Le renouveau des années 1980
Chroniques de films de sabre chinois connus sous l’appellation « wu xia pian »
Date de sortie des films : 1980 à 1993.
Genre : Action, fantasy, mystère.
1ère partie : la Shaw Brothers (4 films)
2ème partie : vous êtes ici – Le renouveau des années 80
3ème partie : La fin d’une ère et l’ouverture à l’Occident
Un article écrit à 4 mains avec la participation exceptionnelle d’un invité de marque :
Eddy Vanleffe
Niveaux d’appréciation :
– À goûter – À déguster – À savourer
Nous revoici pour la seconde partie de ce dossier sur le Wu-Xia Pian. Cette fois-ci, nous aborderons la période du renouveau du genre lancée dans les années 80 en pleine période de la « nouvelle vague hongkongaise. » En effet, le début des années 80 marque le retour du wu xia pian sur le devant de la scène, grâce à de nouvelles idées de mise en scène et codes narratifs inaugurés par de jeunes réalisateurs qui cherchent à repousser les limites du genre. En 1980, Patrick Tam réalise THE SWORD, qui opère en douceur une approche du genre avec de nouveaux codes narratifs mais une mise en scène encore assez classique. Si Patrick Tam n’est pas un nom bien connu à cause du faible nombre de ses films édités en France, il fut tout de même le père spirituel de Wong Kar-Wai, bien plus connu chez nous. Ching Siu-Tung, à qui on devra plus tard la trilogie HISTOIRES DE FANTÔMES CHINOIS, réalise DUEL TO THE DEATH en 1982, réputé pour l’inventivité de ses scènes de combats qui révolutionneront la façon de filmer l’action. Et enfin, une autre révolution se produit en 1983 lorsque Tsui Hark s’aventure de plain-pied dans la fantasy mythologique en réalisant ZU, LES GUERRIERS DE LA MONTAGNE MAGIQUE dont l’inventivité et l’audace visuelle n’est plus à démontrer malgré ses défauts et son budget ridicule.
Mais ne perdons pas de temps et enchaînons sur les chroniques de films.
PROGRAMME
- THE SWORD
- ZU, LES GUERRIERS DE LA MONTAGNE MAGIQUE
- HISTOIRES DE FANTÔMES CHINOIS
- L’AUBERGE DU DRAGON
- THE BRIDE WITH WHITE HAIR
THE SWORD (1980) de Patrick Tam
Le pitch : Li Mak-yin (Adam Cheng) se donne pour mission de rechercher maître Wah, un épéiste célèbre qui n’a pas été vu depuis des années pour demander un duel afin de mettre à l’épreuve ses propres aptitudes. Il reçoit une information selon laquelle Wah réside peut-être dans une habitation isolée dans les montagnes. Cependant, lorsque Li Mak-yin arrive sur place, il y croise un homme qui attend depuis 12 ans lui aussi le célèbre maître Wah, et qui le prend pour lui. Les deux hommes se retrouvent à se battre par dépit sur un malentendu, et la mort inutile avec laquelle se termine la scène donne le ton du film.
Ensuite, après avoir sauvé Fa Ying-chi, une femme fougueuse et insouciante d’un assassin, Li Mak-yin et elle s’arrêtent dans une auberge pour la nuit afin de récupérer. C’est là que Yin Siu-yu, l’amour perdu de Li Mak-yin fait son apparition, accompagné de son mari Lin Wan, un collectionneur d’épées. Un triangle amoureux se forme entre Fa Ying-chi (la jeune femme précédemment sauvée), Li Mak-yin et son ancien amour Yin Siu-yu, dont le mariage avec Lin Wan semble être un mariage sous la contrainte. Et les choses se compliquent encore davantage lorsqu’il est révélé que Fa Ying-chi est la fille du célèbre maître Wah que tout le monde cherche. Li Mak-yin va-t-il affronter le père aimant dont il a sauvé la fille (une fille qui semble amoureuse de lui) ? Va-t-il laisser son amour perdu dans les griffes de Lin Wan, un homme cruel prêt à tout pour s’emparer de l’épée de ce même maître Wah ? Vers qui sa loyauté va-t-elle se tourner ? Qu’est-ce qui vaut la peine d’être sacrifié pour ses ambitions ?
