518 JOURS CHRONO
Chronique de la série : SOUL KEEPER
Date de sortie : 2011
Auteur : Tsutomu Takahashi
Genre : Fantastique, Drame
Éditeur : Panini
Nous allons aujourd’hui nous intéresser à SOUL KEEPER, un manga en 8 tomes de Tsutomu Takahashi, auteur également de la série encore inachevée NeuN, ou encore de BLUE HEAVEN.
C’est l’histoire de Riyon, une jeune fille morte à 18 ans qui erre encore dans le cercle des fantômes, un plan d’existence au-dessus de celui des mortels. Elle est censée y bonifier son âme mais elle sèche les cours et préfère s’amuser. Mais Riyon a beau être peu assidue, elle est tout de même d’une grande bonté. Pour son apprentissage, elle se retrouve à devoir aller sur terre pour remplir un travail d’ange-gardien, travail considéré comme une punition par tous les esprits puisqu’il faut rester sur terre pendant toute la vie de la personne à laquelle l’esprit est assigné. Mais Riyon pense avoir eu de la chance car elle tombe sur Soichiro Kasuga, un candidat qui n’a que 518 jours à vivre. La corvée ne sera pas trop longue. Trop longue, peut-être pas. Mais elle va s’avérer ardue. Très ardue. Car Soichiro Kasuga est le premier ministre japonais (autrement dit le chef du pays au Japon.)
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Un homme tourmenté assailli d’âmes noires
Kasuga est donc un homme qui a beaucoup d’ennemis. Et s’il n’a plus d’ange gardien, c’est parce que le précédent s’est fait absorber par les âmes noires qui envahissent son esprit. Les âmes noires sont des âmes mauvaises issues du monde d’en bas, le monde des ténèbres. Elles désirent plus que tout remonter chez les vivants. Pour cela, elles s’infiltrent dans les failles des humains, envahissant leur mental et les détruisant de l’intérieur. Au début de l’histoire, Kasuga est un premier ministre lessivé, critiqué par tout le peuple et frappé à terre par ses rivaux politiques. Son mental est envahi d’âmes noires que Riyon va tenter de nettoyer. Ses efforts s’avèrent tout d’abord vains et Kasuga fait un AVC. Alors que son âme quitte son corps, Riyon l’empêche de mourir, le ramène dans son corps et chasse les âmes noires. Kasuga se remet miraculeusement de son attaque. Et suite à une telle expérience, il va acquérir des capacités de médium. Il va être capable de voir Riyon, son ange gardien (à la plus grande surprise de celle-ci) ainsi que de percevoir les intentions ou les pensées des gens qu’il touche.
A partir de là, Riyon et Kasuga vont harmoniser leurs âmes pour agir de concert pour permettre à Kasuga de retrouver sa confiance en lui, son courage, sa motivation et son désir sincère d’améliorer son pays. Il va se lancer dans la fondation d’un gouvernement parallèle pour prendre ses décisions en s’associant avec des personnes de confiance.
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Coopération mystique
Mais évidemment tout ne sera pas si simple. Car c’est un manga fantastique avec des histoires de médiums. Et un adversaire politique de Kasuga va engager un jeune homme qui aurait autrefois aidé la police lors d’une affaire criminelle, Koji Kubo, un médium capable de communier avec le monde d’en bas. Kubo est un jeune homme perturbé capable d’amener les âmes noires à envahir le corps et l’esprit de quelqu’un. Il peut aussi connaître beaucoup de secrets. Et pour ne rien arranger, Kasuga va apprendre sa courte espérance de vie. Que va-t-il faire alors ? Qui serait assez fou pour se démener au travail en sachant qu’il ne lui reste qu’un an et demi à vivre ? Ou alors…jusqu’où peut aller un homme de pouvoir qui se sait condamné ?
Nous sommes là en présence d’un manga qui mélange beaucoup, beaucoup de choses intéressantes ! Non seulement c’est divertissant avec des histoires d’esprits, de médiums, du fantastique, mais cela traite aussi du mal-être des humains, et plus surprenant et rare : de la difficulté du travail de politicien.
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Le gouvernement parallèle, avec son ange gardien
En effet, par le biais d’un récit allégorique et fantastique, l’auteur nous parle de problèmes humains. Le premier commentaire que Riyon fait en revenant sur terre et en apercevant les passants d’une ville est d’ailleurs « ça n’a pas l’air de s’être amélioré la vie sur terre. Regardez-les, ils sont tous épuisés. » De plus, le mangaka nous propose de nous intéresser à un homme politique non-corrompu qui a un désir sincère de faire des choses pour son pays. Il serait tellement plus simple de dire « tous pourris » comme on en a l’habitude. Mais là non. Bien sûr, il y a des tordus et des lâches parmi ses adversaires. Et Kasuga n’est pas parfait non plus. Mais il veut réellement améliorer les choses pour son pays, surtout après la catastrophe de Fukushima. Oui, ce manga a été écrit après la tragédie de Fukushima en 2011, d’où l’importance de la sortie du nucléaire abordé dans le manga sous la forme des nouvelles réformes souhaitées par Kasuga.
Les autres personnages ont aussi leurs problèmes. Kuji Kubo, malgré son rôle de « méchant » est un jeune homme perturbé qui n’a pas demandé à avoir ses pouvoirs et qui a vécu une tragédie dans sa famille. Riyon, morte à 18 ans d’un cancer, traverse son existence de fantôme sans pouvoir aider son père qui ne s’est pas remis de sa mort. Jun Izumi, ami de Kasuga et ancien premier ministre a de gros problèmes avec son fils, Daiki, qui est littéralement l’opposant politique qui a engagé Kubo, etc. Derrière les histoires de fantômes se cache un récit profond dont l’aspect fantastique sert de métaphore aux problèmes des personnages.
