L’histoire selon les dragons
Chronique de la série LA DYNASTIE DES DRAGONS
Date de sortie : 2010
Auteurs : Hélène Herbeau et Emmanuel Civiello
Genre : Fantastique, Fantasy
Éditeur : Delcourt
Aujourd’hui nous allons parler d’une saga d’heroic-fantasy franco-belge en 3 tomes signée Hélène Herbeau et Emmanuel Civiello.
Vous connaissez sans doute Emmanuel Civiello pour ses peintures très réalistes et fourmillant de détails. Il avait déjà illustré des séries comme KORRIGANS ou LA GRAINE DE FOLIE (pour les plus connues.) Quant à Hélène Herbeau, si elle a moins de BD à son actif, c’est parce qu’elle ne se destinait pas à faire de la BD. C’est justement Emmanuel Civiello qui lui a proposé une collaboration sur une BD d’heroic fantasy chinoise.

Bienvenue en Orient
Ce couple d’auteurs vit en Chine depuis longtemps. Et cette BD est donc née de leurs voyages et découvertes. L’histoire n’est pas une adaptation d’une légende locale, elle est purement fictive, imaginée lors d’un de leurs voyages à Pingyao, mais l’atmosphère est imprégnée de l’imaginaire chinois avec des dragons qui parlent et un contexte historique réel. Selon Hélène Herbeau, ses inspirations pour cette histoire sont diverses : une ballade dans les hutongs, l’Opéra de Pékin, en passant par ses leçons avec son maître de calligraphie.
Trailer de la BD
L’histoire est un peu complexe puisqu’elle se situe lors d’une époque réelle. Cela dit, ne paniquez pas, je n’y connais pas grand-chose non plus à l’histoire de la Chine et j’ai tout compris (mais il faut un temps de cerveau disponible.) Le contexte historique est surtout là pour mettre en scène des personnages à la destinée plus ou moins tragique, mais l’histoire s’oriente ensuite davantage vers la fantasy.
L’empereur Renzong de la dynastie des Song, a capturé un Phénix, un animal sacré normalement lié au dragon Ying Long. Ce dernier est maitre de la pluie et des vents et sa colère se répand sur les terres de l’empereur. Alors Renzong va demander audience auprès du roi des dragons Wulong et demander que Ying Long se calme. Wulong sera offensé de l’entendre exiger cela alors qu’il est responsable de la colère de Ying Long en ayant enlevé son Phénix. Wulong lui suggère de rendre le phénix, mais comme Renzong n’en a pas l’intention, il lui dit qu’il peut aussi offrir son fils unique au dragon comme sacrifice. Renzong sera prêt à faire ce sacrifice, mais hélas son fils sera enlevé lors du voyage par les hordes des Xia, un « clan » rival. Techniquement les Xia, c’est un état vassal constitué de « barbares » d’origine Tangoute et non Han (le peuple historique chinois.) N’ayant par conséquent pas reçu son dû, le dragon Ying Long va répandre le chaos.

Un dragon mécontent
Onze ans plus tard, l’empereur Renzong est mort. On suit à présent l’histoire de dame Luan, une princesse Song qui va être forcée par son père de se marier à Zhao Bao, un ambassadeur des Xia. Soi-disant pour préserver une paix fragile entre les 2 états. Mais un puissant guerrier Xia, surnommé le baron fou, est tombé amoureux de dame Luan en l’apercevant un jour. Dame Luan va avoir un enfant, Sunya, et va apprendre le wushu (art martial) auprès d’un maître pour tromper l’ennui de sa vie de recluse dans un palais auprès d’un époux qui méprise sa culture Song. Deux intrigues se suivent en parallèle à partir de là. La guerre entre les Song et les Xia qui va éclater suite au refus des Song de payer aux Xia le tribut annuel, et le destin de Luan dont on va apprendre qu’elle est le phénix du dragon Ying Long sous forme humaine.
Le dragon Ying Long quant à lui est dissimulé sous l’apparence du conseiller du défunt Renzong, Wen Yanbo. C’est lui qui a fait en sorte que la guerre éclate pour que la descendance de Renzong soit annihilée par vengeance. Mais il apprend que le guerrier appelé baron fou est le fils autrefois kidnappé de Renzong. S’ensuit un conflit entre dragons puisque normalement le phénix aurait dû quitter le corps de dame Luan à la mort de Renzong, mais les excès de colère de Ying Long a fâché ses frères et le roi dragon Wulong qui ont empêché cette transformation. Ying Long va donc s’apparenter au méchant de l’histoire à partir de là et il va chercher à récupérer son phénix par tous les moyens. Dame Luan va s’éveiller à sa nature et va fuir son époux cruel. Elle va refuser de rejoindre Ying Long qui va alors enlever son fils Sunya.