Pour une transition en douceur vers les films plus fous des années à venir
Des désirs contradictoires, une réticence à mettre de côté sa fierté et une jalousie croissante aboutissent à de nombreux affrontements violents. Le réalisateur utilise chaque combat pour faire avancer le récit. Même si THE SWORD est encore un wu xia pian qui semble s’inspirer du passé, l’esprit de la nouvelle vague se ressent partout, ce qui fait du film une entrée assez unique dans le genre. Tout comme Tsui Hark allait déconstruire le genre du wu xia pian (qu’il avait lui-même ressuscité) 15 ans plus tard avec THE BLADE (qu’on étudiera en partie 3), dans THE SWORD Patrick Tam reprend une histoire bien connue, mais la présente sous un angle différent de celui de la Shaw Brothers. En effet, à bien des égards, THE SWORD ressemble à une version plus modernisée de SOUL OF THE SWORD (1978) de Hua Shan, qui présentait Ti Lung comme un épéiste sans nom obsédé par l’idée de devenir le meilleur, quel qu’en soit le prix. Ici, Patrick Tam fait d’Adam Cheng un épéiste itinérant avec des ambitions similaires, mais le ton du film est bien plus désenchanté et tragique.
C’est l’accent mis sur les relations entre les personnages qui confère à THE SWORD une atmosphère nettement plus humaniste et intimiste, et en fait un film à l’approche révisionniste, non pas en créant quelque chose de nouveau, mais plutôt en regardant quelque chose de familier sous un angle inédit. Le regard porté sur le monde des arts martiaux n’est pas le même. La futilité d’être obsédé par le fait d’être le meilleur se fait sentir partout, et ce dès le premier combat qui voit mourir inutilement un personnage qui se trompe de cible.
Un film où les personnages comptent plus que les combats
Le film se présente comme un mélange unique de vieille école et de nouvelle école, même si l’action de THE SWORD n’est peut-être pas aussi sophistiquée que celle que nous verrons une décennie plus tard. Il y a cependant un dynamisme dans le montage et les angles de caméra qui leur donne une sensation de fraîcheur plus moderne que les films de la Shaw Brothers. L’utilisation des câbles est présente, mais reste assez minimaliste, privilégiant la qualité plutôt que la quantité, ce qui donne à l’action un impact supplémentaire lorsqu’ils sont utilisés, notamment lors du combat final qui s’achève par un effet spécial de coup de grâce complètement dément.
Au milieu de tous ces combats, la touche d’auteur de Patrick Tam n’est jamais loin. En témoigne l’accent mis sur une simple gifle que Lin Wan donne à son épouse Yin Siu-yu, filmée de telle manière que le public ressent pleinement la douleur qui en résulte et le mauvais traitement que cet homme cruel réserve à sa femme. C’en devient presque le moment de violence le plus choquant du film au milieu de tous ces combats.
Le film baigne dans un sentiment de mélancolie et de tragédie, qui pourrait pourtant si facilement être évitée si les personnages étaient prêts à se libérer des codes qu’ils se croient obligés de suivre. Alors que le récit présente l’épée de maître Wah comme étant responsable de la tragédie et de la violence qui accompagnent son propriétaire, on comprend que la fameuse épée est une métaphore de l’ambition humaine et des conséquences qui peuvent en découler lorsqu’elle n’est pas maîtrisée. Une vraie tragédie grecque.
Un film à la photographie soignée
La bande-son au synthétiseur signée Joseph Ko ajoute encore à l’impression que THE SWORD est un film qui a un pied dans le classicisme du passé, et un autre dans la modernité.
Si certains afficionados préfèreront peut-être DUEL TO THE DEATH pour son côté plus novateur dans la façon de filmer l’action, j’avoue avoir une préférence pour THE SWORD, simplement un meilleur film au global selon moi, plus beau (mieux éclairé, avec un vrai soin sur la photographie et les cadrages) et plus émouvant. Il est intéressant de constater que des réalisateurs peu connus pour réaliser des films sur le thème des arts martiaux proposent assez souvent une approche convaincante lorsqu’ils décident de s’attaquer au genre (ce sera aussi le cas de Ang Lee sur TIGRE ET DRAGON, son unique film d’arts martiaux). À la fois pessimiste et désespérément romantique, THE SWORD fait partie du haut du panier du genre wu xia pian.
