La jeunesse de Conan
Chronique de la série : CONAN LE BARBARE
Date de sortie : 2012
Auteur : Brian Wood
Genre : Dark fantasy
Éditeur : Panini
L’article d’aujourd’hui sera consacré à la série en 25 épisodes Conan the barbarian de Brian Wood sortie en 2012. En France, PANINI a publié le tout en 4 tomes.

Cette série divise pas mal le public. Certains l’aiment et y voient une autre vision du personnage qui fonctionne en elle-même et qui peut même être intégrée à la mythologie de son auteur si on considère que le personnage de Conan est ici plus jeune que dans la plupart des histoires connues. Et d’autres hurlent au sacrilège en affirmant que ce n’est pas le vrai Conan et que ça ne correspond pas au héros de Robert E. Howard.
Par conséquent, je vais forcément être en désaccord avec une partie du public. Parce que je ne suis pas un immense connaisseur du personnage (même si j’ai lu tout le run de Roy Thomas sur la série SAVAGE SWORD OF CONAN), et donc je m’en fiche un peu de l’ultra fidélité aux romans. Et du coup j’ai bien aimé cette série sur la jeunesse du célèbre barbare Cimmérien.

Un guerrier enragé quand nécessaire (artiste : James Harren)
Tout ce run de Brian Wood adapte (en ajoutant quelques nouvelles aventures) l’intrigue de la reine de la côte noire. A savoir l’histoire de la rencontre entre Conan et Bêlit, reine des pirates et grand amour de Conan. Pour avoir lu la version de Roy Thomas parue chez Marvel, on n’est franchement pas non plus dans la grosse trahison de l’histoire originale. C’est surtout que le personnage de Conan est plus jeune et dépeint d’une manière plus humaine et moins invincible. Ce qui peut complètement être mis sur le compte de son inexpérience.
Globalement l’histoire nous raconte comment Conan, lorsqu’il débute comme membre d’équipage sur un navire, va croiser la route de Bêlit, pirate à la peau d’ivoire qui a sous ses ordres un équipage de guerriers et règne sur la côte noire. Ils vont tomber amoureux après s’être mutuellement impressionnés lors d’une bataille, et former un couple de pirates redoutés. Ils vont ensuite vivre pas mal de mésaventures, dont certaines imaginées par Brian Wood pour étoffer les personnages à sa manière, jusqu’à la conclusion tragique que les lecteurs de Robert E. Howard connaissent bien : Bêlit mourra assassinée, pendue sur son navire, sans que Conan ne puisse rien faire pour l’empêcher (il n’était même pas à ses côtés quand c’est arrivé. C’est une mort sans adieux). Le chagrin de Conan sera grand. Et jamais plus il ne connaitra de relation durable.

Tu me plais, guerrier. Tu seras mon roi (artiste : Becky Cloonan)
Le reproche que j’ai souvent lu à propos de cette série est qu’on n’y retrouve pas la critique de la civilisation mise en avant par Robert E. Howard qui mettait souvent en opposition la « barbarie » et la société civilisée pour critiquer les travers de la civilisation, de sa corruption et de ses crimes qui n’existent pas (ou moins) dans la vie plus sauvage des peuplades plus primitives parfois plus justes.
Seulement voilà le truc : ici, Conan est jeune ! J’ignore si c’est le cas dans la nouvelle d’origine lorsqu’il rencontre Bêlit (ce n’est en tous cas pas vraiment le cas dans l’adaptation de Roy Thomas dans laquelle Conan est déjà le même adulte costaud et taciturne qu’on connaît), mais dans la série de Wood, il est évident que le Conan dépeint est assez étranger à la civilisation. Il ne la connaît pas encore et n’a donc pas d’avis tranché dessus. C’est même là qu’il va découvrir (et même commenter avec sarcasme) certaines règles qui lui paraîtront étranges (notamment lorsqu’il gagne du temps en profitant de la « coutume bizarre » d’enfermer et d’exécuter publiquement les prisonniers à une date ultérieure au lieu de les punir immédiatement.)

Deux personnages qui se noient dans la passion pour fuir leurs souffrances (artiste : Declan Shalvey)
On peut facilement imaginer qu’à la fin de cette saga, après avoir pris de la bouteille, ce jeune Conan va évoluer en homme plus costaud et plus méprisant envers la civilisation. De même, il n’est pas encore le guerrier qui papillonne dans les bras de plein de jeunes femmes. Mais suite à la mort tragique de son amour Bêlit, il est également facile d’imaginer qu’il peut évoluer en un homme endurci qui ne veut plus se laisser affaiblir par des sentiments d’amour, et se rabat sur des relations sans lendemain. Et en ce sens, je considère la série convaincante.
Mais s’il n’y a pas de commentaire sur la civilisation, est-ce qu’il y a autre chose ? Eh bien oui, il y a une bonne partie du récit consacré au choc des cultures. Bêlit, reine des mers, voyagera jusqu’en Cimmérie avec son bien-aimé et passera de reine des pirates expérimentée à faible femme qui supporte très mal les rudes conditions climatiques de la Cimmérie (neige et froid des montagnes.) Elle sera aussi regardée de haut par les autochtones, comme la « femme trophée » de Conan. Ce qui casse complètement le mythe de la redoutable reine de la côte noire certes, mais rend aussi les personnages plus humains car absolument pas invincibles lorsqu’ils sont sortis de leur élément.