Dame Luan s’éveille à sa nature de Phénix
Le dernier tome nous raconte quel stratagème dame Luan a trouvé pour chasser Ying Long du monde des hommes et récupérer son fils.
Bon, on ne va pas se mentir, la lecture de cette aventure n’est pas aisée pour le profane. Il faut assimiler le contexte géopolitique de l’époque (surtout dans le tome 1 qu’il faut lire à tête reposée.) Il est vrai que si on connait un peu l’histoire, on comprend mieux certaines choses. Comme par exemple le fait que la dynastie des Song fut une dynastie d’un grand épanouissement culturel et artistique qui s’était affaibli militairement au profit de son raffinement. C’est pourquoi ils ont acheté la paix auprès des barbares en payant des tributs. Par exemple auprès des Xia qui se sont imposés. Historiquement, c’est une période située entre les guerres de la période des Cinq Dynastie et des Dix Royaumes et celle de l’invasion mongole de Gengis Khan.

La Chine de 1043
Et il faut bien avouer que les noms chinois n’aident pas. Mais ça…c’est une question de culture. On n’allait évidemment pas réclamer que les auteurs appellent leurs héros Gérard et Robert, et les villes Marseille ou Paris. Il y a donc un effort à faire de la part du lecteur pour entrer dans l’histoire et rattacher les noms compliqués aux visages. Cela dit, l’univers est séduisant et les thèmes intéressants. En effet au travers de cette fable mythologique et historique impliquant des dragons, des histoires d’héritage et de conflits culturels, on peut y voir abordé le sujet de la soumission des femmes (que dame Luan va refuser, que ce soit à son époux Xia ou au dragon Ying Long.)
La lâcheté et la cruauté des puissants est également abordée au travers de ces chefs d’état prêts à sacrifier les autres pour leurs caprices. Et même un dragon céleste devient mauvais en ayant passé trop de temps chez les humains. La BD dresse un certain portrait d’une période historique en mélangeant tout ça dans une histoire romanesque et qui vire davantage dans l’émotion et le divertissement dans les tomes 2 et 3. Le cap à passer, c’est le premier tome.

De beaux décors
L’empereur Renzong (qui a bien existé, 1010-1063) n’a d’ailleurs pas été choisi par hasard. Pour les auteurs, l’époque correspond à la Chine des légendes auxquelles les occidentaux sont habitués, et l’empereur Renzong un empereur suffisamment peu glorieux pour lui octroyer le rôle qu’il a dans la BD (il y a eu beaucoup de réformes, de troubles, de misères, de famines durant son règne malgré son attitude pacifique…qu’on pourrait peut-être qualifier de lâche pour l’époque puisqu’il ruinait son peuple en payant des tributs.)
Au-delà de ça, même si vous ne saisissez pas toutes les subtilités, il n’en reste pas moins une aventure très prenante à base d’interactions entre l’humain et le divin, les humains étant toujours assimilés à des jouets des dieux (ou des dragons en l’occurrence.) Le destin à affronter fait aussi partie des sujets de l’œuvre, que ce soit par l’acceptation ou la rébellion selon les situations.

Mariage forcé
Le premier tome pose les bases, les enjeux et problématiques. Il est un peu ardu mais mérite qu’on fasse un effort. Par la suite, on est davantage dans le récit d’aventure et moins dans la politique. Et le dessin d’Emmanuel Civiello vient magnifier ces décors et costumes traditionnels chinois de toute beauté. Il y a bien quelques fois de légers soucis d’anatomie (j’ai trouvé parfois des têtes trop grosses par rapport au corps) mais c’est pour chipoter. Globalement le trait du dessinateur (et les couleurs) restitue parfaitement cette ambiance chinoise des temps anciens. Les planches mettant en scène les dragons ou les affrontement mystiques sont de véritables fresques mythologiques à tomber par terre. Malgré un trait quelque peu figé (car ça ressemble davantage à de la peinture, Civiello travaillant également en couleurs directes), on ressent du dynamisme dans les scènes d’action.

Le roi des dragons Wulong discute avec Sunya à la porte de Yanluowang (porte des enfers)
En bref, ce conte fantastique est selon moi fort réussi et se termine en beauté. Il requiert malgré tout un certain investissement du lecteur surtout lors du premier tome (qui est d’ailleurs le plus long avec 72 pages) pour assimiler les informations du contexte politique.