BATMANIA
Chronique du film : BATMAN
Date de sortie : 1989
Durée : 126 minutes
Réalisateur : Tim Burton
Genre : Super-héros, polar, thriller

Et alors, ce fut la batmania…
Le jour, Bruce Wayne est un héritier milliardaire qui joue les playboys mondains en arrosant les multiples associations caritatives de Gotham City. Mais la nuit, il devient le Batman, un justicier déguisé en chauve-souris qui arpente les toits de la ville afin de lutter contre le crime.
Car la ville de Gotham est sous le joug de Carl Grissom, le grand parrain de la pègre. Lorsque Grissom tend un piège à Jack Napier, son bras droit qu’il soupçonne de vouloir le doubler, il ne se doute pas qu’il va déclencher une série d’événements qui vont bientôt se retourner contre lui. Car Jack, en essayant de s’échapper, tombe dans la cuve de produits chimiques de l’usine Axis Chemical. Le Joker est né…
BATMAN est le troisième long métrage réalisé par Tim Burton, après BEETLEJUICE (1988) et avant EDWARD AUX MAINS d’ARGENT (1990).
C’est le film qui a officiellement lancé sa carrière, et inauguré ce que l’on a nommé alors la « Batmania », tant le succès a été retentissant (5ème film le plus rentable de tous les temps à l’époque), créant un raz de marée autour de la figure de Batman et inondant la planète de produits de consommation ornés d’un logo en forme de chauve-souris jaune…
Le casting, impressionnant, réunit Jack Nicholson, Kim Basinger, Michael Keaton (Beetlejuice en personne !), Billy Dee Williams, Jerry Hall et Jack Palance. La bande-son est assurée par Danny Elfman et complétée par des chansons de Prince. Une sacrée dream-team !

Bruce Wayne, alias Batman.
Le scénario est complètement déconnecté de la continuité de la série sous sa forme de comics. Et il n’entretient aucun lien avec la précédente adaptation des années 60, une version humoristique et cartoonesque qui comptabilisa tout de même une série TV de 120 épisodes, un long métrage, et qui fut également le théâtre d’une précédente batmania ! (Nous ne parlerons pas ici des autres adaptations antérieures, comme le serial des années 30 ou la série animée des studios Filmation, voire des crossovers avec Scooby-Doo…).
Le BATMAN de 1989 est une adaptation libre, qui réussit néanmoins à préserver l’esprit initial de la mythologie consacrée, issue d’un comic book créé à la fin des années 30.
Le costume du justicier change (les collants traditionnels, généralement colorés, sont remplacés par une armure en kevlar noire (avec un soupçon de jaune)), certains personnages sont traités différemment, mais l’univers de Gotham City, sorte de mégalopole diesel-punk rétro-futuriste, est très bien restitué. Certains partis-pris esthétiques sont particulièrement bienvenus, comme celui de ne filmer les scènes que de nuit, afin de garder l’esprit un peu gothique de la série originelle, créée par Bob Kane et Bill Finger en 1939, à l’aube de la seconde guerre mondiale (bien qu’au temps des premiers DETECTIVE COMICS, les histoires se déroulaient à New-York, et que le décor n’allait se transformer en cette fameuse mégapole gothique que progressivement au fil du temps, notamment sous l’influence du succès généré par la diffusion des serials au cinéma et des adaptations radiophoniques) !
Quelques mois avant la sortie du film, il était question que le scénario adapte BATMAN : THE KILLING JOKE, le chef d’œuvre écrit par Alan Moore et dessiné par Brian Bolland. Mais finalement, le script se révéla très différent du projet initial, ce qui fut assez décevant pour un certain nombre de fans, lecteurs de comics (dont votre serviteur, totalement fan d’Alan Moore et de son BATMAN)…
Pour interpréter le « Batman », beaucoup d’acteurs de premier plan se bousculèrent aux auditions (parmi lesquels Mel Gibson, Kevin Costner, Tom Cruise, Harrison Ford, et même Bill Murray, Arnold Schwarzenegger et Jean-Claude Van-Damme !). Mais Tim Burton réussit à imposer Michael Keaton, avec qui il avait créé des liens depuis son film précédent. Ce fut un choix franchement étrange, tant l’acteur ne correspond en rien au personnage de papier…

Allez, souriez ! Hé ! Batman ! On sourit !!!
Parmi les thématiques récurrentes de la filmographie de Tim Burton, que l’on peut observer avec le recul, on retrouve celle du « marginal solitaire », incarné ici par Bruce Wayne, ainsi qu’une imagerie gothique directement issue de l’esthétique des fêtes d’Halloween, à laquelle se prête particulièrement bien la musique de Danny Elfman, le compositeur attitré du réalisateur.
Il est certain que cette figure du Batman, arpentant éternellement les toits de la ville en costume de chauve-souris, a dû séduire l’auteur d’EDWARD AUX MAINS d’ARGENT pour sa dimension tragique de marginal fuyant le monde réel. Mais ce gros film de studio demeure la première expérience de Tim Burton sur ce terrain-là, et l’on verra dans la suite de sa carrière que ce n’est pas avec les blockbusters qu’il s’en sort le mieux. Ainsi, ses choix en matière d’adaptation se révèlent souvent tièdes. Ne parvenant jamais à habiter réellement le personnage de Batman, il en livre une interprétation assez timorée, lisse et désincarnée, au point que le héros se fasse voler la vedette par son ennemi, le Joker, interprété de manière outrancière par un Jack Nicholson déchainé (qui apparait d’ailleurs au générique comme le premier rôle).
Batman est un personnage de super-héros nocturne monolithique qui demeurera de toute manière une impasse pour toutes ses futures et diverses itérations au cinéma, et aucun réalisateur ne parviendra à l’incarner de manière réellement convaincante, puisqu’il est probablement impossible qu’un acteur en chair et en os réussisse à faire oublier sa version de papier, entretenue par tout un inconscient collectif de la culture populaire (aura-t-on raté le coche avec Clint Eastwood, un temps prévu pour endosser la cape ?). Burton s’en souviendra certainement puisqu’avec BATMAN LE DÉFI, il délaissera Wayne/Batman pour se consacrer corps et âme à ses ennemis, trouvant en Catwoman et le Pingouin les véritables marginaux propres à son univers…

