
LA CHOSE DE NOTRE MONDE…
Chronique de la série DC Comics : SWAMP THING (Vol.1, épisodes #1 – 13) + HOUSE OF SECRETS #92 + SWAMP THING WINTER SPECIAL #1
Date de publication : 1971-1974 + 2018
408 pages
Auteurs : Len Wein (scénario) & Bernie Wrightson (dessin) + Tom King, Jason Fabok & Kelley Jones.
Genre : Super-héros, horreur, science-fiction.
Éditeur : Urban Comics, album intitulé SWAMP THING – LA CRÉATURE DU MARAIS (les 11 premiers épisodes et l’épisode HOUSE OF SECRETS #92 avaient été publiés auparavant chez Delcourt sous le titre L’INTÉGRALE VOLUME 1 : GENÈSE – 236 pages)
Auteurs de l’article : Tornado & Matt (respectivement parties 1 et 2)

L’ancienne version Delcourt
Cet article portera sur le premier volume de la série SWAMP THING et plus précisément des 13 premiers épisodes, publiés de 1971 à 1974. À ces épisodes il faut évidemment ajouter HOUSE OF SECRETS #92 (la première mouture de la Créature du marais), mais nous vous parlerons également du one-shot SWAMP THING WINTER SPECIAL #1 publié en 2018. Car c’est cet ensemble d’épisodes qui a été regroupé dans le très beau recueil édité chez Urban Comics en 2019, en même temps que le premier tome (sur trois) de la collection ALAN MOORE PRESENTE SWAMP THING, dont on vous parlera dans un article distinct.
L’article sera divisé en deux parties, chacune rédigée par un commentateur différent. La première partie sera exclusivement consacrée aux épisodes écrits par Len Wein et dessinés par Bernie Wrightson.
- 1 – HOUSE OF SECRETS #92 + Épisodes #1 à 11, par Tornado
- 2 – Épisodes SWAMP THING #11 – 13 + SWAMP THING WINTER SPECIAL #1, par Matt


Et le Swamp Thing fut….
1) HOUSE OF SECRETS #92 + Épisodes SWAMP THING (Vol. 1) #1 – 10, par Tornado :
En 2004, l’éditeur Delcourt avait publié les dix premiers épisodes de la série SWAMP THING VOLUME 1, avec en introduction le légendaire épisode HOUSE OF SECRETS #92. Soit la totalité du run de Len Wein & Bernie Wrightson sur la Créature du marais. C’est là que j’ai découvert cette saga, après avoir lu le premier arc du magnifique run d’Alan Moore, pourtant beaucoup plus tardif.
Je vais donc vous parler de ces dix épisodes, sachant que Bernie Wrightson a quitté la série à ce terme, et que Len Wein a poursuivi son run jusqu’à l’épisode #13, avant que David Michelinie et Gerry Conway ne terminent ce VOLUME 1 en 1977…
Le livre s’ouvre ainsi sur le court épisode HOUSE OF SECRETS #92. Il s’agit d’un récit de huit pages qui fait office de “brouillon” pour la saga de la Créature du marais. Mais il est très important dans la mesure où il met parfaitement en place le décorum de la série à venir et marque de manière très nette ses influences directes. Car, bien que le personnage de Swamp Thing fasse directement partie de l’univers partagé DC Comics (au même titre que Superman, Batman et autres Green Lantern), il se démarque fortement des super-héros de la maison et lorgne clairement du côté d’une autre branche du monde des comics : Ceux qui se sont spécialisés dans les récits d’Horreur…
HOUSE OF SECRETS #92 ressemble ainsi à s’y méprendre à un épisode de feu l’éditeur EC Comics (TALES FROM THE CRYPT, SCHOCK SUSPENSTORIES, HAUNT OF FEAR, etc.), ou à ceux de son successeur, qui publia à partir de la seconde moitié des années 60 les magazines CREEPY, EERIE et VAMPIRELLA. Les points communs sont impressionnants : Une publication sur huit pages pour un contenu horrifique en noir et blanc au dénouement tragique… Toutefois, c’est particulièrement bien écrit et Len Wein fait preuve d’une très belle inspiration et d’une verve élégante et raffinée. C’est beau, c’est gothique, c’est vintage.