Bêlit, temporairement aveuglée par la neige, va beaucoup galérer en Cimmérie (artiste : Vasilis Lolos)
Conan aussi aura droit à ce traitement. Suite à un arc (très réussi au demeurant) durant lequel tout l’équipage de son navire est victime d’une maladie contagieuse (à cause d’un cadavre contaminé laissé à l’abandon dans une barque), Bêlit, que Conan parviendra à sauver au prix de terribles efforts alors qu’il cherche une guérisseuse, perdra l’enfant qu’elle était sur le point de mettre au monde.
Perdant sa stature de femme guerrière, cette dernière se renfermera sur elle-même et rejoindra sa famille dans sa contrée natale en plein désert (euh…d’ailleurs au passage c’est bizarre d’avoir une peau d’ivoire quand on vient du désert…Est-elle albinos ? Bref, peu importe.) Conan bien sûr partira à sa recherche à travers le désert, dans une contrée très déplaisante pour lui, pour essayer de la ramener avec lui sur la mer.

Un adversaire plus fort que tous : la maladie (artiste : Declan Shalvey)
Ainsi les personnages mettent chacun un pied dans la vie et le passé de l’autre et dans des lieux qui les affaiblissent physiquement et spirituellement. Ce qui les rend peut être moins monolithiques et invincibles que dans les récits d’Howard, mais malgré tout humains et convaincants pour qui ne serait pas réfractaire à une autre manière de dépeindre les personnages.
D’ailleurs, j’aime bien le traitement accordé à Bêlit qui est assez nuancé. C’est une femme forte de caractère et douée à l’épée, mais qui n’a pas une force ridiculement surhumaine…et peut donc se retrouver dans la mouise si elle est isolée de ses hommes et encerclée par plusieurs ennemis costauds. Je veux dire…on ne peut pas peser 50 kilos et tenir tête à 5 mecs en armure de 100 kilos chacun. Elle n’est pas sans défense mais ce n’est pas un personnage caricatural comme Red Sonja non plus.

Conan participe à une bataille pour infiltrer la forteresse où demeure Bêlit (artiste : Mirko Colak)
Si je devais dégager un reproche à la série concernant les personnages, c’est peut être ce traitement de la relation entre Conan et Bêlit qui se rapproche d’une relation amoureuse moderne avec les amants qui veulent chacun connaître le pays d’origine de l’autre, Bêlit qui retourne chez ses parents après le traumatisme de la perte de son enfant, etc. Comme je l’ai dis, ça développe davantage leur côté humain, mais ça ressemble aussi à des comportements modernes.
Dans une époque si sauvage, est-ce que la vie avait autant de valeur ? Est-ce que la perte d’un enfant en couche pouvait autant abattre une femme ? N’était-ce pas une chose à laquelle les femmes étaient préparées compte tenu du caractère surement fréquent de la chose sans encadrement médical ? Aucune idée. Mais bon après tout, pourquoi pas ? Je ne sais pas du tout comment ça fonctionnait ces trucs-là dans l’antiquité, et encore moins dans un univers fictif. C’est juste qu’en effet ça brise un peu (trop ?) l’image des personnages taciturnes et forts qu’on attribue souvent à Conan et Bêlit. Vous serez seuls juges si c’est too much pour vous ou non.

Conan essaiera de récupérer une Bêlit en deuil que son père refuse de laisser repartir (artiste : Andrea Mutti)
Ah oui, et puis un détail aussi : la mère de Conan est en vie, alors que dans la chronologie de l’univers de Howard, d’après ce que j’ai compris, elle est morte en donnant naissance à Conan. Seul son père est en vie. Mais bon…Brian Wood propose peut être sa propre version de Conan dans laquelle il a choisi de ne pas la faire mourir. C’est un choix qui pourra faire hurler les puristes, mais je m’en fous un peu parce qu’au final, ça n’a aucune importance dans l’intrigue.
Concernant la partie graphique…eh ben là non plus ça ne plaira pas à tout le monde. D’une part parce qu’il y a pas mal de dessinateurs qui se succèdent, et donc l’homogénéité graphique n’est pas au rendez-vous (même si les styles de certains dessinateurs se ressemblent) et d’autre part parce qu’ils ont surement tous reçu la consigne de ne pas dessiner Conan comme la montagne de muscles que tout le monde connaît. Bien que costaud, il fait plus svelte et jeune. Mais passé un petit temps d’adaptation, ça ne m’a pas dérangé.

