FIRE WALKS WITH ME
– 1° PARTIE –
Chronique de la série TWIN PEAKS – Saisons 1 et 2
Créateurs : David Lynch, Mark Frost
Date de sortie : 1990 – 1991
Genre : Fantastique, polar, mystère
Bonus : Chronique de la BO et de l’album FLOATING INTO THE NIGHT
Auteurs : Aggelo Badalamenti, David Lynch. Interprète : Julee Cruise
Date de sortie : 1989
Genre : Dream-pop
Bonus : Chronique du livre L’HISTOIRE SECRÈTE DE TWIN PEAKS
Auteur : Mark Frost
Date de sortie : 2016
Genre : Fantastique, science-fiction, mystère
Un décor à la Stephen King ?
Cet article portera sur les deux premières saisons désormais historiques de la série TWIN PEAKS. C’est le premier d’une série de trois articles consacrés à la saga imaginée par le grand David Lynch et son compère Mark Frost, producteur, scénariste et romancier.
La série a été réalisée et diffusée de manière peu orthodoxe : Il y a eu tout d’abord un show de deux saisons assez différentes à la télévision en 1990 et 1991 (respectivement un épisode pilote et sept épisodes pour la saison 1, puis vingt-deux épisodes pour la saison 2).
La troisième saison ayant été annulée, David Lynch a alors réalisé un film préquel en 1992. Puis, très tardivement, afin de répondre à l’appel d’une armada mondiale de fans, une troisième saison de dix-huit épisodes a vu le jour vingt-cinq ans plus tard, en 2017…
Deux autres articles seront donc consacrés à la saga : L’un sera dédié au film TWIN PEAKS : FIRE WALKS WITH ME, l’autre à la tardive SAISON 3 intitulée TWIN PEAKS : THE RETURN.
AU PROGRAMME :
Tout viendrait-il de la forêt ?
Saison 1
À partir du mois d’avril 1991, une nouvelle série alors intitulée MYSTÈRE À TWIN PEAKS est diffusée sur la “5”, la chaîne culte de Sylvio Berlusconi. Au lycée d’Antibes où je m’apprête à passer le bac, tout le monde en parle : C’est la sensation de l’année chez les jeunes de 18 ans.
Le pitch parait alors simple : Qui a tué Laura Palmer ? C’est en tout cas ce que tente de découvrir l’agent du FBI Dale Cooper (Kyle McLachlan) qui, sitôt arrivé à Twin Peaks, petite ville de l’état de Washington perdue dans un des recoins les plus reculés des États-Unis (le même dans lequel se seront épanouis H.P. Lovecraft et Stephen King, comme par hasard…), tombe sous le charme des lieux. Ses prédispositions en matière de mystères sont au diapason de l’atmosphère étrange qui plane sur la région, lui qui, dans ses rêves, parvient à communiquer avec les esprits qui hantent le domaine…
Au fil de son enquête, qu’il mène en compagnie des agents de police locaux comme le shérif Harry Truman (Michael Ontkean) et ses adjoints Hawk Hill & Andy Brennan, Cooper va découvrir peu à peu que la jeune Laura Palmer (Sheryl Lee), reine du campus universitaire, était loin d’être la jeune femme modèle et innocente qu’elle paraissait. Car, alors que tout son entourage aurait juré qu’elle était une étudiante parfaitement saine, la vie dissolue et sulfureuse qu’elle menait en secret aurait des liens avec les esprits malfaisants de la Loge Noire (une sorte de dimension parallèle où l’on accède par une mystérieuse salle d’attente entourée de rideaux rouges), comme l’effrayant Bob…
Pour l’instant, l’agent Cooper a accès à la Loge Noire à travers ses rêves…
À cette époque, nous autres les geeks, enregistrons tout sur des VHS. Et les épisodes de TWIN PEAKS venaient s’entasser, je m’en souviens très bien, sur des cassettes de 240 minutes que je regardais d’une traite et à la suite.
