– UN PACTE AVEC LE FANTASTIQUE –
Chronique du film LA BEAUTÉ DU DIABLE
Date de sortie : 1950
Genre : Fantastique
Durée : 93 minutes
Réalisateur : René Clair
Le programme :


LA BEAUTÉ DU DIABLE est un film fantastique français réalisé par René Clair en 1949 et diffusé en salles en 1950.
Il s’agit d’une adaptation libre du mythe de Faust, avec Michel Simon et Gérard Philipe, qui interprètent respectivement le double-rôle de Méphistophélès et du Pr Faust.
Le film a bénéficié d’une superbe restauration de l’image en haute définition et se pare désormais d’une gamme de noirs profonds et contrastés, de blancs délicats et de gris nuancés qui font honneur à sa magnifique esthétique expressionniste digne des plus grands films fantastiques de son époque. Il est ainsi grandement conseillé de chercher sa version la plus récente.
Le pitch : Au crépuscule de sa vie, le Pr Faust reçoit la visite de Méphistophélès, un messager des enfers qui tente de lui acheter son âme. Faust refuse et le démon décide de lui offrir une seconde jeunesse gratuitement. Ce n’est que le début d’un plan machiavélique destiné à le forcer à signer le pacte maudit. Car, à partir de là, Méphisto va jouer avec un Faust complètement démuni et rejeté, que plus personne ne reconnait, tandis que le démon a pris son apparence…

Méphistophélès et le Pr Faust. Mais qui est qui ?
Avant-propos :
LA BEAUTÉ DU DIABLE est l’un de mes films cultes, un de mes films de chevet. C’est un vieux film qu’il faut savoir remettre dans son contexte, comme tous les vieux films… Si c’est dans vos cordes, alors vous pouvez plonger les yeux fermés dans cet auguste chef d’œuvre.
Je le découvrais enfant, émerveillé, au cours d’un dimanche après-midi pluvieux, tandis qu’il était diffusé sur Antenne 2 au milieu d’un automne de la fin des années 70.
Ce fut la première fois que je pouvais regarder le diable sans trembler et contempler sa vénéneuse séduction sous le vernis du cinéma classique et somptueux de l’après-guerre.
Je fus comme envoûté. Envoûté par la beauté de ces décors baroques et cette atmosphère gothique teintée de brumes et de clairs-obscurs expressionnistes. Enchanté par ces effets spéciaux inaltérés. Fasciné par ce duo d’acteurs parfaitement complémentaire. Le premier, Gérard Philipe, opposant grâce et fragilité au second, Michel Simon, truculent et gargantuesque, distillant chaleur humaine et feinte sénilité, avant de faire trembler les murs d’une force intérieure malfaisante !
Il est de ces films qui savent toucher le cœur d’un enfant et mêler, tels les contes d’antan, le trouble et l’émerveillement…

Les magouilles du diable…
Adapter Goethe sans l’adapter…
Au-delà de sa facture classique et manichéenne (encore que Michel Simon parvient à transcender le personnage de Méphistophélès, dépassant ainsi le stade du simple “mal” d’opérette pour atteindre une gamme inouïe d’expressions ambivalentes et transformer au final ce mal en quelque chose de bien plus fin et sournois, finalement très humain !), le film de René Clair témoigne d’une ambition impressionnante et d’un savoir-faire cinématographique d’une perfection à l’épreuve du temps. Si ce n’est le jeu des acteurs secondaires, parfaitement daté, le film bénéficie encore aujourd’hui d’une mise en forme admirable.
Le réalisateur des GRANDES MANŒUVRES était le troisième auteur à avoir adapté le mythe de Faust au cinéma, après que Méliès en ait tiré quatre versions (FAUST ET MAGUERITE en 1897, LA DAMNATION DE FAUST en 1898, FAUST AUX ENFERS en 1903 et DAMNATION DU Dr FAUST en 1904) et que Murnau l’ait adapté dans FAUST (UNE LÉGENDE ALLEMANDE) en 1926. À maintes reprises, la mise en scène de René Clair, truffée d’effets spéciaux aussi simples qu’efficaces, semble d’ailleurs clairement rendre hommage aux trucages illusionnistes du grand Méliès. Nous y reviendrons.
Pour l’essentiel, le réalisateur français tire le meilleur parti de son expérience acquise au sein des studios hollywoodiens pendant son exil dans les années 40, où il réalisa quelques films fantastiques comme FANTÔME À VENDRE ou MA FEMME EST UNE SORCIÈRE.

