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VAMPIRE SOUS LES SUNLIGHTS :
“ET 1, ET 2, ET TROIS BOULES À ZÉRO !”
Chronique des trois films NOSFERATU
Rubrique VAMPIRE SOUS LES SUNLIGHTS
Date de sortie des films : 1922, 1979, 2024
Durée : 94 minutes, 107 minutes, 132 minutes
Genre : Horreur, gothique.
Niveaux d’appréciation : – À goûter
– À déguster
– À savourer
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Cet article est inscrit dans le cycle dédié aux films de vampires que nous appelons VAMPIRE SOUS LES SUNLIGHTS. Soit un sous-genre à part entière du cinéma fantastique et horrifique qui contient en son sein un panel assez conséquent de films importants.
Nous reviendrons de temps en temps vous présenter d’autres films de la rubrique. Mais chaque chose en son temps. Aujourd’hui, nous faisons une entorse à la règle en décryptant non pas un, mais trois films ! Soit le NOSFERATU originel de 1922, son remake réalisé en 1979 et le dernier en date, sorti en 2024…
Au programme :
- NOSFERATU LE VAMPIRE – 1922
- NOSFERATU, FANTÔME DE LA NUIT – 1979
- Entre 1979 et 2024
- NOSFERATU – 2024
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Géniale imagerie…
NOSFERATU 1922 – 
NOSFERATU, EINE SYMPHONIE DES GRAUENS :
Dans les années 20, il n’est pas possible d’adapter DRACULA, le roman fondateur de Bram Stocker. Les droits d’auteur sont à l’époque la propriété de Florence Stocker, la veuve de l’écrivain, une mégère qui saute sur tout ce qui bouge avec une hargne sans précédent dès qu’il s’agit de toucher à son héritage…
C’est la raison pour laquelle la première adaptation historique du roman ne s’intitulera pas DRACULA mais NOSFERATU. Cela n’empêchera pas la veuve de tenter de vampiriser la poule aux œufs d’or. La furie intentera envers et contre tous un procès qui aboutira en 1925 à un jugement exigeant la destruction de toutes les copies du long métrage allemand ! Une malédiction qui tiendra très longtemps le film hors de portée des cinéphiles.
Revenons aux origines du projet : Prana Film, la société de production qui finance le tournage du film au début des années 20, n’a pas les moyens de payer les droits d’auteur à la veuve de Bram Stocker, qui a manifestement les dents longues.
Les producteurs teutons se lancent néanmoins dans une adaptation officieuse (qu’ils nomment donc NOSFERATU, EINE SYMPHONIE DES GRAUENS – NOSFERATU, UNE SYMPHONIE D’HORREUR), engageant respectivement le scénariste Henrik Galeen (auteur du script du GOLEM, réalisé en 1920) et le réalisateur Friedrich Wilhelm Murnau.
Dans cette version alternative, si la trame narrative est largement respectée, les nombreux changements s’effectuent principalement avec le nom des personnages et les lieux de l’action. Le comte Dracula se nomme alors le comte Orlock, Jonathan Harker devient Thomas Hutter, Mina Murray s’appelle Ellen et Renfield se transforme en Knock… L’action ne se déroule pas non plus à Londres mais en Allemagne, dans la ville fictive de Wisborg. Au niveau de l’adaptation, l’apparence du vampire est également très éloignée du roman et l’acteur Max Schreck, qui interprète le comte Orlock, au physique très étrange, est maquillé de façon à prendre l’apparence d’une sorte de “rat humain”, comme une métaphore de la peste qui va s’abattre sur la ville de Wisborg dès l’arrivée du monstre…
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Le vampire sort de sa tombe, avec effets spéciaux !
En 1937, après le décès de la veuve Stoker, des copies cachées réapparaissent instantanément. Il faut néanmoins attendre les années 1960 pour avoir droit à une diffusion en salles de ces miraculeuses copies ! Et l’année 1984 pour que l’œuvre intégrale soit restaurée ! L’ultime restauration, avec la copie nitrate conservée par la Cinémathèque française, scènes teintées et intertitres français de 1922, est réalisée en 2005.
À l’origine, le film était effectivement teinté, avec une couleur distincte pour certaines séquences. L’ultime restauration reprend ainsi le procédé : Le jaune est réservé aux scènes de jour, ainsi qu’à certaines scènes éclairées par une lumière artificielle. Le bleu (turquoise) est utilisé pour la plupart des scènes de nuit. Le rose, enfin, est employé pour les séquences cruciales du lever et du coucher de soleil. Le film avait intégralement été tourné de jour, les couleurs étant destinées, initialement, à agir comme un repère visuel afin que le spectateur puisse identifier les changements de temps et d’espace.
