
* EDEN GARDEN *
Chronique du film : LEGEND
Date de sortie : 1985
Durée : 114 minutes
Réalisation : Ridley Scott
Genre : Fantasy

Le pitch : À l’aube des temps, l’équilibre du monde est maintenu grâce à un couple de licornes, dont la pureté demeure garante de cette harmonie. Darkness, le démon, rêve de plonger la Terre dans la nuit éternelle en tuant les licornes. Mais il ne peut les atteindre, tant leur pureté les éloigne du mal. Lorsque la princesse Lili et le facétieux Jack tentent de s’approcher des deux créatures immaculées, Darkness voit enfin l’occasion d’utiliser leur innocence afin de précipiter la chute des licornes.
Après avoir fait assassiner le mâle par ses fidèles gobelins, Darkness s’empare de la femelle et de la princesse, qu’il espère séduire. Jack devra s’allier aux elfes et aux fées afin de délivrer la jument et la jeune femme…
Pour entamer la lecture de l’article dans les meilleurs conditions, vous pouvez aussi écouter la BO féérique de Jerry Goldsmith en même temps…
Réalisé en 1985, LEGEND est le quatrième film de Ridley Scott (après LES DUELLISTES, ALIEN et BLADE RUNNER). À ce stade de sa carrière, le cinéaste est encore très inspiré. Il développe une imagerie inédite, relativement visionnaire, à la fois somptueuse et perturbante au niveau de l’étrangeté de son atmosphère. Nous sommes soudain transportés dans une autre réalité, troublante par sa baroquerie maniaque (même si l’on est loin de ce qu’avait fait Jim Henson – le créateur des Muppets – trois ans auparavant avec DARK CRYSTAL). Car LEGEND est un film féérique conceptuel, qui tente de saisir l’essence du merveilleux d’un point de vue purement cinématographique. C’est-à-dire qu’il brosse des tableaux plus qu’il ne raconte une histoire (un reproche qui reviendra en boucle dans la filmographie de Ridley Scott au rayon de la critique). Il est donc logique que le monde dans lequel se déroulent les événements du récit ait à ce point l’air d’être un décor clos, à la manière d’une pièce de théâtre (voire d’un ballet ou d’un opéra).
Beaucoup de gens n’y auront rien compris en reprochant à Ridley Scott de filmer un scénario famélique. C’est une erreur considérable car, d’un côté c’est hors-sujet (LEGEND, comme son titre l’indique, est plus l’expression d’une idée qu’un récit au sens classique (de quelle légende parle t-on en définitive ? de toutes ? d’aucune ?)) et d’un autre, cela signifie que l’on passe complètement à côté du concept : Matérialiser le merveilleux sous la forme d’un archétype mythologique sensoriel, le spectateur se retrouvant dans un tourbillon de sensations visuelles et sonores (si l’on part du principe que l’on va voir le film en salle).
Parabole de la Genèse, LEGEND n’est en toute logique qu’une introduction, une ébauche de récit. Car on assiste effectivement à une relecture du jardin d’Eden, avec la licorne en lieu et place de la pomme et la jeune princesse causant la perte du paradis en succombant à la tentation interdite, tout comme Eve, le tout se déroulant dans un emplacement unique et restreint – une sorte de closerie. Mais à la différence de la Bible, nos héros auront droit à leur rédemption… comme dans les contes !
Bande d’annonce vintage…
En choisissant comme source d’inspiration le plus ancien des mythes (la Bible), Ridley Scott et son équipe s’assuraient ainsi de puiser le merveilleux à sa source. Une mise en abîme vertigineuse, manifestement incomprise par le public.
Ainsi, le scénario de LEGEND n’est pas anémique, il est séminal. En revanche il est inhabituel, car il incarne plus qu’il ne raconte, il illustre plus qu’il ne développe, un mythe féerique. L’histoire que le film raconte (ou son absence d’histoire) n’est ainsi plus que le prétexte par dessus lequel le mythe prend vie, sous la forme d’une série de tableaux merveilleux, qui parviennent à matérialiser cette Terre fondatrice avec une atmosphère réellement unique, le spectateur ayant littéralement l’impression de voir le monde tel qu’il aurait pu être à l’aube de la création (une fois encore, il faut essayer d’imaginer la sensation que représentait le film sur un grand écran dans une salle obscure !).
Le scénario de LEGEND est donc moins un scénario au sens classique du terme qu’il ne décrit, en quelque sorte, l’essence de tous les scénarios. Il n’est pas la construction d’un récit légendaire, mais l’incarnation de leur source. Il EST LÉGENDE et donc concept, épure, ébauche, schéma. Et il constitue qui plus-est un anti-récit, puisqu’entièrement cinématographique et donc totalement opposé à une interprétation littéraire. Le résumer, c’est l’appauvrir (voire tomber dans le ridicule). Il s’agit avant tout de le ressentir !
Si toi, lecteur, toujours pas comprendre : Toi simplement te laisser porter par ambiance et sensations. Sinon toi chercher histoire là où on fait exprès de ne pas t’en raconter une…