Le Joker et ses sbires !
Une autre constante de la filmographie de Tim Burton transparaît dans ses références aux classiques du cinéma fantastique, ici représenté par l’acteur Michael Gough dans le rôle d’Alfred, le majordome de Bruce Wayne. On a pu le voir dans un grand nombre de films emblématiques au cours des années 50 et 60 (notamment chez la Hammer), avec par exemple LE CAUCHEMAR DE DRACULA et CRIME AU MUSÉE DES HORREURS. Avec EDWARD AUX MAINS D’ARGENT, Burton réalisera son rêve en faisant jouer son idole Vincent Price (pour son dernier rôle), puis il poursuivra son hommage aux classiques tout au long de sa filmographie, par exemple en faisant jouer Michael Gough et Christopher Lee à plusieurs reprises.
Le réalisateur dissémine par ailleurs tout un tas de petites références visuelles (on pense instinctivement à METROPOLIS) avec un sens du détail maniaque qui réussit à incarner la ville de Gotham beaucoup mieux que la figure de Batman, faisant de ce décor dément, industriel et baroque, un personnage à part entière qui sera filmé sous toutes ses coutures. Batman l’arpentera ainsi à pied, en batmobile ou en batwing, offrant au spectateur la réalisation d’un pur fantasme en découvrant, ébahi, ses moindres aspérités. Probablement la plus grande réussite de ce projet.
Une partie du public et de la critique (peut-être encore nostalgique de la série des 60’s) regrettera pourtant que le résultat génère un film « trop sombre », ce qui ne sera pas le cas des fans de cinéma fantastique en général, et de ceux de l’univers de Batman en particulier, déjà acquis à la cause de cette plongée dans les noirceurs gothiques et fascinantes d’une cité hantée par les ténèbres…

Le Joker s’amuse à faire le crime (avec une version jeune le temps d’un flashback)…
Bourré de qualités formelles et d’audaces visuelles, faisant autorité dans bien des domaines esthétiques (avec, encore une fois, sous la houlette du directeur artistique Anton Furst, les plus beaux décors de mégalopole depuis ceux de METROPOLIS et de BLADE RUNNER), ce premier BATMAN par Tim Burton souffre néanmoins du manque d’expérience de son auteur, bridé par une production aliénante bien déterminée à exploser le box-office ; un auteur qui corrigera le tir avec la suite tournée deux ans plus tard, s’imposant cette fois face à la production, pour un succès commercial moindre…

L’extraordinaire Gotham City selon Tim Burton et Anton Furst.
Ce BATMAN de 1989 reste quand même un très beau spectacle, très immersif, avec une merveilleuse ambiance (idéale pour les fêtes d’Halloween), qui vieillit suffisamment bien pour mériter, aujourd’hui, son statut de classique parmi les meilleures réussites en matière d’adaptation de comics sur grand écran (les lecteurs de comics apprécièrent tout particulièrement les choix de scénario, notamment les emprunts à des grands classiques de la série de comics, comme la saga STRANGE APPARITIONS des années 70).
On connait la suite : Le film génèrera trois séquelles, plusieurs séries animées (dont la meilleure, THE BATMAN ANIMATED SERIE, deviendra une référence absolue), et lancera à la fois une retentissante batmania, ainsi qu’un regain d’intérêt certain pour le genre super-héroïque. Nous en reparlerons…

Dans la foulée, l’éditeur DC Comics profita de cet engouement pour sortir, avec un opportunisme tout à fait logique, une novélisation sous la forme d’un comic book. La boucle était bouclée.
À l’époque, tout le monde acheta l’album du film, comme s’il s’agissait d’un réflexe pavlovien, une conclusion naturelle de la séance de cinéma.
La chose, probablement faite dans l’urgence, avait été commise par le scénariste Dennis O’Neil, grand manitou de la destinée éditoriale du Caped crusader dans les années 70 et 80 (c’est à lui que l’on attribue la mutation du héros sous sa forme définitive de justicier sombre et taciturne (et il est accessoirement le créateur du personnage de Rha’s Al Ghul)) et le dessinateur Jerry Ordway (assisté de toute une équipe assujettie aux finitions). Comme toujours avec ce type d’exercice commercial opportuniste, le résultat n’a strictement aucun intérêt, en dehors d’une nostalgie certaine, notamment pour ceux qui, comme votre serviteur, avaient oublié cet album au fin-fond de la bibliothèque, avant de le remiser au bac à soldes il y a déjà des lustres…
Notons, en revoyant les planches, une certaine allure vintage à ces vignettes découpées sur fond noir, même s’il parait certain que le dessinateur s’est contenté de décalquer une compilation de captures d’écran, et que le scénariste n’a fait que coller dessus une toute aussi simpliste copie des dialogues !

That’s all, folks !!!