Le thriller italien des années 1970 (partie 1)
Chroniques de thrillers italiens
Date de sortie des films : 1970 et 1971.
Genre : Thriller, horreur, mystère.
1ère partie : vous êtes ici : la place du thriller au milieu du giallo + 4 films
2ème partie : 4 autres films de 1972 à 1976 et conclusion
Niveaux d’appréciation :
– À goûter – À déguster – À savourer
Grâce à une incursion approfondie dans le genre du giallo, dans ce dossier en 3 parties (partie 1, partie 2, et partie 3), nous avons vu de long en large et en travers tout un pan du cinéma italien des années 1960 et 1970. Toutefois, lors de la sélection des films s’est présenté un problème : le giallo est un genre aux frontières floues, et il a fallu décider d’inclure ou d’exclure certains films (en trichant parfois un peu). Ceci dit, certains films ne pouvaient pas entrer dans la catégorie, même en trichant beaucoup, et même si ça ne semble pas déranger les auteurs de listes de gialli absurdes sur Internet…(SUSPIRIA ou INFERNO de Argento étant parfois cités comme des gialli, alors qu’ils sont à 200% dans la catégorie du fantastique horrifique.) Et parmi ces films qui ne pouvaient pas se revendiquer comme tels, il y a les thrillers de manipulation, les films « à suspense. »
LE PROGRAMME
- PHOTO INTERDITE D’UNE BOURGEOISE
- MEURTRE PAR INTÉRIM
- UN PAPILLON AUX AILES ENSANGLANTÉES
- LA VICTIME DÉSIGNÉE
Il est en effet difficile de justifier qu’un thriller sans aucun meurtre et aucun tueur en série soit un giallo. En cela, on pourrait argumenter que nous avons déjà triché un peu avec les films de Lucio Fulci qui ne s’est jamais vraiment conformé aux codes du giallo, même si sa mise en scène stylisée et horrifique justifie en partie qu’on considère ses films comme tels. Cependant, ce n’est pas moi qui avance qu’il est un des plus grands noms du giallo avec Argento et Bava. Donc il était difficile de l’exclure. Malgré tout, il ne convenait pas de remplir le dossier uniquement de « proto-gialli » ou « faux gialli ». Donc à présent, en guise d’article compagnon, voici un dossier (en 2 parties) qui va se pencher sur 8 films « aux frontières du giallo » qui n’en reprennent pas la plupart des codes, mais restent des thrillers (donc non, vous n’y trouverez pas SUSPIRIA non plus, qui est un film d’horreur fantastique !)
PHOTO INTERDITE D’UNE BOURGEOISE (1970) de Luciano Ercoli
Le pitch : Peter, un industriel très pris par son travail, est marié à Minou, une femme prude qui s’ennuie. Tout l’inverse de sa meilleure amie Dominique, une jeune femme libérée et sensuelle. Un jour, Minou est accostée par un étranger qui affirme avoir des preuves que son mari a commis un meurtre. Il la force à coucher avec lui en échange de son silence, avant de la soumettre à nouveau en la menaçant d’exposer à tous les photos de leurs ébats.
PHOTO INTERDITE D’UNE BOURGEOISE (titre relativement fidèle à l’original italien, mais qui peut faire penser qu’on va regarder un porno). est le premier film du producteur Luciano Ercoli. Il est d’ailleurs passé derrière la caméra pour sauver sa société à l’époque, en concoctant un petit film sans prétention mais assez bien fichu.
Compte tenu de sa date de sortie, conjointement à celle de L’OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL de Dario Argento, ce film pourrait être considéré comme un proto-giallo. En effet, malgré l’existence de SIX FEMMES POUR L’ASSASSIN de Mario Bava sorti en 1964, la formule du giallo avec un tueur masqué et une arme blanche ne deviendra un filon à exploiter qu’après le passage d’Argento en 1970. Avant cela, on trouve beaucoup de thrillers de manipulation avec pas ou peu de meurtres, dans la veine d’un PERVERSION STORY (1969) de Lucio Fulci.
D’ailleurs, y a-t-il seulement le moindre meurtre dans ce film ? Le script (signé Ernesto Gastaldi, encore lui, scénariste du CORPS ET LE FOUET et de tous les gialli de Sergio Martino) pourrait être très classique si justement il ne reposait pas sur deux éléments intéressants dont le spectateur n’est pas sûr au premier abord : le premier meurtre a-t-il seulement eu lieu ? Et notre héroïne (prénommée « Minou« , prénom infantile renforçant sa personnalité de victime fragile) est-elle en train de perdre la tête ? Elle est la seule à avoir vu le maitre chanteur et si tout est bien réel, pourquoi personne ne la croit ? Ses proches sont-ils tous complices ou devient-elle folle ?