ZU, LES GUERRIERS DE LA MONTAGNE MAGIQUE (1983)
de Tsui Hark (chronique d’Eddy Vanleffe)
Revoir ZU, LES GUERRIERS DE LA MONTAGNE MAGIQUE de nos jours, c’est faire face à une sorte d’anomalie cinématographique, la définition même d’un autre type de cinéma aux antipodes d’Hollywood. Pourtant la bobine doit tout à une sorte d’émulation teintée de culot, une ambition à la fois ratée et matricielle. Cette ambition, c’est celle de Tsui Hark, qui a justement fait ses études de cinéma au Texas. Il va donc en revenant au pays en 1977, mettre un grand coup dans la fourmilière très codifiée du cinéma Hongkongais. Lorsque ce dernier annonce vouloir adapter ZU, le roman éponyme de Huanzhulouzhu sur grand écran, personne ne veut prendre le risque.
L’œuvre est une sorte d’équivalent au SEIGNEUR DES ANNEAUX, réputé donc impossible à adapter, tant les enjeux sont éparpillés, propices à une sorte de spectacle pyrotechnique peu familier des producteurs de cette époque. C’est avec un bagout de camelot que Tsui Hark parviendra à convaincre Raymond Chow, le patron du studio qui monte dans la baie cantonaise, à savoir la Golden Harvest. Le réalisateur roublard lui vend ni plus ni moins que la version chinoise de STAR WARS, le grand séisme du moment. Mais Tsui Hark, s’il fait bel et bien appel aux artistes qui ont travaillés avec George Lucas, n’a pas du tout le même type de budget. Le résultat pourrait passer pour un vulgaire nanar exotique au même titre que certains films turcs. Pour autant, si on s’y penche d’un peu plus près, on peut aisément remarquer que chaque scène possède une idée ou une intention de mise en scène.
Un film qui n’a pas les moyens de ses ambitions, mais bourré d’idées de mise en scène et de plans magnifiques
Place à l’intrigue : Suite à un malentendu, Ti Ming-chi (Yuen Biao) déserte l’armée des bleus et s’enfuit en plein conflit, se réfugiant sur une montagne isolée, il est attaqué par des esprits dont il parvient à se débarrasser grâce à l’aide providentielle du chevalier Ting Yin (Adam Cheung). Par gratitude, l’ex soldat se met en tête de devenir le serviteur du chevalier. Ting-Yin arpente cette montagne ancestrale afin de combattre les forces du mal qui tentent de pénétrer notre monde, en effet le gardien «Long Sourcil» (Sammo Hung) a de plus en plus de difficultés à garder la porte. Les forces démoniaques attaquent continuellement et bientôt le chevalier se fait posséder. Avec l’aide de deux moines bouddhistes poursuivant le même but, ils décident d’aller à la rencontre de la Dame des glaces (Brigitte Lin) afin de les aider à soigner Ting-yin, mais le mal rôde et Ti Ming-chi l’apprenti devra affronter encore de nombreuses aventures afin de repousser les forces maléfiques et sauver l’humanité.
Un film complètement fou à la fois fauché et généreux qui prend le risque de ressembler à un super sentaï à la Bioman, mais qui force l’admiration.
D’abord un bide, c’est avec le temps que le film gagna ses galons d’œuvre culte et fondatrice du cinéma de Hong Kong. Tsui Hark se distingue dès les premières images de film avec ce style si personnel de montage épileptique tout en urgence. Parfois plus de vingt personnages virevoltent en même temps et l’image semble exploser sous leurs coups. Son propos se veut mordant sur les guerres qui ont jalonné l’Histoire de Chine. Comme il sait pertinemment qu’il n’a pas les moyens de filmer des armées grandioses, il en réduit la portée à celle de cour de récréation avec ces soldats de toutes les couleurs comme s’ils portaient des dossards. Il pioche aussi de manière canaille dans l’esthétique des affiches communistes pour sa représentation des héros. Par ailleurs, Hark compose des plans de toute beauté notamment quand il cadre la sublime Brigitte Lin qui en un seul geste exprime l’arrogance, l’élégance et la sensualité.
Si les trucages ont vieilli au point de pouvoir être rangés aux cotés des péplums italiens, le film ouvrira malgré tout la voie aux wu-xia-pian fantastiques délirants parmi lesquels on pourra citer les HISTOIRES DE FANTÔMES CHINOIS ou SWORDMAN de Ching-Siu-Tung, LES MISTER VAMPIRE de Ricky Lau, EVIL CULT de Wong Jing et même l’américain JACK BURTON DANS LES GRIFFES DU MANDARIN de John Carpenter.