La partition originelle de Hans Erdmann, longtemps réputée perdue, a également pu être reconstituée et interprétée par un orchestre de chambre dans la restauration de 1984, puis par l’Orchestre symphonique de Munich à l’occasion de la restauration ultime de 2005.
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Jaune le jour, bleu la nuit, rose entre les deux !
Premier véritable long métrage d’horreur de l’histoire du cinéma. NOSFERATU est aussi le mètre étalon de l’expressionnisme allemand, esthétique qui marquera au fer rouge le genre fantastique cinématographique. C’est à partir de là que les films d’horreur utiliseront la plupart du temps les effets de contraste entre l’ombre et la lumière, entre le jour et la nuit, entre le noir et le blanc (et plus tard entre le rouge et le noir). Une dichotomie parfaite dès qu’il s’agit d’opposer les forces du bien et du mal, par exemple…
Le film fonctionne encore aujourd’hui grâce à sa poignée de scène à l’imagerie universelle, qu’il a depuis tout ce temps imprimé dans la mémoire collective, notamment toutes ces images aux ombres portées, qui là aussi ont pavé la voie de tout un pan du cinéma horrifique grâce à une trouvaille essentielle : la suggestion. Ou lorsque ce que l’on ne voit pas mais que l’on croit voir, est bien plus effrayant que ce que l’on aurait pu voir distinctement…
Si Maupassant avait déjà utilisé ce principe de la suggestion en littérature, Murnau le pratiquait alors sous l’angle du médium cinématographique…
Bientôt, les grands classiques du film d’horreur de la Universal (à commencer par DRACULA, bien évidemment), les productions Val Lewton (songez à LA FÉLINE) au sein de la RKO (le studio de KING KONG et de CITIZEN KANE), la Hammer films en Angleterre, l’American International Pictures aux USA avec les adaptations d’Egdar Poe par Roger Corman, ou encore la vague gothique italienne des années 60 conduite par Ricardo Freda et Mario Bava (notamment avec LES VAMPIRES et LE MASQUE DU DÉMON), jusqu’aux plus grandes adaptations du roman de Bram Stocker, tous reprendront les trouvailles fondatrices du film de Murnau, que ce soit son esthétique expressionniste ou son volet de la peur suggérée. Un grand classique, s’il en est.
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L’ombre et la lumière !
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Un rôle taillé sur mesure ?
NOSFERATU 1979 – 
NOSFERATU, FANTÔME DE LA NUIT :
En 1979, la même année que la nouvelle grande adaptation hollywoodienne officielle de DRACULA (réalisée par John Badham, avec Frank Langela dans le rôle-titre), le réalisateur allemand Werner Herzog signe de son côté un remake du NOSFERATU de Murnau !
Ainsi, le script de ce NOSFERATU, PHANTOM DER NACHT reprend celui du film de 1922 et, dans les grandes lignes, l’adapte avec une grande fidélité.
Dans la joie et l’allégresse…
On retrouve donc cette transposition de DRACULA dans l’Allemagne du XIXème siècle, cette version du monstre à visage de rat comme métaphore de la peste qui s’abat sur la ville, le tout découpé selon les mêmes séquences que la version Murnau.
Cependant, trois changements notables s’imposent instantanément.
Le premier changement provient des noms employés dans cette nouvelle version. Comme il n’y a plus aucun problème avec les droits d’auteurs, Werner Herzog choisit de redonner les noms du roman à ses personnages (le comte Dracula, Jonathan Harker, Lucy (à la place de Mina comme dans bon nombre d’adaptations), Renfield et le Dr Van Helsing), comme s’il souhaitait réhabiliter de manière posthume le droit à Murnau et à tous les artisans de la version de 1922 d’adapter librement le livre de Bram Stocker. Même le nom de la ville où se passe l’action est changé, bien que le récit se déroule donc en Allemagne (Wismar remplace ainsi la ville fictive de Wisborg).
Ensuite, second changement : À la fin, Jonathan Harker, contaminé par Dracula, achève sa transformation en vampire et s’en va à cheval, probablement pour remplacer le comte dans son château transylvanien…
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De la Transylvanie à Wismar…
Le troisième changement se situe dans la forme et notamment au niveau du style adopté pour le film. C’est un choix décevant, car Herzog s’applique à filmer le récit de manière extrêmement naturaliste. Une interprétation surprenante mais une impasse irréversible dans la perspective de mettre ce remake dans l’héritage de son modèle.
