L’âge d’or de la Shaw Brothers
Chroniques de films de sabre chinois connus sous l’appellation « wu xia pian »
Date de sortie des films : 1966 à 1977.
Genre : Action, fantasy, mystère.
1ère partie : vous êtes ici – la Shaw Brothers (4 films)
2ème partie : Le renouveau des années 80
3ème partie : Les années 2000
Un article écrit à 4 mains avec la participation exceptionnelle d’un invité de marque :
Eddy Vanleffe
Niveaux d’appréciation :
– À goûter – À déguster – À savourer
Dans ce nouveau dossier sur le cinéma asiatique, nous vous proposons d’aborder le Wu-Xia Pian, c’est à dire littéralement le film de héros martial. Il s’agit très souvent de films de guerriers errants situés dans une Chine médiévale, plus ou moins historique (car beaucoup de ces films lorgnent vers la fantasy). L’univers de ces films a toujours pour cadre le Jiang-hu (le monde des arts martiaux), et est peuplé de combattants aux facultés surnaturelles et pouvoirs démesurés, ainsi parfois que des démons ou dieux divers. Selon les films, la composante fantasy est plus ou moins prononcée. Certains films font plus penser à des films de capes et d’épées comme LES TROIS MOUSQUETAIRES, et d’autres à de la fantasy comme WILLOW ou EXCALIBUR.
PROGRAMME
PRESENTATION
Tâche ardue que d’aborder le Wu-Xia Pian si vous n’êtes pas familier avec le genre. Car ce n’est pas dans ce genre cinématographique qu’on trouve les films les plus « occident-friendly. » Il y a également des centaines de films. Ce dossier ne se veut pas exhaustif mais une introduction avec quelques films majeurs représentant le genre.
Vous connaissez peut-être TIGRE ET DRAGON. Mais ce film (moderne), c’est la partie émergée de l’iceberg. Et son côté dramatique et zen est sans doute plus facile à appréhender pour un occidental. Ça l’a aidé à passer pour un film sérieux digne de recevoir des prix d’ailleurs. Mais ils ne sont pas tous comme ça, les Wu-Xia-Pian. Pour faire simple, imaginez que TIGRE ET DRAGON est le TROIS MOUSQUETAIRES des films de chevalerie chinoise. Ou éventuellement LE SEIGNEUR DES ANNEAUX si on s’aventure davantage dans la fantasy. Tout le monde connaît ces films et les prend au sérieux. Dîtes vous maintenant que parmi les films de fantasy ou de cape et d’épées occidentaux, on a aussi WILLOW, CONAN, LEGEND, PIRATES DES CARAÏBES, LE MASQUE DE ZORRO, EXCALIBUR, PRINCESS BRIDE, DRAGONSLAYER, DONJONS ET DRAGONS : L’HONNEUR DES VOLEURS, etc. Pas tout à fait la même chose, hein ? Tous sont de (plus ou moins) bons films dans leur genre, mais le registre varie pas mal et pour certains, il serait impensable qu’ils soient pris au sérieux dans un festival huppé.
Un genre typique de Hong-Kong
Eh bien voilà. Il y a un peu tout ça dans le Wu-Xia Pian. Des films sérieux, poétiques, historiques ou déjantés, comiques, mythologiques. Et certains cumulent plusieurs registres d’ailleurs. HISTOIRE DE FANTÔMES CHINOIS peut alterner des bouffonneries à la EVIL DEAD avec ses étranges créatures démoniaques, et des moments de vraie émotion avec son histoire d’amour entre un humain et un fantôme. C’est sans doute ce qui perturbe le plus les occidentaux qui ont du mal avec un certain mélange de genres ou de tons.
Dans les Wu-Xia Pian les plus sages, on aura malgré tout des personnages qui voltigent comme dans TIGRE ET DRAGON, qui peuvent dissimuler plein d’armes extraordinaires sur eux, ou évacuer le poison de leur corps grâce à la force de concentration de leur esprit. Dans les représentants les plus fous, des personnages de guerriers ou de moines surpuissants s’écriront une formule sur la main pour s’envoler, rebondiront sur des roseaux, voleront dans le ciel pour attraper des rayons du soleil et tisser une toile de lumière pour protéger le monde, feront s’envoler des arbres, etc. Non, je n’exagère pas. Il faut être prêt à voir de la fantasy digne des mythes les plus fous et pas juste les contes de Grimm.
Pour commencer, il faut bien parler des films de la Shaw Brothers par lesquels tout a commencé. La première partie sera donc consacrée à quelques films de la célèbre société de production hongkongaise. Les 2 suivantes parleront de Wu-Xia Pian emblématiques des années 80 puis des années 2000.