HISTOIRE DE FANTÔMES CHINOIS (1987) de Ching Siu-Tung
L’intrigue : Ning (Leslie Cheung) est un inspecteur des impôts un peu timide, qui doit se rendre dans des campagnes reculées pour faire son travail. Lors de l’une de ses habituelles tournées, il passe la nuit dans le temple Lan Jou. Il y rencontre une femme ravissante et mystérieuse du nom de Hsiao-tsing. Celle-ci est en réalité un fantôme séduisant les hommes pour les offrir à son maître Lao-Lau, l’arbre démon. Mais Hsiao-Tsing va tomber amoureuse de notre brave héros maladroit au cœur pur. Et en refusant de le tuer, elle va s’attirer les foudres de son maître démoniaque. Ayant appris que cette femme qu’il a rencontrée est un fantôme, Ning va tenter de la sauver avec l’aide d’un vieux moine taoïste aux grands pouvoirs. Tous deux vont récupérer l’urne funéraire de Hsiao-Tsing et tenter de la soustraire à la tyrannie des démons.
Histoire de fantôme chinois est un film étrange. C’est-à-dire que c’est un film qui mélange comédie burlesque et moments d’émotions sincères avec son histoire d’amour.
Film mythologique à la fois burlesque et triste
Le film est produit par Tsui Hark, un cinéaste incontournable du cinéma hongkongais à la mise en scène folle et virtuose qui se fera une spécialité de réaliser des wu xia pian un peu fous suite aux échecs relatifs de ses polars comme L’ENFER DES ARMES. Il a ravivé l’intérêt du public pour les wu xia pian avec ZU, LES GUERRIERS DE LA MONTAGNE MAGIQUE et ce, malgré son relatif échec.
Tsui Hark va monter sa boite de production et commencer à se montrer très présent dans le paysage cinématographique. Trop présent pour certains. Mais d’autres réalisateurs, comme celui qui nous intéresse ici, Ching Siu-Tung, n’auront aucun problème pour travailler avec lui. Et ils vont se lancer dans l’adaptation de ce HISTOIRE DE FANTOMES CHINOIS en 1987. Je dis adaptation car il s’agit d’une remise au goût du jour d’un film de Li Han-hsiang, L’OMBRE ENCHANTERESSE sorti en 1960, lui-même adapté d’un roman de Pu Songling. Je n’utilise pas le terme remake car en réalité il va y avoir tant de modifications que les films n’ont plus grand chose à voir, à part la trame de fond d’un amour entre un humain et un fantôme. Les personnages seront beaucoup plus développés et naturels au point qu’on s’attache facilement à eux (la comédie joue d’ailleurs un rôle là-dedans. On s’attache plus facilement à une femme amusante et un héros au cœur pur mais maladroit et un peu trouillard qu’à des personnages stoïques et figés.) Au lieu d’un seul démon, il y aura plein de créatures folles (des morts-vivants momifiés, des têtes volantes, un démon à la langue géante extensible, et il y a même des cadavres animés en stop-motion à la Harryhausen !) Et les éléments évoquant leur amour (comme le poème et le portrait) seront mieux insérés dans l’intrigue. De plus, la fin sera plus tragique et amère, ce qui viendra là aussi contrebalancer la comédie. On ne s’attend pas à être ému alors que le film nous a donné l’impression à certains moments qu’on regardait EVIL DEAD 3.
Histoire d’amour impossible entre un humain et un fantôme captif des démons
C’est aussi le casting qui fait la force de ce film. En particulier la ravissante Joey Wong qui joue le fantôme. Au-delà de son physique agréable, elle dispose d’un éventail d’émotions lui permettant d’être tout aussi crédible en séductrice qu’en femme triste condamnée par son destin. Elle a ce petit sourire en coin qui lui confère un air espiègle et aguicheur qui convient parfaitement au rôle. Elle sera d’ailleurs pour beaucoup indissociable de ce rôle et deviendra une actrice très demandée. Elle est d’ailleurs la seule du casting à reprendre 3 fois un rôle similaire dans les suites. Le héros un peu ingénu et maladroit n’est pas en reste. Il est joué par Leslie Cheung, chanteur de pop cantonnaise (qui chante d’ailleurs un thème du film.) Son physique avenant et sa capacité à prendre un air innocent ou un peu ahuri lui permet d’être convainquant en jeune homme à la fois charmant mais aussi candide et trop pur pour ce monde. Quant au moine taoïste qui va aider notre héros, il est joué par Wu Ma, dont le visage assez bonhomme apporte une touche de bouffonnerie (c’est lui qui fait les trucs les plus WTF…et aussi la baston ! Notre héros n’est pas un guerrier du tout.)
