LES PLUS GRANDS MONSTRES DE L’UNIVERS
– UNIVERSAL MONSTERS 1ère PARTIE –
Chronique des films de monstres du studio Universal
1ère partie : L’histoire des Universal Monsters + les trois premiers films
Date de sortie des films : 1931-1932.
Genre : Fantastique, horreur, gothique.
1ère partie – Vous êtes ici : L’histoire des Universal Monsters + les trois premiers films
2ème partie : LA MOMIE, L’HOMME INVISIBLE, les suites de FRANKENSTEIN et de DRACULA, LE LOUP-GAROU et LE FANTÔME DE L’OPÉRA
3ème partie : Les crossovers !
4ème partie : Les Outsiders !
5ème partie : Les suites de LA MOMIE, de L’HOMME INVISIBLE, les Deux Nigauds et L’ÉTRANGE CRÉATURE DU LAC NOIR
Ce sont des stars !
Ce premier article portera sur les films de monstres produits par le studio Universal (plus communément nommés les Universal Monsters) au début des années 30.
Avec le temps, un grand nombre des ces films a été restauré en HD et il est désormais possible de se les procurer avec une qualité qui fait honneur à leur beauté séminale.
L’article offre un panorama de ce parcours cinématographique avec une première partie autobiographique (celle de votre serviteur), une deuxième consacrée aux artisans par lesquels les films ont vu le jour, puis une troisième partie plus large, revenant sur les principaux films de la série.
L’article a lui-même été divisé en trois parties distinctes, afin de vous rendre la lecture moins indigeste…
1) Il ya bien longtemps, dans cette même galaxie…
Le 5 décembre 1976, une émission nommée Le Cinéma de Minuit diffuse LA FIANCÉE DE FRANKENSTEIN. Ainsi nait une tradition, qui veut que ces films d’horreur de l’âge d’or hollywoodien ne soient diffusés que tard le soir, à l’heure où les enfants sont couchés…
Cette tradition destine avant tout ces œuvres aux cinéphiles. À ceux qui font l’effort de passer outre l’heure tardive et qui sont également capables d’apprécier les films en version originale sous-titrée. Ainsi, l’ensemble de ces films des années 30 et 40 ne sera quasiment jamais doublé en VF pour la télévision. Néanmoins, à force que des hordes de spectateurs réclament cette traduction, elle a fini par arriver dans les éditions DVD/blu-ray/4K les plus récentes. Et bien franchement, on s’en passait très bien de cette VF, car elle est proprement calamiteuse ! Comprenons-nous bien : je ne fais nullement partie des puristes qui refusent en bloc toute traduction. Mais celle-ci est vraiment affreuse, interprétée la plus-part du temps par des doubleurs qui ne sont pas des acteurs, qui récitent le texte de manière monocorde, dans un total décalage avec le caractère des images ! Quand on pense que les acteurs de l’époque misaient tout sur leur diction suave et leur voix caverneuse, leur traduction ne tolère pas la demi-mesure ! L’ensemble finit ainsi par devenir complètement anachronique, et personnellement je suis retourné rapidement à l’ancienne VO, à laquelle j’étais de toute manière parfaitement habitué.
Mais revenons en 1976. À l’époque, je suis un tout petit garçon. Cela ne m’empêche pas d’entendre parler de ces films d’horreur qui ne passent à la télé que lorsque les enfants sont couchés…
Pendant bien des années, je vais trembler en pensant à DRACULA, à FRANKENSTEIN et au LOUP- GAROU, sans avoir vu autre chose que quelques photographies dans le magazine TV posé sur la table basse…
Treeeembleeez ! Petits enfants !!!
Ces quelques images dans les magazines vont me faire trembler de frayeur et, ainsi, sans même avoir vu ces films, elles vont hanter (c’est le cas de le dire !) mon esprit pendant de nombreuses années.
C’est à cette même époque que j’ai découvert, par un dimanche après-midi d’automne pluvieux, LA BEAUTÉ DU DIABLE de René Clair, avec Gérard Philippe dans le rôle de Mephisto Phélès et Michel Simon dans celui du Dr Faust. Ce n’était pas un film de la Universal, mais bel et bien un film français datant de 1949. Toujours est-il que son atmosphère gothique en noir et blanc rapprochait dans mon idée cette histoire de diable avec les monstres de la Universal. Une expérience envoûtante, qui allait marquer à jamais le petit garçon que j’étais et inaugurer une histoire d’amour éternelle avec le fantastique.