Une belle photographie
C’est dans ce portrait touchant d’une femme au bord de la dépression nerveuse que le film puise sa force, ainsi que dans celui de son opposé incarné à l’écran par Nieves Navarro (ou Susan Scott, la future femme du réalisateur qui semble être tombé sous le charme lors du tournage de ce film). En effet, Nieves Navarro joue Dominique, l’amie de Minou, une femme libérée sexuellement au comportement frivole qui va donc devenir suspecte. Mais si vous craignez le schéma du slasher américain qui veut que la miss « couche toi là » soit méchante et la pure soit gentille, ce serait sous-estimer le réalisateur qui évite bien des pièges moralisateurs.
On pourra reprocher au film le faible nombre de personnages, ce qui va forcément limiter les options lorsque va se poser la question des possibles complices du maitre chanteur. De même, Simon Andreu dans le rôle dudit maître chanteur manque un peu de charisme malfaisant. Si le sujet du film reste dur (on parle quand même d’une femme qui se fait abuser sexuellement tout le long…sans violence physique certes mais par chantage), le salaud de l’histoire n’est pas très effrayant.
Deux excellentes actrices
Néanmoins, l’intérêt ne repose pas tant sur le twist final que sur son ambiance et ses portraits de femmes. Si le casting masculin est un peu faible, les actrices sont magnifiques et convaincantes. Dagmar Lassander incarne avec beaucoup de justesse la bourgeoise douce et fragile à deux doigts de vaciller face aux évènements, et Nieves Navarro qui semble au départ n’avoir qu’un rôle provocateur, donne beaucoup de profondeur et d’ambiguïté à son personnage.
La photographie n’est pas en reste. Alejandro Ulloa (déjà directeur photo de PERVERSION STORY) sait rendre à l’image une ambiance étouffante, sombre, surchargée soit par des décors luxueux soit par une présence forte des ombres et autres éclairages feutrés qui semblent emprisonner notre héroïne. Pour sublimer tout ça, quoi de mieux que Ennio Morricone à la musique ? Ses compositions viennent renforcer les images et instaurer une atmosphère mystérieuse et troublante.
Une musique entêtante qui s’accorde avec l’esthétique pour souligner le suspense
PHOTO INTERDITE D’UNE BOURGEOISE est un petit film, mais bien emballé dans une esthétique élégante et qui, malgré son titre et son sujet, n’est jamais vulgaire (l’érotisme étant assez sage). Luciano Ercoli continuera sa « trilogie giallesque » en enchainant 2 autres films avec son épouse Nieves Navarro, LA MORT MARCHE EN TALONS HAUTS déjà chroniqué ici, et LA MORT CARESSE A MINUIT, tous deux recommandables (même si le dernier est aussi une curiosité plus proche du film de gangsters).
MEURTRE PAR INTERIM (1971) de Umberto Lenzi
Le pitch : A Copenhague, Ingrid Sjoman (Ornella Muti) et Dick Butler (Ray Lovelock) sont un jeune couple un peu hippie qui se fait de l’argent en vendant à la sauvette du matériel pornographique. Ils décident de partir en Italie, dans l’espoir de gagner plus d’argent. En Toscane, recherchés par la police, ils trouvent refuge dans une villa isolée où vit Barbara Slater (Irène Papas), issue d’un milieu aisé. Puisqu’ils commencent par essayer de lui voler du carburant, celle-ci se montre hostile à leur égard, mais va ensuite les accepter sous son toit jusqu’à participer à des jeux de séduction avec eux. Son comportement devient étrange et il se pourrait bien que Barbara cache un lourd secret, et que ses invités opportuns soient tombés dans un véritable traquenard…Un jeu de pouvoir de type « dominant/dominé » va se mettre en place entre les protagonistes qui tour à tour vont prendre ou perdre le contrôle de la situation.
Umberto Lenzi, on n’en a pas parlé dans le dossier sur le giallo. Et pour une raison simple : si je ne connais pas toute la filmographie du monsieur, je peux tout de même dire que ses gialli sont plutôt fades quand ils ne sont pas juste ratés. LE TUEUR A L’ORCHIDEE, LE COUTEAU DE GLACE, SPASMO, ce n’est pas génial.
