Tarte Tatin et Scooter de l’Espace !
Chronique du film : FLASH GORDON
Date de sortie : 1980. Réalisateur : Mike Hodges. Producteur : Dino de Laurentiis.
Genre : Nanar absolu (et l’une des plus hallucinantes folies jamais commises par l’être humain).
Genre involontaire : Comédie burlesque hilarante (notoirement déconseillée aux cardiaques, mais fortement recommandée aux dépressifs et aux personnes ayant le rire difficile).
Genre nouveau : Œuvre d’art CULTE, d’une nouvelle espèce, mais culte quand même…
Dès que l’on pense « Space-opera », STAR WARS et STAR TREK s’imposent immédiatement à notre esprit. Mais si l’on vous dit « Space-opera classique » (et que vous les connaissez, vos classiques) ou, encore mieux, « héros cosmique », vous ne pouvez faire autrement que de songer à l’un des fleurons du genre, j’ai nommé FLASH GORDON (même si BUCK ROGERS ou encore JOHN CARTER peuvent également concourir pour le coup du « héros cosmique »). Issu d’un comic-strip préhistorique créé en 1934 par Alex Raymond (quatre ans avant l’avènement de SUPERMAN, premier véritable super-héros de l’âge d’or des comics), le personnage était un classique instantané du genre qui nous intéresse tout de suite là maintenant. Nous allons ainsi honorer son adaptation sur grand écran la plus célèbre à ce jour. Alors ? nanar ou pure œuvre d’art que cela ? Are you ready to begin ?
La préhistoire des comics : Flash Gordon, par Alex Raymond !
Le pitch : Flash Gordon, superstar de football américain, se retrouve accidentellement propulsé dans l’espace en compagnie du Dr Zarkov et de la journaliste Dale Harden. Ils y rencontrent un tyran intergalactique, l’empereur Ming, qui habite la planète Mongo. Le tyran, qui est extrêmement méchant (il parait que c’est comme ça quand on est un tyran) souhaite immédiatement faire de Dale sa nouvelle concubine. Car il est méchant, mais il est également lubrique, ce qui à priori n’est pas incompatible. Evidemment, Flash ne l’entend pas de cette oreille, parce que Flash aime Dale, vu que tout héros possède son amoureuse, et Ming le fait emprisonner aussitôt, ordonnant naturellement son exécution (une véritable ordure, on l’a compris…).
L’empereur Ming et sa fille Aura. Ils sont très méchants !
Un retournement de situation se met en place très vite : Effectivement, la Princesse Aura, la fille de Ming, vient délivrer notre héros. Car la coquine (elle est méchante, mais elle est également coquine, ce qui à priori n’est pas incompatible, vu qu’elle est la fille de son père…) n’est pas insensible aux charmes du superbe terrien. Que nenni ! Flash aime Dale, et il est hors de question qu’il trompe sa dulcinée avec la première princesse venue, car lui c’est le gentil, et il est fidèle, faut pas déconner non plus ! Cette dernière, revancharde mais toujours sous le charme, décide alors de le confier à la garde de son amant, le prince Barin. Hélas, celui-ci est tellement jaloux qu’il va aussitôt entreprendre d’éliminer son rival, qui parvient néanmoins à s’échapper !
Le Prince et ses archers, qui ressemblent tous étrangement à certains habitants de la forêt de Sherwood, se lancent à la poursuite du héros, mais ils se retrouvent tous cernés par les hommes-oiseaux du prince Vultan, encore un prince extraterrestre qui en pince pour la belle Aura, qui ne fait rien qu’à émoustiller tout ce côté de la galaxie ! Les volatiles (qui ressemblent à des vikings ailés !) emmènent les captifs sur leur ville-planète qui flotte dans l’espace, ce qui est totalement logique puisque ici tout le monde vole, sans même souffrir de la pressurisation. Là, Flash retrouve Dale et le Dr Zarkov, qui ont également réussi à fuir le palais de l’empereur…
Thimoty Dalton : Un Prince Barin qui ne se prend absolument pas pour Robin des bois !
Ming intervient alors et dupe tout le monde (souvenons-nous que c’est un tyran !). C’en est trop pour toutes ces races extraterrestres, qui décident ainsi, en cinq minutes, de s’allier afin de mettre fin au règne de cet empereur intergalactique qui est décidément trop tyrannique …
A la fin, les gentils l’emportent sur les méchants et le héros roule une pèle à sa dulcinée sous l’œil attendri de toute l’assemblée. Mais ne comptez pas sur moi pour vous spoiler le scénario…
Le Prince Vultan : L’important, c’est le look ravageur !