Quelques années plus tard, un dessin animé intitulé le CROQUE-MONSTRES SHOW (THE GROOVIE GOOLIES en VO), datant de 1970 mais diffusé en France sur le tard au début des années 80, allait m’aider à exorciser un peu ma terreur. Cela n’allait pas âtre facile car, dans le même temps, ma cousine lisait le roman de Bram Stocker et les quelques bribes qu’elle m’en racontait me plongeaient assez rapidement dans l’effroi le plus total !
Des monstres pour rire !
Mais arriva le jour, à l’adolescence, où je décidais enfin de vaincre ma peur et que je revins du vidéo-club avec les VHS de DRACULA et de FRANKENSTEIN.
Je trouvais, en regardant ces premiers films du genre, qu’ils ne faisaient finalement pas peur et qu’en vérité, ils faisaient déjà partie de ma vie, de mon ADN et de mon univers…
Au passage, je me familiarisais avec la VOST, à défaut de ne pouvoir regarder les films autrement. Et je percevais au passage à quel point l’interprétation de ces acteurs, qui à l’aube du cinéma parlant surjouaient beaucoup mais avec une diction extrêmement travaillée, méritait de faire un tel effort.
La collection VHS !
Ainsi vont les choses. Il aura donc fallu que je fantasme longtemps sur ces œuvres pour que mon imaginaire s’en nourrisse et les assimile définitivement. Ils rejoignaient ainsi le panthéon de mes œuvres phares (à l’époque), avec les trilogies STAR WARS et INDIANA JONES, les films de Bruce Lee, les dessins animés de Walt Disney et toutes les bande-dessinées que je collectionnais.
2) Les faiseurs de monstres.
En 1929, cela fait quelques temps déjà que le studio Universal produit des films de monstres, avec de grands classiques comme LE BOSSU DE NOTRE DAME et LE FANTÔME DE L’OPÉRA, tous deux interprétés par l’immense Lon Chaney.
L’année 1929, marquée par la Grande dépression, l’est aussi par l’avènement du cinéma parlant qui commence à se démocratiser et à contaminer tous les studios. Carl Laemmle, le grand ponte de la Universal, passe alors le flambeau à son fils : Carl Laemmle Jr. Ce dernier décide de se lancer dans une série de films d’horreur. Ce sera le début de l’aventure. Les Universal Monsters sont nés.
Lon Chaney, promu meilleur acteur pour incarner les monstres !
Hélas, hélas. Après avoir tourné son unique film parlant en 1930 (LE CLUB DES TROIS), le grand Lon Chaney disparait des suites d’une pneumonie. Il devait jouer le rôle de DRACULA dans le film de Todd browning, en 1931. Ce sera finalement Béla Lugosi qui incarnera le roi des vampires…
L’acteur Hongrois, qui jouait la pièce adaptée du roman de Bram Stocker depuis des années, fait une très grosse impression dans le rôle-titre, au point qu’il va représenter, pour l’éternité, l’archétype du Comte des Carpates dans l’imaginaire collectif. On lui propose ainsi, la même année, d’incarner le rôle du monstre de Frankenstein pour le film de James Whale. Mais Lugosi a pris la grosse tête et refuse de crouler sous les maquillages. Il estime que son physique et ses talents d’acteurs n’ont pas à subir cet outrage ! Ce sera l’erreur de sa vie. Car le rôle échoit à Boris Karloff, un acteur anglais de très grand talent, qui obtient un succès tout aussi considérable (créant derechef un autre archétype visuel pour l’éternité). Bien qu’amis dans la vie, la concurrence que vont s’opposer les deux acteurs sera rude, et la carrière de Béla Lugosi en prendra ombrage, de manière très nette, voire tragique par la suite.
Pendant près de vingt ans, les deux compères vont incarner toute une série de monstres divers et variés, avec des variations plus ou moins importantes. Lugosi incarnera ainsi Dracula, le savant fou, le psychopathe, le monstre de Frankenstein, tandis que Karloff endossera le maquillage du monstre de Frankenstein, du savant fou, du psychopathe et de la Momie. A partir des années 40, un troisième acteur emblématique viendra néanmoins agrandir les rangs des interprètes spécialisés dans les rôles de monstres. Ce sera Lon Chaney Jr, le fils du grand Lon Chaney, qui se chargera quant à lui d’incarner le Loup-Garou de manière exclusive, en plus du monstre de Frankenstein, de la momie et du fils de Dracula !
