LES PLUS GRANDS MONSTRES DE L’UNIVERS
– UNIVERSAL MONSTERS 4ème PARTIE –
Chronique des films de monstres du studio Universal
4ème partie : Les Outsiders !
Date de sortie des films : Années 40.
Genre : Fantastique, horreur, gothique.
1ère partie : L’histoire des Universal Monsters + les trois premiers films
2ème partie : LA MOMIE, L’HOMME INVISIBLE, les suites de FRANKENSTEIN et de DRACULA, LE LOUP-GAROU et LE FANTÔME DE L’OPÉRA
3ème partie : Les crossovers !
4ème partie – Vous êtes ici : Les Outsiders !
5ème partie : Les suites de LA MOMIE, de L’HOMME INVISIBLE, les Deux Nigauds et L’ÉTRANGE CRÉATURE DU LAC NOIR
Voici la quatrième partie de notre article sur les films de monstres produits par le studio Universal du début des années 30 aux années 50. Plus communément nommés les Universal Monsters.
Après vous avoir chroniqué pas moins de dix-neuf films emblématiques de la série, je vous en propose encore neuf ! Cette fois-ci, nous allons décrypter une poignée de films qui se démarquent de ceux que nous avons vus lors des parties précédentes puisqu’ici… aucun n’est un film de monstre ! Ou en tout cas pas directement. Disons que ces films-là s’échinent plutôt à explorer la part monstrueuse qui se cache en chacun de nous…
LA MAISON DE LA MORT (THE OLD DARK HOUSE), par James Whale (1932)
L’un des premiers films de la série (un temps nommé UNE SOIRÉE ÉTRANGE en VF !) est aussi l’un des moins connus. En tout cas, c’est clairement un outsider !
Le pitch : Dans les années 30, au cœur de la campagne galloise, lors d’un orage particulièrement dangereux, cinq personnes sont obligées de s’abriter dans un manoir isolé. Là, vit une ancienne famille à la réputation sinistre
James Whale livre ici, au milieu de sa salve épique de chefs-d’œuvre estampillés Universal Monsters (FRANKENSTEIN, L’HOMME INVISIBLE, LA FIANCÉE DE FRANKENSTEIN), son film le plus faible. Lorgnant clairement sur la comédie, la mise en scène délaisse régulièrement le volet « thriller » pour favoriser le huis-clos façon comédie de mœurs. Et le réalisateur d’en profiter pour nous balancer ses personnages de vieilles rombières hystériques dont il était apparemment friand ! Le résultat est frustrant, puisque les scènes de tension dramatique (à défaut de pouvoir ouvertement parler de « terreur » ou de « fantastique », puisqu’en définitive le film ne boxe pas dans cette catégorie) sont réduites à peau de chagrin.
Quel casting !
Le personnage de Morgan, majordome maléfique interprété par un Boris Karloff de nouveau maquillé en grand méchant de service, se révélera au final être un McGuffin. Car, encore une fois, le film est une comédie de mœurs déguisée en film d’horreur ! Dans la même logique, le grand Charles Laughton interprète à son tour un alcoolique mondain volubile (les deux acteurs se retrouveront plus tard…). Quand à Horace Femm, le cadet de cette famille aristocratique décadente, on reconnait sous ses traits cadavériques le même Ernest Thesiger qui marquera les esprits dans le rôle de Pretorius, le savant fou de LA FIANCÉE DE FRANKENSTEIN !
Étrangement, malgré son fiasco au box-office américain (il marchera mieux en Angleterre, le public étant bien plus ouvert au volet comédie), le film connaitra une véritable descendance cinématographique avec plusieurs remakes (le plus célèbre étant celui de William Castle, réalisé en 1963) et toute une palanquée d’itérations, formant rétrospectivement un sous-genre à part entière du cinéma fantastique : celui de la maison maudite !
Au final, prise en tant que film de la série des Universal Monsters, cette MAISON DE LA MORT dénote par rapport aux autres longs-métrages d’horreur de la même époque.
La rencontre !!!