C’est l’une des nouveautés que propose la série : Chaque épisode est un segment de la même et unique histoire, comme s’il s’agissait d’un long film de plusieurs heures. Alors, bien sûr que ça existe déjà, mais pas dans le registre de ce type de récits “à la Stephen King”. Certaines séries classiques (comme par exemple LE PRISONNIER) offraient déjà un concept similaire, mais la création de David Lynch & Mark Frost possède quelque chose de postmoderne. Car elle est autant une histoire d’enquête mystérieuse teintée d’horreur et de fantastique qu’une parodie délirante des soap-operas du genre LES FEUX DE L’AMOUR, voire de SANTA BARBARA (cette dernière étant en définitive un gloubiboulga improbable à cheval sur le soap et la saga familiale marchant sur le principe du teaser imparable à la “Who killed…?” qui avait fait les beaux jours de DALLAS) !
Le générique bucolique : Un évident pastiche de soap opera !
Tout le début de la série est ainsi une note d’intention claire, le show étant destiné à offrir au public un vrai-faux soap, derrière lequel se dissimule un récit “à la Stephen King” (oui, je me répète), alors proclamé grand Manitou des récits d’horreur puisant leur source dans le mystère tapis au cœur du quotidien de cette Amérique clinquante…
Mais TWIN PEAKS, écrite au départ par le tandem David Lynch & Mark Frost, est avant tout une œuvre de David Lynch. C’est-à-dire que les personnages et les situations surréalistes y abondent, telle mémère bigote trimbalant une bûche comme une maman aimante transporterait son bébé, telle femme au foyer borgne et psychotique ne parlant que de tringles à rideaux, tel avocat chantant et dansant au moment le moins opportun, ou tel psychiatre farfelu paraissant encore plus cinoque que le pire des docteurs cinoques…
Et il y a le héros : Le jeune et charismatique agent Dale Cooper, à la fois perspicace, studieux et facétieux, s’autorisant toutes les possibilités surnaturelles qui peuvent l’aider à mener son enquête, capable de recoller les morceaux des affaires les plus tortueuses en laissant libre cours à ses rêves et leurs passages vers les mondes parallèles, tout en s’extasiant longuement sur la beauté des arbres, le parfum d’un café ou le goût d’une tarte aux myrtilles…
Les zigotos de Twin Peaks...
Regarder le début de la série (une première saison de huit épisodes) pour ceux qui la découvrent aujourd’hui et qui la trouvent très kitsch, nécessite de se remettre dans le contexte de l’époque, car TWIN PEAKS opérait alors une véritable révolution au cœur du prime time, où les spectateurs, douillettement installés dans leur canapé, étaient habitués à des créations gentillettes telles CHEERS ou MADAME EST SERVIE ! Autant dire que la création de Mark Frost & David Lynch venait jeter un pavé dans la marre en apportant ce mélange incroyable entre la sitcom et le récit horrifique, le tout pimenté d’une véritable signature d’auteurs avant-gardistes !
Pour autant, le succès sans précédent de TWIN PEAKS n’a jamais été usurpé, car ses créateurs ne se foutaient pas de leur public : Tout y était bien fait et assumé, y compris le volet soap, comme jamais auparavant d’ailleurs, puisque les tragédies qui se nouaient dans la série y étaient traitées avec un premier degré sincère et authentique, par le truchement d’une écriture sophistiquée et élégante. Impossible, par exemple, de ne pas avoir la gorge nouée lors de la scène où les parents de Laura Palmer apprennent la mort de cette dernière, dans une scène cathartique proprement insoutenable. En bref, un parti-pris propre aux soaps, à même de foutre la rouste à toute la concurrence !
TWIN PEAKS, ça déchire, dans tous les sens du terme…
Bien qu’ils bénéficiaient au départ d’une liberté créative totale, Lynch & Frost décidèrent de laisser l’écriture et la réalisation des épisodes centraux à d’autres. David Lynch ne fut en réalité présent que sur le pilote et les deux premiers épisodes et Mark Frost écrivit le cinquième et s’occupa entièrement du septième et dernier.
La qualité de cette première saison n’en demeure pas moins optimale et s’impose avec le recul comme une véritable pierre à l’édifice de l’œuvre de David Lynch, dans la lignée de BLUE VELVET, malgré une généreuse dose de second degré que l’on ne reverra pas si souvent à un tel niveau dans sa filmographie, constituée de seulement dix films au total, auxquels s’ajoutent la série TWIN PEAKS et quelques autres séries TV hybrides, dans lesquelles il n’est souvent que l’initiateur.
