
VOYAGE AU PAYS DE LA SOLITUDE
– Anthologie des films KING KONG – 4ème partie : KING KONG 2005 –
Chronique du film KING KONG par Peter Jackson
Date de sortie du film : 2005.
Durée : 3h07 (2h45 sans générique, puis 3h20 pour la version longue)
Genre : Fantastique, aventures.
1ère partie : KING KONG 1933
2ème partie : KING KONG CONTRE GODZILLA, KING KONG S’EST ÉCHAPPÉ, LA GUERRE DES MONSTRES
3ème partie : KING KONG 1976 + KING KONG 2
4ème partie – Vous êtes ici : KING KONG 2005
5ème partie : SKULL ISLAND

C’est une histoire d’amour et de solitude…
Cet article est le quatrième d’une série dédiée aux films KING KONG. Il portera sur le film de 2005 réalisé par Peter Jackson, qui est le second remake officiel du film originel de 1933 et donc le troisième KING KONG, qui raconte la même histoire après celui réalisé par John Guillermin en 1976.
Comme chacun le sait, ce dernier remake en date est l’œuvre du même réalisateur providentiel qui nous aura offert, parallèlement, les deux adaptations titanesques de l’univers de J.R.R. Tolkien…
Pour entamer la lecture de l’article dans les meilleures dispositions, vous pouvez aussi écouter la BO du film en même temps…
Commençons par poser la question essentielle : cette version de 2005 est-elle le remake ultime du chef d’œuvre de Cooper & Shoedsack ?
On peut être très admiratif du travail de Peter Jackson sur ses relectures de KING KONG et des romans de JRR Tolkien, voire être fier de lui quand on observe son parcours effectué depuis le cinéma d’entertainment le plus confidentiel, car il a réussi à matérialiser nos fantasmes indicibles, confinés dans les contes et les rêves d’aventure. Il nous a offert, de mémoire de cinéphile, des spectacles d’une générosité à nulle autre pareille.
Cela ne nous empêche pourtant pas de voir dans ce remake du KING KONG originel de 1933, auquel il se veut le plus fidèle possible, un certain nombre de travers embarrassants.
Fidèle, il l’est bien sûr dans la trame de l’histoire puisqu’il nous propose le premier remake du film original se déroulant dans les années 30, avec la “Grande Crise Economique” en toile de fond, ainsi que dans l’esprit, en remettant au premier plan le bestiaire préhistorique qui rendait le film de 1933 si jouissif et impressionnant.
Mais plus encore que LE SEIGNEUR DES ANNEAUX ou LE HOBBIT, le film qui nous intéresse ici n’est pas avare de défauts.

Peter Jackson s’amuse avec ses trois acteurs principaux : Jack Black, Adrian Brody et Naomi Watts. Le “Venture”, c’est, comme en 1933, le nom du bateau qui part pour l’Île du Crâne !
Flagrant délit de mauvais goût
Tout comme c’était déjà le cas dans LE SEIGNEUR DES ANNEAUX, on sent que les scénaristes ont voulu étoffer les personnages et les relations qui les unissent afin d’enrichir la trame de l’histoire, pour un résultat… totalement surfait ! C’est bien simple : on se fout totalement de tout de ce qu’ils se racontent ! Les dialogues sonnent faux et incongrus, tant ils tentent de singer ceux de 1933 en les modernisant maladroitement. Les interminables monologues de Carl Denham (Jack Black) sous forme d’envolées lyriques sensés élever le débat sont poussifs et ampoulés. En dehors du personnage d’Ann Darrow, porté à merveille par le jeu dépouillé et lumineux de Naomi Watts, tous les autres ne sont qu’une bande de figurines factices sans la moindre épaisseur, indignes d’un tel spectacle. Des pantins interchangeables, écrasés par des enjeux qui les dépassent, quand ceux du remake de 1976 pourtant constamment raillé, étaient autrement consistants et crédibles. On a maintes fois célébré le talent du trio Jackson/Boyens/Walsh pour l’écriture mais, avec le recul, ne faudrait-il pas le revoir à la baisse ?