LE CHAT NOIR (THE BLACK CAT), par Edgar G. Ulmer (1934) :
Le pitch : Dans l’Europe de l’est de l’entre-deux guerres, deux hommes se vouent une haine séculaire. L’un désire se venger de l’autre, qui lui a pris femme et enfant avant de l’envoyer en prison ! Mais l’heure de la vengeance semble sonner lorsqu’un couple de jeunes gens en voyage de noces, égaré dans les montagnes près de Budapest, sert de prétexte à la confrontation finale…
C’est l’heure de la rencontre pour Béla Lugosi et Boris Karloff, respectivement Dracula et le monstre de Frankenstein dans les deux premiers films de la série des Universal Monsters. En effet, en trois ans seulement, ces deux acteurs étaient devenus les stars absolues du cinéma horrifique. Il était donc temps de les confronter, et de créer ainsi l’affiche la plus attractive possible, rehaussée par la promesse de pénétrer de plein pied dans l’univers onirique et terrifiant d’Edgar Alan Poe…
Le scénario, à vrai dire, n’entretient guère de rapports avec la courte nouvelle de Poe. Mais il l’utilise de manière référentielle, comme une toile de fond thématique, davantage que narrative. Ainsi, le Dr. Vitus Werdegast, interprété par Lugosi, est-il traumatisé à la seule vue d’un chat noir, sans que le spectateur ne sache jamais pourquoi ! Tandis que Hjalmar Poelzig (Karloff) ne fait rien qu’à le provoquer avec ses rites sataniques…
Le récit, plutôt original, s’écarte des habituels conflits manichéens de manière magistrale. Les deux personnages principaux rivalisent de prestance et de diction suave avec une hallucinante ambivalence. Et même si l’un est nettement plus méchant que l’autre, la voie de la folie rendra la frontière entre les deux de plus en plus ténue, jusqu’au combat final, particulièrement nihiliste ! En cela, la rencontre entre les deux interprètes tient ses promesses. Et alors qu’il n’y a pas le moindre monstre dans le récit, le reléguant au « simple rang de thriller gothique », ce dernier s’impose parfaitement au panthéon des classiques du genre.
Duel entre les grands esprits…
Comme toujours avec les films d’horreur de l’époque, l’esthétique en noir et blanc héritée de l’expressionnisme allemand est une merveille d’atmosphère gothique.
Béla Lugosi trouve probablement ici son meilleur rôle. Son cabotinage habituel se fait plus discret et sa politesse aristocratique est parasitée de fulgurants regards inquiétants, dans un jeu d’expressions subtil, dense et habité. Malgré tout, Karloff se montre encore plus impressionnant dans une posture monolithique soudainement éclairée de sourires à la fois tristes et cyniques, et son visage faussement passif semble contenir une force et une détermination aussi terrible que douloureuse. Un grand moment de confrontation !
Comme pour tous les films de l’époque, l’élément horrifique a aujourd’hui disparu, et le film ne fait plus peur à personne. Toutefois, il distille un malaise nettement supérieur aux autres films de la collection, probablement à cause de son côté réaliste, où les monstres ne sont finalement que de simples humains. Enfermés avec eux dans un véritable huis-clos, le couple de jeunes premiers devient ainsi pour le spectateur un vecteur d’identification, et le cauchemar se révèle de manière croissante à la seule idée de rester en compagnie de ces deux… monstres sacrés ! Une réussite bien supérieure au film précédent, avec lequel il entretient bien des points communs !
La revanche !
LE CORBEAU (THE RAVEN), par Lew Landers (1935)
Le pitch : Un grand chirurgien, le Dr. Richard Vollin, spécialisé dans les opérations neurologiques, passionné par les poèmes d’Edgar Poe en général et LE CORBEAU en particulier, a reconstitué dans le sous-sol de sa demeure une chambre de torture similaire à celles que l’on trouve dans les écrits du poète américain. Lorsqu’il s’éprend d’une jeune patiente qui finit par lui refuser ses faveurs, il va imaginer un piège machiavélique et y attirer la belle et tous ses proches. Il manipule également un truand en fuite, qu’il a défiguré lors d’une opération de chirurgie plastique, et sur lequel il exerce un odieux chantage si ce dernier désire retrouver un visage humain…
Huitième film de la série des Universal Monsters, LE CORBEAU est réalisé un an après LE CHAT NOIR.
De la même manière que le film précédent, celui-ci se penche sur les poèmes d’Edgar Poe davantage par l’esprit que par la lettre, c’est-à-dire qu’il en extirpe le parfum sans reprendre les histoires de l’écrivain à proprement parler. L’univers de Poe est bien présent, mais passe largement au second plan, faisant office de toile de fond. Ce parti-pris vise clairement à séduire le spectateur sur un effet d’annonce, mais en même temps joue avec ce dernier et son attachement à l’univers de Poe sur le principe des clins d’œil référencés. Le spectateur en question, flatté, a ainsi l’impression d’assister à un spectacle raffiné et subtil, à l’horreur diffuse…
La dimension horrifique se construit ici sur deux tableaux : La Chambre des tortures et le visage horriblement défiguré du personnage d’Edmond Bateman (Boris Karloff, toujours à crouler sous les maquillages déments du grand Jack Pierce). Lesquels convergent lors d’un final cathartique et quelque peu expédié (le film ne dure que 59 minutes !)…
La torture et les emmurés : La grande passion d’Edgar Alan Poe !