Béla Lugosi & Boris Karloff, ensemble : Les monstres universels.
Les autres principaux artisans de la série sont les réalisateurs des films. Mais nous en reparlerons plus tard. Pour l’heure, nous allons nous attarder sur le rôle de Jack Pierce. Celui-là, ce n’est ni un acteur, ni un producteur, ni un metteur en scène. C’est le maquilleur officiel des studios Universal !
Pierce avait succédé à Lon Chaney, puisque l’acteur était également, de son vivant, le grand spécialiste du maquillage ! C’est donc bien lui qui va imaginer et créer tous les monstres de la Universal, jusqu’en 1947, date de son renvoi. Un renvoi assez brutal, à l’heure où ses techniques de maquillages se révélèrent dépassées.
Pendant près de vingt ans, Jack Pierce va donc réaliser l’apparence de toutes ces créatures horrifiques. Et si aujourd’hui, la simple pensée du vampire Dracula, du monstre de Frankenstein ou du Loup-Garou dessine dans votre esprit cette image universelle venue des années 30, c’est à ce génie de l’histoire du cinéma que vous le devez !
Jack Pierce : Tout un art !
Mis à part Boris Karloff, qui développera une amitié indéfectible avec le maquilleur, on ne peut pas dire que son art était du goût de tout le monde. Et pour cause ! Le bonhomme était si perfectionniste qu’il infligeait des heures et des heures de poses à ses acteurs ! Karloff devait ainsi arriver sur le studio à trois heures du matin, afin d’être près à huit heures pour le tournage. Lon Chaney Jr devait rester immobile pendant six heures pour endosser le masque du loup-garou, puis encore trois heures pour qu’on lui enlève ! De plus, les masques étaient extrêmement rigides et les acteurs, ainsi grimés, ne pouvaient quasiment pas bouger leurs muscles faciaux ! C’est l’actrice Elsa Lanchester, qui incarnait la Fiancée de Frankenstein, qui restera la plus revêche, criant sur tous les toits que le bonhomme était un affreux tortionnaire !
N’empêche qu’au bout du compte, il contribua, de manière optimale, à faire entrer nos Universal monsters dans la légende …
3) Vers un univers partagé…
Et Béla Lugosi incarna l’archétype universel du conte transylvanien…
DRACULA, par Todd Browning (1931) :
DRACULA est un film très important pour l’histoire du cinéma. Il fut à la fois le premier film d’horreur parlant et la première adaptation officielle du roman de Bram Stocker, réalisé neuf ans après le NOSFERATU de Murnau, qui était en vérité la première adaptation officieuse du roman, sans pouvoir bénéficier des droits.
Produit par la Universal à l’aube du cinéma parlant, il lança la mode des grandes adaptations gothiques, sauva son studio et annonça l’âge d’or du cinéma fantastique. Car le succès du film fut phénoménal et planétaire.
Tout ce qui fait la qualité et la légende des Universal Monsters se trouve déjà à l’écran : Le noir et blanc directement calqué sur l’expressionnisme allemand des films de Murnau et Fritz Lang, les décors gothiques avec château des Carpates (en vérité une très belle peinture sur verre), brumes et toiles d’araignées, ainsi que la présence d’un acteur taillé pour les rôles ténébreux : Le grand Bela Lugosi.
La séduction vénéneuse selon Béla Lugosi.
Si aujourd’hui, la seule prononciation du nom de Dracula évoque un aristocrate gominé au teint blafard, à la chemise à jabot et à la grande cape noire teintée de rouge (telle qu’on pouvait la contempler sur les affiches en couleurs de l’époque), c’est parce que Lugosi a su immortaliser son interprétation au point de la rendre indissociable du personnage. Il est d’ailleurs notoire que ce rôle étouffa l’acteur qui devint plus ou moins fou, au point de s’habiller dans la vie comme au cinéma et de dormir dans un cercueil ! Il n’interpréta pourtant le rôle de Dracula qu’à deux reprises : le film de 1931 et la parodie ABBOTT & COSTELLO CONTRE FRANKENSTEIN en 1949 ! Tous ses autres rôles de vampires ne seront pas ceux du Comte Dracula.