Il faut savoir que les producteurs de la chaine ABC étaient au départ prudents et qu’ils avaient commandé une version de l’épisode pilote sous la forme d’un téléfilm avec une fin en bonne et due forme “au cas où”. Cette version, réservée à l’époque au marché européen, est très en-dessous du reste du saga, puisqu’elle propose une fin alternative où le méchant Bob apparait comme un simple psychopathe, annihilant de ce fait toute la dimension surnaturelle de la série.
Heureusement, le public, plus que conquis, fut envoûté par ce show unique en son genre et le téléfilm n’est aujourd’hui plus qu’une simple curiosité proposée dans les bonus roboratifs du coffret blu-ray, qui regorge par ailleurs de trésors incommensurables. Avis aux amateurs !
Bob : Le mal incarné !
– Saison 2
Le succès aura donc permis une seconde saison de 22 épisodes (les épisodes 8 à 29 de la série, David Lynch à la réalisation sur les épisodes 8, 9, 14 et 29, Mark Frost à l’écriture sur les 8, 14, 16, 26 et 29).
Cette distance prise entre ses auteurs et la série coïncida bien évidemment avec une baisse de qualité conséquente, et cette seconde saison échoua là où la première avait réussi. Ce furent apparemment les producteurs de la chaîne ABC (les producteurs sont toujours les méchants dans cette histoire) qui démotivèrent les créateurs de la série en les obligeant à dévoiler l’identité de l’auteur du meurtre de Laura Palmer (dont nous tairons le nom au cas où vous n’auriez pas encore vu cette œuvre culte) en plein milieu de cette nouvelle saison.
Sur bien des points, la saison 2 de TWIN PEAKS est très en-dessous du reste de la série. Le script navigue à vue, s’égare un moment autour de queques intrigues japonaises complètement inutiles, s’enfonce dans la forêt mystérieuse et, ne sachant finalement quoi en faire, multiplie les sous-intrigues tout en laissant en jachère la moitié d’entre elles, qui se perdent au beau milieu d’un fil rouge qui finit par tourner en rond.
Mais force est d’avouer que cela demeure quand même un très bon moment de télé, tant l’attachement aux personnages est fort et le décorum envoûtant. Il est évident que lorsque David Lynch revient à la barre, la comparaison n’est plus possible (sa mise en scène écrase celle des autres réalisateurs à des années lumières célestes) mais, quand même, l’ensemble demeure charmant et unique. À noter l’arrivée d’un troisième laron dans l’équipe créative : Robert Engels. Il écrit ici certains des meilleurs épisodes et co-écrira le film TWIN PEAKS – FIRE WALKS WITH ME avec David Lynch.
À ce stade, le spectateur est accroc à cette petite bourgade de l’état de Washington qui ressemble à s’y méprendre au Maine de Stephen King, et le mystère qui se distille depuis la forêt mystérieuse ne cesse de nous donner des frissons. Alors c’est incontestable : les yakusas qui s’immiscent dans l’intrigue ne servent à rien, les histoires de cœur se diluent dans le temps et les manigances qui se jouent autour de la scierie (l’entreprise principale de la ville) sont autant de McGuffin qui dévoilent leurs grosses ficelles factices. Mais l’essentiel demeure : L’agent Cooper a la classe et l’ambiance envoûtante est bien là !
Un mystérieux japonais qui n’est autre que…
La seconde moitié de la saison est vraiment la moins bonne, où le côté soap prend le dessus en jouant sur les personnages morts qui ressuscitent, les cliffhangers pourraves et surtout les sous-intrigues totalement stériles (l’échappée de James Hurley, le petit-garçon démoniaque…). Mais la première partie n’était déjà pas avare de plots inutiles, notamment lorsque le soi-disant méchant japonais s’en mêle (en vérité un personnage de la série lamentablement déguisé). Dans le dernier tiers, un méchant taillé sur mesure pour affronter l’agent Cooper (Windom Earle) fait son apparition, mais l’intrigue s’embourbe encore un peu plus et cet ajout n’apporte rien d’essentiel.