Un arc teinté de mélancolie durant lequel Conan et Bêlit consomment du lotus jaune et rêvent ensemble d’un futur paisible qui ne se produira jamais (artiste : Davide Gianfelice)
Vous êtes prêts ? On va nommer les artistes dans l’ordre : Becky Cloonan pour les premiers épisodes, puis James Harren, Vasilis Lolos, Declan Shalvey, Mirko Colak, Andrea Mutti, Davide Gianfelice, Paul Azaceta et Riccardo Burchielli. Comme ça prendrait 3 fois trop de temps pour parler du style de chaque artiste, je vous laisse juger par vous-même grâce aux scans que j’attribue aux dessinateurs respectifs.
Globalement le style de chacun me plait assez, sauf pour Vasilis Lolos qui donne un charisme d’huitre aux personnages le temps de 2 épisodes, ou Mirko Colak et Andrea Mutti qui ont certes un joli style mais qui s’éloigne le plus des autres avec des têtes vraiment différentes pour les personnages. Quant à me préférence, je crois qu’elle va à James Harren dont la brutalité des combats est sans égale, à Declan Shalvey qui retranscrit bien les émotions des personnages, et à Riccardo Burchielli qui termine la série.

Bêlit, faut pas l’emmerder ! (artiste : Paul Azaceta)
Certaines pages sont très belles, et Paul Azaceta qui avait commis quelques atrocités graphiques chez Marvel sur des épisodes de Spider-man s’en sort mieux ici. Sur la fin, un long passage est accordé au chagrin de Conan qui reste à veiller la nuit sur le navire contenant la dépouille de son aimée auquel il a mis le feu (tel un viking.)
Alors qu’il est attaqué par des prédateurs nocturnes, sa rage éclate et il devient lui-même semblable à un animal sauvage pour repousser l’attaque. Ici, Conan se moque complètement de la mort. Ce thème sera abordé dans un dernier épisode qui le montre en train de boire dans un bar et se lancer dans des combats comme s’il espérait tomber sur quelqu’un d’assez fort pour mettre fin à sa vie. Au final, c’est un Conan à la fois triste et endurci qui quitte la taverne en fin de série.

Conan arrivera trop tard (artiste : Riccardo Burchielli)
Au final, si la série est irrégulière graphiquement et potentiellement pas hyper fidèle (même si je ne suis pas le mieux placé pour en juger et que la série ne me semble pas incompatible avec le reste des comics que j’ai lus), on s’intéresse aux mésaventures des personnages et à l’évolution de leur relation, ainsi qu’à la transformation de Conan. Et c’est l’aspect humain qui prime sur les intrigues à base de voleurs, d’anciens ennemis de Conan et autres trésors à piller.
Dans cette série, Conan est surtout un jeune homme qui se confronte au monde qui l’entoure et évolue en fonction des rencontres qu’il fait. Il apprend, il a des faiblesses, il tombe amoureux et souffre. L’environnement et les personnages secondaires, même quand ils ne sont pas extrêmement développés, ont un impact sur lui. Les puristes de mauvaise foi pourront râler que ce n’est pas comme ceci ou comme cela que Conan devrait se comporter, mais pour moi qui choisit de voir le verre à moitié plein, je prends ça comme son apprentissage avant qu’il soit le guerrier sûr de lui que l’on connait.

Venez sales bestioles, je n’ai plus peur de la mort ! (artiste : Riccardo Burchielli)
Cette vision de Conan offre un peu de changement pour ce personnage dont l’intérêt repose rarement sur l’émotion. C’est donc suffisamment différent pour avoir son propre intérêt. Et pour moi, pas trop différent au point qu’on ne reconnaisse pas les personnages non plus. Ça donne même un background crédible à Conan et justifie son attitude plus sévère et insensible qu’on lui attribue souvent.
Je ne considère pas ce comics comme un sans-faute parce qu’entre les fluctuations graphiques et certains épisodes moins inspirés que d’autres, le niveau qualitatif n’est pas constant, même si les parties les plus importantes (comme le début et la fin) sont réussies.

Certains dessins en pleine page sont très réussis (dans l’ordre : Paul Azaceta, James Harren et Declan Shalvey)
Merci pour cette lecture ! Je suis assez preneur, aimant bien les divers runs de Wood sur du Vertigo comme sur du superslip.
J’ai l’impression que plus que toute autre figure de l’univers de Conan, Belit aura marqué les esprits et influencé les adaptations. Entre le premier film qui récupère la promesse post-mortem de Belit et les comics Marvel puis ce run Dark Horse qui développe la romance de ce qui n’est au départ qu’une nouvelle sur plusieurs dizaines de numéros chacuns !
N’étant pas plus un expert sur le personnage, découvrir un Conan encore en construction m’intéresse. Le seul hic, si je comprends bien, étant les réactions modernes des protagonistes, même si je doute que les comportements des personnages tels que décrits par Robert Howard soient beaucoup plus proches de la réalité !
Voilà c’est ça. Certains comportements font modernes et ne me semblent pas forcément correspondre au monde plus « barbare » et sauvage de l’antiquité. Même si c’est pas « notre » antiquité.
Mais il y a pas mal de bons passages.