LA FILLE DE L’AIR
Chronique de la série : NATACHA
Date de publication : 1970 (série toujours en cours)
Auteurs : collectif (scénario), Walthéry (dessinateur exclusif)
Genre : Aventure, Science-fiction, espionnage
Éditeur : Dupuis
Niveaux d’appréciation :– À goûter
– À déguster
– À savourer
Cet article portera sur la série de BD franco-belge NATACHA.
Puisqu’il s’agit d’une série inégale avec des scénaristes variés qui se succèdent sur la série, livrant du bon et du moins bon, et comme je n’ai pas lu tous les albums, je n’avais qu’un moyen de parler de cette série. Aborder la chose sous l’angle de la nostalgie et de l’intérêt de cette BD pour moi en mentionnant surtout les albums qui m’ont plu.

L’héroïne qui a charmé de nombreux jeunes lecteurs.
François Walthéry, le dessinateur, a créé le personnage de Natacha durant son service militaire alors qu’il était occupé à gribouiller. Il se serait inspiré de plusieurs actrices : Mireille Darc, France Gall, Dany Carrel, ainsi qu’une de ses amies.
C’est en 1970 que le personnage de Natacha débarque officiellement au sein du journal de Spirou jusque là résolument masculin (YOKO TSUNO de Roger Leloup est arrivée la même année). Walthéry s’était fait une place chez Dupuis grâce à Mittéi puis Peyo qui l’avait pris sous son aile. Le scénariste Gos s’occupera du scénario des premiers albums NATACHA, HÔTESSE DE L’AIR et NATACHA ET LE MAHARADJAH. Le ton sera donné : NATACHA sera une série pleine d’humour baignant dans une ambiance de romans d’aventures et d’espionnage.
Sous ses airs corrects, le personnage de Natacha a tout de même apporté une touche sexy aux publications Dupuis. Bon… bien sûr il y a eu quelques dérives officieuses plutôt « olé olé » (hé ! C’était des mecs chez Dupuis hein !) avec quelques planches échappées de la rédaction montrant Natacha dans son plus simple appareil (certains pastiches officiels sont trouvables dans l’album hors série NOSTALGIA.)

Les couvertures de Spirou qui m’ont fait connaître la demoiselle
A propos de nostalgie, je vais à présent vous parler de ma rencontre avec Natacha.
Quand j’ai su lire, avant de m’attaquer aux BD de mon frère ( ASTERIX, GASTON LAGAFFE, TINTIN), on m’achetait des albums des SCHTROUMPHS et j’empruntais des GARFIELD à la bibliothèque scolaire. Jusqu’au jour où un énorme arrivage de cartons en provenance de chez ma tante franchit les portes de notre maison. Il s’agissait de tous les Spirou magazine, Journal de Mickey, Super Picsou Géant, Strange, Titans, Special Strange de mon cousin. Une mine d’or de BD et de comics qui allait forger ma culture BD. Et gratuite ! Bon…évidemment il manquait plein de numéros et je passais des journées à fouiller dans tout ça pour constituer une histoire complète. Parfois il ne manquait qu’un numéro et je lisais une histoire avec un trou au milieu. Le pire c’était quand il manquait la fin. Mais j’ai fouillé là dedans pendant des années et des années. Sans ces cartons, ma passion pour la BD n’aurait peut-être pas été la même. J’ai découvert énormément de séries comme ça. LES TUNIQUES BLEUES, YOKO TSUNO, LE FLAGADA, SODA, les comics MARVEL, les BD Disney…et évidemment NATACHA.
Et bien sûr, au premier coup d’œil, elle m’avait tapé…euh…dedans. Oh, attention hein ! J’étais jeune. Pas de puberté, donc pas d’idées folles. Mais j’étais suffisamment âgé tout de même pour reconnaître et apprécier le dessin d’une jolie femme.
Natacha est une hôtesse de l’air souvent accompagnée de son ami Walter lui-même Stewart et qui se retrouve toujours entrainée dans des aventures périlleuses à travers le monde. Nos deux héros travaillent tous deux pour la compagnie aérienne B.A.R.D.A.F, un boulot qui justement est un bon prétexte pour leur faire parcourir le globe.