Le final nous réserve néanmoins, à l’époque, une palanquée de traumatismes : tandis que David Lynch reprend les choses en main en ramenant sur le devant de la scène la mystérieuse Loge Noire (cet étrange enchevêtrements de salles et de couloirs rouges d’où vient le démon Bob et où vont ses victimes, mais aussi l’agent Cooper et le Major Briggs, tous deux au cœur de l’enquête dans ses versants les plus mystérieux), les producteurs de la chaine ABC décident que la série s’arrête là. C’est-à-dire au terme d’un cliffhanger absolu, quand la quasi-totalité des sous-intrigues demeurent irrésolues, et que l’agent Cooper se retrouve à son tour possédé par le démon ! Une première dans l’histoire de la télévision, des créations de tous horizons et de toutes nos histoires cultes : TWIN PEAKS est tout simplement stoppée en plein milieu, au pire moment !
Le pire cliffhanger de l’histoire !
– La Musique
On ne peut rédiger ce premier article sans s’attarder un peu sur l’un des éléments les plus remarquables de son succès et de son aura de série culte : Sa musique !
Composée par Angelo Badalamenti, compère de David Lynch comme ont pu l’être John Williams pour Steven Spielberg ou Bernard Herrmann pour Alfred Hitchcock, la bande-son de la série joue un rôle de premier plan dans son ambiance envoûtante et mystérieuse. Et elle s’impose quasiment, au final, comme un personnage à part entière, alors qu’il s’agit en réalité d’une musique enregistrée bien avant, et de manière totalement distincte !
Car au départ, il y a un album de la chanteuse Julee Cruise, FLOATING INTO THE NIGHT, enregistré en 1989, entièrement composé par Angelo Badalamenti et écrit par David Lynch. Une chanson en particulier, FALLING, donnera par exemple le thème principal de la série, tandis que d’autres seront déclinées en thèmes secondaires (on en entendait déjà dans la bande originale du film BLUE VELVET, dans lequel Kyle McLachlan tenait déjà le rôle principal !). La chanteuse, quant à elle, apparaitra dès la saison 1 comme la vedette du roadhouse Bang Bang, le clup de la ville de Twin Peaks où se retrouvent, le soir venu, tous ses habitants venus chercher un moment de détente ou d’intimité, sous les lumières tamisées et l’atmosphère enfumée, propices aux forces de la nuit…
L’album de Julee Cruise est incontestablement un ovni. Considéré aujourd’hui comme l’un des jalons de la Dream-pop, il était surtout inclassable à sa sortie en 1989, au point qu’aucune radio ne pouvait se risquer à le diffuser ! Évidemment, le succès de la série TWIN PEAKS et la participation de la chanteuse aux épisodes consacrés au relais Bang Bang allaient considérablement changer la donne !
On notera avant tout les effets de réverbération particulièrement appuyés sur chaque chanson de l’album (et sur toutes celles qui sont incluses dans la série), qui semblent faire écho à cette distance indicible qui, dans TWIN PEAKS, sépare les personnages de la ville du monde parallèle dans lequel a été attirée Laura Palmer, et dans lequel l’agent Cooper tente de la rejoindre afin de démêler son enquête surnaturelle… En définitive, les chansons donnent corps à cette frontière éthérée et impalpable qui sert de passage entre les mondes parallèles, soit l’un des thèmes principaux du réalisateur David Lynch !
Une sacrée réussite, tant dans le fond que dans la forme, qui s’articule de manière extrêmement organique entre les thèmes de la série et son ambiance si particulière (les chansons parlent d’amour toxique, de feu et… de hiboux !). La petite ville de Twin Peaks semble ainsi suspendue en dehors du temps, telle une Amérique de carte postale pourtant extrêmement inquiétante. Quelque part entre les juke-box du passé et le modernisme d’un ailleurs lynchéen plongé dans les méandres oniriques de la Loge Noire, la musique d’Angelo Badalamenti deviendra un objet de culte à la fascination inépuisable. Probablement l’une des meilleures bandes-son de toute l’histoire de la télévision.