Le film de 1922 proposait une imagerie gothique et expressionniste à la fois puissante et profondément poétique, ce qui en faisait une adaptation audacieuse et magistrale en ce qu’elle propulsait le récit de Bram Stocker au rang de mythe visuel. Herzog mise l’intégralité de sa mise en scène sur une narration hallucinée (comme il l’avait déjà fait avec AGUIRE, LA COLÈRE DE DIEU), quasiment énoncée au ralenti, mais emballée dans une photographie naturaliste en totale opposition à son inclination onirique. Le spectacle s’annihile donc dès les premières minutes, le spectateur se retrouvant pris au piège d’interminables scènes domestiques dénuées du moindre intérêt dramaturgique.
Le générique d’ouverture.
Le début du film offre presque un spectacle schizophrène avec son générique d’ouverture. Celui-ci, découpé en deux parties distinctes, s’ouvre avec une première moitié très réussie, dans laquelle des momies (mexicaines) défilent sur une musique cauchemardesque. Mais cette immersion gothique et malsaine est hélas immédiatement contredite par la deuxième partie, dans laquelle des images de la ville de Wismar, sans grand intérêt, s’enchaînent sur une musique folk et bucolique moderne dominée par la guitare acoustique ! comme Dario Argento avec le groupe Goblins, Werner Herzog fait partie de ces cinéastes qui, dans les années 70, croyaient bon de s’associer avec des groupes de rock psychédélique (ici Popol Vuh), afin de casser les codes de la musique de film classique. Le souci étant, principalement, le risque de mal vieillir. Ce qui est absolument le cas ici avec cet épouvantable thème bucolique !
Tout le reste du film, on entendra se succéder, au petit bonheur la chance, les deux thèmes du générique, entrecoupés du RING CYCLE de Richard Wagner et du SANCTUS de Charles Gounod.
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Nosferatman !
Au milieu de sa série de films épiques avec Klaus Kinski (notamment AGUIRE, LA COLÈRE DE DIEU et FITZCARRALDO, tous avec des musiques de Popol Vuh), NOSFERATU, FANTÔME DE LA NUIT fait presque figure de “requiem” tant le tournage (le premier pour lequel le réalisateur s’entoure d’acteurs connus) se déroule sans heurts. Klaus Kinski (qui se double lui-même en VF) fait néanmoins les frais de longues et harassantes séances de maquillage. Mais le jeu en vaut la chandelle : Son apparence incroyable, à la fois repoussante et magnétique, ainsi que son interprétation à fleur de peau laissant transparaître une étonnante étincelle d’humanité lointaine, sont les principaux atouts de ce film extrêmement ennuyeux, malgré un casting de qualité (Isabelle Adjani et Bruno Ganz sont également impeccables dans des rôles basés avant tout sur le langage du regard).
La seconde partie du film, à Wismar, qui reprend paresseusement les séquences du film de 1922, sont d’une torpeur accablante et ne ménagent aucun suspense ni aucun effroi ! Et la scène finale a beau enfin tâter de l’expressionnisme avec ses éclairages en clair-obscur, il est trop tard : Le spectateur est déjà perdu dans les limbes de l’ennui et attend laborieusement la fin…
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Les scènes assez grotesques où Nosferatu transporte ses cercueils sous le bras…
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Entre 1979 et 2024 :
NOSFERATU À VENISE – 
– L’OMBRE DU VAMPIRE – 
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Ils ne se ressemblent pas du tout, ces deux-là…
Ce ne sont pas des remakes. Pourtant, deux autres films mettent en scène le personnage de Nosferatu, version alternative du comte Dracula !
Il y a tout d’abord NOSFERATU À VENISE (NOSFERATU A VENEZIA), réalisé en 1988 par (entre autres !) Augusto Caminito. Puis L’OMBRE DU VAMPIRE (THE SHADOW OF A VAMPIRE), réalisé par E. Elias Merhige en 2000.
Un Nosferatu qui se ballade en plein jour comme si de rien n’était !