Tout une époque
LA SHAW BROTHERS
La Shaw Brothers, c’est quoi ? Vous connaissez déjà sans doute le logo de la Shaw Brothers puisque Tarantino s’est amusé à le mettre au générique de KILL BILL. Mais l’histoire de la Shaw Brothers remonte aux années 1920, lorsque quatre frères issus d’une riche famille de Shanghai (Runje, Runme, Runde et Run Run) décident de se lancer dans le cinéma et créent leur société, Tianyi. Ils expérimentent un certain nombre de problèmes (financiers ou liés à la censure) qui les poussent à s’installer à Hong Kong en 1934. Mais ils doivent fermer à cause de la guerre. Après la guerre et la libération de Hong Kong de l’occupation japonaise, la société (rebaptisée Shaw and Sons) reprend son activité sous la direction de Runde Shaw. Devant les difficultés rencontrées face à la concurrence, Run Run Shaw fonde une société distincte à Hong Kong en 1957, la Shaw Brothers. Il achète des terrains sur lesquels sont construits des studios, des décors, et même une école pour former des comédiens. Il engage des centaines d’acteurs et de techniciens. Les premiers films produits sont des drames historiques ou des comédies. C’est à partir de 1965 que le studio se tourne vers le Wu-Xia Pian, dont la popularité découle de celle des chanbaras japonais comme les films d’Akira Kurosawa.
Pour les deux premiers films abordés dans cet article, je laisse la parole à mon estimé collaborateur Eddy.
L’HIRONDELLE D’OR (1966) de King Hu
(chronique d’Eddy Vanleffe)
Regarder un film de la Shaw Brothers est une expérience assez troublante. C’est un peu comme revoir un vieux western de la United Artists en technicolor avec ses chevaux propres, lustrés et peignés, ses cow-boys rasés, gominés dans des décors de studios pimpants. Le logo ressemble même à ceux de la Warner.
King Hu est un cinéaste vedette de la Shaw Brothers. Son style est souvent bien plus « zen » que celui de ses confrères. Les scènes sont lentes et silencieuses, la nature très présente. Le film est aussi assez étrange dans sa structure, jugez plutôt : Dans une province reculée de la Chine, le gouverneur local a bien du mal à faire respecter la loi, aussi lorsqu’ils parviennent à capturer l’un des chefs du clan des cinq tigres, ceux-ci capturent un préfet afin de faire pression et de faire libérer les leurs. Le gouvernement envoie alors Hirondelle d’or négocier avec les crapules. Comme de juste, l’enquêtrice subira intimidations et attentats contre sa personne, qu’elle déjouera grâce à ses talents martiaux. Elle devra néanmoins s’associer avec Chat Ivre, un mendiant qui cache un secret qui le lierait au destin du moine renégat qui couvre les agissements du clan des cinq tigres. Le film a donc deux fils conducteurs distincts. Celui qui ressemble à un bras de fer kung-fu/psychologique entre Hirondelle d’or et les crapules, et le duel soudainement mystique quasi fantastique entre Chat Ivre et le moine corrompu, chacun pouvant maîtriser le « chi ».
Les deux parties se marient assez mal, mais elles offrent aussi une identité particulière à ce film fondateur lui aussi. Notons déjà qu’il s’agit d’un des premiers films du genre à mettre en scène un personnage principal féminin. Ici Cheng Pei Pei crève l’écran. Ayant eu une formation de danseuse, elle s’adapte avec merveille aux mouvements chorégraphiés et millimétrés du film. King Hu est minutieux et veut offrir un spectacle très ancré dans la tradition jusqu’à s’inspirer des codes de l’opéra de Pékin. Ainsi les deux combats de l’auberge et du temple se déroulent très lentement selon un rythme précis dicté par une percussion réminiscence du théâtre traditionnel. Si ces scènes n’ont rien de réaliste, elles sont encore à rapprocher des duels très codifiés du cinéma hollywoodien qu’ils soient dans les films de chevaleries ou ceux mis en scène dans les westerns.
