Une plaie qui ne guérira jamais
Chroniques de RUROUNI KENSHIN : TSUIOKU HEN
Réalisateur : Nobuhiro Watsuki
Date de sortie : 1999
Genre : Action, Historique, Drame
Connaissez-vous KENSHIN LE VAGABOND ? Non, pas la trilogie de films live (que je n’ai pas vue). Initialement il s’agit d’une série TV de 95 épisodes de type shonen (manga pour jeunes garçons) réalisée entre 1996 et 1998. Mais ce n’est pas de ça dont nous allons parler non plus. Nous allons parler des 4 OAV sorties par la suite (en 1999) mais qui marquent le point de départ de la série et qui lorgnent plutôt du côté du seinen (manga adulte) historique. Ces 4 OAV ont été mises bout à bout et sont sorties sous forme de long métrage de 2h en DVD chez nous sous le titre RUROUNI KENSHIN : TSUIOKU HEN (Kenshin le vagabond : souvenirs). Ce « film » est un récit auto-contenu qui peut se regarder sans avoir à se préoccuper de la série qui suit qui n’a d’ailleurs absolument pas le même ton mature.
Attention ! Il y aura des spoilers. Cela me paraît inévitable pour parler des qualités de l’œuvre, mais sachez que je tairais tout de même l’identité du traitre de l’histoire.
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Tout d’abord, il convient de contextualiser un peu l’histoire. Car le plus gros reproche à faire à ces OAV (mais qui n’en est pas vraiment un pour moi) c’est qu’on ne nous explique pas tout sur le contexte historique. La raison en est simple : pour les Japonais, c’est évident. C’est une partie de leur histoire qui est très connue. Et nous, on nous enseigne que dalle sur la Japon à l’école. Donc on ne saisit pas forcément tout au premier visionnage. Mais le DVD dispose de bonus (quelques textes à lire) qui nous en apprennent un peu plus. C’est d’ailleurs via ce medium que j’en ai appris davantage sur l’histoire du Japon.
Déjà, il faut savoir que le personnage de Kenshin, jeune assassin extrêmement habile au sabre, est inspiré des quatre hitokiri (assassins) du Bakumatsu (période de 1853 à 1868 durant laquelle le Japon a mis fin à sa politique isolationniste). Il s’agissait de quatre assassins réputés invincibles qui se sont opposés au shogunat (dictature du shogun, chef militaire, qui a duré de la fin du XIIe siècle à la révolution de l’ère Meiji en 1868). Kenshin serait même plus spécifiquement inspiré de Kawakami Gensai qui avait les traits fins et de longs cheveux qui faisaient qu’on le prenait pour une femme ou un enfant. En gros, ces assassins se sont donc battus pour renverser le shogunat des Tokugawa (une dynastie de shoguns qui dirigèrent le Japon de 1603 à 1867. Leur règne est plus connu sous le nom d’ère Edo).
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Une époque de troubles avec les impérialistes qui se forment pour contrer les conservateurs isolationnistes (dont la milice du Shinsengumi)
Bref, ici Kenshin Himura est l’hitokiri Battosai (Battosai venant de l’expression Battou-jutsu qui réfère a l’habilité de retirer une épée de son étui à une telle vitesse que cela terrasse un adversaire en une seule attaque). Et il travaille pour le groupe des Ishin Shishi, des impérialistes qui cherchent à restaurer le pouvoir de l’empereur.
Face à eux, ils trouveront la secte de samouraïs du Shinsengumi, des conservateurs sous l’autorité du shogun aussi appelés les loups de Mibu. Cette organisation bien réelle (on est toujours dans le cours d’histoire là, m’sieurs, dames) comptait parmi ses meilleures recrues les capitaines Soji Okita et Hajime Saito devenus des figures historiques célèbres qui tiendront un rôle dans ces OAV.
L’histoire commence alors que des bandits attaquent une caravane d’hommes, femmes et enfants. Kenshin s’appelle alors Shinta, il est déjà orphelin et les trois femmes qui le protègent seront tuées sans pitié. Un homme va intervenir pour sauver l’enfant. Il s’agit de Seijuro Hiko. Ce dernier enseignera à l’enfant l’art du sabre et le nommera Kenshin. On devine le jeune garçon plein de nobles intentions, mais il est aussi naïf et deviendra un assassin au service d’un camp politique dans l’espoir d’instaurer une ère de paix. On comprend qu’il a été recruté plus tard parmi les paysans qui s’entrainaient pour le compte des impérialistes. Il a quitté son maître parce qu’il pensait pouvoir changer le monde alors que ce dernier le mettait en garde sur le risque qu’il devienne un outil.
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Kenshin, un assassin brutal
En 1864, alors qu’il est un jeune adulte, on le voit participer à des batailles pour le compte des Ishin Shishi contre le Shinsengumi dans les rues. Lors d’une mission d’assassinat, Kenshin sera blessé au visage, laissant une plaie qui, mystérieusement, se remettra à saigner à plusieurs reprises, ne guérissant jamais vraiment.