Lancé à l’époque dans le sillon de la saga STAR WARS et vendu comme un grand spectacle familial du niveau de celui de George Lucas, FLASH GORDON est un nanar flamboyant qui gagne un peu plus ses galons d’œuvre culte au fil des années et l’un des plaisirs régressifs les plus hallucinants de toute l’histoire du 7° art.
Le casting est carrément prestigieux : Max Von Sydow dans le rôle de l’Empereur Ming, Ornella Mutti dans celui de la Princesse Aura, Timothy Dalton dans celui du Prince Barin. La musique est assurée par un groupe Queen au faite de sa gloire. Et… Danilo Donati, le concepteur des décors et costumes attitré de Federico Fellini assure la partie esthétique ! Alors, il est où le problème ?
En réalité, le problème vient surtout du fait que le producteur Dino de Laurentiis, complètement mégalo et trop fier d’avoir damé le pion à Lucas en le privant des droits d’adaptation de la bande dessinée d’Alex Raymond, alors que le papa de STAR WARS en rêvait depuis l’enfance et que c’est d’ailleurs pour ça qu’il se « contentera » d’imaginer la saga des Skywalker à la place, le problème disais-je, est que le producteur italien finance le projet comme s’il était bourré, ou aveugle (je veux dire artistiquement parlant, puisque le budget du film est pharaonique !). En découle un machin qui se donne des airs de spectacle grandiose et inédit à coup de décors en carton empruntés dans les boîtes disco du coin, de costumes recyclés à partir de pyjamas aux couleurs fluo, d’effets spéciaux indignes d’un spectacle de David Copperfield (je parle du magicien de Las Vegas) et de scènes d’action chorégraphiées comme un spectacle de maternelle tel qu’on peut en voir dans les écoles de campagne.
Et hop ! des décors en carton-pâte !
Alors que le scénario se contente de transposer l’œuvre graphique originale en s’inspirant au plus près des planches d’Alex Raymond, ne cherchant jamais ou quasiment à « adapter » ni à moderniser un matériel d’une naïveté d’une autre ère, le voilà qui saupoudre néanmoins cet hommage à priori révérencieux de notes piquantes et salaces d’un mauvais goût absolument édifiant, puisque justement le fond et la forme ne vont pas du tout ensemble ! Ainsi, Ming et la Princesse Aura s’adonnent à l’inceste le plus naturel sur fond de conte manichéen, alors que la princesse, complètement nympho, épouse le Prince Barin pour mieux le tromper avec le premier venu. Pendant ce temps-là, l’acteur Sam Jones, qui incarne le héros, joue comme une patate et roule des muscles avec un charisme d’huitre (et dire que le rôle était initialement destiné à Arnold Schwarzenneger, qui fut obligé de le refuser pour achever sa carrière de culturiste !) tandis qu’Aura (encore elle !) se fait fouetter telle qu’en elle-même (c’est-à-dire en petite coquine sado-maso)…
Le père, la fille, l’inceste… Yeah !!! We are free !!!
Et jusqu’à la fin, le spectateur est invité à se marrer comme une baleine devant une avalanche de scènes inénarrables !
Ainsi, pour commencer, Flash, un footballeur (!), quitte la Terre et s’en va dans l’espace avec un tee-shirt blanc marqué d’un logo rouge à son effigie (par dessus un pantalon à pinces très « 80’s ») et un brushing magnifique (c’est SON costume de super-héros ultra cheap). Et au vu du coup total de la production, tout le monde devrait trouver ça normal !
Anachroniques, nous ?
Alors qu’il arrive sur la planète Mongo et qu’il a l’occasion de jouer un match de foot extraterrestre (!!!), on lui a déjà préparé un débardeur rouge avec un « Flash » sur la poitrine !!! Vachement sympas ces extraterrestres belliqueux, qui pensent à tout, y compris à coudre spécialement un nouveau costume (tout aussi cheap que le premier) pour leur ennemi terrien ! Et puis bien sûr, personne ne viendra noter que ces nigauds de E.T.s pratiquent le même sport que le héros, le défiant ainsi sur son terrain, si l’on peut s’exprimer ainsi…
Le match du siècle : Terre VS l’espace (bientôt, Flash aura son débardeur rouge spécial) !
Plus tard, lorsqu’il manque de se noyer dans un marécage boueux et visqueux, notre valeureux héros en ressort propre comme un sou neuf et toujours sous un brushing nickel ! Qu’est-ce à dire ? Que les marécages de l’espace ont été conçus avec un système « non salissant » et « brushing-friendly » ???
Messieurs mesdames ! S’il vous plait un peu d’attention !