Ici encore, la dimension horrifique a complètement disparu avec le temps. Mais LE CORBEAU dégage un indéniable charme gothique suranné. Bien rythmé, en partie grâce à sa très courte durée, il se regarde encore avec plaisir et l’on contemple avec admiration les superbes décors et le somptueux noir et blanc expressionniste. Et au jeu de « qui joue le mieux entre Lugosi et Karloff« , c’est encore le second qui l’emporte, grâce à un jeu plus nuancé (Lugosi cabotine quand même énormément !) et une manière incomparable d’habiter ses personnages. C’est quand même incroyable que l’on finisse par s’attacher à ce Bateman, qui n’est en définitive qu’un meurtrier veule et pathétique ! Toutefois, Lugosi trouve probablement ici l’un de ses meilleurs rôles, même si très en dessous de sa prestation sur LE CHAT NOIR.
À noter que, par rapport au film précédent, les rôles des deux acteurs sont ici complètement inversés…
Le retour de la revanche !!!
LE RAYON INVISIBLE (THE INVISIBLE RAY), par Lambert Hillyer (1936)
Le pitch : Inventeur d’un rayon de lumière lui révélant le passé de notre planète par ricochet depuis la galaxie d’Andromède (quel pitch !!!), le Dr Janos Rukh (Boris Karloff) découvre qu’une météorite s’est écrasée en Afrique il y a des milliers d’années. Il décide d’organiser une expédition pour se rendre sur les lieux. Exposé aux dangereuses radiations du minerai extraterrestre, Rukh est sauvé par son rival, le Dr Benet (Béla Lugosi), qui lui administre un sérum.
Plus tard, en France, le Dr Benet se sert des prélèvements de la météorite pour guérir ses patients de la cécité. Mais Rukh, rendu fou par le sérum et capable de briller la nuit en répandant la mort par simple contact physique (quel pitch !), accuse son rival de lui avoir volé sa découverte et entreprend de se venger…
Nouvelle confrontation pour le duo Karloff/Lugosi, dans un film ouvertement tourné vers la science-fiction. Le volet « monstre » est ici ouvert sur Boris Karloff lorsque ce dernier se met à briller dans l’obscurité et qu’il assassine les gens par le toucher. La première partie du film est impressionnante tant elle multiplie les effets spéciaux et les décors flamboyants, autant lors de la scène du début dans le laboratoire du Dr Rukh, que lors de l’expédition en Afrique dans le pur style des films de l’époque.
Le retour de la revanche de la rencontre…
Malheureusement, la seconde partie, sensée se passer à Paris alors que Rukh assassine les uns après les autres les membres de l’expédition qu’il accuse de lui avoir volé l’œuvre de sa vie, est nettement moins réussie. Nous assistons ainsi à une poignée de séquences de meurtres en hors-champ, filmées platement, avec un résultat très cheap qui nous pousse à nous demander si, à ce stade, les producteurs ne cherchaient pas à contrebalancer les coûts de la première moitié du film !
Une semi déception, donc, le film se révélant au final très inégal.
Les scènes de confrontation entre les deux monstres sacrés accusent un peu la routine à ce stade. Mais on sort tout de même, plus encore que dans les films précédents, du manichéisme de surface pour développer des personnages monstrueusement humains ou, en tout cas, humains avant tout, comme dirait le capitaine Marcel Patulacci…
LA TOUR DE LONDRES (TOWER OF LONDON), par Rowland V. Lee (1939)
Le pitch : Dans l’Angleterre du XVème siècle, nous assistons à l’ascension au trône de Richard, duc de Gloucester et futur « Richard III », prêt à toutes les perfidies pour gagner le pouvoir…
LA TOUR DE LONDRES, bien qu’estampillé Universal Monsters, n’a plus rien à voir avec la série de films mettant en scène nos Dracula, Frankenstein et autres momies préférées. Réalisé en 1939, il s’agit d’une petite fresque historique centrée sur un personnage machiavélique, avec décors et costumes moyenâgeux. Mais il reste associé aux films d’horreur de l’époque du fait de sa production (la Universal) et de son casting, qui regroupe trois des figures majeures de l’histoire du cinéma d’épouvante : Basil Rathbone, Vincent Price et Boris Karloff, ce dernier grimé (comme d’habitude) en bourreau difforme et méchant comme une teigne, qui réclame à son seigneur le droit de partir à la guerre pour pouvoir tuer encore plus !
Frankenstein ?