Kenshin rencontrera par la suite une jeune femme sans foyer du nom de Tomoe Yukishiro. Intrigué par cette femme d’une grande beauté qui s’évanouira à sa vue (en même temps il a tué un mec sous ses yeux), il décide de l’emmener dans le repère de Katsura Kogorō, un des leaders des Ishin Shishi. Ce dernier va constater que la jeune femme semble avoir un pouvoir apaisant sur Kenshin qu’on devine extrêmement nerveux et toujours sur le qui-vive, et estime qu’elle peut donc être utile. Tomoe quant à elle se considère comme un chat égaré, sans foyer, et cette nouvelle situation semble lui convenir.
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Deux personnages égarés, profondément blessés par la guerre
Par la suite, une violente confrontation avec le Shinsengumi (là aussi historique, la fameuse bataille de l’auberge Ikedaya qui coutera la vie de 7 membres des Ishin Shishi et 23 arrestations) va forcer Katsura à se dissimuler pendant quelques temps. Il soupçonne qu’il y a un traître dans ses rangs et va alors réclamer que ses hommes se séparent pour égarer les soupçons. Kenshin et Tomoe se réfugient dans une maison dans la province d’Ootsu et jouent le rôle d’un jeune couple marié.
A partir de là, le film va prendre une dimension plus contemplative et intimiste, se focalisant sur le personnage de Kenshin, enfant guerrier qui n’a jamais connu autre chose que le meurtre, confronté à une femme qui devient pour lui semblable à une mère en même temps qu’une amante. Il va s’acclimater à la vie rurale, retrouver le travail des champs de son enfance, cultiver de quoi se nourrir lui et sa « femme », et vendre au marché.
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Une vie plus paisible pour Kenshin et Tomoe
Mais le spectateur apprend bientôt des choses sur Tomoe que Kenshin ignore encore. Elle était la promise d’un homme que Kenshin a assassiné et avait prévu de venger son futur époux. Seulement voilà, alors qu’elle haïssait Kenshin de tout son être au début (sans jamais le laisser paraître), elle va finir par ressentir de la compassion et même de l’amour pour ce jeune homme sans arrêt accroché à son sabre même en dormant qui joue parfois avec une toupie, le seul objet de distraction qui lui vient sans doute de son enfance. Quant à Kenshin, il découvre une vie simple de fermier loin des combats au contact d’une femme douce qui arrive à l’apaiser. Une vie à laquelle il ne pensait pas pouvoir aspirer un jour compte tenu de sa condition d’assassin.
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Des conflits émotionnels poignants
Alors là vous vous dîtes peut-être que c’était Tomoe le traître recherché par les Ishin Shishi ? Eh ben non, ce n’est pas si simple (Tomoe n’est pas dans les confidences des Ishin Shishi, elle n’a tout simplement pas d’informations qui pourrait faire d’elle la traitresse). Même si en effet, le véritable traître se sert d’elle à son insu pour tendre un piège à notre héros.
Du coup forcément, ça ne peut pas bien finir tout ça. Kenshin reçoit toujours des informations de ses employeurs. L’ennui, c’est qu’elles sont relayées par le traître. Et ce dernier va alors l’envoyer dans la gueule du loup. Alors que Tomoe semble avoir disparue, Kenshin doit se mettre à sa recherche pour exécuter sa nouvelle mission : tuer la femme qui lui a fait ressentir le bonheur pour la première fois. Et je ne vous raconterai pas la fin. Mais sachez que ça se termine davantage dans les larmes et le sang que dans la joie et l’allégresse.
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La violence extrême cède parfois la place à une douceur contemplative
A l’époque où j’ai vu ces OAV pour la première fois (il y a déjà plus de 20 ans maintenant), je me suis pris une grosse claque. Parce que je pensais tomber sur un énième anime de combat dont l’intérêt serait la baston et le sang. Que nenni ! Il est beau ce film ! Il se penche sur le destin tragique d’un homme devenu un instrument de mort mais chez qui on ne devine aucune haine, et sa relation avec une femme forte qui va lui pardonner et l’aimer. Mais que la guerre va malgré tout séparer. Sans doute un des premiers animes adultes que j’ai vu. Il y a beaucoup de scènes contemplatives et lentes qui se focalisent sur les personnages, sur leur appréciation d’une vie simple, beaucoup de paysages reposants qui viennent contraster avec les scènes de pure violence des rixes qui éclataient dans les rues au début.
Kenshin, aussi habile soit-il au combat, nous apparait comme un jeune garçon à qui on a volé son enfance et dont la cicatrice qui se rouvre occasionnellement semble pleurer à la place de ses yeux, comme une blessure de l’âme qui ne cessera de saigner que lors des moments de paix. Tomoe quant à elle fait figure de mère et d’amante bienveillante qui viendra panser les plaies d’un homme qu’elle a pourtant toutes les raisons de haïr.