NOSFERATU à VENISE est au départ conçu pour être la suite directe du film de Werner Herzog, toujours avec Klaus Kinski dans le rôle-titre. C’est le producteur Augusto Caminito qui lance le projet d’une suite en Italie. Tout commence bien grâce à la constitution d’un casting de premier ordre, avec Christopher Plummer dans le rôle du chasseur de vampires et Donald Pleasance dans celui du prêtre. Mais tout se complique dès l’arrivée de Kinski. L’acteur (à qui il ne reste que trois ans à vivre) se montre immédiatement impossible. Il refuse d’abord de se raser (hors de question pour lui de revivre l’épreuve du maquillage !) et l’on doit le filmer avec les cheveux longs, rendant immédiatement caduque la continuité avec le film de 1979 ! Puis tout s’empire avec un comportement ignoble de l’acteur qui refuse tout ce qu’on lui propose, ne joue pas le rôle comme prévu, insulte les divers réalisateurs qui démissionnent et ne vient travailler que lorsqu’il en a envie ! Au final, Augusto Caminito doit terminer le film lui-même et monte le tout à l’arrache pour le distribuer en l’état ! Le résultat de cette catastrophe industrielle littérale est que le film est un pur navet. Vous pouvez le regarder par curiosité mais en oubliant tout rapport avec le mythe de NOSFERATU !
L’OMBRE DU VAMPIRE est d’un tout autre acabit. Le scénario part du postulat que Max Schreck, le légendaire acteur du NOSFERATU de 1922, celui-là même qui interprétait le comte Orlock, était en réalité un véritable vampire !
Nous suivons ainsi le réalisateur Friedrich Wilhelm Murnau (joué par John Malkovich) sur le tournage de son film. L’équipe technique part tourner en Slovaquie et Murnau leur promet qu’ils verront bientôt l’acteur extraordinaire qu’il a déniché, qui les attend là-bas afin de se préparer et de se mettre dans la peau du personnage. En réalité, Schreck (interprété avec truculence par Willem Dafoe) est un vrai vampire avec lequel Murnau a signé un pacte, pariant ainsi que le film bénéficiera de la magie d’un personnage plus vrai que nature…
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Heu… Y a vraiment des professionnels qui ont pris le film au 1er degré ???
Cette soi-disant légende selon laquelle Max Schreck était une véritable goule est, bien sûr, totalement inventée (probablement une blague qui devait circuler à l’époque sur le plateau du tournage) puisque l’acteur était déjà connu en 1922 et que toutes les scènes du film furent tournées de jour !
Le film est donc avant tout une fable jouant sur les légendes urbaines et il ne doit pas être pris autrement qu’un simple divertissement au rayon fantastique. Il est par ailleurs doté d’une belle réalisation dans laquelle on utilise certains procédés de l’âge du cinéma muet, comme les scènes tournées avec les caméras de l’époque et les intertitres, ainsi que d’un casting assez jouissif auquel se joignent également Udo Kier, Catherine McCormack et Cary Elwes. La bande-son est également soignée, de même que la photographie.
Il a pourtant essuyé un échec commercial assez sévère ainsi que des critiques mitigées, notamment au sein d’un certain journalisme de mauvaise foi, reprochant au film d’être un pensum laborieux sur l’acte de création en tant que pulsion surnaturelle ! Le film n’a pourtant pas les prétentions qu’on a voulu lui prêter et de nombreuses scènes font la part-belle à un humour noir premier-degré d’une parfaite fraicheur ! En bref, un divertissement racé et tout à fait sympathique.
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Quand Stephen King s’en mêle...
Notons enfin deux adaptations du roman SALEM de Stephen King.
Dans celle de 1979 réalisée par Tobe Hopper comme dans celle de 2024 réalisée par Gary Dauberman (mais pas dans celle de 2004), les réalisateurs ont tenu, alors qu’il n’est pas du tout décrit ainsi dans le roman, de donner les traits de Nosferatu à Kurt Barlow (le seigneur des vampires venu plonger la ville de Salem’s Lot dans les ténèbres). Une manière de réclamer une sorte de filiation, qui serait celle de l’expressionnisme allemand plutôt que des autres itérations vampiriques de l’histoire du cinéma (ou de la télévision)…
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Le retour…
NOSFERATU 2024 – 
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Le pitch : Une nuit dans un manoir isolé, la toute jeune Ellen, souffrant d’une extrême solitude, supplie lors d’un puissant accès de mélancolie que quelqu’un vienne combler son manque d’amour. C’est alors qu’un esprit prend contact avec elle du fond des ténèbres. Il lui assure un amour éternel si elle accepte, en retour, de se vouer entièrement à lui. Dans un élan de naïf désespoir, elle accepte.
