
* TOLKIEN & FRAZETTA À WOODSTOCK *
Chronique des films LES SORCIERS DE LA GUERRE, TYGRA – LA GLACE ET LE FEU et LE SEIGNEUR DES ANNEAUX
Réalisateur : Ralph Bakshi
Année : 1977, 1978 et 1983
Durée : 1h20, 2h12 et 1h28
Genre : Fantasy, Aventures, Science-fiction.

Les premiers dans leur genre au cinéma.
Cet article portera sur Ralph Bakshi, auteur d’une trilogie de films d’animation Heroic fantasy qui comporte notamment une célébrissime adaptation du SEIGNEUR DES ANNEAUX. Mais c’est l’arbre qui cache la forêt, car il y a aussi deux autres films aujourd’hui cultes, LES SORCIERS DE LA GUERRE et TYGRA, LA GLACE ET LE FEU.
Le programme :

Unique en son genre.
LES SORCIERS DE LA GUERRE (WIZARDS)
LES SORCIERS DE LA GUERRE est un film d’animation réalisé en 1977 par Ralph Bakshi, un an seulement avant sa version animée du mythique SEIGNEUR DES ANNEAUX.
Le pitch tient d’ailleurs tout autant de l’œuvre de J.R.R. Tolkien que des récits de science-fiction populaires que l’on trouvait à la même époque dans les anthologies de type MÉTAL HURLANT : La Terre a été ravagée par le feu nucléaire. Des millions d’années sont passés lorsque notre planète se retrouve dominée par plusieurs races mutantes et diverses créatures féériques.
Un beau jour, deux jumeaux très puissants et quasiment immortels naissent au royaume de Montagar. Le premier, Avatar, est sage. Mais le second, Blackwolf, est maléfique. Après plusieurs siècles de paix, la guerre va de nouveau ravager le monde…
Bande annonce vintage.
Film culte de toute une génération issue d’une époque où l’Heroic Fantasy ne courrait pas les rues, le film de Ralph Bakshi est à la fois d’une ambition démesurée et d’une forme bâtarde qui souffre d’un manque de moyens évident.
Regarder aujourd’hui ce film unique en son genre est une expérience hallucinante, qui confine au mélange des genres, thématiques comme esthétiques !
Dans les années 70, Ralph Bakshi est l’un des tout premiers auteurs à réaliser des films d’animation à destination des adultes (on se souvient encore de FRITZ THE CAT !). Avant lui, personne n’avait encore injecté de l’érotisme, du réalisme cru et des véritables expérimentations psychédéliques (au sens psychotrope du terme) dans le médium préféré de Walt Disney ! Ainsi, Avatar, le héros du film, est un véritable vieux poivrot lubrique qui fume à longueur de journée !
Une chose est claire : LES SORCIERS DE LA GUERRE est un ovni, un ovni aujourd’hui intrinsèquement lié à une époque bien précise : Celle de la génération flower power…

C‘est bien de la fantasy.
Alors qu’il rêve d’adapter LE SEIGNEUR DES ANNEAUX depuis de nombreuses années, Bakshi imagine une mythologie d’une étonnante richesse et d’une incroyable originalité, qui puise ses sources dans les diverses références les plus évidentes (le monde de Tolkien mais aussi les contes de notre enfance) tout en les interprétant avec une liberté de ton qui s’impose à l’arrivée comme une véritable reformulation. En bref, il fait du neuf avec du vieux…
La mise en forme de l’ensemble souffre toutefois d’un mélange de techniques pas toujours réussi (c’est le moins que l’on puisse dire). S’il a la bonne idée de faire appel à deux artistes illustrateurs de premier ordre pour réaliser les backgrounds en la personne de Mike Ploog et Ian Miller, Bakshi colle par-dessus leurs magnifiques tableaux ténébreux des personnages animés tout en rondeur qui ne s’harmonisent pas du tout avec les décors.
Et puis le réalisateur oppose pour la première fois (et par manque de moyens) les divers personnages principaux animés de manière traditionnelle avec tous les personnages secondaires intégrés grâce au procédé de la rotoscopie (qui consiste à filmer des acteurs ensuite recouverts -ici grossièrement- par le dessin). Ce mélange disgracieux se reproduira par la suite dans les deux autres films de la trilogie, pour un résultat bâtard qui aura peu à peu raison de la carrière de l’auteur…
Par manque de moyens, encore, Bakshi ira même, afin de mettre en scène la grande bataille finale, jusqu’à recycler puis intégrer (parfois de manière “copié-collé” à outrance !) des scènes de quelques films de guerre (comme par exemple LA BATAILLE DES ARDENNES (film que je connais par cœur et donc j’ai reconnu la supercherie !)), elles aussi “maquillées” à la va-vite grâce à un mélange de filtres et de fumées colorés !
Le résultat est surprenant, parfois raté, souvent choquant, toujours original et surtout extrêmement psychédélique, sensation encore renforcée par une musique aujourd’hui très connotée 70’s avec ses accents pop underground !