Les trois interprètes de légendes sont d’ailleurs extraordinaires et sauvent l’ensemble de l’ennui total, à coup de malveillance respective et de manigances machiavéliques. Le film connaîtra un remake dans les années 60, réalisé par Roger Corman, avec de nouveau Vincent Price, cette fois dans le rôle principal.
Il ne faut donc pas chercher ici les mêmes éléments que dans les autres films de la série des Universal Monsters, dont il ne reprend la thématique du Monstre, le décorum gothique et le noir et blanc expressionniste que d’assez loin au final.
VENDREDI 13 (BLACK FRIDAY), par Arthur Lubin (1940)
Le pitch (et quel pitch !) : Afin de sauver son ami le professeur Kingsley d’une mort imminente, le Dr Ernest Sovac (Boris Karloff) tente l’opération de la dernière chance : lui greffer, à la place de la partie du cerveau atteinte, une partie saine. Mais pour ce faire, il ne dispose que du cerveau d’un criminel au seuil de la mort.
L’opération est un succès mais, peu à peu, la personnalité du criminel, ainsi que ses souvenirs, se substituent à ceux du bon professeur. Le fait-est que le criminel avait, avant de se faire arrêter, caché la somme d’un demi-million de dollars en liquide. Sachant cela, le Dr Sovac décide de manipuler son ami et de « laisser sortir le criminel », afin de mettre la main sur le magot !
Mais Sovac ne se doute pas que l’ancien criminel, de nouveau libre à travers le corps du bon professeur, va décider de se venger de ses anciens associés l’ayant conduit à la mort…
C’est une véritable itération de DR JEKYLL & MISTER HYDE que nous met ici en scène Arthur Lubin, futur réalisateur du FANTÔME DE L’OPÉRA et de toute la série des NIGAUDS Abbott & Costello ! À ce titre, l’interprétation de l’acteur Stanley Ridges, qui interprète le rôle du Pr Kingsley, est époustouflante lorsqu’on le voit se transformer en criminel et incarner un personnage radicalement différent. L’acteur, pourtant fort peu connu, finit par éclipser le duo Karloff/Lugosi, le second n’interprétant d’ailleurs qu’un personnage de gangster parfaitement oubliable (bien que totalement mauvais, évidemment) !
Un savant qui devient fou (Boris Karloff), un gangster veule et fourbe (Béla Lugosi) et la saisissante transformation du même Stanley Ridges en ersatz de Jekyll & Hyde…
À l’arrivée, ce VENDREDI 13 (dont le titre reprend un poème cité en début de métrage) est un étonnant mélange de polar et de fantastique. S’il ne rivalise absolument pas avec les perles gothiques du studio en termes d’esthétique gothique (le film sort notamment entre LE FILS DE FRANKENSTEIN et LE LOUP-GAROU), il s’impose par son originalité et sa liberté de ton.
Soit un bon petit film de série, qui se regarde avec un plaisir certain, parfaitement interprété par des légendes du cinéma d’épouvante qui savent jouer les « monstres humains », et dopé par un scénario particulièrement machiavélique.
Encore ce chat noir…
LE CHAT NOIR (THE BLACK CAT) – 1941
Le pitch : Henrietta Winslow, une vieille dame, vit dans son manoir, entourée de chats. Elle est exaspérée par les membres de sa famille, qui n’attendent que son trépas pour profiter de son héritage.
Alors qu’elle leur a préparé un testament signifiant qu’elle ne leur lèguera rien tant que sa gouvernante sera en vie, elle meurt dans la nuit dans son crématorium pour chats, peu après avoir aperçu un chat noir (car elle aime les chats, sauf quand ils sont noirs)…
Étonnant de voir ici le même titre que le film de 1934 chroniqué plus haut, déjà avec le même Béla Lugosi. Mais il ne s’agit aucunement d’un remake et, ici encore, la référence au poème d’Edgar Poe reste extrêmement diffuse (c’est le miaulement du chat noir qui confondra l’assassin…).
Le film suit la logique du whodunit cher à Agatha Christie, chaque personnage étant potentiellement suspect au beau milieu de ce manoir bourré de passages secrets et de chausse-trappes, sous l’orage de circonstance. Les décors se taillent ainsi la part du lion, notamment celui du crématorium et son barnum de tombeau égyptien. Mais les acteurs ne sont pas en reste et l’on nous a tout de même réuni Basil Rathbone (lequel « se prend pour Sherlock Holmes » dit le comique de service !), Béla Lugosi et un tout jeune Alan Ladd !
Tout l’art d’assassiner en mettant la victime dans un crématorium pour chats !