En 1838, des années plus tard, à Wisborg, Ellen est désormais mariée à Thomas Hutter, un clerc de notaire. Ce dernier, afin de subvenir à leurs besoins, accepte la proposition de son employeur Knock : Partir dans les Carpates à la rencontre du comte Orlock, afin de lui vendre une vieille bâtisse située près de leur quartier. Thomas est loin de se douter que le comte est ce même esprit qui, dans le passé, est entré en contact avec son épouse…
Il faut attendre 2024 pour voir le nouveau remake officiel du chef d’œuvre de Murnau, réalisé par Robert Eggers (qui reprend, contrairement au film de 1979, la version allemande du nom des personnages et celui de la ville de Wisborg), tout simplement intitulé… NOSFERATU !
C’est clairement inscrit dans le générique de fin : Le film est inspiré du scénario de Henrik Galeen (version 1922) et du roman de Bram Stocker. En citant à égalité le NOSFERATU de Murnau et le DRACULA de Bram Stocker, Eggers insiste donc sur ses deux sources d’inspiration et le film est le résultat hybride de ce double héritage, à la fois littéraire et cinématographique. Une manière de boucler la boucle en livrant le résultat postmoderne de plus d’un siècle d’adaptations et de mettre en lumière les deux faces d’un même mythe populaire.
Sans avoir en tête le concept, le spectateur qui découvre le film pour la première fois risque d’être déçu : Le script manque d’originalité, l’interprétation des personnages est extrêmement proche des stéréotypes usés jusqu’à la corde et chaque scène semble avoir été vue et revue des centaines de fois.
Lorsqu’il adapte le roman (et non pas le film de 1922), Eggers ne parvient pas à s’émanciper de ses prédécesseurs et notamment de la version de Coppola. À ce titre, la longue séquence dans le château des Carpates est celle qui souffre le plus de ces clichés, tant elle ressemble à celle de Coppola, en moins bien.
Pourtant, en revoyant le film avec cette idée de double héritage en tête et en se laissant porter par la beauté des plans, tous plus sublimes les uns que les autres, le film semble gagner des points à chaque visionnage.
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Déjà vu ? Peut-être, mais qu’est-ce que c’est beau !
Robert Eggers est un auteur complet mais, lorsqu’il écrit et réalise NOSFERATU, il n’a tourné que trois longs métrages : THE WITCH en 2015, THE LIGHTHOUSE en 2019 et THE NORTHMAN en 2022. D’un point de vue purement formel, tous sont des films marquants. Mais il parait évident que l’écriture n’est pas le point fort de notre cinéaste, tant ses scripts ont tendance à tenir sur le dos d’un timbre-poste. Et pourtant, son NOSFERATU bénéficie d’un scénario bien plus fin qu’il n’y parait au premier coup d’œil. Et il mérite qu’on lui redonne sa chance.
Comme on l’a vu dans le pitch, le point de départ de cette nouvelle version (une adolescente souffrant de solitude exprime une telle mélancolie que la puissance de sa détresse est captée par un esprit malveillant) est totalement inédit. Il sera le fil conducteur d’un script particulièrement habile dès qu’il s’agit de lier les éléments épars, tirés à la fois du roman et du film de Murnau.
Si Coppola avait ajouté une dimension romantique au récit de Bram Stocker, Eggers nous propose une puissante interprétation gothique, dans laquelle les âmes peuvent se lier -tragiquement- entre le monde des vivants et celui des morts. C’est une trouvaille à la fois évidente et superbe. On comprend dès lors tout ce qui n’était pas forcément expliqué dans le récit originel, Orlock/Dracula tirant les ficelles dès le départ afin d’écarter son rival (ici Thomas Hutter à la place de Jonathan Harker), en manipulant son employeur (ici Knock à la place de Reinfield) afin qu’il l’envoie en Transylvanie. C’est finalement beaucoup plus cohérent de la part du vampire de vouloir venir dans la ville de son choix (ici Wisborg à la place de Londres) s’il prépare son voyage depuis des années, connaissant depuis tout ce temps l’objet de son désir…
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L’ombre du vampire est sur elle…
Ainsi, en liant les deux versions emblématiques d’un mythe populaire (la version littéraire et la première version visuelle cinématographique), Eggers referme une boucle vieille de plus d’un siècle. Le film en souffre néanmoins car, s’il s’enferme parfois dans l’héritage des adaptations précédents (et notamment de la version Coppola), il pâtit aussi de la structure d’un film datant des années 20. Certaines scènes sont donc pénibles tant elles tirent en longueur et supportent mal les multiples visionnages. C’est tellement évident : Chaque fois que le réalisateur reprend les scènes “naturalistes” du film de 1922 (toutes celles où l’élément fantastique est absent), c’est laborieusement ennuyeux. En contrepartie, toutes les scènes mettant en scène le vampire (voire son disciple Knock) détonnent. Et c’est précisément lorsqu’il vient boucler la boucle qu’Eggers tire son épingle du jeu : Si la scène finale nous ramène au bon souvenir du classique de 1922 avec ses ombres portées sur les murs, ici filmées en sens inverse (de la droite vers la gauche et non plus de la gauche vers la droite, puisqu’il faut boucler la boucle, donc), le réalisateur de THE WITCH n’est jamais aussi brillant que lorsqu’il se lâche visuellement, comme dans la scène, totalement onirique, où la main du vampire s’abat littéralement sur la ville de Wisborg…
Eggers aurait-il raté le coche ? Son film n’est jamais meilleur que lorsqu’il s’émancipe de ses modèles.