Au final, FLOATING INTO THE NIGHT est un manifeste postmoderne avant l’heure, dans lequel viennent fusionner cette ambiance rétro 50’s des juke box so America, faite de guitares slide ; ce mélange d’orgues (60’s) et de synthés (80’s), le tout nappé d’une atmosphère de jazz feutré diaphane et intemporel. À partir de là, tout ce qui sonnera plus ou moins de la même manière (songez par exemple au WICKED GAME de Chris Isaak ou, plus récemment, aux nombreux albums de Lana Del Rey), on ne pourra plus s’empêcher, en l’entendant, de s’écrier qu’il y a “quelque chose de lynchéen dans cette musique” ou, pour être sûr d’y englober également Angelo Badalamenti, quelque chose de “twin-peaksien”…
Avec cette BO (et ce premier album de Julee Cruise), les gamins de l’époque se moquaient bien de délaisser momentanément le rock ou la techno, en se délectant de ce jazz velouté qui leur susurrait soudain qu’il n’y avait pas de genre musical ringard, mais seulement des genres, et des chefs d’œuvre partout.
Julee Cruise chante éternellement au club de Twin Peaks…
Pour le dernier épisode de la saison 2, alors qu’il reprend les rennes du show en réalisant lui-même le final, David Lynch s’associe de nouveau à Angelo Badalamenti et le duo conçoit une chanson totalement originale, cette fois interprétée par Jimmy Scott, l’étrange crooner à la voix androgyne (qui apparait lui aussi à la caméra) : SYCAMORE TREES. Avec ce dernier titre façon dark jazz, Lynch entérine la fusion unique qui existe dans son cinéma entre les images et le son, entre le mouvement, l’intrigue, la musique et l’ensemble ne fait plus qu’un, pour une séquence totalement hypnotique, au diapason du récit qui bascule soudain dans les ténèbres de l’indicible. Un grand moment d’étrangeté.
– Le livre : L’HISTOIRE SECRÈTE DE TWIN PEAKS
En 2016, alors que se profile la 3ème saison de TWIN PEAKS (elle sera diffusée en 2017), Mark Frost fait un beau cadeau aux fans et les aide à patienter encore un peu avec son roman spécialement dédié à la saga : L’HISTOIRE SECRÈTE DE TWIN PEAKS.
Destiné à s’intégrer entre les saisons 2 et 3, il nous plonge dans le passé de la région et dans la création de la ville, décryptant ses mystères, ses secrets et leurs origines, en les liant à tous ceux de l’histoire des États-unis…
Citation : “Les hiboux, qui ne sont pas des oiseaux ordinaires, occupent une fonction importante : Ils nous rappellent de regarder dans les ténèbres…“
Le livre en lui-même est un bien bel objet d’environ 360 pages. Conçu comme un illustré, il se découpe en plusieurs parties épistolaires réunies sous la forme d’un dossier recomposé par un agent du FBI (qui anote ses commentaires en rouge sur les côtés) dont nous ne découvrons l’identité qu’à la toute dernière page, à partir d’un précédent recueil rédigé par un autre agent inconnu, qui se surnomme lui-même “l’archiviste”…
Des reproductions fictives de dossiers Top-secrets sont ainsi entrecoupées de lettres, de coupures de journaux, d’extraits de journal intime, d’images d’archive et de retranscriptions d’enregistrements audio.
On commence par nous transporter au XVIIIème siècle en compagnie des pionniers et des indiens, puis nous remontons peu à peu le temps, de manière chronologique, en traversant toutes les époques qui ont vu les mystères et les secrets s’accumuler, tout en assistant à la création de la ville de Twin Peaks, à l’égémonie de ses quelques familles dominantes, au destin iconoclaste de certains de ses habitants et, in fine, à la mort de Laura Palmer…
Qui étaient les indiens nez-percés ? Quel est leur héritage dans la région de Twin Peaks ?
Frost se révèle extrêmement ambitieux car il se lance dans une étude mythologique des USA depuis l’arrivée des premiers colons, en mêlant réalité et fiction, mystères ancestraux et complotisme d’état. Depuis l’expédition historique et bien réelle de Meriwether Lewis et William Clark en 1804 (première expédition destinée à traverser le futur territoire des États-Unis) au temps des pionniers, en passant par les événements de Roswell et l’emprise des divers groupuscules tels les francs-maçons, les illuminati et tous les services secrets officiels comme officieux, il remonte le temps en égrainant tous les mystères et les secrets sur lesquels s’est également construite la nation américaine.