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Black-out total : une contre-attaque du lobby du nucléaire
Le rythme du récit est également très bon. Avec ce compte à rebours sur le nombre de jours restant à Kasuga, les différents antagonistes ou les coups bas politiques, le suspense est toujours présent. Les enjeux sont compréhensibles, le manga ne rentre pas trop dans les détails de la politique mais nous fait comprendre les difficultés. Il y a des tomes qui se penchent un peu plus sur Riyon et les actions qu’elle peut réaliser à son niveau pour protéger Kasuga contre Kubo, mais d’autres sont centrés sur le quotidien politique du premier ministre.
Et comme souvent avec les mangas, il n’y a pas de traitement infantile du sujet. Kasuga ne va pas sauver le Japon en 500 jours. La politique prend du temps. Certains pourraient trouver dommage qu’il ne parvienne pas à changer le monde, mais ce n’est pas le sujet. Et ce serait même ridicule que ce soit si rapide. Le traitement est adulte et traite plutôt des convictions, de l’importance de l’intégrité, des difficultés de la position de Kasuga, de la nécessité de changer les mentalités et de poser des bases de réformes pour les futures générations, le tout sur fond de drames humains sublimés par une dimension fantastique qui rend spectaculaires des déferlements d’émotions négatives et la lutte du bien contre le mal.
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Kubo, médium des ténèbres flippant
La fin du manga est également satisfaisante. Comme je l’ai dit, elle ne règle évidemment pas tous les problèmes politiques du Japon (et si on compare ça à la réalité, le Japon a d’ailleurs repris la route du nucléaire en 2018, donc la dure réalité nous démontre que la politique du manga ne sera pas pérenne…mais bon c’est une fiction hein !) Pour le reste, le dernier tome propose une conclusion à tous les problèmes des personnages et véhicule un message d’espoir et de collaboration pour le bien commun, et nous met en garde sur les dangers de nos sociétés actuelles (surtout le Japon mais ça s’étend au monde entier en fait.) Et si on se doute que certains personnages vont mourir…on est dans un manga plein de fantômes et esprits protecteurs, alors rassurez vous, ce n’est pas la fin de la route, et la conclusion n’a rien de triste.
Le dessin de Tsutomu Takahashi n’est pas le plus fin ou précis du monde. Parfois il s’apparente à des croquis avec plusieurs traits pour définir des contours. S’il en résulte de temps en temps quelques dessins ayant un air d’inachevé, d’autres fois cet effet croquis accentue des expressions et confère un autre impact aux dessins. Les expressions de Kubo en particulier sont assez inquiétantes, avec cette impression qu’il est empli de ténèbres qui lui sortent de la bouche et des yeux, voire même qui l’enveloppent. Les affrontements entre les protagonistes et le monde des ténèbres sont d’ailleurs assez impressionnants, avec ces âmes noires (invisibles pour les mortels évidemment) qui ressemblent à de l’encre poisseux ou du goudron collant.
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Le pouvoir de Kubo se heurte à Riyon
Alors évidemment, si vous recherchez un manga politique hyper réaliste traité à la façon d’un Tetsuya Tsutsui (PROPHECY, NOISE, etc.) qui n’utilise jamais d’éléments fantastiques, eh bien…non, on reste en présence d’un manga fantastique. Mais par contre le cœur du manga, ce sont bien les problèmes humains, politiques et sociaux. Le fantastique joue un rôle symbolique et rend le tout divertissant et plus spectaculaire. Le gimmick permettant à Kasuga de connaître les pensées d’autrui par simple contact n’est d’ailleurs que très peu utilisé. On aurait pu craindre que ce soit une facilité scénaristique envahissante qui viendrait dénaturer le quotidien politique de Kasuga (en se servant de ce pouvoir pour connaître des secrets, etc.) Mais non. Ce don intervient de manière assez rare et s’avère plutôt un moyen que l’auteur a trouvé pour faire communiquer des personnages « mystiques » à l’insu des simples mortels.
En gros j’ai trouvé ça très bon. Les 8 tomes se lisent très vite. Moi qui n’aime pas les mangas trop longs, j’ai tendance à être de plus en plus exigeant si la durée augmente. Ici, il n’y a rien en trop, c’est très réussi. Rien ne semble répétitif, chaque tome apporte son lot de rebondissements, met en place les nouvelles situations qui ne peuvent pas se faire en 5min (recrutement du gouvernement parallèle, évolution du ministre et de sa cote de popularité, rivalités, etc.) Le manga a été difficile à trouver durant quelques temps mais heureusement une réédition a pointé son nez en 2022. Vous n’avez plus d’excuse pour ne pas tenter cette série.
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L’avenir d’un pays entre les mains d’un mourant déterminé
Qu’est-ce que ça a l’air bien. Dommage que je ne lise pas à l’envers…
Toujours aussi impressionné par cette imagination des mangakas pour les pitchs totalement géniaux d’évidence ! Ou quand le fantastique devient vraiment un élément exceptionnel pour tisser la métaphore des choses essentielles de notre monde réel.
Tu aurais surement moins de mal à lire à l’envers qu’à lire du super héros des années 60^^ Et tu l’as fait pourtant…
C’est vrai que parler des problèmes de société (donc de la BD sociale…) les mangakas le font super bien au travers de concepts divertissants. Alors qu’en franco belge ce serait de la BD naturaliste au dessin hyper basique pour faire « sérieux ».
Bah, c’est même pire : En franco-belge actuel, dès que c’est sérieux, c’est souvent des dessins affreux ou très simplifiés parce que ça fait pas sérieux et adulte les beaux dessins en BD. Alors le fantastique, en plus…