Dans ce rôle en particulier, celui qui fit sa gloire, l’acteur hongrois en impose dans un jeu outré et incroyablement habité, faisant des merveilles avec sa voix suave directement issue de la vieille Europe. Certaines de ses tirades sont devenues éternelles au point d’être reprises, mot pour mot, dans les autres adaptations cinématographiques de l’œuvre de Stocker (dont la version de Francis Ford Coppola réalisée en 1993), comme « Ils sont les enfants de la nuit », lorsqu’il entend le glapissement des loups, ou bien « Je ne bois jamais… de vin » !
Pourtant, dans un sens, DRACULA de 1931 n’est pas vraiment un très bon film. De plus, davantage que les autres films de la série, il accuse très mal le poids de l’âge.
Les premières minutes, qui montrent le jeune Reinfield voyager en carrosse et rejoindre le château des Carpates où l’attend un Dracula incroyable d’ambivalence chaleureuse et maléfique, sont largement les plus réussies. Elles en imposent toujours autant 80 ans plus tard et sont particulièrement envoûtantes, notamment grâce aux somptueux décors. La suite, qui voit le Comte Dracula partir en Angleterre, y fréquenter l’intelligencia et s’en prendre aux gentes damoiselles, est nettement moins excitante. C’est extraordinairement lent, statique, bavard, théâtral et surjoué. Et les courtes 74 minutes qui composent le film deviennent interminables.
Mais on sait pourquoi : Depuis 1927, la pièce de théâtre transposant le roman de Bram Stocker est jouée à Broadway et c’est un succès sans précédent. Le studio Universal, qui ne veut pas prendre de risques, décide donc d’adapter cette pièce de manière presque littérale. Il convoque les scénaristes de la pièce en question, ainsi que son acteur principal, c’est-à-dire Lugosi (après que bon nombre de stars de l’époque aient été écartées) ! Le résultat donne forcément un film aux allures de pièce de théâtre, avec ses décors intérieurs statiques et le ton surjoué de l’ensemble des acteurs.
Il faut également se remettre dans le contexte de l’époque : Le parlant n’existe que depuis quatre ans et les réalisateurs ne savent pas très bien encore maîtriser le débit des dialogues. Ils ont souvent tendance à en faire trop.
Le film est pourtant réalisé par l’immense Tod Browning, génie du 7° art et auteur complet du mythique FREAKS : LA MONSTRUEUSE PARADE. Mais il est évident que le metteur en scène, privé de libertés et de la présence de son acteur fétiche, Lon Chaney, prévu au départ pour incarner Dracula mais décédé peu avant le début de la production, ne maîtrise pas son sujet comme il a pu le faire sur ses autres films. C’est tout le paradoxe de constater que le film le moins réussi de Tod Browning demeurera pour toujours son plus grand succès…
Pour l’anecdote, notons que, pour les besoins de la distribution étrangère, une version espagnole du film était tournée la nuit par une équipe entièrement hybérique, et que cette version de 104 minutes, plus spontanée, est souvent jugée supérieure à la version américaine !
Pour le reste, le scénario fonctionne à la manière d’une version courte qui fait l’impasse sur la plus-part des éléments du livre pour n’en conserver que l’essentiel.
À part le générique d’ouverture qui permet d’entendre un très mélancolique LAC DES CYGNES, aucune musique n’est présente tout au long du film. Ce parti-pris, propre aux premières années du parlant, accentue aujourd’hui la lourdeur de l’ensemble.
Quoiqu’il en soit, il faut tout de même voir ce classique absolu, ne serait-ce que pour sa culture personnelle. Il demeure un film très important dans l’histoire du cinéma, et la pierre angulaire du cinéma fantastique. Il reste le monument du genre qui inventa une forme entière de cinéma, définissant les archétypes et enfantant toutes les sous-catégories du genre devenues aujourd’hui incontournables, comme l’épouvante, l’horreur et le gore.
Diantre ! Encore un casting historique !
