FIRE WALKS WITH ME
– 2° PARTIE –
Chronique du film TWIN PEAKS – FIRE WALKS WITH ME
Réalisateur : David Lynch
Date de sortie : 1992
Genre : Fantastique, polar, mystère
Bonus : Chronique du livre LE JOURNAL DE LAURA PALMER
Auteur : Jennifer Lynch
Date de sortie : 1990
Genre : Fantastique, mystère
Démoli au festival de Cannes !
Cet article portera sur le film TWIN PEAKS FIRE WALKS : WITH ME. C’est le deuxième d’une série de trois articles consacrés à la saga imaginée par le grand David Lynch et son compère Mark Frost.
En 1992, la troisième saison ayant été annulée, David Lynch a alors réalisé un film préquel. Puis, très tardivement, afin de répondre à l’appel d’une armada mondiale de fans, une troisième saison de dix-huit épisodes a vu le jour vingt-cinq ans plus tard, en 2017…
Deux autres articles sont donc consacrés à la saga : L’un est dédié aux deux premières saisons de la série TWIN PEAKS, l’autre à la tardive SAISON 3 intitulée TWIN PEAKS : THE RETURN.
AU PROGRAMME :
L’agent Sam Stanley (Kieffer Sutherland), l’agent Chester Desmond (Chris Isaak), l’agent Albert Rosenfield (Miguel Ferrer), l’agent Dale Cooper (Kyle MacLachlan), le chef Gordon Cole (David Lynch) et l’agent Phillip Jeffries (David Bowie) : Les cadors du FBI sur l’affaire !
Le film
Parce que le succès allait déclinant au cours de la saison 2, les producteurs de la chaine ABC décidèrent que la série devait s’arrêter-là. C’est-à-dire au terme d’un cliffhanger absolu, quand la quasi-totalité des sous-intrigues demeuraient encore irrésolues, et que l’agent Cooper se retrouvait à son tour possédé par le démon Bob ! TWIN PEAKS avait tout simplement été stoppée en plein milieu, au pire moment !
Alors, que faire ? Dans l’espoir de relancer la chose, Lynch proposa un nouveau projet de films directement lié à la série (au départ une trilogie). Mais là où tout le monde attendait une suite, le cinéaste imagina d’abord une préquelle.
Sous-titré FIRE WALKS WITH ME (LES 7 DERNIERS JOURS DE LAURA PALMER en VF), ce premier film (il n’y en aura finalement pas d’autres) en dérouta plus d’un. Bien qu’il nécessite d’être vu après le visionnage des deux saisons de la série et surtout pas avant, TWIN PEAKS : FIRE WALKS WITH ME apparut d’emblée comme une œuvre insondable, un trip hallucinatoire comme peu le furent avant lui, dans la lignée de BLUE VELVET, premier film véritablement lynchéen réalisé six ans plus tôt, mais bien plus sybillin…
Pendant plus de deux heures, Lynch revient donc à Twin Peaks et suit le parcours chaotique et mystérieux de la belle Laura, durant les sept jours qui précèdent son assassinat. Nous nous enfonçons alors avec elle très loin dans le stupre et la déliquescence, jusqu’à ce que la mise en forme du film lui-même épouse cette fuite en avant vers les brumes de l’inconnu, au-delà des fantasmes et des peurs tangibles, vers l’abstraction du côté obscur de l’âme et les tréfonds ténébreux de l’ailleurs interdit…
En haut : Une première bizarrerie… En bas : Laura et Donna, le visage de l’innocence ?
Bien qu’il espérait relancer ainsi la machine à sa manière, David Lynch ne réussit pas à convaincre les producteurs de la chaine ABC qui avait produit la série. Il fit pourtant tout pour sauver le navire, allant chercher le financement de son projet non pas chez l’Oncle Sam au final, mais chez nous en France. TF1 et Francis Bouygues donnèrent ainsi carte blanche au cinéaste qui réalisa exactement le film qu’il voulait, avec bien plus de libertés encore que dans le feuilleton. Mais rien n’y fit, et ce malgré une programmation immédiate pour le festival de Cannes en hors compétition. Car le film essuya à l’époque de très mauvaises critiques !
Le fait est que, lorsqu’on lâche la bride à Mr Lynch, celui-ci en profite. Raison pour laquelle TWIN PEAKS : FIRE WALKS WITH ME, en plus d’être l’un de ses meilleurs films, est assurément l’un des plus aboutis en même temps que l’un des plus difficiles à comprendre, en tout cas à l’époque (ses films suivants – à l’exception d’UNE HISTOIRE VRAIE – seront bien plus syibillins encore) !