De la belle horreur vintage.
Les dix premiers épisodes de la série ne tiennent pas compte du précédent et offrent à notre “héros” de nouvelles origines : Alec Holland et sa femme Linda sont un couple de scientifiques qui travaillent secrètement pour le gouvernement, isolés au cœur d’une forêt dans le bayou américain. Mais quelque sinistre organisation convoite leur formule bio-restorative et ça va très mal se terminer pour nos deux tourtereaux. Alec est ainsi victime d’une explosion de produits chimiques. Il se jette dans le marécage, avant d’en ressortir sous les traits d’une créature mi-humaine, mi-végétale : la Créature du marais…
Le premier épisode, qui narre la transformation d’Alec Holland en créature monstrueuse, est le meilleur de tous. Il bénéficie d’une atmosphère tragique et adulte qui le destine au panthéon des séries super-héroïques de l’époque, par rapport auxquelles il tranche de manière impressionnante. Sa mise en forme, à base de voix-off et de superbes planches expressionniste (surtout dans la version en noir et blanc), est un pur bonheur pour les amateurs d’univers gothiques.
Dès le second épisode, Len Wein entreprend de confronter sa créature au bestiaire classique de l’horreur en mettant sur son chemin les grandes figures du genre. Hommage est ainsi rendu aux classiques de la Universal des années 30 et 40 avec notamment FRANKENSTEIN, le LOUP-GAROU, etc. La boucle est ainsi bouclée entre l’esthétique gothique et baroque de Bernie Wrightson et l’orientation du récit vers les archétypes du genre, avec cette caractérisation de la vieille Europe quasi médiévale, au vieux château surplombant le village bavarois…

Tout l’art du gothique.
À partir de là, hélas, les épisodes se parent d’un certain nombre de naïvetés : Alec est souvent confronté à des ennemis croquignols et certains passages sont plutôt kitsch. Le scénario balade ainsi notre pauvre créature autour du monde pour la confronter à un savant fou qui crée des homoncules et possède le pouvoir de transférer son esprit dans le corps d’un autre. Puis elle revient sur sa terre natale pour y affronter quelques robots et autres extraterrestres, ainsi qu’une créature lovecraftienne, avant de se mesurer à Batman en personne. Cet épisode crossover est le plus convenu et le plus ampoulé de tous, dans la grande tradition des comics de super-héros de l’époque, avec leurs bagarres de bac à sable…
Un fil rouge relie néanmoins l’ensemble de ces épisodes, qui voit le héros pourchasser les vils bandits à l’origine de sa mutation, en même temps qu’il est lui-même poursuivi par l’un de ses meilleurs amis, qui croit dur comme fer que c’est lui, le Swamp Thing, qui a tué Alec et son épouse ! Un ensemble naïf et parfois puéril.
Bien que ces épisodes possèdent une patine vintage bien visible, ils ont incroyablement bien vieilli d’un point de vue visuel. Bien évidemment, les splendides planches de Bernie Wrightson, qui survole de très haut le niveau de la plupart des créations réalisées par ses contemporains, y sont pour quelque chose. Le format en noir et blanc met particulièrement bien en valeur ces dessins ciselés et ce superbe encrage, nerveux et précis, fait de hachures soigneusement alignées et d’aplats de noirs cinglants. Les vignettes sont denses et généreusement remplies de détails et autres clairs-obscurs. L’expression des visages est vibrante et la créature transpire une humanité extraordinaire. Du très grand art…

Deux planches de la série. Pour le meilleur et pour le pire…

2) Épisodes SWAMP THING (Vol.1) #11 – 13 + SWAMP THING WINTER SPECIAL #1, par Matt :
Mon avis ne diffère pas tellement de celui de l’ami Tornado, même si je suis globalement moins sévère que lui sur les comics old school et les naïvetés de l’époque. J’ai par exemple bien apprécié les épisodes avec le sorcier Arcane qui transfère son esprit dans le corps de ses créatures, le loup-garou dans la lande brumeuse, l’histoire de la jeune femme accusée de sorcellerie poursuivie par des villageois primitifs qui m’ont rappelé les bleds perdus à la population superstitieuse des films de la Hammer, ou encore l’épisode avec une gigantesque créature Lovecraftienne enfouie dans une mine qui tient tout un village sous son emprise. Le scénario n’a rien de transcendant mais il se dégage un certain charme de cette ambiance de film d’horreur classique, et bien entendu le dessin n’y est pas étranger. Par contre, j’ai en effet moins aimé le crossover avec Batman, je trouve qu’il n’a rien à faire là. Enfin si évidemment, les deux personnages sont des propriétés DC, alors on peut toujours dire qu’ils ont le droit de se croiser. Mais disons que rien jusque-là dans les épisodes ne laissait penser qu’on était dans un univers de super héros. On se sentait en effet davantage dans une publication Warren. C’est comme si vous étiez en train de vous mater L’EXORCISTE et que paf soudain Dr Strange venait filer un coup de main au prêtre. On s’en passerait…
Nous ne sommes tout de même pas dans la narration blindée de bulles de pensées. Il y en a, certes. Mais d’une part elles sont davantage justifiées par le fait que la créature parvient difficilement à parler, et d’autre part il y a aussi beaucoup de voix-off descriptive qui, même si on peut parfois la trouver superflue (comme dans BLAKE & MORTIMER par exemple), a le mérite de sonner moins faux qu’un personnage qui décrit ce qu’il fait par la pensée.
Mais je ne suis pas là pour répéter les propos de mon collègue. Je suis là pour vous parler des épisodes 11 à 13 (non-publiés dans la précédente édition Delcourt), l’épisode hommage de Tom King SWAMP THING WINTER SPECIAL, et aussi…surprise du chef…d’un épisode que Len Wein laissa inachevé avant de décéder en 2017.