La magnifique reconstitution du New York de la grande crise économique.
Mais le pire défaut du film est son humour chronique de mauvais aloi. Si certains spectateurs ont aimé le “lancer de nain” ou “l’elfe surfeur” dans LE SEIGNEUR DES ANNEAUX, les “magiciens qui abusent de consomation de champignons hallucinogènes” et les “nains qui dansent cul-nu” dans LE HOBBIT, d’autres s’en seraient volontiers passé. Si l’humour de Peter Jackson était ravageur dans ses premiers films d’horreur (BAD TASTE, BRAINDEAD, LES FEEBLES), lesquels drainaient un mauvais goût provocateur naturellement à sa place, il devient hors-sujet sur des histoires universelles et des spectacles de calibre familial. Et l’on peut objectivement rester de marbre sur des gags poussifs lorsque ce n’est pas le sujet, car il en découle une lourdeur instantanée, un hors-sujet malaisant qui nous sort du film.
Ainsi cette poursuite mal finalisée entre des hommes, des brontosaures et des raptors qui donne dans le slapstick bien gras (tous ces plans insupportables où les personnages dégomment leurs assaillant en tenant une mitraillette d’une main et en tirant n’importe où !). Et ainsi cette autre scène du même acabit lorsque les T-rex continuent de vouloir becter l’héroïne alors qu’ils chutent dans un ravin (le genre de séquence pyrotechnique interminable et cartoonesque dont semble friand le réalisateur et qu’il nous refera avec un certain dragon dans LE HOBBIT) : C’est tout l’émerveillement du spectateur, qui quelques secondes auparavant fonctionnait à plein régime lorsqu’il contemplait les monstres surgissant soudain de la jungle, qui s’évapore dans un sentiment de gâchis à la hauteur des moyens déployés. Et c’est tout de même sacrément exaspérant.

Comment commencer une scène de rêve avant de basculer dans le Grand-Guignol ?
Mais la pire scène (ou la meilleure, c’est apparemment “selon” puisque j’ai lu sur le net que certains spectateurs la citaient comme leur préférée…), c’est celle des insectes géants. En la réalisant, Peter Jackson a voulu rendre hommage au film de 1933, car elle existait à l’époque mais fut perdue au montage. Sur le principe, cela peut être intéressant de passer du glauque au burlesque en mêlant l’horreur au comique comme dans les trois premiers films du réalisateur cités plus haut. On pourrait dire qu’il s’agit-là d’une signature de la part du metteur en scène. Le résultat est pourtant pathétique car, lorsque le personnage joué par Jamie Bell mitraille à tout va les bestioles sans toucher ses camarades, Jackson anéantit instantanément les enjeux. La scène devient gratuite, vulgaire et complètement grotesque. Pourquoi concéder autant de scènes hystérique et idiotes ? C’est quoi cette écriture bipolaire ?
Et ce n’est pas fini : C’est quoi cette erreur de casting monumentale ? Jack Black ? Sérieusement, Jack Black ??? Un acteur choisi pour le rôle du cinéaste Karl Denham pour sa ressemblance avec Orson Welles ? Hélas, très à l’aise pour cabotiner, sourcils levés en permanence, le bonhomme reste totalement sous-doué pour jouer la moindre scène dramatique. Il est le principal talon d’Achille du film, en lui infligeant un ton caricatural complètement à côté de la plaque. Il achève de faire tomber la dimension humoristique du long-métrage dans le ratage total, digne des mauvaises comédies familiales, en désamorçant systématiquement la dramaturgie de l’intrigue et en la noyant dans la pantalonnade.

Comparaison de la scène aux insectes entre les deux versions, 1933 et 2005.
Enfin, l’arrivée du Roi Kong sur l’écran (après une attente d’une heure et sept minutes dans la version cinéma !) est plus que décevante. Celle de la version de 1976, toujours aussi mal aimée, était carrément meilleure !
Il faut se rendre à l’évidence : Jackson n’a jamais cherché à rendre son récit réaliste, préférant assurer la carte du spectacle maximal façon “parc d’attraction”. C’est vraiment dommage, car cet équilibre entre le spectacle pop-corn et le drame d’aventure parfois viscéral (incroyable décorum d’une île de l’enfer qui flirte avec l’horreur !) s’avère très mal géré au final.
Tel semble être devenu le cinéma de Peter Jackson : Sacrifier la dramaturgie du récit au profit d’un spectacle poussif, où l’on ne peut que regretter tous ces choix d’action pyrotechnique puisque, effectivement, ils désamorcent la crédibilité de l’intrigue. Car en cherchant systématiquement à en faire des tonnes et des tonnes sur chaque scène d’action, les scènes s’engouffrent à chaque fois dans le gros délire. Et lorsque le roi Kong affronte le dernier T-rex dans la vallée, après s’être débarrassé des deux autres (rebaptisés V-rex en raison de leur évolution sur une île coupée du monde), on retrouve enfin un peu de simplicité et de beauté, au bout de dix minutes de spectacle Grand Guignol…