La classe de Cheng Pei-Pei
Cheng Pei-pei y déploie toute sa science de la danse avec une grâce qui n’appartient qu’aux actrices asiatiques. On dit depuis que L’HIRONDELLE D’OR est une sorte de matrice dans laquelle a puisé le succès international TIGRE ET DRAGON. C’est un peu exagéré. Toutefois, l’embuscade nocturne et la poursuite aérienne sur les toits qui s’en suit est sans doute un hommage appuyé en effet. De plus le film d’Ang Lee s’offre les services de Cheng Pei Pei dans le rôle de Jade la Hyène, la perfide mais mémorable antagoniste du film. Une chose est sûre cependant, L’HIRONDELLE D’OR fait partie des films majeurs de la Shaw Brothers, un film fondateur d’une esthétique qui ne cessera de se développer pour finalement être reconnue et primée à l’international dans les célèbres A TOUCH OF ZEN, LE SECRET DES POIGNARDS VOLANTS ou HERO tous riches en personnages féminins forts, virevoltants et à la beauté époustouflante.
LA RAGE DU TIGRE (1971) de Chang Cheh
(chronique d’Eddy Vanleffe)
LA RAGE DU TIGRE est le troisième volet d’une fausse trilogie, celle du « sabreur manchot ». Les deux premiers volets, UN SEUL BRAS LES TUA TOUS et LE BRAS DE LA VENGEANCE, basés sur les romans de Jing yong se font plus ou moins suite, mais l’acteur principal Yang Guo, star de l’époque entra en conflit avec le studio et s’exila à Taïwan. C’est donc David Chiang qui reprend le rôle. Chang Cheh en profite pour tout rebooter comme on dit de nos jours. Le film va s’avérer donc être plus viscéral, plus violent et plus extrême, ce qui rendra le film culte, particulièrement en occident où de grands noms comme George Lucas et Quentin Tarantino vont allégement aller piocher dedans.
David Chiang incarne donc le chevalier Lei Li, homme honorable mais terriblement arrogant. Suite à un malentendu, il est pris pour un voleur par le clan du tigre. Inconscient du piège, il acceptera un duel contre Lung dont les attaques en traître le contraignent à la défaite. De honte et en guise de pénitence, il se tranche son propre bras et part s’isoler. Devenu serveur dans une auberge, il attire donc le mépris et la moquerie de tous ceux qu’il prétendait protéger avant. Seul un autre homme comme lui, Feng, magistralement interprété par Ti Lung, le reconnaîtra et deviendra son ami. Le film d’ailleurs escamote totalement une éventuelle romance au profit d’une amitié virile et guerrière. La fille de l’aubergiste en sera quitte pour une figuration de luxe, un peu comme si elle jouait dans les X-MEN. Lei Li devra surmonter son handicap et trouver l’énergie vengeresse nécessaire pour affronter le clan du tigre en entier dans une scène d’anthologie où sur un pont, le chevalier seul contre tous se frayera un chemin sanglant pour enfin débarrasser la Chine de Lung le malfaisant.
Désolé madame, c’est un film d’hommes
Chang Cheh est un peu l’équivalent chinois de John Ford, il pratique donc un cinéma fonctionnel où chaque plan possède une utilité narrative dévolue entièrement à ses personnages. Ainsi le temps qui passe sera mentionné par la putréfaction du bras de Lei Li sur un plan. La pluie isolera les protagonistes, et le pont sous un soleil de plomb réinstallera le héros à sa juste place après un passage d’introspection propice à l’humilité. Cette exigence formelle traumatisera John Woo qui en fera un hommage dans LA DERNIERE CHEVALERIE, vraie élégie du genre, ainsi qu’en reprenant plus tard les mêmes thématiques dans THE KILLER et son final aussi apocalyptique que grandiose. Quelque part, John Woo n’a cessé de vouloir émuler celui qu’il considère comme son mentor (en même temps, il fut assistant du réalisateur, prolongeant dans la vie la relation maître/disciple tant de fois décrite dans le cinéma chinois). George Lucas lui aussi en retiendra les codes graphiques. Luke, son héros lumineux en blanc qui, lorsque mutilé, se remet en question, arborera le noir afin de mieux insister sur un manichéisme simplifiant les enjeux misant tout sur l’efficacité graphique. Tarantino, lui, en reprendra carrément une scène (chorégraphie du double sabre au sol comprise) lors de l’attaque des 88 fous. Bref un film fondateur à plus d’un titre. Je voudrais insister sur Ti Ling, gracieux et au sourire généreux. Il est l’incarnation ultime de l’ami fidèle. Aujourd’hui le film a sans doute vieilli et d’autant plus quand on n’est pas habitué aux tics culturels asiatiques, mais il a su garder un impact dans son aspect matriciel et son souffle épique indémodable.
