechapel) et sur les effets gores (avec le fameux sang fluorescent de l’époque), on ne peut nier que le film exhale encore aujourd’hui une très forte sensation de malaise. La fin, sans concessions et par ailleurs relativement poétique, enfonce le clou avec une note aussi sombre que l’abysse méphitique qui semble avoir contaminé l’âme de la pauvre jeune femme, victime à la fois de son ascendance et de la cruauté de la vie, sans qu’il ait été possible de s’accrocher à une quelconque lueur d’espoir.
Petit film d’horreur de par sa production néanmoins soignée (les décors et costumes d’époque font honneur au savoir-faire du studio britannique), LA FILLE DE JACK L’ÉVENTREUR s’impose aujourd’hui comme une parenthèse aux airs de téléfilm un peu kitsch, mais également extrêmement dérangeante dans l’historique de la Hammer, à l’atmosphère très malsaine rehaussée par un climat naturaliste austère et glaçant. Typiquement le genre de film qui vous laisse perplexe quant à savoir si vous avez aimé cette expérience, ou si au contraire vous l’avez détestée…

Comment flinguer l’innocence ?
Nos dossiers sur les films de la Hammer :
1ère partie : Les films FRANKENSTEIN
2ème partie : Les films de Vampires 1
3ème partie : Les films de Vampires 2
4ème partie : Les films de Momie
5ème partie : Les films de Loup-garou et autres monstres de la pleine-lune
6ème partie – Vous êtes ici : Dr Jekyll & Mr Hyde, double personnalité et autres potions
7ème partie : Le Fantôme de L’Opéra, les Zombies et ceux qui ne veulent pas mourir
8ème partie : Sorcellerie et satanistes
9ème partie : Thrillers psychologiques
10ème partie : Le Yéti et la trilogie Quatermass
See you soon !!!
