LES 3 ROYAUMES
Chronique du film LES 3 ROYAUMES
Réalisateur : John Woo
Date de sortie du film : 2008
Genre : guerre, historique.
Aujourd’hui on va faire un tour en Chine vers la fin de l’Antiquité au travers d’un film historique de guerre qui se penche sur la naissance des 3 royaumes.
LES 3 ROYAUMES (RED CLIFF), c’est une grande fresque épique que John Woo a mis en branle suite à son retour à Hong Kong après une petite carrière aux USA (dénuée de vrai bon film mais avec quelques films d’action « plaisirs coupables » rigolos malgré tout moins honteux que ceux de ses pairs Tsui Hark ou Ringo Lam qui ont pondu des bouses made in US avant de rentrer chez eux.)

Le film est initialement en deux parties
Il s’agit d’un film de guerre/conquête historique qui raconte comment se sont établis les fameux 3 royaumes évoqués dans le roman CHRONIQUES DES TROIS ROYAUMES écrit au XIVème siècle par Luo Guanzhong. Ce roman historique fait partie des « quatre livres extraordinaires » de la littérature chinoise (avec AU BORD DE L’EAU, LA PÉRÉGRINATION VERS L’OUEST et LE RÊVE DANS LE PAVILLON ROUGE).
Tout d’abord il faut savoir qu’il existe 2 versions de ce film. Une internationale de 2h30. Et une hongkongaise (sortie aussi chez nous, mais plus tard) en deux parties (2h30 + 2h15, soit 4h45) Sacrée différence ! (Même si on peut virer 20 min de générique). Peter Jackson et ses versions longues du SEIGNEUR DES ANNEAUX peut aller se rhabiller. Il est évident que la version internationale n’a aucun intérêt compte tenu de l’ampleur de ce qui est raconté. Il faut voir la version longue.
Le pitch : Alors…le pitch en fait c’est un peu d’histoire de Chine. A la fin du IIe siècle, la dynastie Han (qui a succédé à la dynastie Qin dont on parlait dans HERO) se désagrège progressivement, divisé entre plusieurs seigneurs de guerre rivaux. Au début du IIIe siècle, trois d’entre eux prennent une place prépondérante : Cao Cao (prononcez Tsao Tsao), Sun Quan (prononcez Sun Chuan), et Liu Bei, respectivement dirigeants de régions de Wei (魏), Wu (吳), et Shu (蜀). Le film se déroule alors que l’empereur Xian, qui règne depuis 189, n’a plus aucun contrôle sur sa cour ou les différents seigneurs de guerre. Le plus puissant est Cao Cao qui en 207 a pris le contrôle de tout le nord de la Chine. En 208, il réorganise la cour impériale et se fait nommer chancelier impérial (« premier ministre » dans la VF), une position qui lui accorde l’autorité absolue sur l’armée et un poids non-négligeable au sein du gouvernement. Et il souhaite prendre le contrôle des territoires de Wu et de Shu au sud (et sans doute remplacer l’empereur à terme).

C’est qui le patron ici ? L’ambitieux Cao Cao ou un jeune empereur immature dépassé ?
Ça a l’air compliqué comme ça mais pas tant que ça. En gros la Chine est divisée à nouveau, et ça guerroie. Le film s’attarde surtout dans sa deuxième moitié sur la bataille de Chibi qui a vu Cao Cao défait par l’alliance des 2 autres seigneurs Liu Bei et Sun Quan. Si le film s’appelle LES TROIS ROYAUMES en France, le titre international est RED CLIFF et le titre chinois est CHIBI. Amusant comme en remontant à la source on obtient un titre de plus en plus précis. En effet, la bataille des Falaises Rouges, également connue sous le nom de bataille de Chibi, est une bataille navale décisive qui a eu lieu au cours de l’hiver 208-209. Elle s’est déroulée sur le fleuve Yangtze. Les forces alliées de Sun Quan et Liu Bei basées au sud du Yangtze ont vaincu les forces numériquement supérieures de Cao Cao. En se focalisant sur cette bataille, le film raconte la défaite de Cao Cao qui hérite du rôle de méchant de l’histoire, apparemment le chef le plus instable et cruel des trois. Du moins c’est « romancé » comme ça. En tous cas c’est lui l’envahisseur donc forcément ce n’est pas le plus sympa.