Enter Chu Yuan et ses magnifiques décors de studio
LES FILMS DE CHU YUAN ADAPTÉS DE GU LONG
Pour moi les films de la Shaw Brothers qui ont le mieux résisté au temps, sont les films de Chu Yuan : LE SABRE INFERNAL, LA GUERRE DES CLANS, LE COMPLOT DES CLANS, L’ÎLE DE LA BÊTE, LE TIGRE DE JADE. Pour plusieurs raisons. Déjà, parce que suite à LA RAGE DU TIGRE, Chang Cheh avait commencé à pousser le schéma des aventures de héros virils et badass jusqu’à la caricature et la Shaw Brothers cherchait à se renouveler. Et c’est avec Chu Yuan qu’ils ont trouvé un nouveau filon. Ce dernier a en effet proposé des films qui adaptaient les récits de l’écrivain Gu Long (1938 – 1985) qui se faisait une spécialité de raconter des histoires de chevaliers errants avec une touche d’enquête et de mystère. On peut considérer cet écrivain comme une sorte d’Alexandre Dumas chinois. Donc côté scénario déjà, c’était le haut du panier.
De plus, ces adaptations ont été les premiers films à lancer la mode des Wu-Xia Pian plus orientés « fantasy » qui ne se déroulaient plus dans une période historique très précise (contrairement aux films de King Hu, féru d’histoire.) Dans les films de Chu Yuan, il y a des guerriers aux compétences surnaturelles, des prêtresses aux allures de fées vivant dans des temples mystiques, etc. Le tout reste encore assez soft, il n’y a pas trop de « magie » mais on sent que la frontière entre le réel et la fantasy est très fine. On notera aussi un aspect un peu plus érotique (composante totalement absente des autres Wu-Xia Pian de la Shaw Brothers) avec des femmes parfois peu farouches et des héros séducteurs (notamment Ti Lung dont nous parlait Eddy, qui fut abonné à ce type de rôle à la James Bond version chevalier errant.)
Enfin, j’estime que Chu Yuan est le réalisateur qui soignait le plus la photographie de ses films. Ce qui fait qu’ils sont encore très beaux aujourd’hui, colorés et chatoyants et aux décors riches. Comme le disait Eddy, il y a un côté très théâtral dus aux décors de studios qui peuvent faire artificiels, mais ce n’est pas très différent des très beaux décors des films de la HAMMER.
LA GUERRE DES CLANS (1976) de Chu Yuan
Sur les ordres d’un employeur à l’identité secrète, Meng Sheng-hun, un tueur renommé, est engagé pour éliminer Sun Yu, le chef du clan de la porte du dragon. Cela s’annonce difficile car sa cible est constamment entourée de gardes du corps et guerriers redoutables (notamment son fils, son bras droit Lu qui dissimule 72 armes sur lui, et Han Tang, un mystérieux tueur au chapeau tranchant.) Tout d’abord, Meng va observer les querelles qui oppose Sun Yu au roi Wan, le chef du clan des Rocks. Toute la première moitié du film nous montre les deux clans s’affronter à coups de trahisons et autres retournements de situations impliquant des agents dormant de chaque clan infiltrés chez l’ennemi. Alors que le parrain sera en position de faiblesse à cause de sa guerre, Meng va tenter de s’infiltrer pour le tuer. Mais là encore le film nous réserve des surprises avec des traitres inattendus et des alliances improbables.
C’est là tout l’intérêt assez jubilatoire du film qui devient une sorte de récit d’espionnage bariolé semblable à une partie d’échecs entre deux clans ennemis, et un 3ème acteur mystérieux : le commanditaire de Meng, inconnu de tous. Et ce n’est pas tout. Au milieu de tout ceci, il y a aussi une charmante jeune femme qui vit retirée dans la forêt des papillons et dont Meng va tomber amoureux sans savoir qui elle est réellement. Sa relation avec elle va jouer un rôle dans son allégeance et ses décisions d’obéir ou non à son commanditaire.
Un autre intérêt du film est le monde impitoyable dépeint où il semble impossible de dormir sur ses deux oreilles sans se faire trahir par ses amis proches, la soumission et le sacrifice exigés des hommes de main, et aussi l’histoire de rédemption de l’assassin amoureux.
Un sacré paquet de personnages qui s’affrontent de mille façons
Les personnages principaux de ce Wu-Xia pian aux allures de film de gangsters en costumes sont bien évidemment Meng (joué par Lo Lieh, un acteur récurrent des films du studio), le parrain Sun-Yu (excellent Ku Feng qui joue à merveille le parrain qui a toujours un tour dans son sac pour s’en sortir), mais aussi le bras droit Lu joué par Yueh Hua (un autre acteur très prolifique de la Shaw Brothers souvent habitué aux rôles de méchants avec son charisme quelque peu inquiétant.)