En bref, HISTOIRE DE FANTOMES CHINOIS est un régal cinématographique proposant une histoire d’amour tragique sur fond de mythologie délirante. On passe de l’humour à l’émotion, de l’horreur à l’action délirante. Le mélange des genres peut étonner mais pour peu qu’on adhère, c’est un véritable plaisir.
Les suites ne lui arriveront hélas pas à la cheville. Et cela pour deux raisons : d’une part ils essaient un peu trop de reproduire la formule qui a fait le succès du premier et d’autre part, il ne reste presque plus que la composante comédie burlesque et quasi aucune émotion. Ceux qui espèrent retrouver l’équilibre entre délire et émotion du premier seront déçus.
L’AUBERGE DU DRAGON (1992) de Raymond Lee et Tsui Hark
(chronique d’Effy Vanleffe)
Même s’il se plante à chaque fois qu’il renoue avec le genre, Tsui Hark ne désespère pas. Il a tenté de mettre en place le come-back de King Hu (L’HIRONDELLE D’OR-A TOUCH OF ZEN) avec SWORDSMAN, mais l’aventure a tourné court. Finalement il va donner le feu vert à ses amis pour faire du wu-xia pian à sa place. Ching siu Tung se chargera de SWORDSMAN 2 qui cartonnera contre toute attente et Raymond Lee lui s’attellera à un ultime hommage à King Hu en mettant en scène un remake de DRAGON INN, un huis clos d’espionnage et de sabre.
Si Tsui Hark, en bon maniaque du contrôle, laisse un temps les rênes à Raymond Lee, sa caméra lui brûle les doigts et il reprend en main un film une nouvelle fois bâtard entre tradition et modernité où une scène d’introduction sentencieuse fait place à la frénésie d’acteurs ayant bouffé du kangourou.
Puis les enjeux s’installent doucement. L’eunuque Tsao-Siu-Yan (Donnie Yen) qui parle pour l’empereur sans avoir en théorie de pouvoir propre, mène en sous-marin une lutte contre des différents chefs militaires pouvant lui faire de l’ombre. Ainsi le film débute sur l’exécution d’un chef militaire et la recherche acharnée de deux de ses enfants (puisque dans ce contexte, quand une personne est condamnée, sa famille entière doit le suivre). Chow-Wai-On (Tony Leung Ka-Fai), le second du défunt, se met en mission de protéger les deux gamins avec sa maîtresse Yau-Mo-Yan (Brigitte Lin). La jeune femme trouve le refuge dans une auberge isolée en plein milieu du désert. La patronne est une femme de caractère interprétée par Maggie Cheung, à la tête de toute une bande de trafiquants, profitant de la position géographique idéale de son établissement. Bientôt tout ce petit monde sera rejoint par les émissaires de l’eunuque alors qu’une tempête tropicale fera rage, obligeant toute la clientèle à garder jalousement ses secrets. Les uns espionneront les clients pour parvenir à sortir au moyen d’un passage secret que seule la patronne connaît, et les autres chercheront à trouver et assassiner les deux enfants. Et pendant ce temps, l’eunuque est en chemin.
L’auberge du dragon, véritable poudrière sur laquelle moult personnages antagonistes sont assis.