Le concept de la féérie : Adam et Eve dans le Jardin d’Eden…
LEGEND est donc un film conceptuel, qui se ressent davantage qu’il ne se regarde. Il faut le comparer à une toile impressionniste sur laquelle on verrait ce que ressentait le peintre plutôt que ce qu’il voyait en peignant la nature, comme une peinture de Van Gogh où les éléments baignent le regard d’une altérité hypnotique. Il échappe à la doctrine habituelle du récit structuré pour ne devenir plus qu’une épure visuelle et sonore, une relecture de la Genèse à la manière du conte.
Ce postulat, transcendé par le score sublime de Jerry Goldsmith, implose dans la magnifique scène de la valse avec le diable, dans laquelle Lili perd ses repères en même temps que le démon ! Une scène extraordinaire, filmée comme un tourbillon avec moult virtuosités, impossible à traduire sous un autre médium que celui du cinéma. Un idéal de narration sensorielle, où le sens du récit ne passe plus par le verbe, mais par le son et l’image.
La plus belle scène du film, portée par l’une des plus belles musique jamais composées pour un spectacle purement féérique.
Ceci étant dit, tout n’est pas parfait dans le film, qui accuse quelques longueurs et un dénouement qu’on aurait préféré plus spectaculaire. Il souffre d’un montage très sommaire, laissant planer une impression de naïveté, comme un spectacle pour enfants mal finalisé.
Il faut savoir que Ridley Scott et son équipe ont été obligé de surmonter un sacré nombres de déconvenues (notamment cinq réécritures du scénario par le romancier William Hjortsberg), dont la plus importante demeure l’incendie des studios de Pinewood, qui ravagea l’un des principaux décors du film (apparemment gigantesque et onéreux), obligeant Scott à renoncer à certaines séquences, créant une sensation de “trop peu” à la vision du résultat.
Lorsqu’il sort en 1985, LEGEND est un échec commercial cuisant et la carrière de Ridley Scott continue de prendre l’eau après BLADE RUNNER.
C’était pourtant la bonne époque pour l’heroic fantasy au cinéma puisque le public avait connu en seulement quatre ans pas mal de grandes productions dans le genre consacré, avec EXCALIBUR et LE DRAGON DU LAC DE FEU (1981), DARK CRYSTAL et CONAN LE BARBARE (1982), KRULL (1983), ou encore LADYHAWKE, LA FEMME DE LA NUIT (1984) (il y aura aussi bien sûr WILLOW en 1988).
LEGEND bénéficiait en outre des maquillages prodigieux de Rob Bottin, qui avait mis au point pour l’occasion une technique d’un nouveau genre en créant toute une galerie de prothèses en silicone permettant un large éventail d’expression des visages pour les diverses créatures féériques.
Rob Bottin avait été le disciple de Rick Baker et avait notamment conçu les maquillages et les effets spéciaux du film HURLEMENTS après le départ de ce dernier (dont la transformation d’un personnage en loup-garou). Mais il avait également conçu les magnifiques créatures et autres effets horrifiques du film THE THING, réalisé par John Carpenter en 1982.