Deux planches de Nestor Redondo, dont une version couleur.
Épisodes 11 à 13 :
Bon…bah…mince, j’ai pas la meilleure partie du run là. Pour être honnête, je n’ai pas aimé ces épisodes. Pourquoi ? Tenez-vous bien : en l’espace de 40 pages, la créature du marais croise des vers géants intelligents qui le capturent et l’emmènent dans une cité sous-marine créée par un humain cinglé qui veut créer une sorte de nouvel Eden loin du monde corrompu, mais les vers géants extraterrestres de l’enfer (ou je ne sais quoi) se servent en fait de lui, et une fois cette histoire vaguement torchée, la créature du marais touche un cristal magique (qui sort d’on ne sait où !!) qui le transporte dans le temps où il croise des dinosaures et des chevaliers et…euh…c’est n’importe quoi. Seul l’épisode #13 remonte un peu la pente avec un retour sur une intrigue logique. La créature se fait capturer par le gouvernement et Matt Cable et Abigail Arcane apprennent enfin qu’il est Alec Holland. Voilà. Rien de plus à dire. C’est pas très bon. Le dessin n’est plus assuré par Bernie Wrightson mais par Nestor Redondo. Franchement il s’en sort très bien. On remarque la différence avec Wrightson mais le trait de Redondo n’a pas non plus à rougir de la comparaison. Il copie un peu le style de son prédécesseur et gère assez bien les ombres également. Malheureusement ça ne suffit pas à relever le niveau d’un scénario écrit sous acides.

Le dernier épisode classique de Len Wein.
SWAMP THING WINTER SPECIAL #1 :
Ah, bon c’est mieux là ! Un épisode hommage aux épisodes classiques donc, signé Tom King & Jason Fabok. Déjà ce qui frappe c’est le graphisme somptueux de Fabok qui, sans imiter Wrightson, installe une atmosphère similaire grâce à une maitrise des contrastes et un niveau de détails des décors assez bluffant. L’histoire est un brin cryptique et nous montre un Swamp Thing luttant dans la neige pour sauver un enfant. Plus le temps passe et plus Swamp Thing s’affaiblit. Il n’est plus en contact avec “le vert” de la nature, l’hiver est rude et il oublie ce qui s’est passé quelques heures plus tôt à peine. Le monstre et l’enfant discutent de ce qui rend quelqu’un monstrueux ou non. Et l’histoire part dans une sorte de voyage psychologique dont je ne peux pas révéler la nature. L’épisode n’est pas parfait cela dit, car les premières et la dernière page nous font entendre des échanges à la radio concernant un joueur de baseball et un journaliste, et j’avoue ne pas avoir saisi du tout le rapport. Il semblerait que King veuille jouer la carte de la métaphore mais alors franchement si on y mêle du sport, ça ne va pas m’aider à comprendre…

Du vert au blanc...
Épisode inachevé :
Il est difficile de juger un épisode inachevé évidemment. Mais pour une fois que je trouve les bonus d’Urban intéressants, je tenais à en parler. Il s’agit du début d’une enquête à Gotham. Un bébé se fait enlever par Solomon Grundy, le commissaire Gordon trouve des mottes de terre partout sur la scène de crime, Swamp thing rôde dans les parages, et donc Batman va se mettre à sa recherche et le rencontre à la fin de l’épisode après l’avoir aidé à se débarrasser de deux braconniers. Rien de transcendant certes. En même temps, c’est à peine une introduction. Toutes les pages sont terminées mais les dialogues ne sont pas écrits. Des extraits du script de Len Wein sont reproduits à côté des planches pour nous donner une idée de ce qui se passe. L’intérêt principal d’un épisode inachevé comme celui-ci, c’est évidemment le graphisme de Kelley Jones qui nous propose de magnifiques planches en clair-obscur avec des anatomies exagérées pour renforcer l’aspect horrifique de l’atmosphère qu’il dépeint dans ses planches. On peut y voir Swamp thing “pousser” et se rétracter depuis une plante en pot, se faire déchiqueter par une hélice et se reformer, une pleine page montrant un Solomon Grundy à l’allure du monstre de Frankenstein illuminé par une pleine lune, etc. ça ne propose pas vraiment d’histoire comme je l’ai dit, mais au moins c’est un joli art-book avec des planches complètes. Et ça permet aussi de se faire une idée du processus de création lors d’une collaboration entre un scénariste et son dessinateur. On peut voir Len Wein laisser carte blanche à Jones sur certains aspects, confiant.
Pour conclure, je dirais que ce tome est intéressant, bien qu’inégal. De bons épisodes, quelques épisodes peu inspirés, un ou deux franchement nuls, et des bonus pertinents. On sent une évolution assez chaotique de la série : un début prometteur avec une volonté de faire du comics d’horreur, quelques impératifs éditoriaux avec Batman qui se pointe, un regain d’idées ensuite, puis la série se perd passé l’épisode 10 avec du grand n’importe quoi.

Comme un goût d’inachevé…
That’s all folks !!!