Les années 40 opèrent un changement pour la série des Universal Monsters, qui se tournent peu à peu vers la comédie. Cette version du CHAT NOIR en est un exemple frappant, et le duo d’acteurs qui interprète l’agent immobilier et l’antiquaire venus renifler la bonne affaire, est un ersatz criant des deux nigauds Abbott & Costello, lesquels démarrent leur carrière au même moment, s’apprêtant à rencontrer tous les monstres de la Universal, les uns après les autres.
Nous sommes donc ici en plein mélange de thriller et de comédie (avec des blagues extrêmement lourdingues et répétitives, de niveau « peau de banane » et « tarte à la crème »), le film balançant sans cesse entre l’un et l’autre.
La première victime collatérale de ce changement, qui s’opère lentement mais sûrement, est Béla Lugosi. Lui qui incarnait jadis le prince des ténèbres est de plus en plus souvent relégué à des seconds rôles de gnome analphabète et sa présence à l’écran se voit réduite à peau de chagrin de film en film. On sait hélas à quel point la carrière de ce grand acteur va décliner tragiquement et l’on assiste ici, rétrospectivement, à la déchéance…
Un autre film, sorti la même année, intitulé HORROR ISLAND (L’ÎLE DE L’ÉPOUVANTE en VF), réalisé par George Waggner (LE LOUP-GAROU), reprend exactement la même formule (Whodunit + comédie, tout aussi lourdingue sinon plus) et le même décorum. Quasiment un film jumeau. Mais sans Basil Rathbone et Béla Lugosi, il n’y a donc pas de monstre (mais il y a un (faux) fantôme)…
Notez les regards torves…
LE CHÂTEAU DE LA TERREUR (THE STRANGE DOOR), par Joseph Pevney (1951)
Le pitch : Dans un comté reculé de la campagne française médiévale, le seigneur tyrannique Alain de Malétroit (Charles Laughton) élève sa nièce Blanche, la fille de son frère Edmond. Alain fait croire à Blanche que ses parents sont morts à sa naissance. En réalité, fou de jalousie, Alain empoisonna jadis la mère de Blanche et enferma Edmond dans les oubliettes du château, afin de le torturer indéfiniment. Déterminé à prolonger sa vengeance, il entreprend de forcer Blanche à épouser Denis de Beaulieu, un meurtrier dépravé. Il espère ainsi faire d’Edmond le témoin de cet enfer…
Après une décennie dominée par les crossovers et les comédies, le studio Universal va montrer un dernier sursaut de vitalité en livrant, dans la première moitié des années 50, une poignée de classiques franchement honorables, et notamment un diptyque composé de deux films d’ambiance médiévale avec Boris Karloff : LE CHÂTEAU DE LA TERREUR et LE MYSTÈRE DU CHÂTEAU NOIR. Deux films au sujet et aux thématiques similaires, dominés par un décorum gothique à base de vieux château gorgé de passages secrets, de pièges diaboliques, de cachots et de chambres des tortures, le tout enrobé du toujours aussi somptueux noir et blanc expressionniste de circonstance.
Frankenstein ???
depuis LA MAISON DE LA MORT en 1932, les rôles se sont inversés et c’est à présent Charles Laughton (qui s’apprête à réaliser son unique film en tant que metteur en scène : le mythique LA NUIT DU CHASSEUR), qui tient le premier rôle, tandis que Boris Karloff entame à son tour, dix ans après son compère Béla Lugosi, une lente déchéance vers les rôles mineurs (quand bien-même il tient encore le haut de l’affiche), réduit à jouer les estropiés, planqués au fond d’un caveau…
Qu’à cela ne tienne, ce CHÂTEAU DE LA TERREUR est un excellent thriller médiéval, emballé dans un écrin gothique qui le rend bien plus rafraichissant que LA TOUR DE LONDRES dont nous avons parlé plus haut, et qui faisait pourtant partie du même genre. À regarder un soir d’automne (à Halloween) ou en hiver au coin du feu, par une nuit d’orage, après avoir copieusement achevé le tonneau de vin, le gigot et le poulet rôti…
LE MYSTÈRE DU CHÂTEAU NOIR (THE BLACK CASTLE), par Nathan Juran (1952)
Le pitch : Au XVIIIème siècle, dans la Forêt Noire, le comte Von Bruno exerce une réputation d’assassin sinistre. Il organise régulièrement des réceptions à la limite de l’orgie et plusieurs personnes, dont ses deux précédentes épouses, ont trouvé la mort dans son lugubre château.