Des licornes, des fées, des elfes et des gobelins.
Il existe trois versions du film :
1) La version dite “européenne”, celle que tout le monde connait car c’est celle qui est sortie au cinéma en Europe, qui a été vue à la télévision et qui était disponible sur les premières versions DVD.
2) Le director’s cut, disponible aux USA depuis 2002, et en France en blu-ray depuis 2012.
3) La version “américaine” réputée irregardable, avec la musique de Tangerine Dream, inédite sous nos latitudes.
Dans le blu-ray, une introduction de Ridley Scott indique qu’il n’a pas été possible de proposer le director’s cut dans une HD vraiment satisfaisante et ce dernier n’est disponible qu’en version originale sous-titrée. C’est néanmoins la meilleure version et c’est celle à laquelle cet article se réfère.
À noter que Ridley Scott s’est fait le grand spécialiste des films aux multiples versions dont l’exemple le plus frappant demeure évidemment son BLADE RUNNER au cinq copies…

Darkness : Le plus beau diable de l’histoire du cinéma !
Le director’s cut doit-il être considéré à proprement parler comme une version longue ? Dans un sens non, puisqu’il n’y a aucune scène supplémentaire. Dans un autre oui, puisqu’il est bien plus long (1h50, contre 1h30 pour le montage européen, le tout calculé sans les génériques de fin). Il s’agit en fait d’un montage plus fluide, plus cohérent, dont les rajouts parfois imperceptibles compensent les coupes brutales qui paraissaient étranges dans l’ancienne version.
Pour ma part, il est clair que, désormais, l’ancienne copie dite “européenne”, est devenue obsolète…
Si j’ai réussi à insérer le doute dans votre esprit, je vous suggère de redonner sa chance au film (director’s cut, OK ?) en gardant à l’idée qu’il ne s’agit pas d’un récit au sens classique du terme, mais plutôt d’une œuvre d’art conceptuelle et une tentative d’approcher le médium cinématographique de manière sensitive (ce n’est pas l’histoire qui est intéressante, mais la manière de la raconter, OK ?).
Avec le recul, il est amusant de retrouver un Tom Cruise débutant (22 ans à l’époque du tournage) et un Tim Curry qui, après avoir joué le Diable ici et un ersatz de Frankenstein dans THE ROCKY HORROR PICTURE SHOW, ne tardera pas à incarner un autre méchant d’anthologie en devenant le maléfique clown Grippe-sous dans ÇA, l’adaptation du roman de Stephen King réalisée pour la TV en 1990 !

Et il y a même une méchante et épouvantable sorcière qui vit dans les marais !
THAT’S ALL, FOLKS !!!

Film culte, film de l’enfance pour moi.
Merci pour cette analyse ! Tim Curry incarne vraiment la beauté du diable, immense, imposant et charismatique, face au minuscule Tom Cruise (sérieusement, le jeu sur les tailles est hilarant à la fin du film. « Que vois-je ? Un enfant ! »)
En regardant de jeunes youtubers découvrir le film, j’ai découvert la BO de Tangerine Dreams. Autant j’aime certaines de leur composition (Aux frontières de l’aube/Near Dark, notamment), autant je les trouve hors sujet sur ce film. La scène de la valse de Lili mentionnée dans l’article est tellement moins impactante avec leur musique qu’avec celle de Goldsmith !
La discographie de Tangerine Dream est dantesque et ses BOs sont parfois réussies (RISKY BUSINESS). Mais dans les deux cas c’est très inégal, beaucoup de quantité et pas toujours de qualité égale. Ceci-dit je n’ai jamais vu ni entendu la version américaine de LEGEND. Et apparemment je n’ai rien raté ^^
C’est cool de voir un retour positif sur ce film mal aimé (et surtout mal compris) et pourtant magnifique (surtout le director’s cut).
La scène de la danse avec le Diable étant l’une des plus belles de tous les temps notamment avec la BO démente de Goldsmith, j’ai du mal à l’imaginer avec une autre musique, surtout si elle est ratée !