L’AUBERGE DU DRAGON est un film bordélique aux intentions protéiformes qui sauront pourtant nourrir la fascination qu’exerce le long-métrage sur ses spectateurs. Si l’hommage appuyé aux anciens films va donner de longues scènes descriptives un brin lourdingues et d’autres de très jolis dialogues intimistes, les scènes d’action sont quant à elles, virevoltantes, frénétiques et emplies de furie. Entre deux, nous avons également de splendides scènes inspirées du western italien que ne renieraient Sergio Leone. Par ailleurs certaines sous intrigues sont purement là pour le plaisir. Le fait que l’auberge soit peuplée en fait d’une tribu barbare et cannibale n’ajoute pas grand-chose et certains «fusils de Tchekhov» (procédé comme quoi chaque élément présenté doit avoir un impact plus tard sur l’intrigue) sont déchargés. Les différents marqueurs de Tsui Hark sont donc bien présents jusqu’à la caricature. On a donc le renversement des points de vue avec cette mise en avant des personnages féminins qui ravalent le héros traditionnel au rang de quasi figurant (comme quoi vous n’avez rien inventé Disney) ! Les chorégraphies sont comme de juste hallucinées comme lors de cette scène finale dans le désert où la caméra semble elle-même courir jusqu’à s’essouffler et participer au combat.
Séquence d’action furieuse à la caméra mobile dans le désert, où tout le monde essaie de venir à bout de l’eunuque, personnage au centre du cadre
Enfin les plans iconiques et composés comme des affiches sont légion, participant à rendre certaines images inoubliables. Maggie Cheung et Brigitte Lin sont totalement sublimées et leur présence dévorent le film reléguant donc les pauvres Tony Leung Ka-fai et Donnie Yen au second plan. La chute d’ailleurs sortira des sentiers battus, montrant là encore un refus total du statu quo.
Le film est donc une démonstration de l’aspect hors-norme et borderline de ce que Hong-Kong pouvait offrir quelques années avant le retour à la Chine.
THE BRIDE WITH WHITE HAIR (1993) de Ronny Yu
Le pitch : L’empereur est sur le point de mourir. Mais on raconte que tous les 20 ans éclot une fleur magique sur le mont des Neiges, capable de soigner tous les maux ou même ramener les morts à la vie. Cette fleur est gardée par Yi-Hang Tcho (Leslie Cheung), un maître de Wu-Tang. Des émissaires de la cour impériale sont envoyés pour la cueillir. Mais Yi-Hang refuse de céder la fleur et les élimine. Il garde la fleur pour une femme de son passé. Le film opère alors un flash-back et on comprend que cette femme a sauvé Yi-Hang de loups affamés lorsqu’ils étaient enfants. Il l’a revue plus tard sous une autre forme : celle d’une étrange guerrière/sorcière au fouet tranchant surnommée « la louve » (Brigitte Lin.) Cette dernière fait partie d’une tribu d’assassins opposée à l’unification de la Chine dirigée par une sorte de sorcier au grands pouvoirs : Tsi Wou-Chouang qui est en réalité un frère et une sœur siamois collés par le dos, autrefois chassés de Wu-Tang. On comprend que cette femme, élevée par des loups, a été recueillie par les siamois, et que sa mission est d’éliminer les chefs des clans de Wu-Tang (dont Yi-Hang). Mais évidemment, la louve et Yi-Hang vont tomber amoureux, et Yi-Hang lui donnera un nom : Lien. Et tels Romeo et Juliette, ils vont se retrouver entre deux camps qui veulent s’éliminer alors qu’eux veulent s’aimer.
THE BRIDE WITH WHITE HAIR a longtemps été connu chez nous sous le titre JIANG-HU, LES INSOUMIS (c’est notamment sous ce nom qu’on trouvait le DVD de la collection Asian Star de Jean-Pierre Dionnet.) Comme indiqué dans la partie précédente, le JIANG-HU désigne dans la littérature une société parallèle constituée de guerriers errants, de maitres d’arts martiaux, etc. En gros on pouvait interpréter le titre comme « les insoumis au monde des arts-martiaux. » Ce qui a du sens quand on connait l’histoire. THE BRIDE…est un des meilleurs représentants du wu-xia pian des années 90 selon moi. Il est très orienté fantasy comme vous l’aurez compris avec le résumé, mais c’était très souvent le cas dans ce renouveau du genre lancé par Tsui Hark. On ne compte plus le nombre de plans magnifiques (à voir si possible dans sa nouvelle remasterisation blu-ray chez Spectrum films), le film est sérieux et véhicule beaucoup d’émotions. Il y a de la poésie, de la violence, de l’amour, de l’espoir, de la tragédie, de la passion, le tout exprimé au travers de personnages torturés.