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L’ombre du vampire s’abat sur la ville…
On notera pour terminer une interprétation de qualité, comme dans tous les films du réalisateur, mais non sans quelques aléas…
Après THE NORTHMAN, dans lequel il avait dirigé Alexander Skarsgård, et alors que celui-ci avait assurément la stature pour interpréter le rôle-titre, Robert Eggers dirige cette fois son jeune frère Bill, assez impressionnant dans le costume du vampire pour lequel il a dû subir des heures de maquillage à l’ancienne (et habitué aux rôles de monstres puisqu’il interprétait déjà le rôle du clown démoniaque dans la seconde adaptation de ÇA, le roman de Stephen King). Pour autant, il affuble le personnage d’une voix caverneuse et gutturale absolument grotesque, le faisant déclamer (parfois dans la langue morte de l’ancienne Roumanie, le Dace) des tirades caricaturales annihilant le moindre effroi ! La boulette… Et c’est le moment de préciser l’énorme changement que le réalisateur opère par rapport aux versions de 1922 et 1979, en ne donnant absolument pas l’apparence du “rat-humain” au vampire (immortalisée par Schreck et Kinski), mais bel et bien celle qui est décrite dans le roman de Bram Stocker, haute stature, nez aquilin et moustaches slaves en avant ! De mémoire de cinéphile, quasiment aucun cinéaste n’avait aussi fidèlement interprété l’apparence physique du personnage, à part peut-être Jesus Franco dans LES NUITS DE DRACULA (1970), avec Christopher Lee.
Le reste du casting est tout de même très solide, Lili-Rose Depp en tête, qui démontre d’étonnants talents de contorsionniste. Eggers la met en scène avec un profond symbolisme (elle pourrait être la réincarnation d’une princesse égyptienne, entend-on dans le film !) et écrit, après THE WITCH, un nouveau personnage tragique de jeune femme au destin lugubre. Willem Dafoe, de retour après L’OMBRE DU VAMPIRE, cette fois dans le rôle du Pr Eberhart Von Franz (à la place du Pr Van Helsing), est sans doute un poil décevant comme avait pu l’être avant lui Anthony Hopkins dans la version Coppola. Un rôle difficile ?
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Les deux moustachus de l’histoire des adaptations de Dracula… (?)
Nous arrivons à la fin de notre article. Nous vous donnons à présent rendez-vous pour le prochain épisode de notre rubrique VAMPIRE SOUS LES SUNLIGHTS…
See you soon !!!
Le classique de 1922 : J’avoue que j’ai hélas un peu de mal avec les filtres colorés qui indiquent les périodes de la journée. Oui ok la nuit en noir et blanc filmée de jour, ça marche pas…
Mais hélas c’est pas bien joli ces couleurs, ça gâche un potentiel beau noir et blanc. Le cabinet du Dr Caligari c’est pareil, même si ça me dérange moins sur celui-là vu que ça joue moins sur les scènes de nuit et qu’aucun décor n’est réel de toutes façons, donc on n’est jamais vraiment en extérieur en plein soleil.
Celui de 1979 : Pas vu. Pas trop envie. Les choix de musique et les scènes ou le vampire transporte son cercueil sont de vrais soucis légitimes. Le côté naturaliste par contre, même si je peux te rejoindre un peu, je pense que ça se défend d’un point de vue artistique, qu’on aime ou non. Parce que c’est quoi l’intérêt de faire un remake exactement pareil sans tenter une autre approche ? Après ça marche ou ça marche pas, ça dépendra du public…
Celui de 2024 : Je partage ton avis, sauf sur les scènes du quotidien que tu trouves ennuyeuses.