Jusqu’au jour où s’en vient Sir Burton, un aventurier anglais à la recherche de deux de ses amis, portés disparus depuis leur passage chez le comte…
Dans la lignée du précédent, ce second film du diptyque ne déçoit pas. Certes, les acteurs principaux sont interprétés par des seconds couteaux qui n’arrivent pas à la cheville du grand Charles Laughton (qu’on aurait aimé voir revenir), mais l’intrigue est tout aussi captivante et les décors toujours aussi fascinants (ah ! cette fosse aux crocodiles !).
Le film est réalisé par Nathan Juran, excellent artisan du cinéma de genre qui excella dans la science-fiction et la féérie en livrant de « grands-petits » classiques, tels THE DEADLY MANTIS, LE CERVEAU DE LA PLANÈTE AROUS et L’ATTAQUE DE LA FEMME DE 50 PIEDS ; À DES MILLIONS DE KM DE LA TERRE, LES PREMIERS HOMMES DANS LA LUNE et LE SEPTIÈME VOYAGE DE SINBAD avec les effets spéciaux de Ray Harryhausen, ainsi que le truculent JACK LE TUEUR DE GÉANTS.
Et oui, ça c’est un château !
On retrouve donc Boris Karloff, toujours à des années-lumière de sa gloire passée. Il est cette fois secondé par une autre des grandes figures de la période Universal Monsters : Lon Chaney Jr. Ce dernier est encore plus mal loti que ses ainés Karloff et Lugosi et cela fait déjà un moment qu’on lui inflige ces rôles de géants muets défigurés, tout juste bons à effrayer les ménagères en le voyant déambuler le long des sous-sols décrépits. Il se soumet néanmoins à l’exercice avec conviction et nous offre une interprétation dans la grande tradition du studio.
Dans les années 60, Karloff et Chaney Jr finiront leur carrière auprès de Roger Corman, dans la série des adaptations d’Edgar Poe et d’H.P. Lovecraft. Le second, au bout du rouleau, n’y brillera guère plus qu’aujourd’hui, mais le grand Karloff y trouvera matière à nous offrir un joli baroud d’honneur.
Je vous donne à présent rendez-vous dans la cinquième et dernière partie de notre article pour vous parler des derniers films de monstres…
1ère partie : L’histoire des Universal Monsters + les trois premiers films
2ème partie : LA MOMIE, L’HOMME INVISIBLE, les suites de FRANKENSTEIN et de DRACULA, LE LOUP-GAROU et LE FANTÔME DE L’OPÉRA
3ème partie : Les crossovers !
4ème partie – Vous êtes ici : Les Outsiders !
5ème partie : Les suites de LA MOMIE, de L’HOMME INVISIBLE, les Deux Nigauds et L’ÉTRANGE CRÉATURE DU LAC NOIR
See you soon !!!
Ah tiens on se fait plaisir, on va au delà des 3 parties ?
Punaise j’en ai vu quasi aucun parmi ceux-là. Juste le premier CHAT NOIR je crois.
Pas trop intéressé par les comédies, surtout les lourdingues^^
Mais je verrai bien ces TOUR DE LONDRES, BLACK FRIDAY, et le dernier dyptique.
Concernant la fidelité aux oeuvres de Poe…j’ai aussi envie de dire que parfois ce n’est pas trop « adaptable ». The Raven est un poeme de 3 pages…comment tu veux faire un film avec ça ?
Le chat noir il y a un paquet d’adaptations. Et je pense que dès lors que ça cause de personnes emmurées et d’un chat tué (ou non) dont le miaulement confond l’assassin, c’est déjà relativement proche de l’histoire initiale. Poe c’est souvent des idées, des concepts. Pas des développements de dingue de personnages complexes. Donc reprendre l’idée de base en fait déjà une adaptation plutôt proche.
Le 2eme sketch du film TALES OF TERROR adapte de manière amusante et habile LE CHAT NOIR et LA BARIQUE D’AMONTILLADO afin de donner plus de choses à raconter à l’adaptation. LA BARIQUE D’AMONTILLADO, la nouvelle c’est un dialogue entre 2 personnages jusqu’à ce que l’un emmure l’autre. Un peu léger pour être adapté seule aussi.
Ah ! Mon meilleur lecteur ! 😀
Oui j’aime bien aussi ces adaptations « de loin ». Ils savaient bien faire ça, tous ces cinéastes à l’époque.
L’éditeur Elephant films a sorti un bon paquet de films Universal qu’on ne trouve pas ailleurs. Toute la série des momies, THE OLD DARK HOUSE, THE INVISIBLE RAY et BLACK FRIDAY, les DEUX NIGAUDS, etc. Tout ça c’est grâce à eux. Par contre on a parfois des mauvaises surprises. Mon DVD de THE OLD DARK HOUSE est foireux et j’ai dû me débrouiller autrement pour finir le film…
Après vous avoir chroniqué pas moins de dix-neuf films emblématiques de la série, je vous en propose encore neuf ! – J’ai lu l’article, mais je n’arrive pas à trouver assez de temps pour en commenter l’ensemble aussi je vais le portionner. Quoi qu’il en soit, un vrai plaisir que de bénéficier d’une part de culture geek supplémentaire.