Baroque jusqu’à la lie, souvent malsain, surréaliste, expérimental dans les moindres recoins et les moindres atomes, le film développe une alchimie inouïe entre le fond et la forme dont l’idée première, encore une fois, n’est pas d’expliquer les mystères de la série, mais d’exprimer, au sens propre, avec les moyens inhérents au médium cinématographique fait de sons et d’images, ici expressionnistes donc, le passage du réel vers l’inconnu. Cet inconnu qui aura happé la belle Laura Palmer, qui lui aura ouvert les portes d’un ailleurs dans lequel on ne peut que se perdre, emportant avec elle les personnages qui chercheront à la suivre, et le spectateur avec…
Laura se perd en rouge et noir…
Dès le départ, David Lynch était tombé amoureux du personnage de Laura Palmer, alors qu’elle était destinée, initialement, à n’être qu’un motif pour la série télévisée, un cadavre, simplement…
Mais le destin allait en décider autrement.
On sait l’amour du cinéaste pour l’âge d’or du film NOIR hollywoodien (combien de fois a t-il répété que BOULEVARD DU CRÉPUSCULE (SUNSET BOULEVARD) était son film préféré ? Et d’ailleurs, le nom du personnage qu’il incarne dans la série, Gordon Cole, est emprunté au film de Billy Wilder). Ainsi, Laura Palmer devait son prénom au film LAURA d’Otto Preminger, réalisé en 1944. Lynch s’en était inspiré à mort : Le décès de Laura Palmer allait déchaîner les passions et alimenter la fascination de ses enquêteurs, exactement comme celui du personnage jadis inteprété par la sublime Gene Tierney dans LAURA. Et pour qu’on ne manque pas la ref’, Lynch allait multiplier les clins d’œil : Un double pour chaque jeune femme (le mannequin Diane Redfern pour Laura Hunt dans le film de 1944, la cousine Maddie pour Laura Palmer dans TWIN PEAKS) et, alors que le narrateur du film d’Otto Preminger se prénommait Waldo, un mainate du même nom dénonce les coupables dans la série…
Sur les traces de Laura.
Jadis descendu dans les coulisses du festival de Cannes, TWIN PEAKS : FIRE WALKS WITH ME s’imposera finalement comme l’aboutissement du génie iconoclaste de David Lynch (c’est son sixième long-métrage). Soit un cinéma qui ne nous donne pas ce que l’on vient chercher, qui ne vient pas vers nous, mais qui exige au contraire que l’on aille vers lui. Stanley Kubrick assurait qu’il ne fallait pas chercher d’explications rationnelles à son 2001, L’ODYSSÉE DE L’ESPACE, mais qu’il fallait se laisser prendre par l’expérience purement baroque et sensorielle du spectacle. Un parti-pris complètement embrassé par le futur réalisateur de MULHOLLAND DRIVE, qui poussait déjà le concept jusqu’à des limites encore jamais atteintes.
Après BLUE VELVET, TWIN PEAKS : FIRE WALKS WITH ME est une éblouissante déclinaison des thèmes qui, bientôt, formeront l’ADN du cinéma lynchéen, dans la droite ligne de l’œuvre de Stephen King. La toile de fond du film (qui ne fait d’ailleurs que poursuivre le concept de la série, mais en le radicalisant considérablement) développe deux thèmes en particulier : Soit le passage entre les mondes parallèles (on ne saura jamais exactement la nature exacte des êtres issus de la Loge noire et de la Loge blanche, qui mélangent manifestement mythologie extraterrestre et forces surnaturelles d’orientation animiste – lire pour cela L’HISTOIRE SECRÈTE DE TWIN PEAKS, roman de Mark Frost dont nous avons parlé dans l’article précédent) et son corolaire : le monde secret et parfois monstrueux qui se dissimule derrière le vernis social de l’Amérique de carte postale. L’envers du décor, les dessous interdits de la bonne société américaine, le revers de la médaille de l’American way of life… dont le film et par extension toute la filmographie de David Lynch en général et la saga TWIN PEAKS en particulier, ne sont qu’une longue allégorie à géométrie variable…
La loge noire : Une allégorie de la face cachée de la bonne société américaine…
Portée par un casting étonnant dans lequel certains des acteurs habituels rencontrent tour à tour David Bowie, Chris Isaak, Kieffer Sutherland ou Harry Dean Stanton, cette préquelle ne se fit pourtant pas sous les meilleurs auspices : Tandis que trois acteurs récurrents de la série se désistèrent (les interprètes de Benjamin Horne le tôlier de Twin Peaks aux manigances louches, Audrey Horne la pin-up fatale, Donna Hayward la meilleure amie de Laura), Kyle MacLachlan lui-même refusa de tourner toutes les scènes prévues pour son personnage (raison pour laquelle Chris Isaak le remplace). Déçu par la tournure qu’avait pris la série au cours de la seconde saison, l’acteur en voulait un peu aux auteurs d’avoir abandonné le navire en cours de route et demanda à tourner le moins de scènes possibles. Il mit ainsi un terme à sa collaboration avec David Lynch, jusqu’en 2016.