Moult bricolage pour les scènes de bataille…
Une des qualités principales desSORCIERS DE LA GUERRE tient tout de même à son script d’une force hors du commun. La toile de fond politique et anticipationnelle propose ainsi au spectateur de s’interroger sur le devenir de notre monde s’il venait à basculer une fois encore dans le totalitarisme primaire et les idées fascistes. Afin de matérialiser sa métaphore, Ralph Bakshi se fend d’une idée absolument géniale : Lorsque Blackwolf le maléfique déverse ses armées sur le royaume de Montagar, il mystifie ses ennemis grâce à une vieille caméra retrouvée dans les ruines antiques de notre monde, qui diffuse des images de propagande du III° Reich ! Ainsi terrifiés par ces images d’apocalypse, ses ennemis baissent leur garde et se laissent décimer dans un décor qui rappelle les horreurs de la guerre des tranchées…
Le message est clair : La force des images, qui galvanisent les troupes autant qu’elles terrorisent l’ennemi, agit comme une arme ultime qui pervertie la conscience humaine !
Si aujourd’hui l’affrontement manichéen qui oppose le gentil Avatar et ses allures de hippie au méchant Blackwolf avec ses croix gammées peut paraitre simpliste, il gagne ses jalons de fable anticipationnelle d’une puissance peu commune dès lors qu’on le replace dans son époque, où l’on pensait encore que le festival de Woodstock suffisait à répandre la paix sur le monde tandis qu’une autre partie des jeunes américains se faisait massacrer au Vietnam (même si, dans le même temps, le nombre de morts vietnamiens -civils compris- s’élevait bien plus haut…)
Bref, un film unique en son genre qui souffre autant de sa mise en forme composite qu’il profite de son ambition artistique ébouriffante. Un très grand moment de cinéma, quoiqu’il en soit…

Mythique première adaptation au cinéma.
LE SEIGNEUR DES ANNEAUX (THE LORD OF THE RINGS)
Nous avons déjà parlé de ce film dans l’article consacré aux adaptations de JRR Tolkien dans le domaine de l’animation (il y en a eu plusieurs, par d’autres réalisateurs). Ceux qui ne souhaitent pas relire ce passage peuvent donc passer au film suivant.
Depuis 1957, Ralph Bakshi rêvait de réaliser une adaptation du SEIGNEUR DES ANNEAUX sous la forme d’un dessin-animé.
D’abord frustré de ne pas réussir à en obtenir les droits, il imagine sa propre mythologie inspirée de l’univers de Tolkien, ce qui aboutit à la réalisation des SORCIERS DE LA GUERRE en 1977.
À peine un an plus tard, Bakshi apprend que le studio United Artists a entamé la production d’une adaptation du chef d’œuvre de Tolkien…
D’abord destiné à John Boorman, qui devra se “contenter” d’EXCALIBUR, le projet échoue finalement à Ralph Bakshi, qui réussit de manière inespérée à convaincre le producteur Saul Zaentz de réaliser un dessin-animé et de lui en laisser la direction. Il propose d’emblée l’idée d’un film en trois parties, mais United Artists en négocie deux, chacune adaptant un livre et demi (le premier film bénéficiera tout de même d’une durée de 132 minutes)…
La suite est désormais connue : Le film soufra d’un manque de moyens (pourtant considérables) et de choix artistiques parfois étranges.
Une introduction toute en ombres chinoises !
Comme il l’avait fait pour LES SORCIERS DE LA GUERRE, Bakshi abusa du mélange entre les superbes décors peints comme des tableaux, les personnages principaux aux allures de cartoon et les figurants animés par le procédé de la rotoscopie. Si ce parti-pris technique n’était pas nouveau (Walt Disney l’utilisait depuis 1937 !), on ne peut pas dire qu’il ait été pratiqué, dans le cinéma de Ralph Bakshi, avec subtilité et harmonie. Ainsi, lors de la grande Bataille du Gouffre de Helm, à la fin du film, peut-on voir les personnages de cartoon se télescoper avec des acteurs en chair et en os, à peine “maquillés” par quelques filtres sombres et autres légères brumes colorées ! Pour un résultat esthétique somme-toute très particulier…
Le film ne plut d’ailleurs pas à la critique qui le descendit en flèche. Et malgré le succès commercial de ce premier essai cinématographique, le studio refusa d’en produire la suite…