Walter dans toute sa gloire de poivrot
Dans la BD, notre héroïne est une célibataire endurcie dotée d’un caractère bien trempé puisqu’elle a une certaine propension à distribuer des baffes. Elle a cela dit beaucoup de cœur, ne supporte pas les injustices et se montre d’un courage exemplaire dans des situations dangereuses. Cela dit, elle n’est pas indestructible et c’est là que Walter se montrera utile.
Walter est un personnage grandement inspiré par les propres travers et passions de Walthéry. Ainsi est-il un peu paresseux, porté sur l’alcool, et un grand fan de jazz et de blues.
Il n’est pas le héros typique fort et courageux. Il picole et a plutôt la poisse. Mais du coup c’est aussi un personnage amusant et qui est capable de se rendre très utile là où Natacha n’est pas forcément la plus efficace. Walter a fait son service militaire, il sait donc manier des armes s’il le faut. Il se montre d’ailleurs très protecteur et a tendance à s’énerver si on attente à la vie de sa collègue et amie. Oui, juste amie. Le gag permanent est de faire stagner leur relation dans la case « amitié » et de continuer à les faire se vouvoyer alors qu’ils ont vécu plus d’aventures et de situations intimes (2 ans seuls sur une île déserte par exemple, j’y reviendrai) que n’importe quel couple d’amoureux. Mais leur relation ne prête jamais à confusion : ils sont de très bons amis, mais rien de plus.

Mais aussi Walter dans toute sa gloire de protecteur
Globalement j’aurais tendance à recommander plutôt la première moitié de la série. Même pour le dessin qui passe de fin et élégant à plus gras et grossier par la suite. Il n’y a rien à vraiment éviter dans les 12 premiers tomes. Il y en a des bons et des moins bons mais rien de lamentable non plus. Et le ton est moins enfantin qu’après le passage de la série chez l’éditeur Marsu Productions à partir du tome 14 (un éditeur dont Dupuis reprendra le contrôle en 2013.) Les deux premiers tomes de Gos sont sympathiques et donnent le ton de la série, mais ne m’ont pas fait une forte impression. Le dessin cherche encore son identité. Ce sont des aventures sympathiques mais pas encore parmi les meilleures.
La mémoire de métal 
C’est à partir de ce 3ème tome que la série se bonifie pour moi. D’ailleurs les scénarios d’Etienne Borgers et de Maurice Tillieux sont ceux qui me plaisent le plus. Dans cet album, Borgers nous concocte une histoire d’espionnage avec des tueurs à la poursuite de Natacha après qu’une de ses amies apparemment assassinée soit entrée en possession d’un étrange écrin. Natacha se retrouvera mêlée à une histoire de vol de données et tentera d’échapper aux espions. Une histoire simple mais menée tambour battant à base de course poursuite et de gunfight dans la nuit parisienne hivernale. Ce récit a été réalisé suite au décès du père de Walthéry et bien que peu dépaysant, il apporte une noirceur inhabituelle à la série mais qui reste bienvenue selon moi pour des raisons de diversité.
La deuxième histoire de ce tome, UN BRIN DE PANIQUE, scénarisée par Marc Wasterlain est déjà plus anecdotique, même si légère et amusante.

Une histoire violente rappelant la fuite nocturne de Sarah Connor dans TERMINATOR
Un trône pour Natacha 
Dans ce très bon album de Maurice Tillieux, le roi du Thénia (pays africain fictif) désire épouser Natacha rencontrée sur un vol diplomatique. Bien embêtée, Natacha sera contactée par des agents de la sécurité nationale qui comptent se servir d’elle pour infiltrer l’entourage du roi afin de piéger son protégé le colonel Von Tripp, recherché pour divers crimes. Le tout sans causer d’incident diplomatique. Et la partie ne sera pas aisée car Walter viendra veiller sur Natacha et servir de cuisinier au roi.
Cette histoire est originale, drôle et rondement bien menée. Un vrai méchant qui mène son petit trafic au nez et à la barbe de son roi, une Natacha embarrassée avec un soupirant qu’elle ne peut pas envoyer sur les roses et un Walter affreusement nul en cuisine qui en verra de toutes les couleurs. Il y a tout dans cet album : de l’action, de l’humour, une bonne histoire. Recommandé.

La ravissante Natacha en agent infiltré
Je passerai sur le tome 5 DOUBLE VOL qui est sympathique mais sans plus. Trois courtes histoires qui ne m’ont pas beaucoup marqué, à part la première dans laquelle Natacha est contrainte de travailler du côté obscur à cause d’une charge explosive qu’on lui a implantée dans une dent. Mais un bon exemple de diversité d’histoires alliant toujours aventures et espionnage.
Le treizième apôtre 
Pour moi le meilleur album de toute la série. Sur un scénario de Maurice Tillieux encore, cette histoire emmène nos héros en Turquie à la recherche de la tombe du treizième apôtre Matthias (celui qui a remplacé Judas Iscariote). Natacha se joint aux fouilles du professeur Karel qu’elle rencontre via un ami, Justin, qui s’avère être son assistant.
Natacha va chercher Walter et ils partent ensemble passer de splendides vacances en Turquie à la recherche de la tombe perdue de Matthias. Seulement, il semble que ces recherches intéressent quelques escrocs.
Alors pourquoi c’est bien ? Déjà l’histoire est un peu une chasse au trésor dans de magnifiques décors au parfum de vacances, et j’aime ça. Ensuite, c’est un album dans lequel on en apprend beaucoup sur les personnages. On apprend notamment que Walter a fait son service militaire avec l’ami de Natacha (Justin), qu’il lit Brecht, aime la photographie, et est orphelin de père depuis peu (comme Walthéry tiens). Quant à Natacha, on apprend qu’elle se destinait initialement à des études d’archéologie avant d’avoir du abandonner pour des raisons familiales.