« Certaines scènes sont donc pénibles tant elles tirent en longueur et supportent mal les multiples visionnages. C’est tellement évident : Chaque fois que le réalisateur reprend les scènes “naturalistes” du film de 1922 (toutes celles où l’élément fantastique est absent), c’est laborieusement ennuyeux. »
M’enfin quoi ! Faut un peu de build-up ! Faut du calme et du non-impressionnant pour que les scènes gothiques en soient magnifiées quand elles se produisent. T’es drogué au spectaculaire !
Je supporte pas moi quand t’as aucun répit et qu’une scène où un mec ouvre une porte est filmée de manière épique et dramatique pour soi disant rester dans le ton. Le truc c’est que plus rien ne fait d’effet quand t’as aucun contraste avec des scènes « normales » C’est un truc que je reproche à Snyder, Nolan, au CHARLIE ET LA CHOCOLATERIE de Burton (où le monde en dehors de la fabrique de chocolat est tout aussi bizarre que dedans, ce qui fait qu’il n’y a rien de surprenant au final.
J’ai aucun souci de rythme à reprocher à ce film. Le seul reproche c’est plutôt ce côté « je sais pas trop quoi faire quand je m’éloigne du film de 1922, alors je crée un lien entre le vampire et la fille très inspirée de Coppola. » Même si c’est vrai que le twist sur la relation « parasitaire » du vampire qui s’est infiltré dans l’esprit de quelqu’un d’affaibli et seul est bien trouvé (en même temps difficile d’élaborer une histoire d’amour avec un vampire qui ressemble pas mal à un zombie)
Il a la moustache ouais, mais il est sans doute un peu trop en décomposition pour être complètement fidèle au Dracula du bouquin^^ Il passe difficilement pour un être humain.
« c’est quoi l’intérêt de faire un remake exactement pareil sans tenter une autre approche ? »
Ben là, en l’occurence, quand tu fais le remake du chef d’oeuvre de l’expressionnisme allemand, ça revient à dire que tu adaptes un parti-pris pour ne pas l’adapter… Du coup ça reviendrait au même d’adapter le SEIGNEUR DES ANNEAUX dans une cuisine avec une femme de ménage, un cuistot et un serveur qui cherchent un anneaux dans la casserole…
Sur les scènes du quotidien il y a un malentendu : Bien sûr que c’est important d’apporter un peu de respiration dans un film, et un contrepoint plus calme dans un film d’action. Je suis parfatement d’accord. Ce que j’essayais d’exprimer, c’est que ces scènes-là, sous la plume d’Eggers, sont juste chiantes et ennuyeuses (et de plus en plus à chaque visionnage du film (j’en suis au troisième)). La faute aussi à un récit aujourd’hui connoté et à des choix d’adaptation où il est apparemment difficile de trouver le bon équilibre.
Tiens, une scène que je n’arrive toujours pas à comprendre : Thomas Hutter est chez les tziganes. Il assiste à la mise à mort d’un vampire dans la campagne par les tziganes qui promènent une femme nue sur un cheval… Elle sert à quoi cette scène et cette femme nue sur un cheval ?
Pour le Nosferatu de 1979 : ok mais il refait le Nosferatu de Murnau, ou il adapte Dracula ? Il utilise même les noms du livre. Parce que rien n’empêche d’adapter Dracula sans l’expressionisme allemand. Curieux d’appeler ça Nosferatu alors, c’est vrai…Je sais pas trop ce qu’il a voulu faire le mec.
Ok pour les scènes du quotidien mais je trouve ça étrange que tu aies ressenti ça. Tu te tapes plein de film Hammer parfois un peu mollassons et tu t’emmerdes devant un film de 2024 ?^^ J’ai pas eu de souci du tout avec le rythme.
La scène dont tu parles je pense que c’est juste pour inquiéter Thomas et montrer qu’il met les pieds dans un monde plus superstitieux. Va savoir c’est peut être une vierge qui est là pour cntrer le mal du vampire ou je sais pas quelle croyance^^ Orlock dit lui même qu’il veut quitter ce trou plein de ploucs aux coutumes arriérées.
Herzog adapte le Nosferatu de 1922, pas le roman. C’est expliqué dans l’article (mal?) 🙄
Nan mais je ne m’ennuie ni avec la Hammer ni avec ce film, qu’est-ce que c’est que cette histoire ???? Je dis simplement que Eggers est ennuyeux dans les scènes naturalistes. Le mec est un esthète, pas un conteur.