FRANKENSTEIN, par James Whale (1931) :
FRANKENSTEIN, second film d’horreur de l’histoire du cinéma parlant, entérina le succès des Universal Monsters. Il consacra le grand Boris Karloff dans le rôle du monstre et fit de l’acteur une immense star, malheureusement cantonnée aux rôles de méchants pour le reste de sa carrière, avant qu’il ne décide, de manière ironique, de présenter une émission TV pour les enfants à la fin de sa vie…
L’esthétique gothique expressionniste qui faisait tout le sel de DRACULA se retrouve à l’écran. Mais FRANKENSTEIN est encore meilleur que son aîné transylvanien. Le film est désormais affranchi de toute adaptation théâtrale et développe son propre scénario de manière plus émancipée. Tout comme DRACULA, il fonctionne à la manière d’une version courte qui fait l’impasse sur la plupart des éléments du livre dont il s’inspire pour n’en conserver que l’essentiel. Ainsi, le roman de Mary Shelley donne-t-il une version cinématographique de 71 minutes seulement.
L’absence de musique, comme c’était le cas pour la majeure partie des films de cette époque, procure au film une atmosphère très particulière, bizarrement réaliste, d’autant que le maquillage du monstre est une réussite absolue. Comme on l’a dit et répété, il demeurera dans les esprits au point de devenir indissociable du mythe de Frankenstein dans l’inconscient collectif. Si aujourd’hui, la seule prononciation du nom de Frankenstein évoque une armoire à glace au teint crayeux, au regard torve, aux paupières pesantes, avec un crâne démesuré et des vis sur le cou, c’est parce que le maquillage de Jack Pierce sur Boris Karloff a permis d’immortaliser cette interprétation du monstre au point de la rendre indissociable de cette figure romanesque.
L’art de marquer l’inconscient collectif…
Le jeu de Boris Karloff ajoute évidemment une note vibrante d’humanité étouffée à un rôle que la plus-part des acteurs auraient cantonné à une grosse baudruche effrayante, comme ce sera le cas sur la plus-part des autres versions cinématographiques. Et pourtant, dans cette version de 1931, Karloff ne prononce pas un seul mot !
Il est bien ironique de remarquer aujourd’hui que cette immense star du cinéma fantastique n’est pas créditée au générique. En effet, on peut lire à la fin, un très mystérieux et incongru point d’interrogation à la place de son nom (The Monster : « ? ») !
D’un point de vue formel, il est évident que ce second film d’horreur, pionnier du cinéma parlant, avance encore bien maladroitement, demeure théâtral et statique, manque de rythme et parait bien timoré en regard de l’évolution cinématographique. Mais tous ces défauts n’ont jamais réussi à entamer l’aura de ce monument du 7° art.
Le réalisateur James Whale, dont le succès se résumera (injustement) à quatre films d’horreur réalisés pour la Universal dans les années 30, gère le tournage de main de maître. Reléguant le thème principal de l’œuvre de Mary Shelley (les limites de la science et de l’étique) au second plan, il préférera tout miser sur le pathos et le crescendo, focalisant tous ses efforts sur le traitement du monstre qui, « à cause » du metteur en scène, portera dans l’esprit du public le nom de Frankenstein, pourtant tenu par son créateur… De ce changement de cap vont émerger de nouvelles thématiques passionnantes, comme celles du droit à la différence, de la peur de l’inconnu, de la vanité humaine, de l’intolérance que génère la différence et de la dictature de la normalité. Soit une sacrée densité !
La scène mythique et tragique de la petite fille au bord de l’eau…
Le film recèle des moments inoubliables, à jamais gravés dans la mémoire du cinéma et du mythe de Frankenstein : La première apparition du monstre, impassible, en gros plan dans un silence pesant ; le célèbre « It’s alive ! It’s aliiiiive !!! » que crie le baron Frankenstein (interprété par Colin Clive) lorsqu’il voit bouger la main de sa créature ; la bouleversante scène de la petite fille, que le monstre compare à une fleur flottant sur l’eau, avant de la précipiter tragiquement dans la marre ; la vindicte paysanne qui voit une horde de gens hystériques armés de fourches et de pioches, poursuivre le monstre sur les collines brumeuses ; et bien entendu le final cathartique, dans les flammes du moulin à vent.
Toutes ces séquences auront un tel impact sur le public et sur les cinéphiles qu’elles seront sans cesse reprises, calquées, citées, parodiées et immortalisées dans l’hommage rendu par d’autres chefs d’œuvre de l’histoire du cinéma. Plus encore, il n’existera aucune expression artistique qui échappera à l’héritage du film, à son esthétique, à son aura, à sa poésie macabre, faisant de cette référence un poncif majeur de l’histoire de l’art.