Dès le début du film, Cao Cao lance une attaque contre Liu Bei et l’évacuation des civils s’avère ardue
Bien sûr le film nous présente les personnages de manière un peu plus intimiste pour qu’on s’intéresse à leur sort. Outre l’antagoniste Cao Cao (joué par Zhang Fengyi), les personnages principaux sont surtout les stratèges des forces de Wu et de Shu. D’abord Zhuge Liang (joué par le japonais Takeshi Kaneshiro), marquis de Wu et stratège de Liu Bei (à noter que la VF a choisi de l’appeler par son nom social Kongming, dont la sonorité le départage plus facilement des autres noms à consonance similaires). Puis Zhou Yu (joué par Tony Leung Chiu-Wai), vice-roi de Shu et également tacticien historique de Sun Quan.
Il y a également Shang xiang (Vicky Zhao Wei) qui tient un rôle important. Elle était la sœur de Sun Quan, et fut « offerte » en mariage à Liu Bei, dans le but de réunir les familles lors de l’alliance des 2 royaumes contre Cao Cao. (Ce n’est pas raconté dans le film parce que ça se passera plus tard, mais ce mariage arrangé sera ensuite utilisé pour trahir Liu Bei lorsque les alliances se briseront. Mais contre toute attente, Shang xiang ne jouera pas le jeu. Elle et Liu Bei tomberont finalement amoureux l’un de l’autre.)

Kongming (tout vêtu de blanc), Zhou Yu, et l’impétueuse princesse Shang xiang
Shang xiang était une femme batailleuse, un vrai « garçon manqué » adepte d’arts martiaux qui, dans l’intrigue du film, ira jusqu’à participer à l’effort de guerre en infiltrant le campement de Cao Cao déguisée en soldat. C’est elle aussi qui ajoute une petite touche de légèreté lorsqu’elle se lie d’amitié avec un autre soldat ennemi gentil mais complètement idiot qui ne percute pas qu’elle est là pour les espionner.
Enfin, il y a Xiao Qiao, la femme du stratège Zhou Yu. Elle était considérée (avec sa sœur) comme la femme la plus belle du monde, célèbre dans toute la Chine. Et le film nous dépeint un Cao Cao secrètement amoureux de cette femme, histoire de développer les intrigues de cour. Vous l’aurez compris, c’est un peu du GAME OF THROINES sur fond de film de guerre stratégique avec espionnage, complots, confessions sur l’oreiller et batailles épiques.

Cao Cao obsédé par la femme de son ennemi
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la version internationale ne simplifie rien en raccourcissant. Au contraire, elle peut complètement perdre le spectateur à cause du nombre de personnages et du rythme effréné. Toute la partie montrant l’indécision de Sun Quan d’entrer en guerre pour aider Liu Bei (résolue lors d’une partie de chasse avec son vice-roi Zhou Yu) passe à la trappe. Dans le même ordre d’idée, la princesse Shang xiang est très mal introduite (justement à cause des scènes manquantes avec son frère Sun Quan) et arrive comme un cheveu sur la soupe. Et concernant son rôle d’espionne au sein du campement de Cao Cao, on la voit juste entrer dans le camp ennemi et en ressortir plus tard, sans qu’on sache ce qu’elle a pu y faire et comment elle a transmis des informations au stratège Kongming.