Aucun n’est un film de monstre ! […] Explorer la part monstrueuse qui se cache en chacun de nous… – Un choix thématique dans lequel je reconnais bien tes goûts. 🙂
La maison de la mort – Un manoir isolé : un dispositif narratif qui a fait ses preuves, entre auberge rouge et maison hantée.
Humour & Horreur : un mariage risqué, l’horreur reposant sur des exagérations du réel, rajouter des exagérations qui tirent dans une autre direction peut parfois provoquer un effet de neutralisation.
Le chat noir
Le scénario, à vrai dire, n’entretient guère de rapports avec la courte nouvelle de Poe. – C’est un parti pris qui me déconcerte, aussi bien dans un film que dans une bande dessinée, se réclamer d’un auteur ou d’une œuvre, et réaliser une adaptation qui ne garde rien de l’histoire originale.
La rencontre entre les deux interprètes tient ses promesses : une belle réussite car là aussi la somme de deux monstres sacrés aboutit souvent à une neutralisation fade.
Le couple de jeunes premiers devient ainsi pour le spectateur un vecteur d’identification, et le cauchemar se révèle de manière croissante à la seule idée de rester en compagnie de ces deux… monstres sacrés ! – Très jolie formulation, et très belle façon de procéder que de disposer ainsi de personnes pour se projeter, et ressentir par procuration.
Le corbeau
Un grand chirurgien, le Dr. Richard Vollin, spécialisé dans les opérations neurologiques a reconstitué dans le sous-sol de sa demeure une chambre de torture similaire à celles que l’on trouve dans les écrits du poète américain. – Oui, parce que dans le poème Le corbeau, il n’y a pas le début de commencement d’une chambre de torture, on en revient à se réclamer d’une œuvre sans rapport avec le film.
L’univers de Poe est bien présent, mais passe largement au second plan, faisant office de toile de fond. – Bon, évidemment, je suis de mauvais foi dans mes commentaires précédents, et je comprends bien le principe de respecter l’esprit plutôt que la lettre. Pour autant, l’univers de Poe en toile de fond ne correspond pas forcément à ce que je serais venu chercher dans un tel film.
Merci pour ces présentations, les analyses et l’iconographie qui me permettent de mieux comprendre ce que les auteurs plus récents doivent à ces films.
Le rayon invisible
L’intrigue : très ambitieuse et très alléchante (quel pitch, comme tu l’écris)
Nouvelle confrontation pour le duo Karloff/Lugosi : je n’aurais jamais imaginé qu’ils avaient été réuni à l’écran, au point que ça aboutisse à une forme de routine !
Assister ainsi à une poignée de séquences de meurtres en hors-champ : ben du coup, on n’assiste pas à grand-chose.
La tour de Londres
Ce film n’a plus rien à voir avec la série des monstres : il a quand même pas l’air commode le personnage avec la hache. À le voir ainsi j’aurais supposé un comportement monstrueux de sa part.
Basil Rathbone, Vincent Price et Boris Karloff : hé ben, quelle distribution. À nouveau, je n’aurais pas imaginé que ces monstres sacrés puissent accepter de partager ainsi l’écran.
Vendredi 13
Opération de greffe d’un cerveau d’un criminel : ça m’évoque aussi une version ou une autre de la récupération de cerveau pour le monstre de Frankenstein.
Un 3ème film avec Boris Karloff & Béla Lugosi !
Le thème me rappelle des intrigues fonctionnant sur le même point de départ : une forme de possession occasionnée par une greffe de cerveau, Heads de Keigo Higashino & Motorô Mase, ou un roman de science-fiction dont je ne garde qu’un lointain souvenir avec un dibbouk.
Bonjour Présence. Tornado est en vacances là. Merci de passer.
Pour les adaptations de Poe, il faut aussi reconnaitre qu’un poème de 3 pages permet difficilement d’en tirer un film. Tout comme une nouvelle comme Le puits et le pendule, ou autres récit très courts. Poe ce sont des idées surtout, pas tellement des histoires.
Mais je pense que malgré les libertés prises, les meilleures adaptations de Poe sont celles de Roger Corman avec Vincent Price.
Parfois il y a des mélanges de nouvelles, plutôt heureux, comme le 2eme sketch du film TALES OF TERROR, qui adapte le Chat noir et la barrique d’Amontillado en un seul récit un peu décalé avec Peter Lorre et Vincent Price.