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Une histoire d’amour atypique en temps de guerre
Le film a tout de même son lot de combats au début lors de la guerre civile et également à la fin qui préfigure la chute du Shinsengumi. Mais l’intérêt du film ne repose aucunement dans ces confrontations comme dans n’importe quel shonen. Et c’est bien pour cela que je dis que le ton de ces OAV est bien différent de la série et tient plutôt du seinen. Il y a aussi un sacré souci des détails historiques. Jusque dans la maladie de Soji Okita, le jeune capitaine du Shinsengumi que j’évoquais plus tôt qui commencera à développer des symptômes de la tuberculose qui causera sa perte par la suite (une maladie qui a fait des ravages à l’époque au Japon).
Mais la trame historique sert davantage de toile de fond pour raconter l’histoire d’un couple atypique et une histoire d’amour tragique entre deux personnages brisés qui ont tout de même, contre toute attente, entraperçus le bonheur lors de leur courte vie commune. Et rien n’est traité avec niaiserie. On n’est pas dans une romance de collégiens qui rougissent en se regardant. C’est tout en retenue, subtilité et sincérité entre des personnages qui essaient de se réconforter mutuellement.
Des musiques inoubliables
Impossible également de passer sous silence les magnifiques musiques de Taku Iwasaki. L’atmosphère sombre des OAV est en effet superbement retranscrite par des mélodies envoûtantes qui expriment avec une grande justesse mélancolie et chagrin.
Concernant la partie graphique, le chara-design des personnages est très soigné même si on pourra trouver qu’il est assez classique, dans la lignée de ce qui se faisait avant les années 2000. Mais l’animation est de toute beauté notamment lors de combats très rapides et nerveux. D’ailleurs même s’il y a toujours quelques exagérations propres aux mangas dans les combats (je sais que les sabres japonais sont très tranchants mais quand même je doute que ça puisse couper une buche d’un seul coup), ceux-ci restent relativement réalistes dans le sens où ils sont courts, précis et mortels. Quand le sabre touche, c’est souvent fini. On est davantage dans le duel historique crédible que la baston de super guerriers.
Des combats sanglants à l’animation fluide, comme lors de la rencontre entre Kenshin et Tomoe
Les décors sont aussi très soignés. D’ailleurs il arrive à plusieurs reprises, lors des moments les plus calmes et contemplatifs que soient insérés quelques décors réels. L’idée peut sembler étrange mais en réalité il s’agit le plus souvent d’un ruisseau, d’une fleur, d’un arbre traversé par les rayons du soleil, etc. Jamais de maisons ou de prises de vue larges qui contrasteraient trop avec les dessins. Les images sont d’ailleurs retouchées, comme peintes par dessus et étalonnées. Cela rajoute une touche de poésie puisque ces plans ont pour but de mettre l’accent sur les belles choses simples de la vie sur lesquelles le regard des protagonistes s’arrête sans doute pour la première fois alors qu’ils vivent humblement loin des combats.
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Un exemple vaut mieux qu’on long discours : ici un cours d’eau réel dont les rochers ont été retouchés pour ressembler à des dessins
A la fin, même si on verra Kenshin croiser le fer avec les membres du Shinsengumi, les conflits politiques ne sont pas réglés. Mais ça n’a que peu d’importance. A l’époque ou j’ai vu ces 4 OAV, j’ignorais même qu’il s’agissait du prologue à la série tant elles fonctionnent très bien sans suite. Certes ce n’est pas la paix (même si l’étendard de l’empereur s’élève à la fin, indiquant la chute du shogunat), mais tous les films sur fond de conflit armé ne s’achèvent pas forcément avec l’armistice. Cela nous présente plutôt le sort d’un jeune homme idéaliste aux méthodes discutables qui va douter de ses convictions, regretter des choix de vie, apprendre à vivre plus en paix aux côtés d’une femme elle-même victime des drames de la guerre…et échouer à échapper à son destin d’assassin pour repartir en guerre. Le tout sans la moindre touche d’humour qui paraîtrait déplacé. Pas d’adversaires bigarrés aux costumes ridicules, pas de sidekick rigolo pour détendre l’atmosphère. On est dans une fresque historique sérieuse et dramatique parfaitement maîtrisée.
Une fin ouverte sur la fin du shogunat avec un Kenshin contraint de continuer la lutte
Le seul reproche que je pourrais faire est certainement l’idée d’avoir accolé les 4 OAV ensemble en supprimant les génériques de début et de fin. Cela donne certes la sensation qu’on est dans un long film de 2h (format plus « sérieux » chez nous en France), mais les transitions entre les OAV ne sont pas géniales. Si on remarque à peine la transition entre l’OAV 2 et 3, les 2 autres sont franchement visibles. Une scène se termine sur un cliffhanger avec une musique, fondu au noir, puis hop on revient à la même scène pour reprendre l’action. Ah…étrange. Dans un vrai long métrage, il n’y aurait pas eu de coupe. Mais bon je chipote, c’est de l’ordre du détail. Pour tout fan de chanbara, d’histoire tragique bien racontée, de mangas, d’histoire du Japon, de…fleurs de cerisier ou de saké (euh je m’égare…) c’est un indispensable.
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La poésie et la violence se sont rarement si bien mariés