Aventures exotiques, plongée, chasse au trésor…
Tout ceci donne du background à nos personnages qui nous semblent plus humains que jamais. Walter semble aussi fragile émotionnellement vu comme il se noie dans l’alcool suite à une petite dispute avec Natacha en début d’album. Malgré l’absence de romance, on sent bien qu’il tient beaucoup à elle.
Ensuite, le dessin est splendide. Honnêtement, Walthéry ne sera jamais meilleur que dans cet album. La finesse de son trait à atteint son apogée ici. Les décors sont magnifiques, Natacha n’a jamais été plus mignonne et gracieuse, et il y a un grand soin apporté dans chaque planche. Si vous ne voulez qu’un album, c’est celui-là !
L’hôtesse et Mona Lisa 
Cet album verra l’introduction du grand père de Walter et de la grand-mère de Natacha qui sont leur portrait craché, et qui…s’appellent Walter et Natacha.
Même si l’idée que les grands-parents de nos héros puissent avoir le même nom et la même tête semble au premier abord un peu saugrenue, il ne s’agit que d’un moyen de transposer nos héros dans une autre époque, en l’occurrence le passé, avant la seconde guerre mondiale. Si cela restera anecdotique dans cette courte histoire qui ne constitue que la moitié de l’album, cela prendra une dimension plus importante dans un dyptique à venir.

Voyage dans le passé
Dans cette histoire, Walter grand-père est chargé de transporter la Joconde dans son vieux coucou et rencontrera Natacha grand-mère qui est conservatrice de musée. Ils feront le trajet ensemble et apprendront à se connaître au travers de diverses déboires qu’ils auront avec des trafiquants cherchant à dérober le tableau.
La deuxième histoire de l’album nous raconte comment un milliardaire détourne l’avion transportant tous les dessinateurs de chez Dupuis (qui ont donc tous droit à leur caricature) pour les emmener sur son île personnelle afin de les forcer à produire des albums de BD inédits pour ses deux horribles pestes qui lui servent de filles. Bien sûr, Natacha et Walter sont du vol et se retrouvent entrainés là dedans. Vous l’aurez compris, c’est une histoire plus délirante et humoristique. Pas transcendante, mais sympathique. En bref, un album un poil plus mineur mais que je mentionne parce que le premier récit servira de fondation à une suite.
Instantanés pour Caltech & Les machines incertaines 
Voici un dyptique de science-fiction scénarisé par Etienne Borgers.
Cette fois, nos deux héros voyagent aux Etats-Unis. Lors du vol, Walter prend en photo un point lumineux qu’il pense être un O.V.N.I. Avec Natacha, il va se rendre en Californie pour voir le professeur Warring de CalTech, un spécialiste en astrophysique. Mais les photos prises vont aussi éveiller l’intérêt du F.B.I.
INSTANTANES POUR CALTECH est donc la première partie d’un récit ambitieux d’Etienne Borgers. On ne peut s’empêcher de penser à RENCONTRES DU 3ème TYPE de Steven Spielberg. Mais la suite va nous conduire dans une autre direction. En effet les extraterrestres se révèleront en réalité être des humanoïdes venus du futur qui débarquent pour faire disparaître toutes les preuves de Warring sur les O.V.N.I. Cette fois on pense à TERMINATOR qui pourtant ne sortira au cinéma qu’un an plus tard !