Ceci étant dit, un film intéressant de Lenzi ayant un vague rapport avec le giallo, c’est ce MEURTRE PAR INTERIM. Un giallo, il n’en est pourtant pas un, même si c’est ce que souhaitait le pape des producteurs en Italie à l’époque, Carlo Ponti. A la base, Umberto Lenzi voulait faire un film dans le genre de EASY RIDER, mettant en scène un couple de jeunes trafiquants de drogue en cavale. Mais Carlo Ponti voulait que le spectateur s’attache aux personnages et a donc souhaité retirer l’idée de la drogue (pour la remplacer par un trafic de…photos porno ?), et transformer le road-movie en giallo en faisant s’arrêter son couple de protagonistes dans une maison pour les 2/3 du film. Le genre évolue en « home invasion » lorsqu’ils s’imposent chez cette riche bourgeoise qui cache un secret, mais jamais vraiment en giallo puisque, s’il y a bien en effet quelque chose de louche qui se trame dans la maison de Barbara, on ne voit aucun meurtre à l’écran.
Rencontre des 3 protagonistes qui portent le film
Les 20 premières minutes du film ne sont pas très utiles, tel un reliquat de ce que voulait être le film au départ, évoquant une jeunesse libertaire se moquant des bonnes mœurs italiennes et de l’hypocrisie de la bourgeoisie au moyen de son couple de hippies qui se fait de l’argent « illégalement » et profite de la vie. Mais pendant un peu plus longtemps que nécessaire pour nous les présenter. Le film change de cap pour devenir un huis clos étouffant et adopte un ton plus nihiliste et cruel puisque, sans dévoiler les tenants et les aboutissants de l’intrigue, la réalité rattrape nos tourtereaux en faisant d’eux les boucs émissaires parfaits d’une situation qui leur échappe, et les met face à la plus grande crédibilité de la haute bourgeoisie dans la société.
On ne va pas se mentir, on ressent que ce film a été marqué par des soucis de production, que ce soit avec quelques séquences de remplissage ou des problèmes de rythme, surtout durant la première moitié.
Néanmoins, il devient meilleur lorsqu’il se change en huis clos mystérieux. Ce qui relève le niveau, ce n’est pas tant la mise en scène encore une fois assez classique de Lenzi, malgré une ou deux belles trouvailles comme lorsque les images contredisent la narration d’un personnage en temps réel pour nous exposer son mensonge. Non, ce qui porte le film c’est clairement son casting. Pourtant là aussi Lenzi s’est heurté à des problèmes. Il rêvait d’engager la chanteuse Anna Moffo dans le rôle de Barbara, puis Carroll Baker qui devait la remplacer a démissionné quelques jours avant le tournage (rien que ça !) Je ne pense pas qu’il y perdit au change en embauchant la célèbre actrice grecque Irène Papas (bien que ce soit rare de la voir dans un film de ce genre) puisque celle-ci joue à merveille cette femme bourgeoise qui accepte de s’encanailler avec la jeunesse pour de sombres desseins. Cela dit, elle refusait de tourner nue, et donc il a fallu aussi engager des doublures pour les séquences érotiques (plutôt sages mais forcément osées pour l’époque).
La situation dérape
Le reste du casting est excellent avec Ray Lovelock et Ornella Muti, tous deux alors jeunes et beaux (et en début de carrière) très convaincants lors des divers jeux de manipulation orchestrés dans le film. Mais là aussi pour Ornella Muti qui n’avait que 16 ans, il a fallu avoir recours à une doublure pour les quelques plans érotiques. D’ailleurs il vaut mieux que je m’abstienne de trop complimenter la beauté de l’actrice à cause de son âge… (j’ignorais qu’elle n’avait que 16 ans, m’sieur l’agent !)…mais on sentait qu’elle allait devenir une des plus belles actrices italiennes. A la fois très belle et très impliquée dans le rôle, tout comme son compagnon Ray Lovelock (capable à la fois de jouer le minet sympathique et l’infâme salopard), ils portent le film sur leurs épaules.
Malgré les motifs pour lesquels les protagonistes fuient la police qui sont devenus un peu absurdes (merci Carlo Ponti), et le côté « mélange des genres » un peu bancal au départ, le film se bonifie au fur et à mesure pour devenir un thriller en huis clos cruel et une fable morale assez triste.