Une esthétique un peu foutraque…
Et pourtant, cette première adaptation de l’œuvre de Tolkien au cinéma regorge de qualités !
Le scénario est parfois confus, mais la mise en scène épouse brillamment les aspérités de la Terre du Milieu. Bakshi trouve immédiatement la “voix” de ses personnages et les anime dans une série de scènes qui s’abreuvent directement à la source des deux premiers livres.
Dès l’introduction, tandis que retentit la magnifique bande-son épique composée par Leonard Rosenman, l’univers de Tolkien s’impose à notre esprit, alors qu’il ne s’agit que de simples ombres chinoises !
Fidèle à sa volonté de réaliser des films d’animation pour adultes, Bakshi nous offre une interprétation du monde de Tolkien très crédible et aussi épique que celle d’un film en prises de vues réelles.
Alors qu’à l’époque le cinéma ne s’intéresse pas encore à l’Heroic fantasy, cette première adaptation du SEIGNEUR DES ANNEAUX se révèle comme le mètre-étalon de toutes les productions futures dans ce domaine au départ réservé aux livres ou aux jeux de rôle.
Bien des années plus tard, Peter Jackson s’inspirera clairement des partis-pris narratifs du film de Bakshi, apportant dans sa version peu ou prou les mêmes modifications et les mêmes changements de script par rapport aux livres de Tolkien.

L’affiche originale, telle qu’on la voyait dans les vidéoclubs.
TYGRA, LA GLACE ET LE FEU (FIRE AND ICE)
Le pitch : À l’ère glacière, la maléfique reine Juliana et son fils, le terrible sorcier Nekron, terrorisent le monde. L’histoire commence au moment où Nekron, qui manipule la glace par pure magie, tente d’attaquer le royaume du roi Jarol, qui de son côté possède une grande maitrise du feu…
En 1982, Ralph Bakshi s’associe à Frank Frazetta, une légende vivante. L’artiste est alors considéré comme le plus grand illustrateur de fantasy de son époque. L’idée consiste à mettre en image un long métrage d’animation dans un genre enfin en vogue au cinéma, les deux années précédentes ayant vu le succès de films aujourd’hui cultes comme EXCALIBUR, CONAN LE BARBARE ou encore DARK CRYSTAL et LE DRAGON DU LAC DE FEU.
Si Bakshi et Frazetta mettent au point les bases du récit, le scénario à proprement parler est rédigé par Gerry Conway et Roy Thomas, deux célèbres scénaristes de comics des années 70. Le second est très important dans le domaine de l’Heroic fantasy car il est le premier à avoir adapté les aventures de CONAN LE BARBARE dans le monde de la bande-dessinée. Le projet réunit ainsi deux des plus importantes figures à l’origine de la popularité du personnage créé par Robert Howard, puisque Frazetta avait déjà relancé, grâce à ses couvertures réalisées dans les années 50, le succès du barbare en question.
Vintage !
La grande mode de l’Heroic fantasy au cinéma ne durera pas, faute de moyens (nombre de films d’Heroic fantasy qui pullulèrent jusqu’à la fin des années 80 étaient des navets fauchés, souvent réalisés en Italie), mais elle motiva en tout cas le lancement du film d’animation qui nous intéresse aujourd’hui.
Si Ralph Bakshi, on l’a vu, n’en était pas à son coup d’essai dans le domaine de la fantasy au cinéma (il en était tout simplement le précurseur), il convient de reconnaitre que TYGRA, LA GLACE ET LE FEU lorgne davantage du côté de CONAN LE BARBARE, (le Prince Taro, fils du roi Jarol, en est d’ailleurs le clone pur et simple), que de celui du SEIGNEUR DES ANNEAUX. On peut également voir en Necron un autre clone : C’est cette fois celui d’Elric de Melniboné, le personnage le plus célèbre de l’écrivain Michael Moorcock, un autre grand représentant de l’heroic fantasy de la même époque (principalement avec LE CYCLE D’ELRIC).