Car il fallut attendre plus de vingt-cinq ans avant de connaitre la suite de l’œuvre qui devait, on le croyait, rester à son état inachevé. Et toi, cher lecteur, devra ainsi attendre par la même occasion la troisième et dernière partie de l’article…
Rendez-vous dans 25 ans…
– La Musique : TWIN PEAKS : FIRE WALKS WITH ME SOUNDTRACK
Pour cette transposition sur grand écran, les choses auront été simples côté musique : David Lynch et Angelo Badalamenti formaient déjà un de ces couples récurents constitués par l’association harmonieuse d’un réalisateur et d’un compositeur (Alfred Hitchcock & Bernard Herrmann, Howard Hawks & Dimitri Tiomkin, Steven Spielberg & John Williams, Sergio Leone & Ennio Morricone). Et la plupart des thèmes musicaux avaient déjà été créés pour l’album de Julee Cruise et pour la série (voir article précédent). C’est ainsi que l’on retrouve Julee Cruise, qui chante toujours devant la caméra au roadhouse Bang Bang, et même l’envoûtant SYCAMORE TREES chanté par Jimmy Scott à la toute-fin de la saison 2.
Angelo Badalamenti se fend toutefois de quelques titres inédits et notamment d’un thème principal jazzy à tomber, dans le genre dark jazz, typique du film NOIR hollywoodien, saxhorn inclus (plus exactement le flugelhorn).
Ça commence fort.
Au fil du temps, les raretés sur l’univers de TWIN PEAKS se feront de plus en plus disponibles et, par exemple, la bande-son ressortira agrémentée de plusieurs dizaines de titres inédits, dont une version alternative du titre précédent au saxophone :
TWIN PEAKS : FIRE WALKS WITH ME fait également la part-belle à la dream pop et plusieurs thèmes hypnotiques sont très largement utilisés, notamment dans les coulisses du roadhouse lorsque Laura s’adonne à ses activités secrètes de prostituée. Là, l’utilisation tonitruante de la reverb’ sur la guitare électrique s’impose tout naturellement comme une continuation instrumentale des précédentes collaborations de nos deux artistes. Une sonorité distinctive, qui fera école au point qu’on parlera par la suite de musique lynchéenne, voire twin-peaksienne, afin d’inclure également Angelo Badalamenti dans l’équation…
À fond la reverb…
Le jazz NOIR demeure tout de même l’élément dominant de la bande-son, qui distille la majeure partie des thèmes qui vont et qui viennent avec une très grande fluidité, agissant-là aussi comme une sorte de signature, de ces signatures sonores qui dessinent l’univers de certains cinéastes (on pense par exemple à la musique de Danny Elfman pour les films de Tim Burton). Dans le cas de l’association Lynch/Badalamenti, il y a ce petit quelque chose de distordu, fait de réverbérations et de jazz velouté, parfois teinté de pop (cette fameuse dream pop) qui s’inscrit dans l’esprit du spectateur/auditeur comme une identité sonore immédiatement reconnaissable.
– Le livre : LE JOURNAL SECRET DE LAURA PALMER
En 1990, la série TWIN PEAKS était donc annulée au terme de sa deuxième saison. Un drame pour les fans.
C’est au moment où David Lynch tente de poursuivre son univers au cinéma que sa fille, Jennifer Lynch, s’adonne à la rédaction d’une nouvelle épistolaire dévoilant le contenu du fameux journal secret de Laura Palmer, cette pièce à conviction essentielle après laquelle couraient les enquêteurs tout au long de la série.
“Qui était vraiment Laura Palmer ?” peut-on lire sur la présentation du bouquin : “Étudiante populaire, fille modèle, amie sincère… ou jeune femme névrosée, toxicomane, âme possédée” ? Le livre déroule donc une succession de confidences rédigées par la jeune fille, depuis l’anniversaire de ses douze ans jusqu’à son meurtre, cinq ans plus tard. Le lecteur découvre ainsi la face mystérieuse, la réalité secrète de sa vie, celle qu’elle cachait à tous, sous ses allures de reine du campus. On y découvre toutes les contradictions d’un personnage pour le moins troublant, complexe, en quête de bonheur mais paradoxalement résigné à subir son destin funeste.