Je sors à l’instant d’un marécage boueux ! Alors ne venez pas me salir et me décoiffer !
Les scènes comme celles-ci sont légions ! Mais ma préférée, celle dont je ne suis jamais parvenu à me lasser, c’est lorsque le héros, pas content (mais tout sourire), retourne sur Mongo afin d’attaquer la planète tout seul sur un scooter volant au son du tube de Queen qui scande son nom : « Flash ! Flahaaaaash » ! (comment respire-t-il dans l’espace, là n’est pas la question…). De leur tour de garde, les vigiles de l’empereur Ming nous lancent alors (dans la version VF) un sublime « Attention !!! Flash Gordon attaque à bord de son scooter de l’espace ! ».
Inutile de préciser que la carrière de Sam Jones s’est arrêtée net. Aujourd’hui, il a rejoint le panthéon des icônes cultes, à moins que ce soit celui des icônes gai ? On l’avait pourtant vu l’année précédente dans le très beau « 10 » de Blake Edwards (« ELLE » en VF), où il campait le mari -certes un peu falot- de la sublime Bo Derek. Par la suite, il interprétera des petits rôles dans des films sans intérêt, où on lui refilera souvent le rôle du méchant !
Le réalisateur britannique Mike Hodges avait dirigé quelques films intéressants sans toucher jusqu’ici au nanar. Il réalisera une carrière modeste et son film suivant, L’IRLANDAIS, avec Mickey Rourke, connaîtra un relatif succès.
Quant au producteur Dino De Laurentiis, il nous aura tout de même infligé, en six ans seulement, moult nanars d’anthologie aux allures de superproduction internationale, dont quatre nous intéressent au plus haut point, ici à C.A.P : FLASH GORDON, CONAN LE DESTRUCTEUR, KALIDOR et KING KONG 2 ! Avant et après, reconnaissons-lui tout de même une carrière bien fournie, ponctuée de films marquants (lorsque le réalisateur sortait du lot) comme par exemple LA STRADA et LES NUITS DE CABIRIA de Federico Fellini (1954 et 57), BARABBAS de Richard Fleisher (1961), UN JUSTICIER DANS LA VILLE de Michael Winner (1974), LES TROIS JOURS DU CONDOR de Sydney Pollack (1975), CONAN LE BARBARE de John Milius (1982), DEAD ZONE de David Cronenberg (1983), DUNE de David Lynch (1984), L’ANNÉE DU DRAGON de Michael Cimino (1985), ou encore LE SIXIÈME SENS de Michael Mann (1986). Au rayon fantastique, « série B » ou flm fantastique dit « bisseux », notons ULYSSE De Mario Camerini (1954), DANGER : DIABOLIK de Mario Bava et BARBARELLA de Roger Vadim (1968), KING KONG de John Guillermin (1976), LE BISON BLANC de Jack Lee Thompson et ORCA de Michael Anderson (1977), CAT’S EYE de Lewis Teague et PEUR BLEUE de Daniel Attias – deux adaptations de nouvelles de Sephen King – (1985), EVIL DEAD 3, L’ARMÉE DES TÉNÈBRES de Sam Raimi, ainsi que plusieurs suites des sagas HALLOWEEN, AMYTIVILLE et autres HANNIBAL LECTER.
Sam Jones : Un acteur, une icône, une endive ?
La première fois que j’avais vu le film, enfant, je l’avais beaucoup aimé. Mais quelque part, insidieusement, je sentais déjà qu’il y avait quelque chose de bizarre, quelque chose de louche, un truc qui n’allait pas… S’agissait-il des relents sadomasochistes cachés dans le sous-texte ? Et d’ailleurs, le sous-texte en question était-il volontaire ? Evidemment, à cet âge là, on ne se pose pas toutes ces questions. Mais tout de même, le film exhalait déjà un parfum vraiment très, très spécial… On peut d’ailleurs se demander jusqu’à quel point Danilo Donati, concepteur des décors, accessoires et costumes, ne s’est pas éclaté en douce en imaginant les connotations les plus déviantes possibles !
Matez-moi ça, madame !
S’agissait-il de l’iconographie anachronique imaginée par Alex Raymond (sorte de mélange entre les folklores celtes et nordiques, le tout transposé dans un univers de type space-opéra !), sachant que son comic-strip flamboyant ne supportait certainement pas le passage sous un autre médium ? Ou en tout cas, comme on l’a évoqué plus haut, encore aurait-il fallu « adapter » le matériel en le transposant dans une version crédible pour un film live tourné près de soixante ans plus tard ! Et reconnaissons tout de même qu’une telle transposition, et bien ce n’est pas gagné, à tout le moins…
Un volontaire pour adapter littéralement cet univers en film ?