Nan mais peu importe en fait, ça n’empêche pas que je considère que oui, on peut proposer une autre approche. On peut faire le LORD OF THE RINGS dans ta cuisine si tu veux aussi ! (en fait non, c’est pas génial comme comparaison, tu enlèves exprès toute tension dramatique pour que ce soit ridicule. Il y a quand même un château et un vampire dans celui de 1979 non ? Ce serait qui Sauron dans ta cuisine ? 😉 ) Mais un LORD OF THE RINGS avec une ambiance façon LE NOM DE LA ROSE où c’est bien poisseux, les elfes vivent dans des cabanes pourrie dans une forêt qui pourrait être celle à côté de chez toi (normale, pas grandiose…mais une forêt quand même, pas une cuisine…)
Je dis pas que ce serait épique ou réussi mais ça peut s’entendre comme parti pris.
Je te suis pas trop sur l’ennui. C’est ennuyeux mais tu t’ennuies pas, bon ok…
C’est encore ton histoire de naturalisme qui me rend confus. Quand tu dis naturaliste je pense à la forme, et tu veux faire quoi de plus sur la forme durant des scènes de dialogues du quotidien ? C’est pour ça que je disais que c’est normal de faire une pause dans la mise en scène et de ne pas caler des ralentis ou je ne sais quoi quand des gens prennent un repas. Si par naturalisme tu veux dire « scènes du quotidien qui n’impliquent rien de surnaturel » alors c’est pas forcément la forme, c’est que y’a rien de palpitant à raconter ?
La discussion est intéressante dans ce qu’elle fait ressortir : C’est sans doute plus difficile de faire des scènes naturalistes (des scènes de la vie de tous les jours, sans artifices), mais de le faire de manière prenante pour le spectateur, plutôt que de faire des scènes surnaturelles, qui émerveilleront plus facilement.
Mais sinon, de manière beaucoup plus simple : Quand y a pas vampire chez Coppola, moi trouve ça bien quand même. Quand y a pas vampire chez Eggers, moi trouve ça pas terrible. Ou y en a un plus doué que l’autre pour capter l’intérêt du spectateur sur ce genre de scène, ou j’ai raté quelque chose. J’ai vu le film trois fois et je trouve toutes ces scènes qui se déroulent à Wisborg avant l’arrivée du vampire assez insipides. Par exemple, quand ils vont chercher le Dr interprété par Dafoe et que l’autre Dr explique laborieusement que c’est un exentrique, c’est chiant. C’est mieux quand ça se passe en Transylvanie… Mais je pense que ce qui ne marche pas, c’est le fait de reprendre la scructure d’un film des années 20. Ce qui passait à l’époque ne passe plus forcément aujourd’hui. Peut-être aurait-il fallu changer un peu le fil et ne pas « reprendre » les scènes les unes après les autres. Il y a quelque chose d’un peu raté à ce niveau, je trouve. Mais le film est bon, hein ! Je l’aime beaucoup malgré ses imperfections. On sent une belle sincérité de la part du réal, et ça, je trouve que ça ne se refuse pas.
Et non, ce n’est pas intéressant de refaire NOSFERATU si tu lui enlèves son principal apport, qui est l’aspect expressionniste, poétique et onirique. Dans ce cas mieux vaut adapter de nouveau le roman. Là-dessus je trouve Herzog complètement à côté de la plaque.
Mes scènes préférées dans le Eggers : Le moment où Thomas part pour le chateau d’Orlock et qu’il se retrouve seul, terrorisé sur les routes, jusqu’à son arrivée dans le château. Et la scène finale où Ellen se sacrifie pour vaincre le monstre.
Ah c’est clairement pas facile de faire des scènes qu’on appelle « d’exposition » avec dialogues chargés en informations et autres trucs utiles au scénar sans que ce soit ennuyeux ou que ça ait l’air trop artificiel. Clairement ! Déjà faut bien écrire les dialogues, sans que ça ressemble à un truc que jamais personne ne dirait, il faut que ce soit un peu naturel et pas une dictée. Dans les plus mauvais films on entend parfois des dialogues du genre « oh alors tu es machine, la sœur de l’officier machin qui travaille à truc et bidule et vient d’arriver hier ? » (qui parle comme ça ?? C’est un pavé de texte pour donner des infos au spectateur et pas naturellement du tout.)
Ensuite niveau mise en scène, éviter le banal champ/contre-champ, dynamiser le dialogue (souvent on fait bouffer les gens autour d’une table pour meubler, les fameuses scènes de bouffe ça sert parfois à ça^^)
Oui la scène ou Thomas est perdu sur les routes et que le carrosse arrive au milieu de nulle part avec un peu de neige éclairée…c’est là que Eggers est le meilleur, sur le plan visuel. La main sur la ville dont tu as mis le gif est chouette aussi.