Voyage dans le futur
En effet, Walter va être emmené dans le futur (en 2484) et devra livrer bataille aux côtés de rebelles humains contre les machines qui ont pris le pouvoir. Walter est pour une fois le personnage le plus important du récit. Il se montre courageux et héroïque. Dans le présent, Natacha essaie d’aider le professeur Warring qui est sous l’emprise des robots mais c’est Walter qui fera basculer l’issue de ce conflit. C’est un récit maitrisé et plein de moments épiques. Peut-être le 2ème récit à privilégier après LE TREIZIEME APÔTRE si vous ne voulez que peu d’albums. A condition quand même d’aimer la SF.
L’île d’outre-monde 
Ce récit de Marc Wasterlain est assez simple : suite à un crash, Walter et Natacha sont séparés des rescapés par une tempête en pleine mer et échouent tous les 2 sur une île. Ils vont y passer deux ans à essayer de survivre (et sans que jamais rien ne se passe entre eux). C’est un pitch basique mais que j’ai aimé pour son côté « ROBINSON CRUSOE ». Un des bons côtés de cette série reste tout de même sa variété. Nous avons des récits d’espionnage, d’aventures, des chasses au trésor, de la SF…et maintenant un récit de survie en milieu hostile. Bon…ne nous mentons pas, c’est aussi un prétexte pour mettre notre charmante Natacha en tenue de sauvageonne bronzée sexy. Mais il se dégage de l’histoire un parfum de vacances encore une fois avec un cadre d’île paradisiaque. Du moins pour le spectateur.

Seuls au monde…ou pas ?
Mais finalement la meilleure conséquence de cette histoire c’est le dyptique qui suit.
Le grand pari & Les culottes de fer 
Ces deux histoires de Mittéi mettent à nouveau en scène grand-mère Natacha et grand-père Walter. Après leur aventure sur l’île, nos héros ont eu droit à des congés et vont se retrouver en dehors du boulot pour évoquer une vieille aventure de famille.
Là encore c’est une histoire simple mais dont l’intérêt réside dans l’aspect road trip…aérien. Walter grand-père a fait le pari de faire le tour du monde en un temps record et va embarquer bien malgré elle Natacha grand-mère suite à un incident de parcours. La pauvre se retrouvera donc à devoir faire le tour du monde avec Walter dans son vieux coucou. Tout le sel de l’histoire vient des multiples tuiles qui vont leur tomber dessus, les contretemps, les accidents et sur leur relation qui est un brin différente de celle de leurs descendants. Attention, ils sont chacun mariés de leur côté donc il ne se passera rien, mais on sent bien à la fin du récit qu’il aurait pu se passer quelque chose si la vie les avait fait se connaître plus tôt ou différemment.

Aviateurs amateurs
C’est une histoire facile à résumer puisqu’il ne s’agit que des péripéties de deux voyageurs mais pour ma part je la trouve très distrayante et amusante, même si ce n’est pas une histoire très aimée en général. Walter grand-père aura même l’occasion de rencontrer son idole Louis Armstrong lors d’une escale aux Etats-Unis.
A partir du tome 13 (LES NOMADES DU CIEL qui est sympathique, sans plus), je n’ai plus grand-chose à vous conseiller. Tout n’est pas à jeter, mais certaines histoires sont plus enfantines, d’autres sentent le réchauffé et certaines sont catastrophiques et à éviter (NATACHA ET LES DINOSAURES, une purge !)
Je n’ai cela dit pas lu les tomes 19 à 22 donc je ne me prononcerai pas sur leur qualité. Mais j’avoue que je n’aime pas ce qu’est devenu le trait de Walthéry. Ce qui m’amène à parler un peu de la partie graphique. Walthéry est un maître du mouvement. Quand on voit ses personnages, le mot « dynamisme » nous vient à l’esprit. Ils bougent, s’agitent, sont tout sauf statiques contrairement aux personnages de BLAKE & MORTIMER par exemple. Et il faut bien avouer que ses personnages féminins sont gracieux. Le charme de Natacha vient plus de cette sensation de légèreté et de finesse de sa silhouette gracile dessinée de plain-pied et de l’expressivité naturelle des corps plutôt que de gros plans racoleurs sur sa poitrine comme on peut en voir dans certains BD maintenant que les héroïnes n’y sont plus une rareté. Globalement le style de Walthéry est élégant et très expressif. Il est aidé par Jidéhem dans pas mal d’albums qui lui se concentre sur les décors souvent très soignés. Mais le style de Walthéry a changé au fil du temps. S’il est très fin au début, il devient plus grossier à partir des 2/3 de la série. Comme un dessin est toujours plus parlant qu’un long discours, voici une comparaison :

Finalement, elle était bien plus charmante à l’époque des mœurs plus prudes des années 70
Ainsi s’achève ce tour d’horizon de la série. En espérant que ma sélection ne vous décevra pas. Mais il m’était difficile de parler de tous les albums sans faire plusieurs articles. De plus, je ne les ai pas tous lus donc une analyse équitable de chaque aventure n’était pas envisageable. Si mon article a au moins titillé votre curiosité ou vous a fait découvrir une série de BD que je range personnellement parmi les classiques franco-belges, alors mon boulot est accompli. Qui sait ? Peut-être tomberez-vous aussi sous le charme de la jolie demoiselle.

Le mouvement est à l’honneur dans des cascades et scènes d’action furieuses