Pourtant, à chaque fois que je revois le film, c’est la fête ! J’ai beau connaitre chaque scène par cœur, il me semble la redécouvrir à chaque vision, tant je n’en crois ni mes yeux, ni mes oreilles !
Toutes ces incohérences scénaristiques loufoques, tous ces sous-entendus tellement salaces qu’on se demande encore s’ils étaient volontaires, tout ce mauvais goût criard et bling bling avant l’heure finissent en définitive par faire la richesse d’un film que l’on regarde comme on hallucine. Comme s’il s’agissait d’une Tarte Tatin, délicieuse dans sa formule ratée, car cuite à l’envers. Comme si le film, dans sa version foireuse et kitschissime, était devenu une œuvre d’art exquise, à ne déguster que pour ses côtés ratés ! Ce faisant, Dino De Laurentiis, Mike Hodges, Sam Jones et tout le reste de la bande ont réussi à atteindre le paroxysme de l’art régressif, où notre sensibilité humaine civilisée côtoie le plaisir de régresser par procuration, en contemplant le mauvais goût et le kitsch involontaire. Pour se marrer.
Pour toutes ces raisons, n’ayons pas peur des mots : FLASH GORDON est l’un des plus flamboyants nanars de l’Histoire du cinéma !
Bref, un chef d’œuvre d’un genre totalement à part, de celui qui crée les cultes du 7ème art…
Ah la belle s… Ah la belle s… Arf ! Ah la belle silhouette…
Le fouet comme leitmotiv d’un film jamais avare de connotations fétichistes sado-maso !
Alors que depuis des années ce sous-genre de la science-fiction qu’est le Space-opera revient sur le devant de la scène, que le modèle du « héros cosmique » semble renaitre après tant d’années passées dans les limbes de l’oubli, il serait peut-être bon de repenser au fiasco artistique du film de Mike Hodges & Dino de Laurentiis, qui ruina le genre en le ringardisant d’emblée aux yeux du monde et de l’élite intellectuelle. Après tout, c’est vrai, la figure du « héros cosmique » souffrira longtemps de son bagage désuet et ringard, tant il est impossible de ne pas penser au mauvais goût ostentatoire de ce film de 1980.
Aujourd’hui, néanmoins, des légions de fans s’insurgent et tentent de réhabiliter la chose en jurant que tout est parfaitement voulu, qu’il s’agit-là d’un spectacle parodique assumé et subtil, et non d’un nanar, qui joue des codes du comicbook de SF en s’amusant à les transposer sur grand écran pour mieux les honorer. Subtil ? Pourquoi pas, mais encore une fois rien n’est moins sûr, et c’est bien là le plus fascinant, finalement !
Hé Barin ! Mon poteau ! Tu connais la blague à Toto ?
En 1936, Flash Gordon apparaissait déjà au cinéma, dans un serial de 13 épisodes diffusé en première partie de soirée !
Quarante quatre ans séparaient cette première adaptation sous forme de serial de la superproduction de Laurentiis. A l’heure où j’écris ces lignes, quarante quatre ans se sont également écoulés depuis que Sam Jones a remis son costume au vestiaire.
Une série animée du studio Filmation fut réalisée en 1979, probablement afin de devenser le projet de Dino de Laurentiis. Elle dura jusqu’en 1982, le temps de deux saisons et un téléfilm. Bien qu’imparfait (bourré de scènes filmées en rotoscopie et décalquées en boucle), le téléfilm à lui-seul (intitulé FLASH GORDON : LA PLUS GRANDE DE TOUTES LES AVENTURES) est probablement bien plus convaincant que le film de Mike Hodges en termes d’adaptation !
Il y eut d’autres adaptations à la télévision, mais aucune digne d’être relevée plus avant. Notons tout de même les deux films FLESH GORDON (deux parodies érotiques respectivement réalisées en 1974 et en 1989), dont le premier semble avoir pavé la voie du film de Mike Hodges afin d’associer l’univers d’Alex Raymond avec toutes les connotations salaces possibles !
La future adaptation, si future adaptation il y aura pluisque ce projet est sans cesse remis aux calandes grecques, sera-t-elle meilleure que le film de 1980 ? Haha ! Pas facile de répondre à cette question, hein ! Sera-t-elle aussi intéressante artistiquement parlant et deviendra-t-elle un objet de culte au même titre que son ainée ? Rien ne parait moins sûr car, de ce point de vue et on le répète, on tient là le maître-étalon du genre !
Le sérial des années 30 !
La série des années 80 !
That’s all, folks ! !