La confrontation iconique ultime !
Un film bipolaire
Nous parlions un peu plus haut d’écriture “bipolaire”, dans le sens ou le film ménage par ailleurs d’autres séquences parfaitement réussies. Car effectivement, si certaines scènes sont catastrophiques, de nombreuses séquences de ce remake de 2005 touchent à la grâce et se hissent au niveau du chef d’œuvre !
Après avoir déconstruit le succès du film pour en dégager toutes les scories, il est donc temps à présent d’en apprécier les nombreuses qualités car, pour le reste, c’est une réussite ! Toutes les séquences d’effets spéciaux, à quelques rares exceptions près, sont d’une perfection à couper le souffle et tiendront encore la route longtemps, de même que les innombrables -et utiles- effets pyrotechniques d’une complexité inouïe (combien de centaines de plans ont été effectués afin de réaliser la scène de poursuite à New York ?). Les images sont splendides du début à la fin. Et chaque plan est une leçon de cadrage et de mise en forme iconique. C’est d’ailleurs en contemplant la beauté de tous ces tableaux imprégnés sur pellicule que l’on regrette que Peter Jackson n’ait pas opté pour davantage de retenue, de contemplation et de simplicité dans son montage final.

Le pont naturel. Autre image emblématique, devenue iconique dans le cinéma d’aventures !
Ce sont d’ailleurs les scènes intimistes entre le roi Kong et la jolie Ann qui offrent ses étoiles à notre film. Sans dialogues ou quasiment, axés sur l’échange des regards, elles surnagent très haut au-dessus de tout le reste. Cette version se permet ainsi le luxe de surpasser son modèle de 1933 sur le terrain de l’émotion, puisque son gorille, grâce à des effets spéciaux vraiment réussis, est bouleversant d’humanité. Il parvient à rester crédible au cœur de cette romance improbable entre la Belle et la Bête et Peter Jackson réussit de façon incroyable, pour le coup, à nous convaincre de cette histoire d’amour entre un gorille géant et une belle citadine désabusée, aussi naturellement que F.F. Coppola parvenait à nous emmener dans le tourbillon passionnel unissant DRACULA et Mina dans sa relecture du célèbre Vampire !
À noter que le roi Kong est inteprété par un acteur en motion-capture, à savoir Andy Serkis, qui avait déjà convaincu l’assemblée en interprétant Gollum dans les adaptations de Tolkien par le même Peter Jackson.

Histoire éternelle de la belle et de la bête…
Le script du film bénéficie évidemment de la richesse thématique exceptionnelle que l’original développait en sous-texte, où étaient exposés le mythe de la la “Belle et la Bête”, celui du “Bon sauvage”, ainsi qu’une réflexion sur l’anthropologie et le choc des cultures, ici renouvelés de manière intacte.
Mais surtout, alors que le trio de scénaristes échoue parfois sur la forme, il parvient à magnifier le fond par le truchement d’une toute nouvelle thématique : Celle de la solitude. Ann Darow, jeune femme solitaire rêvant de percer à Brodway dans le monde du théâtre, délaissée toute sa vie par son entourage, trouvera ainsi en King Kong le seul être refusant de l’abandonner en toute circonstance. Ce dernier, lui-même esseulé puisque seul survivant de son peuple (troublante scène le montrant revenir sur son domaine, parsemé des ossements de sa défunte famille), verra en Ann le seul être auquel s’attacher. Et il faudra finalement la mort du géant pour que la belle accepte enfin de rejoindre Jack Driscoll (Adrian Brody), le pauvre homme ayant fait ses preuves afin de lui redonner confiance en la nature humaine…
Si certains choix d’écriture et de mise en scène sont catastrophiques, d’autres sont miraculeusement portés par la grâce. On songe évidemment aux scènes vertigineuses où, depuis les sommets de l’île du crâne à ceux de l’Empire State Building, Ann partage avec son ravisseur la complicité de l’émerveillement face à la beauté du monde vu d’en haut, comme si elle le remerciait d’avoir enfin trouvé celui qui la mènera sur le toit du monde (à défaut de son rêve de sommets hollywoodiens). Mais il y a aussi l’incroyable scène de patinage sur la glace de Central Park. Un pur exercice d’équilibriste, complètement grotesque sur le principe, mais d’une justesse bluffante lors de son passage sur grand écran !