Un film de sabre aux paysages et aux thèmes romantiques
Avec des scènes de combat virevoltantes et sanglantes ou d’ébats amoureux passionnés sous des cascades d’eau. Les méchants (le frère et la sœur siamois) ont même du relief dans le sens où l’homme est amoureux de sa protégée Lien mais sa condition de siamois le prive de trouver l’amour et le contraint à partager d’une certaine façon l’intimité d’une femme qui est sa sœur. Il va jusqu’à s’automutiler pour calmer ses souffrances. Sa sœur est d’ailleurs une peste qui le rabaisse, donnant au méchant une dualité intéressante et un aspect pathétique malgré ses grands pouvoirs.
D’ailleurs les gentils et les méchants ne sont pas bien délimités. Certes la secte rebelle des siamois sont des sauvages sans pitié et passent pour les plus cruels du film. Mais l’empire dont les clans de Wu-Tang sont le bras armé tient son peuple d’une main de fer, affame ses sujets et les punit de tout vol par des pillages et viols dans des villages. Ses propres camarades paraissent trop violents aux yeux de Yi-Hang qui est un pacifiste. Au final les héros de l’histoire sont ceux qui préfèrent l’amour à la guerre.
Un « double méchant » original au destin tragique
C’est un beau film avec des personnages intéressants et une photographie soignée. L’intérêt n’est pas tant dans les combats que dans l’histoire et les relations entre les personnages, comme c’est souvent le cas avec les meilleurs films. Avec cette histoire d’amour impossible, le film a des similitudes avec HISTOIRES DE FANTOMES CHINOIS, mais sans la comédie. Je dirais que pour les réfractaires à la comédie chinoise parfois un peu hystérique, c’est ce film qu’il faut voir pour cette époque, peut-être avec L’AUBERGE DU DRAGON. Il y a bien quelques folies visuelles dans les affrontements qui pourront dérouter le néophyte mais le sérieux global du film le rend je pense plus facile à aborder quand on n’a pas l’habitude des mélanges de genres ou de tons.
Et le tout est servi par une très belle musique de Richard Yuen.
Le trailer de GREEN SNAKE pour la route
On se retrouve pour la suite de l’évolution du genre dans la partie 3
Je pose ça là: Bravo pour les illustrations, ça donne une identité et une cohérence graphique au blog très agréable.
Salut. Merci à toi.
Je me suis permis d’ajouter un film dans cette partie de notre team-up.
Et j’avoue que dans la partie 3 je pense réécrire ta conclusion si tu n’y vois pas d’inconvénient. Tout simplement parce que le temps a passé et que j’ai d’autres trucs à dire en conclusion^^ Je garderai quelques arguments que je partage de toutes façons (l’ère numérique des films hongkongais sur fond vert, etc.) mais j’ai aussi envie de faire une conclusion ouverte qui annoncera d’autres films dans des articles dédiés, vu que je peux publier ce que je veux^^
Pas de souci. Nouveau blog, nouvelles attentes…
Je réfléchis de mon coté entre faire le « guest » chez le taulier ou faire comme vous avec un projet basé sur mes propres envies… Je suis assez velléitaire alors ce sera peut-être pour ma retraite….
Pour CAP, j’attends avec impatience le prochain article totalement inédit pour moi.
Vous aurez toujours mes encouragements de toute façon.
You rule guys!
ça arrive les nouveautés. J’ai 2 articles prêts sur le thriller italien « aux frontières du giallo », qui ne sont pas des gialli mais parfois classés comme tels^^
Je parlerai surement des 3 ROYAUMES de John Woo dans un article dédié aussi.
Mais c’est vrai qu’on dépoussière pas mal de vieux articles de chez Bruce pour remettre des images, des liens qui marchent, etc^^ Hélas parfois le temps détériore les articles avec trop de liens youtube.
Ils ont fini par rééditer LES BRIGANDS de Magnus aussi dans la catégorie fumetti. Donc je vais ramener mes articles sur Magnus, mettre à jour tout mon bazar sur SATANIK, et réécrire un article sur LES BRIGANDS en me basant sur l’édition de 2024 chez l’éditeur Revival.
En tous cas si t’as envie de faire le guest ici t’es le bienvenu. Certes on est un blog de l’ombre avec peu de vues mais bon…on peut pas avoir une liberté totale, parler de trucs de niche et être super connus en 4 mois hein^^
royx7z