Comme dit plus haut, la photographie est magnifique, les décors flamboyants, les chorégraphies de Tang Chia efficaces. Bref, un excellent film.
LE COMPLOT DES CLANS (1977) de Chu Yuan
LE COMPLOT DES CLANS nous propose de suivre l’histoire de Chu Liu-Xiang (Ti lung), un maître des arts-martiaux réputé qui se retrouve au centre d’une machination complexe visant à le faire accuser de morts mystérieuses de 3 chefs de clans, empoisonnés par « l’eau magique ». En effet, il est bien connu qu’il est très difficile de dérober de l’eau magique et que seul un grand maître y parviendrait. C’est pourquoi les soupçons se tournent vers Chu Liu-Xiang. Les femmes du palais de l’eau magique le chargent de retrouver le vrai coupable dans un délai d’un mois s’il veut se disculper. Débute alors pour notre héros un long jeu de piste pour découvrir la vérité.
Le scénario est encore une fois une des qualités du film. Pas nécessairement par sa complexité mais par sa capacité à nous intéresser à l’enquête en nous faisant remonter un à un les indices pour découvrir les tenants et les aboutissants : Pourquoi chaque chef de clan avait le portrait de la même femme dans sa chambre ? Pourquoi ont-ils chacun reçu une lettre accusant Chu Liu-Xiang ? A qui peut bien profiter leur assassinat ?
Le suspense est présent grâce à divers coups de théâtres et autres révélations pour le moins surprenantes. Le tout filmé dans de magnifiques décors de studio certes un peu théâtraux et qui sentent parfois le carton-pâte, mais très bien mis en valeur. Le repère final, le mystérieux temple de l’eau magique est bien sûr trop paradisiaque et coloré pour être réaliste. Mais cela colle avec le ton presque féérique du film.
Car LE COMPLOT DES CLANS est un curieux film. Certes nous sommes encore loin de l’incursion de la fantasy pure et dure dans le genre du Wu-Xia Pian comme ce sera le cas lors du renouveau du genre dans les années 1980, mais ce film insère tout de même beaucoup d’éléments fantastiques, à commencer par ce fameux temple de l’eau magique et ses prêtresses redoutées qui semblent à peine humaines. Nous avons aussi le cas d’une femme devenue homme.
Une enquête dans un monde de fantasy
Les scènes de cape et d’épée (très belles au demeurant) suivent aussi un schéma allant du combat classique à des excès de violence gore qui explosent dans la dernière partie du film. On passe en effet d’un combat à mains nues à un combat au sabre faisant couler le sang jusqu’à des idées macabres et burlesques comme un bras arraché servant d’arme de jet. Certains pourront trouver cela de mauvais goût et un peu ridicule, mais il faut savoir que ce film ne fait qu’ouvrir la voie à ce que deviendra le genre par la suite.
A noter que ce film dispose d’une suite directe, qui est en réalité une nouvelle histoire mais mettant en scène le même personnage de Chu Liu-Xiang (ainsi que le redoutable tueur Point-Rouge rencontré dans ce film) : L’ÎLE DE LA BÊTE, toujours signé Chu Yuan. Ce film est davantage un film d’aventures de divertissement mais il reste très sympathique.
Je dirais que pour les néophytes, les films de Chu Yuan sont des must see. D’une part parce qu’ils sont beaux et soignés à la fois au niveau du fond et de la forme, mais aussi parce qu’ils vous diront si c’est un genre de cinéma pour vous ou non. Ils ne sont pas encore trop « fous » et donc si vous n’adhérez pas, ce n’est pas la peine de tenter le moindre Wu-xia pian des années 1980 qui ne feront qu’accentuer les excès du genre.
Le trailer de L’ÎLE DE LA BÊTE pour la route
CONCLUSION partie 1 (par Eddy Vanleffe)
Au début des années 1980, le studio Shaw Brothers décline face au succès du cinéma de Kung-fu des années 1970 en langue cantonaise. D’une part les studios de la Golden Harvest et leur poulain Jackie Chan leur font une ombre considérable, mais surtout les années 80 feront la part belle aux polars et aux triades. Le Wu-Xia-Pian ne devra finalement sa survie que grâce à la passion de quelques artistes qui auront à cœur de dépoussiérer le genre. Parmi eux, se distinguera Tsui Hark, jeune chien fou qui portera par la suite l’industrie du cinéma hongkongais quasiment à bout de bras. Mais tout ça sera raconté dans le chapitre suivant…