Ainsi, les esprits et autres créatures surnaturelles, les animaux magiques, les extraterrestres, les manifestations et les mystérieuses disparitions qui ont tant nourri l’imaginaire des récits fantastiques du nouveau-monde se télescopent dans un ensemble indissociable, où les personnages de la série ont autant d’importance que certaines personnalités de la réalité historique (on y croisera par exemple Lewis & Clark, Aleister Crowley, L. Ron Hubbard et Richard Nixon, entre autres !).
Le fan extrême pourra éventuellement être déçu s’il s’attend à lire un récit entièrement focalisé sur les habitants de Twin Peaks et notamment ceux de la la série originelle. Bien sûr, ceux-ci ne sont pas absents du roman et l’on prend plaisir, par exemple, à apprendre comment Big Ed Hurley et sa femme Nadine se sont rencontrés et pourquoi Ed n’a pas épousé Norma, pourquoi Harry Truman et Hank Jennings ont suivi des chemins opposés depuis leur enfance commune ; à découvrir qui a survécu à l’explosion de la caisse d’épargne de Twin Peaks après l’épisode final de la saison 2, ou encore quel est le vrai travail du major Briggs. Et puis surtout, pourquoi la femme à la buche !!! Mais l’essentiel est toutefois ailleurs et, comme dans la saison 3 à venir, Mark Frost se plait à prendre nettement plus de temps à voyager ailleurs en Amérique, afin de multiplier les lieux, les protagonistes et les événements du mystère…
Pourquoi diantre y a t-il autant de tragédies dans cette petite ville ???
À maintes reprises, on regrettera sans doute que Frost revienne inlassablement sur le mystère extraterrestre depuis les événements de Roswell. Bien qu’il développe le mythe de fort belle manière, réussissant à lier tous les mystères corollaires à ce dernier, on se lasse parfois de cette obsession. Un peu comme si l’écrivain voulait absolument créer un crossover entre X-FILES et sa propre série. Ou plutôt comme s’il souhaitait rappeler à Chris Carter que ce dernier avait suffisamment pillé TWIN PEAKS dès le départ, et qu’il était temps de remettre les pendules à l’heure…
Parfois, on sent venir les révélations attendues. mais elles ne viennent jamais vraiment. Tout juste est-il suggéré que les espèces extraterrestres qui luttent en secret sur notre planète (notamment celle des géants dont nous avons aperçu un spécimen dans la Loge Noire – et qui apparait régulièrement à l’agent Copper dans ses rêves) ne sont peut-être pas venus de l’espace, mais d’une autre dimension, soit, encore une fois, l’un des principaux thèmes Lynchéiens. En revanche, Frost se révèle très habile dans son interprétation quant à la théorie du complot, notamment en expliquant que le pouvoir, s’il s’appuie régulièrement sur l’argent, se fonde tout aussi sûrement, et ce depuis la nuit des temps, sur la conservation des secrets…
Au final, les personnages principaux du roman ne sont pas ceux attendus. Et le protagoniste sur lequel s’articule cette HISTOIRE SECRÈTE DE TWIN PEAKS est peut-être celui qui, dans la série, aura tenu le rôle le plus anodin, à savoir Douglas Milford, le frère du maire de Twin Peaks, celui qui épouse l’incendiaire Lana dans la saison 2 ! C’est sur lui que revient constamment le récit, tel un fil rouge, depuis sa jeunesse jusqu’à sa mort, en traversant quasiment tous les événements américains secrets et mystérieux du XXème siècle…
Doug ! Jadis anodin, mais au final, essentiel !
Je vous donne à présent rendez-vous pour la suite de notre chronique, laquelle reviendra, entre autre, sur le long-métrage réalisé en 1992 !
SEE YOU SOON !!!
C’est au moment où j’écrivais cet article que le grand David Lynch a décidé de tirer sa révérence et de s’en aller définitivement pour rejoindre la Loge blanche. L’ensemble de cette chronique lui est, en toute logique, très humblement dédié.