King Kong on Ice ! Une scène casse-gueule (dans tous les sens du terme !), magiquement réussie !
Enfin, un plan en particulier vaut le détour, lorsque l’on aperçoit Peter Jackson en personne, au volant de son biplan, renoncer à mitrailler King Kong au sommet de l’Empire State Building, en se montrant incapable de l’achever. Cette scène fait évidemment référence au film de 1933, où Merian C Cooper et Ernest B Shoedsack, les réalisateurs du film originel, se chargeaient eux-mêmes d’abattre leur créature, dans un geste purement infanticide ! Jackson montre ainsi, à travers un acte fugace de compassion, son amour pour le monstre puisque l’on sait que c’est le film de 1933 qui le destina à devenir cinéaste, lorsqu’il le découvrit à l’âge de neuf ans…
Pour terminer, et puisqu’il faut essayer de rester objectif, on pourra tout de même concéder quelques notes d’humour réussies. Celui-ci fonctionne essentiellement tant qu’il reste référentiel, notamment lorsque l’acteur de cinéma d’aventures parfaitement fictif nommé Bruce Baxter (Kyle Chandler), en fait des tonnes dans le narcissisme viril daté et poussif (un clin d’œil à l’acteur Lex Barker, qui reprit le rôle de Tarzan à la suite de Johnny Weissmuller ?).

Peter Jackson ne pourra achever lui-même son gorille géant bien-aimé…
Une bien belle histoire en définitive, pleine de profondeur.
Il est donc dommage, qu’en trois heures de métrage, le scénario s’adonne aussi souvent à de telles fautes de goût. Entre un humour et des dialogues complètement hors-sujet, il ne reste parfois que le grand spectacle et l’émotion de quelques scènes intimistes sans paroles. On gagne donc un bon film, mais on perd un chef d’œuvre.
La musique est l’œuvre de James Newton Howard, nommé assez tard sur le projet après le départ d’Howard Shore, compositeur habituel des films de Peter Jackson ayant quitté le navire en cours de route pour des questions de divergences artistiques. Une bande-son efficace, qui “fait le job”, comme on dit, mais qui manque son objectif d’être totalement aboutie, à l’image du film. Un remake qu’on aurait rêvé à la fois plus tendu et contemplatif, sans être obligé d’en sortir à chaque aspérité hystérique.
Le film existe en deux versions, une courte et une longue (comme tous les films fantastiques de Peter Jackson depuis FANTÔMES CONTRE FANTÔMES). La version longue fait, quant à elle, bien pâle figure en rapport de celles du SEIGNEUR DES ANNEAUX et du HOBBIT, en nous balançant une poignée de morceaux d’action défoulatoires et de monstres en tout genre supplémentaires, certes bien funs, mais franchement pas indispensables…
Au final, il est probable que beaucoup de cinéphiles ou de simples spectateurs ne soient pas d’accord avec mon point de vue et celui de l’article, ce qui est tout à fait normal. Il est pourtant sincère et mûri d’un long recul au regard d’une œuvre et d’un réalisateur ici grandement admirés et respectés, et grand dieu qu’on les aime ces deux là, malgré leurs défauts !
Un réalisateur qui possède tout de même les moyens de ses ambitions…
1ère partie : KING KONG 1933
2ème partie : KING KONG CONTRE GODZILLA, KING KONG S’EST ÉCHAPPÉ, LA GUERRE DES MONSTRES
3ème partie : KING KONG 1976 + KING KONG 2
4ème partie – Vous êtes ici : KING KONG 2005
5ème partie : SKULL ISLAND
See you soon !!!