Ô ! Grand Lucifer !!!
Pour ce qui est de la toile de fond, LA BEAUTÉ DU DIABLE s’inscrit dans la tradition du mythe mais nous propose une fin beaucoup plus optimiste, davantage encore que celle imaginée par Goethe dans sa deuxième pièce dédiée à Faust. Il s’agit probablement d’une concession “grand public” qui semble, au premier abord, jouer en défaveur de l’œuvre de René Clair. Mais il ne faudrait pas condamner le film trop vite sur l’autel de la naïveté, car il développe un sous-texte d’une profondeur admirable en introduisant les peurs du XX° siècle moderne en gestation depuis la fin de la seconde guerre mondiale, telle celle de la menace nucléaire, alors en pleine expansion (devançant le cinéma de science-fiction américain de quelques années, prompt à illustrer la métaphore atomique !). C’est ainsi que Méphistophélès, en imaginant l’avenir du Pr Faust selon sa conception de la réussite, en fait un dictateur tout puissant maître de l’arme nucléaire, marchant sur un monde dévasté par son ambition, stigmatisant ainsi le pouvoir d’anticipation des fables et des récits fantastiques ! La fin “heureuse” de LA BEAUTÉ DU DIABLE ne devrait donc pas nous faire oublier que, l’espace de quelques scènes tétanisantes montrant le jeune Faust marchant sur les ruines du monde tel un conquérant grec transposé dans un futur apocalyptique, René Clair, auteur complet de son film, dresse un portrait suffisamment acide de la nature humaine, sauvée in extremis par la pureté des sentiments amoureux…

Faust, devenu le maître d’un monde… dévasté par l’arme nucléaire !
Effets spéciaux réels.
Comme évoqué plus haut, le film, outre sa mise en scène tout en symbôles et autres allégories (on ne compte plus les plans, positivement géniaux, qui illustrent le cheminement intérieur tortueux du personnage principal, lequel zigzague constament entre ombre et lumière), est constellé d’effets spéciaux aujourd’hui encore saisissants.
Ce sont des effets spéciaux théâtraux, réalisés pour la plupart “physiquement” dans le sens ou l’essentiel est conçu sur le plateau et non au montage. Par exemple, lorsque les personnages regardent dans le miroir et qu’ils contemplent l’image d’une réalité différente dans l’espace et le temps, ce que l’on voit n’est rien d’autre que ce qu’il y a lttéralement de l’autre côté du miroir, c’est-à-dire un autre plateau filmé à travers ce qui est en vérité un simple cadre, derrière lequel se joue la scène qu’imaginent les personnages !
En filmant ainsi les scènes du réel et de l’imaginaire sur deux plateaux distincts, avec un trou dans le mur par lequel le regard du spectateur peut accéder du premier au second, le réalisateur réalise un effet spécial aussi simple qu’efficace. De la même manière, lorsqu’un personnage se transforme en se regardant dans un autre miroir, la fumée qui envahit le reflet est diffusée directement sur le plateau, masquant d’une manière tout aussi simple et élégante la coupure discrète qui s’effectue au montage (lorsque la fumée se dissipe, apparait alors un autre visage dans le miroir ) !

Le miroir : prétexte à tous les effets spéciaux !
C’est avec bien du recul qu’on remarque aujourd’hui et ce, sans vouloir dire forcément que “c’était mieux avant”, à quel point ces effets spéciaux “physiques” (on pense par exemple à ceux des vieux Disney de la même époque, tel DARBY O’GILL ET LES FARFADETS, qui en faisaient de même) ont particulièrement bien vieilli contrairement à de nombreux effets numériques beaucoup plus modernes. En ce sens, René Clair se positionnait clairement dans la continuité et l’héritage de Georges Meliès, autant dans le fond (en adaptant le mythe de Faust), que dans la forme !
Ainsi, cette fumée, qui envahit le cadre dès que se joue la destinée des personnages, que la scène soit surnaturelle ou que la fumée fasse juste partie des éléments en place, devient le leitmotiv naturel servant de liant entre le réel et le fantastique, entre le présent et le futur, entre le bien et le mal, entre la réussite et l’échec, entre les promesses et le mensonge. Que ce soit le pacte avec le diable, qui part en fumée dans le dénouement final, ou encore l’ascension fulgurante du héros qui en fait autant dans la métaphore, c’est l’élément insaisissable (on ne peut guère attraper de la fumée) qui parcourt le film et qui échappe sans cesse à tous les protagonistes, qui tentent tant bien que mal de plier le destin à leur volonté pour, in fine, en être la victime comme tout un chacun…