Son histoire, en tout point sordide et sulfureuse, prend en même temps les atours d’une métaphore : celle du douloureux passage de l’enfance à l’âge adulte, lorsqu’avec la puberté arrivent les transformations, les découvertes, les épreuves, les tentations et surtout l’obligation de faire des choix. Le personnage de Bob, qui apparait donc dans les pages du journal et dont on découvre les abominables sévices, s’impose plus que jamais comme l’allégorie de ces douloureuses et effrayantes transformations de l’adolescence…
Tous les secrets de Laura…
Jennifer Lynch ne prend aucun gant avec son récit, brossant le tableau d’une descente aux enfers entachée par le sexe dégradant, la drogue et la violence. La jeune Laura dévoile peu à peu ses penchants pour le vice, comme un pôle d’attraction auquel elle ne peut résister, écartelée entre un gros appétit pour la vie et un flirt constant avec la mort. Dans la lignée des thèmes chers à son père, Jennifer Lynch développe le même univers dans lequel les mondes parallèles illustrent les vils agissements et les secrets défendus qui se dissimulent derrière le vernis social de l’Amérique puritaine. Suivant cette logique implacable, le récit évolue avec, en toile de fond, l’illustration d’une enfance détruite, d’une évolution impossible et d’une impossibilité d’accéder au bonheur à partir du moment où le ver s’immisce dans le fruit, les maux de la société venant le pourrir de manière dramatiquement irréversible. Le tout mené comme un réquisitoire à l’encontre du puritanisme bigot.
À priori, David Lynch s’inspirera grandement du travail de sa fille pour l’écriture du film TWIN PEAKS : FIRE WALKS WITH ME, qu’il réalisera dans la foulée.
Elle a l’air clean, vu comme ça…
– TWIN PEAKS : THE MISSING PIECES
Pendant longtemps, l’univers de TWIN PEAKS resta à l’abandon. Les fans purs et durs s’accrochaient vaille que vaille au fantasme d’une suite éventuelle mais, du côté de ses créateurs, rien ne se passait. Jusqu’à cette année 2014…
Tout d’un coup, David Lynch et Mark Frost se réveillèrent, comme s’ils étaient soudain sortis de la Loge noire après toutes ces années de silence !
En trois ans, tout allait changer. Un roman (L’HISTOIRE SECRÈTE DE TWIN PEAKS) allait venir éclairer les origines de cet univers si cher à ses fans et, au bout du tunnel, une saison 3 inespérée allait enfin se concrétiser !
Tout commença avec un long métrage hybride, formé de scènes coupées remontées dans un ordre chronologique rigoureux d’après le film TWIN PEAKS : FIRE WALKS WITH ME, avec même un épilogue dévoilant deux scènes venant prolonger le final de la saison 2 ! Le résultat, intitulé TWIN PEAKS : THE MISSING PIECES, offert dans les bonus du coffret blu-ray sorti la même année (le 29 juillet 2014 exactement), allait déjà faire frémir un grand nombre de fans.
Gros cadeau pour les fans !
THE MISSING PIECES est donc un montage impeccable de toutes les scènes coupées susceptibles de venir approfondir le récit. Elles sont pour la plupart intéressantes (on voit notamment l’agent Jeffries, interprété par David Bowie, piégé dans l’espace-temps, et surtout la belle Laura s’enfoncer plus encore dans l’impasse de la déchéance), remontées en musique, dans un ordre chronologique parfaitement clair, avec une belle remastérisation des images.
Au final, le spectateur en apprend davantage sur les secrets et les dessous de l’intrigue. La chose ne s’adresse pas au néophyte, qui pour le coup n’y comprendra goutte, mais bel et bien au connaisseur, à même de recoller tous ces morceaux qui viennent aider à recomposer le puzzle jadis éparpillé entre la série et le film. En particulier, les scènes se déroulant dans la Loge noire sont plus facilement compréhensibles que d’ordinaire, les personnages s’adonnant à de généreux dialogues assez éclairants sur ce qu’ils recherchent et sur la signification de certains symboles (comme la fameuse bague vert-émeraude).
Au final, 91 minutes de bonus pour nous plonger un peu plus dans les tréfonds de l’univers de Twin Peaks, en attendant la saison 3 qui se profile doucement…
Les êtres de la Loge noire…
Je vous donne à présent rendez-vous pour la dernière partie de notre chronique, laquelle reviendra donc, entre autre, sur la tardive saison 3 réalisée en 2017 !
Bonus :
SEE YOU SOON !!!