Le retour de Béla Lugosi. Cette fois, c’est le savant fou
DOUBLE ASSASSINAT DANS LA RUE MORGUE (MURDERS IN THE RUE MORGUE), par Robert Florey (1932) :
Le pitch : A Paris, en 1845, le Docteur Mirakle dirige une représentation foraine dont le clou du spectacle est l’exhibition d’un gorille, qu’il surnomme « Erik le premier homme« . Mirakle est en réalité un savant fou, qui repère dans son public les jeunes femmes qui deviendront bientôt se victimes, car il tente de mélanger leur sang avec celui de son gorille, afin de prouver cette filiation jugée hérétique par la populace…
Le gorille le plus célèbre de l’Histoire du cinéma, c’est King Kong, apparu pour la première fois sur les écrans en 1933. Mais King Kong n’était pas le premier ! Un an plus tôt, un gorille belliqueux (mais de taille normale), terrorisait les spectateurs dans MURDERS IN THE RUE MORGUE, un film d’horreur réalisé par Robert Florey d’après la nouvelle d’Edgar Alan Poe.
Alors, parlons-en de ce gorille, car ce n’est vraiment pas une réussite ! Le réalisateur a eu la très mauvaise idée d’alterner ses prises de vue simiesques entre celles d’un acteur costumé, déguisé en gros singe, et celles d’un chimpanzé grimaçant, filmé en gros plan ! A ce stade, les images ne sont absolument par raccord et le résultat est catastrophique ! Ernest B Schoedsack & Merian C Cooper s’en souviendront certainement l’année suivante, lorsqu’ils feront appel au spécialiste des effets spéciaux Willis O’Brien pour la conception de leur singe géant !
C’est dommage, car le film offre par ailleurs une mise en forme très soignée, recyclant les très beaux décors gothiques de la Universal et mettant en lumière les nuits de ce vieux Paris façon expressionnisme allemand…
Béla Lugosi joue de nouveau les méchants, mêlant son regard perçant à cette diction suave si immédiatement reconnaissable. Son jeu théâtral a énormément vieilli, mais le charisme est indiscutable.
La première scène de meurtre est d’une cruauté malsaine encore étonnante, qui distille une réelle folie macabre. Hélas, le reste de la réalisation est un peu mollasson, surtout dans sa deuxième partie, lors d’une série de scènes humoristiques franchement lourdingues. L’absence totale de musique (hormis lors du générique, où l’on joue LE LAC DES CYGNES, comme dans DRACULA !), participe également de cette impression apathique. À noter que le film est extrêmement court (58 minutes) !
Moment très malsain pour un film aussi ancien !
MURDERS IN THE RUE MORGUE est le troisième film de la série des Universal Monsters. C’est aussi l’avènement, dans la série, d’une figure récurrente : Celle du savant fou…
Auréolé de son succès dans le rôle de Dracula, Béla Lugosi était immédiatement devenu une star du film d’horreur. Ainsi, en 1932, pour sa seconde prestation au sein de la Universal, celui qui se faisait déjà appeler Dracula par le public refusa le rôle masqué du monstre de Frankenstein et reporta son choix sur ce qui devait être la première adaptation d’une œuvre d’Edgar Alan Poe par le studio, pensant ainsi côtoyer l’aura d’un écrivain majeur et passer pour un acteur spécialisé dans les rôles, horrifiques certes, mais prestigieux. A l’arrivée, MURDERS IN THE RUE MORGUE se révéla être un film mineur. Comme quoi tout est question de choix ! Mais le costume de savant fou allait devenir une constante chez Béla Lugosi, alors qu’il n’incarna le rôle de Dracula que deux fois dans toute sa vie, comme nous l’avons déjà précisé…
Je vous donne à présent rendez-vous dans la deuxième partie de notre article pour vous parler de bien d’autres films de monstres…
Une ambiance et des décors très chouettes pour cette première adaptation d’Edgar Poe.
1ère partie – Vous êtes ici : L’histoire des Universal Monsters + les trois premiers films
2ème partie : LA MOMIE, L’HOMME INVISIBLE, les suites de FRANKENSTEIN et de DRACULA, LE LOUP-GAROU et LE FANTÔME DE L’OPÉRA
3ème partie : Les crossovers !
4ème partie : Les Outsiders !
5ème partie : Les suites de LA MOMIE, de L’HOMME INVISIBLE, les Deux Nigauds et L’ÉTRANGE CRÉATURE DU LAC NOIR
See you soon !!!