Fumée et enfumages…
Une ode à la vie
Au final, cette fable existentielle s’achève sur une note de fraicheur, d’espoir et de simplicité, le héros ayant volontiers renoncé à toutes les promesses du diable pour vivre une seconde jeunesse dans la pauvreté, déterminé à savourer tout ce qui lui a échappé dans sa précédente existence : Les choses simples de la vie, en commençant par l’amour et la liberté. Pris comme tels, le film et sa morale en apparence naïve font sens, puisque tous les événements ayant précédé ce dénouement ont bien illustré que le mal se cache avant tout dans une volonté de maitriser son destin, de gravir les échelons du pouvoir et de passer ainsi à côté de l’essentiel. Le diable aura alors tout bonnement pris les atours d’une allégorie, celle d’une vie passée à courir après la richesse et la renommée, écrasant tout sur son passage, méprisant les valeurs humaines essentielles à son propre profit et passant en définitive à côté du plus important.
Et j’achève ma chronique par une déclaration d’amour, adressée au film qui berça mon enfance et me permit de frissonner délicieusement face à ces magnifiques tableaux gothiques, sellant ainsi le pacte qui allait me lier, éternellement, avec le cinéma fantastique…

That’s all, folks !!!
Je l’avais vu sur tes recommandations ce film. Il était bien. Je n’ai pas non plus été plus transporté que ça mais je m’attendais peut être plus à un film d’horreur, vu que tu m’avais dit préférer ce genre de film d’horreur que LES YEUX SANS VISAGE. Sauf qu’en fait ça boxe pas dans la même catégorie du tout^^ C’est « juste » fantastique LA BEAUTE DU DIABLE. Pas grand chose d’horrifique, à part quelques effets menaçants ou de suspense en rapport avec les apparitions du diable.
Mais ça reste un chouette film fantastique frenchie.
« C’est avec bien du recul qu’on remarque aujourd’hui et ce, sans vouloir dire forcément que “c’était mieux avant”, à quel point ces effets spéciaux “physiques” (on pense par exemple à ceux des vieux Disney de la même époque, tel DARBY O’GILL ET LES FARFADETS, qui en faisaient de même) ont particulièrement bien vieilli contrairement à de nombreux effets numériques beaucoup plus modernes »
Quand tu dis ça, ça me fait aussi penser aux façons de filmer avec moins de coupes, sur des plans larges qui montrent une action complète, beaucoup plus impressionnant que lorsque c’est filmé en 6 plans (exemple : une cascade de Buster Keaton, ou par extension de Jackie Chan qui s’s’inspirait du ciné muet, par rapport à une baston du MCU sur-découpée qui n’impressionne personne).
Va voir la video que je t’ai filée à ce propos^^
https://www.youtube.com/watch?v=RCSiFM_ZLP8&ab_channel=LeFossoyeurdeFilms
L’art d’épurer la mise en scène. Et sans que ce soit plat ou feignant. En fait faire un plan séquence est parfois 100 fois plus dur que sur-découper.
Pareil faire un effet spécial devant la caméra et pas après c’est pas facile mais ça marche très bien et ça ne vieillit pas.
C’est vrai que ce n’est vraiment plus du tout impressionnant aujourd’hui les films de super-héros. J’ai encore en tête l’immonde Dr STRANGE de Sam Raimi en grande partie noyé dans un tas de bouillie numérique. Une horreur.
Je me souviens aussi avoir quitté la salle de cinéma dès l’intro de WONDER WOMAN à cause d’une « une baston sur-découpée » comme tu dis, où les personnages faisaient des pirouettes à la noix sur une plage avec des costumes bling bling. J’ai compris ce jour-là que ce n’était pas ce cinéma-là que j’aimais et qu’il fallait arrêter de me l’infliger.
Le dernier film à effets spéciaux que j’ai apprécié, je crois que c’est le NOSFERATU de Eggers, avec ses effets discrets et bien intégrés au récit.