De haut en bas : Nekron, Dark Wolf, Tygra.
Si TYGRA, LA GLACE ET LE FEU n’est pas un grand film, il s’agit en tout cas d’un ovni cinématographique plutôt fascinant. Au delà de sa genèse, il faut le voir avant tout comme une tentative, de la part de Frank Frazetta, afin d’intégrer le monde du cinéma de sa personnalité artistique. TYGRA est donc en grande partie SON film, qu’il imprègne de son univers, de son esthétique et de ses thèmes graphiques personnels. Ainsi, chaque personnage semble sortir d’une de ses œuvres : Les sauvages néanderthaliens ressemblent à ceux des illustrations BRAN MAK MON, MONDE SAUVAGE ou CAPTIVE PRINCESS ; la princesse Tygra semble sortir de LA FÉLINE, une des ses plus célèbres peintures, etc. Quant au mystérieux personnage de Darkwolf, il apparaît comme une déclinaison évidente du DEATH DEALER, le plus célèbre personnage créé par l’artiste.

L’univers de Frazetta : De l’illustration à l’animation..
Les défauts majeurs du film incombent à la fois au script et à l’animation. Le pitch de base, classique, anémique et manichéen, impose d’entrée de jeu une intrigue bien peu palpitante. L’animation est plutôt bâclée, car on s’est contenté de masquer platement les acteurs sur la technique de la rotoscopie (encore) : Traits grossiers, couleurs en aplats pâlichons, expressions basiques, absence de relief, l’ensemble en devient encore plus criard dans la mesure où tous ces personnages ne s’intègrent nullement aux superbes décors peints comme des tableaux de Frazetta ! De ce point de vue, le film a extrêmement mal vieilli.
Pourtant, dans la forme, il n’est pas mauvais du tout ce scénario ! Solidement construit, le film se laisse regarder sans ennui, car il est extrêmement fluide et bien rythmé. Les rebondissements sont nombreux, où s’enchainent les poursuites, les combats, les confrontations et les attaques d’animaux sauvages. Les personnages sonnent tous très juste, et Darkwolf (dont le nom n’apparait qu’au générique puisque dans le film on ne sait ni qui il est, ni d’où il vient) est un personnage fascinant, d’un charisme et d’une puissance phénoménale. Certaines scènes sont d’une violence barbare étonnante, qui confine parfois à l’horreur glauque et malsaine (voir la séquence de la sorcière ou bien celle des chenilles-sangsues !). Très inégal, le film n’en recèle pas moins d’excellents moments de tension et de fureur guerrière iconique.
Parmi ses autres qualités, on retiendra particulièrement la superbe musique de William Kraft, qui nivelle l’ensemble par le haut.
Un personnage tout droit sorti des toiles de Frazetta : Attention spoiler dans cet extrait !
Ce qui est le plus surprenant, c’est finalement que TYGRA, LA GLACE ET LE FEU soit un dessin-animé. Ralph Bakshi avait beau avoir fait du film d’animation pour adultes sa spécialité depuis FRITZ THE CAT, la tonalité glauque, la violence et le degré d’érotisme qui pimentent cette transposition de l’univers de Frazetta sur grand écran finit par distiller une sensation très étrange à travers le médium de l’animation (cette bombasse de Tygra se balade quand même tout du long en string et en sous-tif translucide, quand elle n’est pas tout bonnement à poil ! Imaginez donc ce que ces images ont pu imprimer dans l’esprit des ados de l’époque (dont moi)).
Notons que l’affiche originale a été réalisée par Frazetta en personne, que le film dispose d’une excellente VF et que le coffret DVD disponible est agrémenté de plusieurs documentaires, dont un très long consacré à l’illustrateur vedette. Avis aux amateurs…
Ainsi se termine notre article sur la trilogie Heroic Fantasy de Ralph Bakshi. C’est un cinéma aujourd’hui daté, en passe d’être oublié… ou pas !
La trilogie en question est à coup sûr un ovni. Tour à tour décevante ou fascinante, elle finit par devenir attachante, surtout pour tous ceux qui ont su garder cette flamme de la jeunesse et cet amour inconsidéré pour la magie, les monstres et les guerriers farouches. À eux, donc, de passer le flambeau, afin que ce cinéma unique en son genre continue d’exister, au moins dans les mémoires…

Des images que l’on peut regarder dans le détail !

Bonus : La jaquette VHS. Quel souvenir pour les gamins de l’époque !
THAT’S ALL, FOLKS !!!