La partie de chasse avec Sun Quan (en haut), sa sœur Shang xiang et son vice-roi Zhou Yu (en dessous)
Alors qu’on a vachement plus le temps de peser les enjeux avec la version longue. Le film gagne en profondeur et explique mieux les stratagèmes employés. Le seul point positif pour un occidental dans la version courte est l’ajout d’un texte introductif lors de la première apparition des principaux personnages. Mais si cet ajout est là pour simplifier, supprimer 2h de film ensuite a plutôt l’effet inverse puisqu’en coupant les scènes plus intimistes d’introspection qui nous permettent de nous familiariser avec les personnages, on ressent surtout qu’il y a un paquet de monde sans se rappeler qui fait quoi.
L’introduction du vice-roi Zhou Yu
La bataille de la falaise rouge ne commence pas avant la partie 2. Durant la première moitié, on prend le temps de présenter tout le monde, de former les alliances, de montrer les forces et faiblesses de chacun, avec une première grosse bataille « préliminaire » à la fin. Il y a d’ailleurs finalement peu de batailles sur les 4h45 que représente le film. Une au début montrant la férocité de Cao Cao qui met à sac des villages, puis une terrestre dans le désert à la fin de la première partie, et la plus importante en dernier tiers de la partie 2, nocturne et sur le fleuve au début pour finir au lever du soleil dans le campement de Cao Cao. C’est globalement bien rythmé avec une partie 1 culminant par une bataille terrestre, avant que le film ne se recentre sur les personnages durant les 2/3 de la partie 2 dépourvue d’action mais avec de nombreux rebondissements.
Oh le beau traquenard, mené par Shang xiang
Outre les scènes de batailles, c’est aussi les divers stratagèmes de guerre qui pimentent le récit. On pensera à l’odieux piège de Cao Cao qui envoie ses morts contaminés par la typhoïde dans le camp ennemi, ou l’habile stratégie de Kongming pour dérober des flèches à l’adversaire (une scène modifiée et raccourcie également dans la version courte qui coupe au montage 2 personnages, les amiraux de Cao Cao, pourtant importants car c’est leur mort qui va désavantager ce dernier).
Les généraux des forces alliées auront aussi droit à leur moment de bravoure, notamment le général Zhao Yun (des forces de Liu Bei) qui nous rappelle parfois que le film a une petite dimension wu-xia-pian avec combats surréalistes.

Des plans et effets pyrotechniques grandioses pour les batailles
La force du film reste ses personnages. Il faut savoir que les personnages des TROIS ROYAUMES sont presque légendaires, peut-être à cause du roman qui a pu auréoler ces personnages historiques de romantisme dans la culture populaire chinoise. Il existe moult séries, romans, BD, jeux-vidéo, même des figurines de ces chefs militaires et de leurs stratèges respectifs. Il n’est donc pas vraiment étonnant que le film s’attarde sur eux et leurs relations, leurs valeurs morales, les alliances, et les enjeux qui les opposent (tout en romantisant certainement un peu le tout).
Les deux stars principales sont clairement les deux stratèges et non leur seigneur respectif. Takeshi Kaneshiro joue donc Kongming, un stratège pur jus qui ne met jamais les pieds sur un champ de bataille, mais a toujours une longueur d’avance en tirant partie de moult éléments extérieurs pouvant faire remporter une bataille, comme les conditions météorologiques. Quant à Tony Leung Chiu-Wai qui joue Zhou Yu, il est tacticien militaire mais aussi combattant. Les deux hommes vont se respecter et s’admirer mutuellement, en regrettant le futur possible qui les verrait devenir ennemis (petite réflexion méta sur l’histoire puisque ce sera bel et bien le cas par la suite).

Deux hommes intelligents qui s’admirent et redoutent que le destin les oppose
Concernant l’aspect technique, c’est un film aux cadrages et à l’éclairage soignés (belles scènes nocturnes), aux décors grandioses, filmés de manière certes plus académique que le ferait un Tsui Hark, mais c’est une bonne chose pour plus de clarté avec de tels mouvements d’armées et quantité de personnages. On aura droit à de beaux décors et des scènes de batailles convaincantes, ce qui n’est pas étonnant quand on sait que le film a couté 80 millions de dollars. Cela reste cependant assez peu pour ce genre de production (un film un peu du même genre comme KINGDOM OF HEAVEN de Ridley Scott a couté 130 millions.) Mais en Chine c’est un sacré paquet, ils ne font jamais des films à 200 millions.

De beaux décors durant les moments de calme
En gros c’est un film que je recommande si vous êtes adepte de films de conquêtes historiques « médiévales » (même plutôt de l’Antiquité là). La version longue est à privilégier et elle dispose même d’une VF intégrale (et tout à fait honorable), ce qui n’est pas toujours le cas lorsque ladite version sort plus tard et ne bénéficie pas d’une sortie en salles.