UN PAPILLON AUX AILES ENSANGLANTEES (1971) de Duccio Tessari
Le pitch : une jeune femme, Françoise Pigaut (Carole André) est retrouvée assassinée dans un parc. Une petite fille la trouve et rapidement une enquête est ouverte, convoquant divers témoins de la fuite d’un individu sur les lieux. Rapidement, des indices sont trouvés, peut être trop facilement. Soit le meurtre a eu lieu sans préméditation, soit il s’agit d’un complot. Alessandro, un présentateur télé, est arrêté. Sa femme Maria (Ida Galli) ne sait pas quoi penser. Quant à sa fille Sarah, elle va se rapprocher de Giorgio (Helmut Berger), une ancienne connaissance d’école qui semble en proie à des troubles psychologiques assez évidents qui nous font nous demander s’il ne serait pas le vrai tueur. Tandis qu’a lieu le procès pour confirmer qu’Alessandro est bien l’auteur des assassinats, deux autres meurtres sont commis.
Faux giallo mais vrai policier (la police n’est d’ailleurs pas incompétente cette fois-ci, et on peut y voir les dernières méthodes scientifiques de l’époque pour exploiter les indices), UN PAPILLON AUX AILES ENSANGLANTEES nous propose un mélange de film de procès et d’enquête policière. Si on y prête attention, le début du film nous présente tous les personnages (avec leurs noms) qui vont se croiser dans cette enquête et déjà on nous montre plusieurs d’entre eux portant un imperméable beige et un chapeau similaires à celui du tueur qu’on a vu fuir. La caméra s’arrête aussi à diverses reprises sur des détails tel que le bras de l’avocat griffé, et on sait que la victime s’est défendue. Mais l’avocat a aussi un chat. Pour ne rien simplifier, ce même avocat a également une liaison avec Maria, la femme d’Allessandro. Le film se débrouille habilement pour faire planer le doute sur plusieurs personnes.
Pour une fois que la police fait son travail, ça pourrait ne pas être le bon coupable
De plus, on suit l’intrigue selon le point de vue de plusieurs personnages : Les inspecteurs qui enquêtent, Maria qui va assister au procès, incertaine de l’innocence de son époux (et qui semble comploter avec l’avocat pour qu’il reste en prison, coupable ou non), ainsi que Sarah et son nouveau mystérieux amant Giorgio. Lorsque les nouveaux meurtres sont commis, les cartes sont redistribuées. Mais comment expliquer qu’autant de preuves accusent Alessandro ?
Le réalisateur Duccio Tessari joue avec le spectateur comme dans tout bon film de procès où il est toujours possible de renverser la situation avec d’autres preuves indirectes ou indices contradictoires, avec des séquences de reconstitutions à l’appui qui illustrent ce qui aurait pu se passer, afin de rendre les théories plus visuelles.
Le script est bon, le mystère efficace, l’intrigue prenante. La musique signée Gianni Ferrio est également particulièrement réussie, même sans atteindre celle d’un maestro comme Morricone.
Un film de procès impliquant de nombreux personnages
Ce dont souffre le film est une baisse de rythme vers les 2/3 du métrage quand les choses deviennent plus claires mais que l’intrigue n’accélère pas, au risque de ne plus avoir un coup d’avance sur le spectateur. La mise en scène est également classique, sans génie, mais efficace. Il y a quelques scènes à la tension palpable (une scène de sexe effrayante où la caméra reste seulement sur les visages et nous dévoile un Giorgio comme possédé) et les séquences de procès sont bien gérées, dynamisées par une mise en scène des théories possible ou entrecoupées par une reconstitution du meurtre pour appuyer les arguments des avocats.
On reste clairement en présence d’un film « hitchcokien » et à part son titre qui joue la carte de la métaphore poétique (pas toujours pertinente) chère au giallo, le film n’a pas grand chose d’autre qui se rapporte au genre. Néanmoins on ne boudera pas notre plaisir devant cette enquête prenante et sa résolution finale satisfaisante.
LA VICTIME DESIGNEE (1971) de Maurizio Lucidi
Le pitch : Stefano Argenti, un publicitaire en froid avec sa femme, entame une relation adultère avec le modèle Fabienne Bérenger. Lors d’un de leurs rendez-vous, ils font la rencontre du compte Matteo Tiepolo, un étrange personnage au charme magnétique. Stefano et lui se lient d’amitié, et lors d’une discussion, ils se rendent compte qu’ils ont chacun une épine dans leur flanc. La femme de Stefano possède une partie de sa société et pourrait le mettre sur la paille, et le comte Matteo subit l’autorité néfaste de son frère qui menace sa sécurité (physique et financière). Matteo plaisante en évoquant l’idée que si chacun d’entre eux assassinait celui qui est un obstacle à l’autre, alors tous leurs problèmes seraient résolus et il serait difficile pour la police de les lier aux victimes.