LE MASQUE DE LA MORT ROUGE est assez fidèle, même s’il ajoute pas mal de choses (encore une fois, parce que la nouvelle est courte et ne suffit pas pour un long métrage.)
J’avoue ne pas avoir vu la plupart des films mentionnés dans cet article par contre. Je ne saurais juger de la qualité/pertinence des adaptations, libres ou non.
Bonjour Matt,
Bravo pour la conception et l’habillage du site.
Étant moi-même rentré de vacances, il me faut un peu de temps pour prendre de bonnes habitudes et venir vous lire en ces lieux.
Au fil de divers comics, j’avais bien relevé la fascination de certains auteurs pour les écrits d’Edgar Allan Poe, et vos articles me font comprendre qu’elle provient pour partie de ces films. En effet, les adaptations en BD peuvent dimensionner la pagination en fonction de l’œuvre initiale, ce qui n’est pas faisable avec des longs métrages.
Bonne journée
T’en fais pas, moi-même je passe peu sur le tien de blog, et n’ai jamais commenté.
En fait plus il y a d’endroits à consulter pour lire des articles, moins on s’arrête pour commenter.
Mais hélas on ne peut pas tout publier au même endroit, la ligne éditoriale d’un blog ne correspondant pas forcément à ce dont on veut parler.
Poe a écrit beaucoup de courtes nouvelles conceptuelles. Vivre les derniers instant d’un type attaché sur le point de mourir, assister au monologue d’un homme pourtant mort qui se fait trainer par terre. Plein d’idées parfois dérangeantes qui étaient très originales et ont façonné une partie de ce qu’est le genre « horreur » aujourd’hui. Mais au final ce sont rarement des histoires en 3 actes avec des enjeux et tout ça. ça peut marcher dans un épisode de série TV de 20min du genre TALES FROM THE CRYPT, mais c’est tout de suite compliqué d’en faire un long métrage sans fusionner plusieurs histoires ou ajouter des tas de trucs.
Le chat noir
Étonnant de voir ici le même titre que le film de 1934 : tu m’ôtes les mots de la bouche. 🙂
Juste parce que tu m’as mis le doute : Le chat noir est une nouvelle.
Manoir bourré de passages secrets et de chausse-trappes, sous l’orage de circonstance : c’est fou à quel point ces caractéristiques sont devenues des clichés vidés de leur substance au cours des décennies suivantes, en particulier en bande dessinée.
Le duo d’acteurs est un ersatz criant des deux nigauds Abbott & Costello (avec des blagues extrêmement lourdingues et répétitives) : ok, tu m’as convaincu, je ne regarderai jamais ce film. 🙂
La carrière de ce grand acteur (Béla Lugosi) va décliner tragiquement : incroyable comment l’industrie du film est à ce point sans âme, n’offrant aucun soutien à ceux qui en ont été la chair.
Le château de la terreur
Alain de Malétroit : quel nom !
Film d’ambiance médiévale : un genre que je ne connaissais, mais qui me parle maintenant que je l’ai découvert dans ton article.
Vieux château gorgé de passages secrets : décidément, c’est une convention de genre bien ancrée. Je me demande quelle interprétation psychanalytique on pourrait y voir.
Boris Karloff entame à son tour une lente déchéance vers les rôles mineurs : en lisant ces articles, je ressens toute l’avidité de nouveautés d’une industrie, ce principe de flux dans lequel tout est chassé, évacué par les produits suivants, les précédents devenant obsolètes et ringards.
Le mystère du château noir
L’intrigue est tout aussi captivante et les décors toujours aussi fascinants : ça faisait plaisir à lire que tous ces films ne puissent pas être réduits à une production à la chaîne, que la créativité ne peut pas être réduites à néant par une industrie conçue pour la production de masse.
Rôles de géants muets défigurés, tout juste bons à effrayer les ménagères : très belle formulation.
Cinquième et dernière partie : quand il n’y en a plus, il y en a encore. Je taquine : cela me fait plus penser à M. Cadbury, ce fameux slogan Tu pourrais pas les faire un peu plus longs !
https://www.youtube.com/watch?v=mNx1_wZoo-w
Merci Présence pour ce retour généreux et complet !
Je serais curieux, au cas ou, de connaitre tous ces comics et toutes ces BDs auxquelles tu penses en reconnaissant les divers dispositifs narratifs et les multples thèmes de ce cinéma gothique.
Une cinquième partie ? Oui. J’ai même peur qu’il y en ai une sixième, car j’ai encore 13 films à chroniquer ! On verra si au final je fais tout tenir sur un article ou si je portionne en deux…