Stefano acquiesce et s’en amuse, mais ne donne pas suite. Hélas, il n’en faudra pas plus au comte Matteo pour mettre en place une machination complexe ayant pour conséquence la mort de la femme de Stefano d’une façon telle que la police soupçonnera son époux. Stefano va protester mais ne pourra finalement que se conformer au plan de son machiavélique associé, à présent seul à pouvoir l’innocenter, à condition qu’il remplisse sa part du marché.
LA VICTIME DESIGNEE est un pur thriller de manipulation. Il puise son inspiration davantage dans les films d’Hitchcock, notamment avec ses similitudes (que les fans d’Hitchcock auront remarquées) avec L’INCONNU DU NORD-EXPRESS. Un meurtre, il n’y en a qu’un, et on sait pertinemment qui est le tueur. Mais les similitudes avec le film d’Hitchcock s’arrêtent à son concept. Il y a suffisamment de différences dans les rebondissements du film et son ambiance pour le rendre original. Là où le film de Maurizio Lucidi brille, c’est au niveau de ses personnages et leurs relations.
Contrairement au film d’Hitchcock dans lequel les deux hommes ayant discutés de cette idée de crime parfait restent des inconnus l’un pour l’autre, Stefano et Matteo deviennent proches très vite. Stefano semble subjugué par le comte Matteo, séduit même. Leur relation ambiguë s’aventure en filigrane sur une possible attirance homosexuelle (laissée à la discrétion du spectateur cela dit). Nous verrons d’ailleurs le temps d’une scène la compagne du comte Matteo, muette et inutile, telle une décoration. Le jeu subtil des deux acteurs (l’excellent Tomas Milian, et le troublant et efféminé Pierre Clémenti) rend leur relation étrange crédible, Stefano perdant pied peu à peu, de plus en plus timoré et intimidé devant son nouvel ami manipulateur.
Le quasi mystique et meurtrier comte Matteo
L’élément le plus fascinant et déconcertant du film est bien le personnage du comte Matteo, à la fois jamais ouvertement menaçant et pourtant semblable à un vampire se nourrissant des espoirs vains de son comparse. Car la fin du film, d’une poésie sinistre déconcertante, achève de rendre tout son plan machiavélique parfaitement inutile tant il aurait pu parvenir à ses fins plus facilement, comme si tout n’avait été pour lui qui jeu pour tromper son ennui. C’est un peu comme si Matteo était secondaire, mais néanmoins la force qui entraine les engrenages de l’intrigue. Un peu comme un double maléfique de Stefano, ou comme le diable en personne. Rassurez vous je ne spoile rien, Matteo est bel et bien réel. Mais c’est avant tout l’histoire de Stefano et de son conflit interne qui se débat pour s’échapper d’une situation qu’il a contribué à engendrer en trompant sa femme initialement. En faisant constamment les mauvais choix pour s’en sortir (la facilité plutôt que la maturité, la fuite en avant…), il finit prisonnier jusqu’au point de non-retour. Alors qu’il se résout à accepter le pacte Faustien de Matteo à la recherche d’une échappatoire, le final nous rappelle qu’il vaut mieux ne jamais pactiser avec le diable.
La partie technique du film ne démérite pas. Venise est très bien mise en valeur et la musique de Luis Bacalov souligne parfaitement la mise en scène, la tension et le suspense. Le film a un petit côté théâtral, que ce soit avec le personnage de Matteo, dandy manipulateur grandiloquent aux allures de Dorian Gray toujours habillé richement, ou par sa musique orchestrale classique grandiose qui évoquerait un opéra, et qui renforce cette impression d’assister à une variation du mythe de FAUST.
Un final dans un Venise sublimé
Maurizio Lucidi n’est pas un réalisateur de renom et sa filmographie ne brille pas toujours par ses qualités (il a fini dans le porno apparemment). Certains attribuent la réussite de ce film à ses collaborateurs : Aldo Lado à l’écriture, Aldo Tonti à la photographie (qui travailla pour Pietro Germi, Federico Fellini et Roberto Rossellini). Peu importe au final. Le film reste un bon moment de cinéma avec un concept intéressant certes déjà éprouvé par Hitchcock mais repensé et vu sous l’angle d’une fable morale à la mise en scène élégante.
Ce sera tout pour la première partie de ce dossier. Rendez-vous dans la partie 2 pour découvrir quatre autres films.